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11/07/2023 | LUXEMBOURG | N°48833C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 11 juillet 2023, 48833C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48833C ECLI:LU:CADM:2023:48833 Inscrit le 17 avril 2023 Audience publique du 11 juillet 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2023 (n° 47234 du rôle) rendu sur recours de Madame (D) et consort, … (Grèce), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48833C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 17 avril 2023 par Madame le d

légué du gouvernement Charline RADERMECKER, agissant au nom et pour compt...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48833C ECLI:LU:CADM:2023:48833 Inscrit le 17 avril 2023 Audience publique du 11 juillet 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2023 (n° 47234 du rôle) rendu sur recours de Madame (D) et consort, … (Grèce), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48833C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 17 avril 2023 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER, agissant au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat lui conféré à cet effet le 14 avril 2023 par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dirigé contre un jugement du 9 mars 2023 (n° 47234 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré partiellement fondé le recours en annulation introduit par Madame (D), née le … à … (Chine), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de sa fille mineure à l’époque, (F), née le … à …, toutes deux de nationalité chinoise, demeurant en Grèce, dans la région …., à … …, …, …, et en conséquence a annulé la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 décembre 2021 portant refus d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (D) ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mai 2023 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’intimée ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

1Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 4 juillet 2023.

Par courrier du 9 août 2021, Madame (D), de nationalité chinoise, sollicita une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 ».

Par courrier du 11 août 2021, elle introduisit également une demande de regroupement familial dans le chef de sa fille mineure à l’époque, Madame (F).

Par décision du 22 décembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », refusa de faire droit aux prédites demandes sur base des motifs suivants :

« (…) Je me réfère à votre courrier du 16 août 2021 reprenant l’objet sous rubrique.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources conformément à l’article 78, paragraphe (1) point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Les ressources du demandeur sont évaluées par rapport à leur nature et leur régularité en application de l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 précitée.

En ce qui concerne les avoirs en banque de votre mandante d’un montant de ……- CNY auprès de la « (M) », ainsi que votre portfolio d’une valeur totale de …. HKD auprès de la « (N) (…..) » je me permets d’attirer votre attention sur le fait que ces sommes sont placées en Chine et qu’il n’est donc pas prouvé qu’elles sont immédiatement accessibles et disponibles au Luxembourg. Il en est de même pour l’argent placé dans les assurances.

Il est par ailleurs de notoriété publique que les standards en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme applicables en Chine diffèrent de ceux applicables au sein de l’Union européenne, de sorte que la légitimité de la provenance des fonds en question est, pour le moins, sujette à caution.

Le revenu perçu à travers les fonds d’investissements n’est pas à qualifier comme fiable et stable, étant donné qu’il dépend d’une activité dont les performances passées ne garantissent pas celles de l’avenir. Il en est de même pour les paiements autres que la pension alimentaire versés par l’ex-époux.

Votre mandante perçoit par ailleurs plusieurs loyers de propriétés situées en Chine, un salaire de la société chinoise « (G) Co., Ltd » ainsi qu’une pension alimentaire de son ex époux.

2Ces revenus ne peuvent cependant ni être considéré comme disponibles, voire immédiatement accessibles étant donné qu’ils sont virés sur un compte bancaire à l’étranger, ni comme suffisants, étant donné que la somme de ces revenus mensuels est inférieure au salaire social minimum d’un travailleur non qualifié au Luxembourg. La régularité des ressources n’est ainsi pas garantie.

Par ailleurs, votre demande ne me permet pas non plus de conclure que votre mandante entretient un lien particulier avec le Luxembourg. Le motif de cette demande d’autorisation de séjour temporaire reste donc pour le moins, sujette à caution.

Au vu de ce qui précède et étant donné qu’il n’y a pas de regroupant disposant d’un titre de séjour permettant de demander le regroupement familial, je ne peux pas non plus donner de suite favorable à votre demande de regroupement familial dans le chef de M[adame] (F).

À titre subsidiaire, il n’est pas prouvé que votre mandante et son enfant prouvent les conditions afin de bénéficier d’une autorisation de séjour à d’autres fins dont les différentes conditions sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour est refusée à Madame (D) et à [sa fille], M[adame](F), sur base de l’article 101, paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août précitée.

(…) ».

Par courrier du 8 mars 2022, Madame (D) introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle, précitée, recours gracieux qui resta sans réponse.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2022, Madame (D) introduisit, en son nom et celui de sa fille mineure à l’époque, (F), un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 22 décembre 2021 portant refus de lui accorder une autorisation de séjour pour raisons privées et refusant le regroupement familial dans le chef de sa fille.

Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal administratif reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le déclara partiellement justifié et, en conséquence, annula la décision du ministre du 22 décembre 2021 dans la seule mesure du refus ministériel d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (D), renvoya le dossier en prosécution de cause devant ledit ministre, pour le surplus, déclara le recours en annulation non fondé, partant en débouta la demanderesse, fit masse des frais et dépens et les imputa pour moitié à chacune des parties.

Pour ce faire, le tribunal, en relation avec le refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (F) basée sur base de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, estima que la simple mention à la première page de la requête introductive du refus du regroupement familial n’était pas suffisante pour pouvoir être considérée comme étant un moyen en droit valablement soutenu et il rejeta en conséquence le recours, sur ce point, pour être dénué de fondement.

Le tribunal rappela ensuite qu’afin de pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur devait tout d’abord remplir les conditions énumérées de manière générale 3aux premier et deuxième paragraphes de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire (i) ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, et (ii) disposer de ressources suffisantes.

Sur ce, il retint, en relation avec les raisons de la venue de Madame (D) au Luxembourg, que celle-ci n’était pas dans l’obligation, au vu des termes de l’article 78, paragraphe (1), point a), de la loi du 29 août 2008, de fournir des explications en ce sens ni de prouver l’existence d’un lien avec le Luxembourg, exigences qui dépasseraient les conditions requises légalement. Le tribunal constata en outre que les demanderesses avaient fourni des raisons pour expliquer leur venue au Luxembourg, à savoir que sa fille, (F), a indiqué qu’elle souhaitait suivre des enseignements au (Q) dans lequel elle avait été acceptée pour l’année scolaire 2021-2022 et que Madame (D) a indiqué qu’elle disposait seule de la garde de sa fille et qu’elle voulait la suivre au Luxembourg.

Concernant ensuite la condition ayant trait au logement approprié, le tribunal constata que le délégué du gouvernement restait en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles il estimait que le logement partagé pris en location par Madame (D) serait inapproprié, le simple fait que Madame (D) puisse habiter dans un logement partagé ne conduisant pas ipso facto à une violation des dispositions de la loi du 20 décembre 2019 relative aux critères de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité des logements et chambres donnés en location ou mis à disposition à des fins d’habitation, la location de chambres étant expressément prévue par celle-ci.

Concernant finalement la preuve dans le chef de Madame (D) qu’elle peut vivre de ses seules ressources, le tribunal nota que la demanderesse avait fourni les preuves de la perception d’un salaire mensuel d’un montant de ….-€, d’un certificat de son époux selon lequel celui-ci s’engageait à verser à titre de pension alimentaire la somme de …..-€ par an à partir de 2019 et de preuves bancaires des versements de ladite pension, soit un montant mensuel de ….-€, ainsi que des preuves de revenus mensuels provenant de la location de biens immobiliers équivalant à ….-

€, soit un revenu total mensuel de …-€ issu de comptes chinois et grecs, montant dépassant le salaire social minimum d’un travailleur non qualifié fixé à 2.256,95.-€ à l’époque de la prise de la décision attaquée, de sorte à remplir les conditions fixées par l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « le règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 ».

Comme Madame (D) pouvait encore faire état d’un compte bancaire avec un solde positif de … CNY - équivalant à …..-€ à la date du 16 juin 2022 -, le tribunal estima que celle-ci avait rapporté la preuve qu’elle pouvait vivre de ses seules ressources au Luxembourg et qu’elle disposait de ressources suffisantes et régulières pour s’y maintenir, au sens des articles 78 de la loi du 29 août 2008 et 7 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008, de sorte que le ministre avait dépassé sa marge d’appréciation des faits en décidant le contraire.

Partant, le tribunal annula la décision ministérielle litigieuse du 22 décembre 2021 portant refus d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (D) et renvoya l’affaire devant le ministre en prosécution de cause.

4Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 17 avril 2023, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement émet des doutes quant à la régularité du contrat de bail produit par l’intimée en relevant qu’il « parait pour le moins inapproprié et incohérent que le locataire prenne en location un logement à la même adresse que le propriétaire dudit logement ». Il trouve également singulier qu’aucune cuisine ne semble être prévue dans ledit logement et qu’à ce jour les preuves de versement du loyer mensuel soient manquantes. Au vu de ces lacunes, la partie étatique soutient que le contrat de bail aurait été confectionné uniquement pour les besoins de la cause et qu’il serait sans valeur probante.

Concernant la condition ayant trait aux ressources suffisantes, l’Etat souligne que Madame (D) se prévaudrait essentiellement de la pension alimentaire mensuelle de ….€ au profit de sa fille, entre-temps majeure, et que cette pension alimentaire ne serait pas illimitée dans le temps, de sorte que celle-ci risquerait d’être à charge de l’Etat lorsqu’il sera mis un terme au versement de ladite pension alimentaire. Partant, les ressources mises en avant par Madame (D) ne pourraient être qualifiées comme étant suffisantes et régulières au sens des articles 78, paragraphe (1), point a), de la loi du 29 août 2008 et 7 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre lui a refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées.

Madame (D), de son côté, demande la confirmation pure et simple du jugement dont appel.

Elle précise que le propriétaire du logement pris en location serait une connaissance et vivrait dans le même logement et que la cuisine du logement serait accessible aux deux familles. Pour le surplus, il se dégagerait d’un écrit signé par le bailleur que celui-ci percevrait le loyer mensuel convenu depuis le 1er septembre 2021. Quant à la pension alimentaire perçue pour sa fille, Madame (D) précise que ladite pension alimentaire serait due jusqu’à la fin des études universitaires de celle-ci. Or, comme sa fille n’aurait pas encore commencé les études universitaires, le père devrait encore verser la pension alimentaire pour au moins les 6 prochaines années.

Dans le contexte plus large d’une décision ministérielle intervenue en réponse à une demande en délivrance d’une autorisation de séjour « pour des raisons d’ordre privé », le cadre légal de l’affaire soumise à la Cour est généralement tracé par l’article 78 de la loi du 29 août 2008, qui dispose :

« (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :

a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources ;

b) aux membres de la famille visés à l’article 76 ;

c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour 5porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;

d) au ressortissant de pays tiers qui fait valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

(2) Les personnes visées au paragraphe (1) qui précède doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal ».

Il ressort de cet article qu’afin de pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur doit tout d’abord remplir les conditions énumérées de manière générale aux premier et deuxième paragraphes de l’article 78, précité, de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire (i) ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, et (ii) disposer de ressources suffisantes.

Au-delà de la stricte vérification du respect des conditions posées par l’article 78 de la loi du 29 août 2008, il convient de relever que cette disposition légale confère encore un pouvoir d’appréciation pour accorder ou refuser un permis de séjour.

En effet, au-delà des conditions expressément posées (« à condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié »), par l’emploi du verbe pouvoir (« le ministre peut1 accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : (…) ») dans les différents cas de figure ensuite visés et énumérés sous les points a) à d) dudit article 78, paragraphe (1), le législateur confère un libre pouvoir d’appréciation au ministre, lequel, dans l’exercice de ce pouvoir, a le choix de la décision qu’il va prendre en opportunité.

Le seul fait qu’une autorité administrative dispose d’un pouvoir discrétionnaire ne signifie pas qu’il s’agit d’un pouvoir arbitraire. En effet, un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge. Dès lors, c’est à tort que les premiers juges ont dénié au ministre le droit de s’interroger et de s’enquérir sur les intentions et projets concrets d’un demandeur d’autorisation.

Plus spécifiquement, concernant l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre en la matière, c’est à bon escient que les premiers juges ont relevé que l’article 78 de la loi du 29 août 2008 dispose effectivement que le ministre « peut » accorder une autorisation de séjour pour raisons privées et que le commentaire dudit article 78 précise que « Cet article investit le ministre d’un pouvoir discrétionnaire par rapport à l’autorisation au séjour de personnes qui ne peuvent obtenir une autorisation de séjour à un autre titre2: il s’agit de personnes inactives, de personnes qui suite à un changement familial ne peuvent plus être considérées comme membres de famille ou qui ne tombent pas sous la définition de membre de famille, mais possèdent de fortes attaches avec une personne vivant au pays ou des personnes qui tout en ne tombant pas sous la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, font valoir des 1 mis en évidence par la Cour 2 souligné par la Cour 6motifs humanitaires. Peuvent également bénéficier de ce titre de séjour, les personnes atteintes d’une maladie grave visées par l’article 91, sinon 133, ainsi que les victimes de la traite visées à l’article 98.

Pour pouvoir bénéficier de ce statut, les personnes concernées ne doivent ni constituer une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, ni constituer une charge pour l’Etat. Elles doivent bénéficier de ressources suffisantes, même si ces ressources ne sont pas nécessairement des ressources personnelles »3.

A ce stade, la Cour se doit de rappeler que l’autorisation de séjour pour raisons privées constitue une possibilité parmi d’autres d’obtenir un séjour de plus de trois mois au pays, à côté de divers autres régimes d’autorisation de séjour tels qu’énumérés à l’article 38 de la loi du 29 août 2008, à savoir à titre de travailleur salarié (art. 42 et s.), de travailleur indépendant (art. 51 et s.), de sportif (art. 54), d’étudiant, élève, stagiaire ou volontaire (art. 55 et s.), de chercheur (art. 63 et s.), de membre de la famille du ressortissant de pays tiers (art. 68 et s.) et de résident de longue durée (art. 80 et s.), et de divers cas particuliers d’autorisation de séjour tels l’autorisation de séjour pour motifs exceptionnels (art. 89), l’autorisation de séjour des personnes bénéficiaires d’un traitement médical (art. 90 et s.) et l’autorisation de séjour des personnes victimes de la traite des êtres humains (art. 92 et s.).

Une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées est donc une catégorie spécifique et distincte des autres catégories encore prévues et une demande afférente ne doit dès lors pas en réalité viser un des autres régimes d’autorisation de séjour énumérés à l’article 38 de la loi du 29 août 2008.

Indubitablement et de façon basique, une demande en délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons privées doit présenter un lien particulier avec le Luxembourg et être en phase avec un projet réel de l’intéressé de venir s’installer et mener sa vie au - et à partir du - pays, respectivement la personne concernée doit présenter de fortes attaches avec des personnes vivant au Luxembourg ou faire valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, pareille demande ne se concevant tout simplement pas autrement.

Or, en l’espèce, la Cour se doit de relever que les deux demandes d’autorisation de séjour dans le chef de Madame (D) et de sa fille (F), présentées les 9 et 11 août 2021, indiquent comme seul motif la poursuite d’études dans un environnement international de la part de la fille (F), renvoyant dans ce contexte à une acceptation en tant qu’élève de la part de l’« (Q) » datée au 7 mai 2021 pour l’année scolaire 2021/2022 dans la classe 4IEC.

Dans son recours gracieux du 8 mars 2022, Madame (D) indique encore que sa meilleure amie aurait obtenu avec ses enfants un titre de séjour pour le Luxembourg, et qu’elle voudrait résider au pays pour rejoindre son amie, ne voulant pas rester seule en Grèce, et que le Luxembourg serait le meilleur environnement scolaire pour sa fille (F).

Au vu de ces faits, la Cour se doit de relever que la demande d’autorisation de séjour des intimées ne rentre pas dans le cadre légal du régime spécifique de l’autorisation de séjour pour des raisons 3 Doc. parl. n° 5802/00, p.77 7privées, mais a été présentée pour permettre à (F) d’être admise dans un établissement d’enseignement secondaire, sans pour autant remplir les conditions inscrites à l’article 60 de la loi du 29 août 2008 visant l’autorisation de séjour de l’élève, dont notamment celle de participer soit à un programme d’échanges d’élèves établi dans le cadre d’un accord bilatéral, soit au programme européen dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie.

Or, une demande d’autorisation de séjour pour des raisons privées ne saurait être mise à profit pour contourner les conditions exigées par un autre régime en obtention d’une autorisation de séjour, ce qui est précisément le cas en l’espèce au vu de l’intention claire affichée par Madame (D) de vouloir venir s’installer au Luxembourg afin de permettre à la fille (F) d’y poursuivre dans une première phase des études secondaires et par la suite des études universitaires.

La Cour retient dès lors que la demande de Madame (D) n’est pas motivée et sous-tendue par un projet réel de venir s’installer et mener sa vie au Luxembourg correspondant à une situation susceptible de rentrer dans le cadre des dispositions de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, de sorte que le ministre a pu user de la faculté lui reconnue légalement de ne pas octroyer le permis de séjour pour raisons privées sollicité par Madame (D), sa décision n’apparaissant pas viciée par une erreur d’appréciation, considérée en termes de dépassement de la marge d’appréciation lui laissée.

Au vu de ce qui précède, l’examen des moyens formulés ayant trait à la preuve de la disponibilité d’un logement approprié et des ressources suffisantes devient surabondant.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique est fondé et, par réformation du jugement entrepris, il y a lieu de rejeter le recours des intimées contre la décision ministérielle litigieuse du 22 décembre 2021.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit l’appel étatique du 17 avril 2023 en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 9 mars 2023, dit qu’il n’y a pas lieu à annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 décembre 2021 portant refus d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (D) et rejette le recours afférent comme étant non fondé ;

condamne Madame (D) aux dépens des deux instances.

8Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …….

s. ….

s. CAMPILL 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48833C
Date de la décision : 11/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-07-11;48833c ?

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