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11/07/2023 | LUXEMBOURG | N°48677Ca%2B48684Ca

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 11 juillet 2023, 48677Ca%2B48684Ca


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéros du rôle : 48677Ca et 48684Ca ECLI:LU:CADM:2023:48677.48684 Inscrits respectivement les 10 et 13 mars 2023

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Audience publique du 11 juillet 2023 Appels formés par (I.) la société en commandite simple (F), ….., et (II.) l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 23 février 2023 (n° 48213 du rôle) dans un litige les opposant à deux décisio

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéros du rôle : 48677Ca et 48684Ca ECLI:LU:CADM:2023:48677.48684 Inscrits respectivement les 10 et 13 mars 2023

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Audience publique du 11 juillet 2023 Appels formés par (I.) la société en commandite simple (F), ….., et (II.) l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 23 février 2023 (n° 48213 du rôle) dans un litige les opposant à deux décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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I. Revu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48677C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2023 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY S.C.S., établie et ayant son siège à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée pour les besoins des présentes par Maître Jean SCHAFFNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de la société en commandite simple (F), établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, la société à responsabilité limitée (J) s.à r.l., dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 23 février 2023 (n° 48213 du rôle), par lequel ledit tribunal rejeta la demande de jonction avec l’affaire introduite sous le n° 48058 du rôle, déclara irrecevable ratione temporis et rejeta le recours tendant à l’annulation « (i) de la décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe 3 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale […] émise par la Direction de l’Administration des contributions directes -

Division échange de renseignements et retenue d’impôts sur intérêts […] le 28 juin 2022 […] et [de] (ii) la décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe 3 de la Loi de 2014 émise par l’ACD le 19 août 2022 », déclara la requête en intervention volontaire déposée par l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg irrecevable et la rejeta, tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la société requérante et en faisant masse des frais et dépens de l’instance pour les imputer pour deux tiers à la société requérante et pour un tiers à l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg ;

II. Revu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48684C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 13 mars 2023 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d’Eau, inscrite à la liste V du tableau de l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant en fonctions, la société à responsabilité limitée BSP s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d’Eau, elle-

même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Alain STEICHEN, assisté de Maître Pol MELLINA, les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, établi et ayant son siège à la « Maison de l’Avocat », à L-1840 Luxembourg, 2A, Boulevard Joseph II, représenté par son Bâtonnier en fonction, sinon par son Conseil de l’Ordre en fonction, dirigé contre le même jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 23 février 2023 (n° 48213 du rôle) ;

I. et II. Vu l’arrêt de la Cour administrative du 4 mai 2023 ayant joint et reçu en la forme ces deux appels, les ayant déclarés partiellement fondés pour, par réformation, déclarer le recours introduit par la société (F) irrecevable faute d’objet en ce qu’il est dirigé contre la décision d’injonction initiale du 28 juin 2022, recevoir en la forme le recours en annulation dans la mesure où il est dirigé contre la décision d’injonction du 19 août 2022 et recevoir dans la même mesure la requête en intervention volontaire déposée par l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg en la forme, au fond, par évocation, après avoir rejeté le moyen étatique quant à l’incompétence ratione materiae pour connaître de la question ayant trait à l'opposabilité du secret fiscal en matière d'échange de renseignements sur demande, ayant, avant tout autre progrès en cause, invité les parties à prendre position, dans un mémoire supplémentaire, par rapport aux cinq questions formulées au dispositif que la Cour se propose de soumettre à titre préjudiciel à la Cour de Justice de l’Union européenne ;

Vu le courrier de Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARUCCIA du 15 juin 2023 informant la Cour de ce que l’Etat ne déposerait pas de mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 15 juin 2023 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY S.C.S., représentée par Maître Jean SCHAFFNER, préqualifiés, au nom de la société en commandite simple (F), préqualifiée ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 19 juin 2023 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., représentée par Maître Alain STEICHEN, préqualifiés, au nom de l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maîtres Jean SCHAFFNER et Pol MELLINA, de même que Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARUCCIA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 juin 2023.

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1.

Par courrier du 28 juin 2022, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », adressa à la société en commandite simple (F), ci-après la « société (F) », une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3), de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019 différents renseignements et documents concernant la société espagnole (K), anciennement (M), ci-après la « société (K) », pour le 3 août 2022 au plus tard, ladite injonction étant libellée comme suit :

2.

« (…) En date du 21 juin 2022, l'autorité compétente de l'administration fiscale espagnole nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et l'Espagne du 3 juin 1986, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation du Protocole et de l'échange de lettres relatif à ladite convention, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne morale concernée par la demande est la société espagnole (K) (avant (M)), ayant une adresse au ………… Espagne.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019, les renseignements et documents suivants pour le 3 août 2022 au plus tard.

- Veuillez fournir pour la période visée toute la documentation disponible (lettre de mission, contrats avec le client, rapports, mémorandums, communications, factures, etc.) concernant les services fournis par (F) à la société espagnole (K) dans le cadre de :

o L'acquisition en 2015, de 80 % des participations de (N) par le groupe d'investissement (O) (facture n° ……du 04/03/2016) ;

o L'acquisition d'une autre entreprise espagnole par le groupe en 2018 (facture n° …… du 13/12/2018) ;

- Veuillez fournir une description détaillée du déroulement des opérations susmentionnées, depuis l'engagement des services de la société (F) jusqu'à leur achèvement, ainsi qu'une explication de son implication dans ces processus et l'identification de ses interlocuteurs (vendeurs, acheteurs et tiers) et les factures ;

- Veuillez fournir pour la période visée la copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du système d'envoi de fichiers par OTX (…).

Conformément à l'article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l'encontre de la présente décision d'injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. (…) ».

3.

Par courrier électronique du 8 juillet 2022 et en réponse au courrier du 28 juin 2022, la société (F) informa l’administration des Contributions directes, ci-après « l’ACD », du fait qu’elle aurait agi en tant qu’avocat conseil juridique du groupe auquel la société (K) appartient et que, de ce fait, elle serait dans l’impossibilité légale de communiquer des informations concernant son client au motif que celles-ci seraient couvertes par son secret professionnel.

4.

Par courrier électronique du 11 juillet 2022, l’ACD répondit à la société (F) en la renvoyant aux termes de l’article 2, paragraphes (1) et (2), de la loi du 25 novembre 2014 qui prévoirait une exception légale au secret professionnel du détenteur de renseignements, tout en lui demandant de réserver une suite favorable à la décision d’injonction du 28 juin 2022 dans le délai y fixé.

5.

Par courrier recommandé du 8 août 2022, la société (F) s’adressa au directeur pour l’informer de nouveau et en substance du fait qu’en sa qualité de cabinet d’avocats, elle ne disposerait pas d’informations pouvant être communiquées à l’ACD pour ne pas être couvertes par le secret professionnel inscrit au § 177, alinéa (1), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, dite « Abgabenordnung », en abrégé « AO », tout en précisant que son « mandat juridique sur le dossier décrit dans [la] lettre d’injonction » aurait été exclusivement de nature non fiscale et aurait concerné uniquement le droit des sociétés.

6.

Après avoir, dans un premier temps, constaté à travers un courrier recommandé du 10 août 2022 que la société requérante n’avait pas donné suite à sa décision d’injonction du 28 juin 2022 dans le délai y fixé et invité celle-ci à lui fournir les renseignements en question dans un nouveau délai, soit pour le 26 août 2022 au plus tard, tout en joignant à ce courrier une copie de la décision d’injonction du 28 juin 2022, le directeur s’adressa de nouveau à la société requérante par courrier électronique du 12 août 2022 pour l’informer que comme le courrier de l’administration du 10 août 2022 et celui de la société requérante du 8 août 2022 s’étaient croisés, la « lettre de rappel » du 10 août 2022 était annulée.

7.

Par courrier recommandé du 19 août 2022, le directeur s’adressa de nouveau à la société (F), après avoir pris connaissance du courrier recommandé de celle-ci du 8 août 2022, afin de l’informer que la prise de position y contenue ne serait pas satisfaisante, faute d’avoir contenu des réponses à tous les points relevés dans la décision d’injonction du 28 juin 2022 et enjoignit à la société (F) de lui fournir « tous les renseignements, ainsi que les pièces » pour le 7 septembre 2022 au plus tard. Ladite décision est libellée comme suit :

8.

« (…) Je me réfère à votre réponse du 8 août 2022, suite à notre décision d'injonction du 28 juin 2022, vous enjoignant de nous fournir des renseignements dans le cadre d'une demande administrative espagnole et dont copie en annexe.

Je dois malheureusement constater que la réponse n'est pas satisfaisante alors que vous n'avez pas répondu à tous les points de ladite décision d'injonction. Je tiens à vous rappeler que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je me permets également de rendre votre attention sur le paragraphe 19.3. du commentaire relatif à l'article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE qui se lit comme suit :

« Un État requis peut refuser de communiquer des renseignements relatifs aux communications confidentielles entre avocats, ou autre représentants légaux agréés dans l'exercice de leurs fonctions et leurs clients dans la mesure où les communications sont préservées de toute divulgation en vertu de sa législation interne. Toutefois, le champ d'application de la protection dont bénéficient ces communications confidentielles doit être défini d'une manière étroite. Le secret ne vaut pas pour les documents remis à un avocat pour essayer de les préserver d'une divulgation requise par la loi. En outre, les renseignements concernant l'identité d'une personne telle qu'un administrateur ou un bénéficiaire effectif d'une société ne sont généralement pas protégés en tant que communication confidentielle.

Bien que le champ d'application de la protection accordée aux communications confidentielles puisse différer selon les États, il ne doit pas être excessivement large, car cela entraverait un échange effectif de renseignements. Les communications entre avocats, ou autres représentants légaux agréés et leurs clients ne sont confidentielles que dans la mesure où ces représentants agissent en leur qualité d'avocats, ou autres représentants légaux agréés et non à un autre titre, tel qu'actionnaires mandataires, fiduciaires, constituants d'un trust, administrateurs de sociétés ou en vertu de leur pouvoir de conseil pour représenter une société dans ses opérations commerciales. » Par conséquent, je vous prie de bien vouloir nous fournir tous les renseignements ainsi que les pièces sur lesquelles ceux-ci sont fondés pour le 7 septembre 2022 au plus tard.

A défaut, et conformément à l'article 5 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le directeur des contributions directes pourrait vous infliger une amende administrative fiscale jusqu'à un montant de 250.000 euros. (…) ».

9.

A travers une décision du 16 septembre 2022, le directeur infligea à la société (F) une amende fiscale à hauteur de …… euros en application de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 pour ne pas avoir donné de suites à la décision d’injonction du 19 août 2022.

10.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2022, inscrite sous le n° 48058 du rôle, la société (F) introduisit un recours en réformation dirigé contre la décision directoriale du 16 septembre 2022 ayant fixé une amende fiscale à son encontre.

11.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2022, inscrite sous le n° 48213 du rôle, la société (F) introduisit un recours tendant à l’annulation « (i) de la décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe 3 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale (…) émise par la Direction de l’Administration des contributions directes – Division échange de renseignements et retenue d’impôts sur intérêts (…) le 28 juin 2022 (…) et contre (ii) la décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe 3 de la Loi de 2014 émis par l’ACD le 19 août 2022 ».

12.

En date du 13 décembre 2022, l’l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, ci-après « l’Ordre », déposa au greffe du tribunal administratif une requête en intervention volontaire dans le cadre du recours introduit par la société (F) sous le n° 48213 du rôle.

13.

Dans son jugement du 23 février 2023 statuant sur le recours inscrit sous le n° 48213 du rôle, le tribunal administratif rejeta la demande de jonction avec l’affaire introduite en date du 18 octobre 2022 sous le n° 48058 du rôle. Il déclara à la fois le recours en annulation et la requête en intervention volontaire déposée par l’Ordre irrecevables ratione temporis et les rejeta. Il écarta encore la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la société requérante et fit masse des frais et dépens de l’instance pour les imputer pour deux tiers à la société requérante et pour un tiers à l'Ordre.

14.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2023, inscrite sous le n° 48677C du rôle, la société (F) a relevé appel de ce jugement du 23 février 2023.

15.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 13 mars 2023, inscrite sous le n° 48684C du rôle, l’Ordre a également relevé appel du même jugement du 23 février 2023.

Quant aux questions tranchées dans l’arrêt du 4 mai 2023 16.

Dans son arrêt du 4 mai 2023, la Cour joignit d’abord les deux appels inscrits sous les nos 48677C et 48684C du rôle pour y statuer par un seul arrêt et les reçut tous les deux pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

17.

Quant à la question de la recevabilité du recours inscrit sous le n° 48213 du rôle et déclaré irrecevable ratione temporis par le tribunal, la Cour réitéra dans le même arrêt du 4 mai 2023 son analyse selon laquelle l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », du 25 novembre 2021 (État luxembourgeois contre L, aff. C-437/19, ECLI:EU:C:2021:953) a reconnu au détenteur de renseignements un droit à la communication de l’information minimale au cours de la phase administrative et justifié cette solution par la nécessité de respecter la substance du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte ». La Cour maintint dans ledit arrêt également son analyse selon laquelle, dans cet arrêt, la CJUE a retenu que l’information minimale relative à la finalité fiscale de la demande d’échange étrangère doit être fournie en tant que motivation dans la décision d’injonction même.

18.

La Cour constata ensuite que ni la décision d’injonction initiale du 28 juin 2022, ni celle du 19 août 2022 n’ont porté communication à la société (F) de l’information minimale relative à la finalité fiscale poursuivie par l’autorité espagnole à travers son enquête dans le cadre de laquelle cette autorité a adressé la demande d’échange de renseignements du 21 juin 2022 au directeur.

19.

Quant à la question relative à la sanction de ce non-respect de l’article 47 de la Charte découlant du défaut de l’indication de la finalité fiscale, la Cour réitéra dans l’arrêt du 4 mai 2023 son analyse selon laquelle la sanction pour défaut de communication de la finalité fiscale d’une décision d’injonction doit être celle de la suspension du délai de recours contre ladite décision d’injonction. En effet, cette sanction correspond à celle admise dans le cadre du droit administratif général luxembourgeois pour le non-respect de l’obligation de motiver une décision administrative et à celle prévue par le § 246, alinéa (3), AO dans le cadre plus spécifique du droit fiscal en matière d’impôts directs, et elle suffit aux principes de l’équivalence et d’effectivité découlant du droit de l’Union européenne (cf. Cour adm.

17 novembre 2022, n° 47734C du rôle ; 20 avril 2023, n° 48650C du rôle). Elle ajouta que le défaut constaté d’une motivation suffisante dans une décision doit entraîner en toute occurrence l’application de la sanction de la suspension du délai de recours, sans qu’il y ait lieu de rechercher si ce défaut a pu avoir une incidence directe sur la décision prise par le destinataire de la décision quant aux suites à y donner.

20.

La Cour conclut qu’aucune des deux décisions d’injonction des 28 juin et 19 août 2022 n’avait pu faire courir le délai de recours prévu par l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014 et que c’était partant à tort que les premiers juges avaient conclu à l’irrecevabilité ratione temporis du recours au motif tiré de son introduction plus d’un mois après la notification aussi bien de la décision d’injonction initiale que de celle du 19 août 2022.

21.

Néanmoins, afin de cerner correctement l’objet du litige lui soumis et au vu des analyses divergentes des parties à cet égard, la Cour examina encore la question de savoir laquelle des deux décisions des 28 juin et 19 août 2022 doit être considérée comme véhiculant effectivement l’élément décisionnel de l’injonction faite à la société (F) de fournir certains renseignements. La Cour estima qu’à travers la décision du 19 août 2022, le directeur avait nécessairement réexaminé la validité de la décision d’injonction en cause en prenant position par rapport aux oppositions formulées par l’appelante et, partant, qu’il avait implicitement, mais nécessairement remplacé la décision d’injonction du 28 juin 2022 par une nouvelle décision.

22.

Par réformation du jugement entrepris, la Cour jugea dès lors que le recours en annulation formé par la société (F) était irrecevable faute d’objet en ce qu’il entendait déférer la décision d’injonction initiale du 28 juin 2022, mais qu’il était à déclarer recevable dans la mesure où il était dirigé contre la décision d’injonction du 19 août 2022 et ce, alors même qu’il avait été introduit le 25 novembre 2022, soit au-delà du délai d’un mois prévu par l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014, puisque ce délai était suspendu en l’occurrence.

23.

En conséquence de cette conclusion et au vu de l’intérêt à agir patent de l’Ordre, la Cour réforma encore le jugement entrepris en déclarant recevable l’intervention volontaire de l’Ordre.

24.

Finalement, la Cour décida, pour des raisons manifestes de bonne administration de la justice, de faire usage de la faculté d’évoquer l’affaire sous examen et de statuer au fond.

25.

Quant au fond, la Cour constata que la demande d’échange de renseignements des autorités fiscales espagnoles était notamment fondée sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, ci-après la « directive 2011/16 », et que cette directive primait les conventions de non double imposition conclues entre Etats membres. Elle conclut que le cadre légal de référence était donc constitué par la directive 2011/16, ensemble avec la loi ayant transposé son contenu en droit interne, c’est-à-dire la loi du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après la « loi du 29 mars 2013 », ainsi que la loi du 25 novembre 2014, qui constitue la mesure législative de transposition de la directive 2011/16 au niveau procédural et sur laquelle est fondée la décision d’injonction du 19 août 2022.

26.

La Cour précisa encore que dans la mesure où les lois des 29 mars 2013 et 25 novembre 2014 constituaient les lois nationales qui précisent les modalités de fond et de procédure concernant l’échange de renseignements sur demande institué par la directive 2011/16, notamment en prévoyant la possibilité, pour l’autorité compétente, de prendre une décision obligeant une personne détentrice d’informations à lui fournir ces dernières, ces mêmes lois constituaient une mise en œuvre du droit de l’Union qui emportait l’application de la Charte, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de cette dernière (cf. CJUE 6 octobre 2020, aff. jointes C‑245/19 et C‑246/19, État luxembourgeois c/ B (C‑245/19), et État luxembourgeois c/ B, C, D, F. C. en présence de A (C‑246/19), points 45 et 46). Elle retint donc que la validité de la décision d’injonction déférée du 19 août 2022 – décision qui constituait une mesure individuelle à travers laquelle l’Etat luxembourgeois s’était exécuté, en sa qualité d’Etat membre requis, de ses obligations prévues par la directive 2011/16 de collecter et de communiquer les renseignements sollicités par les autorités espagnoles dans le cadre de leur demande d’échange de renseignements du 21 juin 2022 –, ainsi que la validité des dispositions du droit de l’Union et nationales prévoyant le régime de cet échange de renseignements, devait également être examinée par rapport aux dispositions de la Charte.

27.

La Cour rejeta ensuite le moyen étatique tiré de l’incompétence ratione materiae des juridictions administratives pour connaître de la question ayant trait à l'opposabilité du secret fiscal en matière d'échange de renseignements sur demande. Elle considéra qu’en examinant cette question de l’incidence du secret professionnel de l’avocat dans le cadre de sa vérification de la validité d’une décision d’injonction du directeur ayant comme destinataire une étude d’avocats luxembourgeoise, elle ne procédait aucunement à l’examen de moyens relatifs à la conformité au droit interne de l’Etat membre requérant de l’obtention des renseignements par l’autorité de l’Etat membre requérant.

Quant à la validité de la décision d’injonction 28.

La Cour n’entend pas reproduire dans le présent arrêt l’exposé exhaustif des moyens développés par les parties relativement aux différents aspects de la validité de la décision d’injonction déférée et renvoie à cet égard à son arrêt du 4 mai 2023. Elle se réfère seulement à ces moyens dans le cadre de ses propres développements qui suivent dans la mesure nécessaire à son raisonnement et ce pour des raisons de lisibilité du présent arrêt. En effet, ce dernier doit être axé sur l’exposé de la situation légale en droit luxembourgeois et des questions d’interprétation du droit de l’Union qui se posent aux yeux de la Cour afin de mettre la CJUE en mesure de répondre utilement aux questions préjudicielles formulées ci-après.

29.

La Cour réitère son constat que les parties appelantes ont agencé leur argumentation autour de deux dispositions de la directive 2011/16 et de leurs dispositions légales luxembourgeoises de transposition, à savoir, en premier lieu, l’article 17, alinéa 2, de ladite directive et l’article 18, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013 qui en assure la transposition en droit luxembourgeois et, en deuxième lieu, l’article 17, alinéa 4, de la même directive et l’article 18, paragraphe (4), de la loi du 29 mars 2013 qui en constitue la mesure de transposition. Les parties appelantes invoquent en outre l’interprétation effectuée par la CJUE, dans son arrêt du 8 décembre 2022 (Orde van Vlaamse Balies, IG, Belgian Association of Tax Lawyers, CD, JU contre Vlaamse Regering, aff. C-694/20, ECLI:EU:C:2022:963), des dispositions de la Charte et son application en matière d’échange de renseignements automatique concernant certains dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration. Elles entendent en voir tirer des conclusions en ce qui concerne l’échange de renseignements sur demande et la légalité d’une injonction faite à un avocat en tant que détenteur de fournir des renseignements.

30.

Il y a lieu d’examiner successivement ces différents volets de ladite argumentation.

Quant à la question de la conformité de la décision d’injonction au droit interne 31.

L’article 17, alinéa 2, de la directive 2011/16 dispose comme suit :

« 2. La présente directive n’impose pas à un État membre requis l’obligation de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que la réalisation de telles enquêtes ou la collecte des informations en question aux propres fins de cet État membre serait contraire à sa législation ».

32.

L’article 18, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013 dispose à son tour comme suit :

« (2) L'autorité requise luxembourgeoise n'est pas obligée de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que la réalisation de telles enquêtes ou la collecte des informations en question à ses propres fins est contraire à sa législation ».

33.

Ces deux dispositions doivent être mises en relation avec l’article 6, alinéas 1 et 3, de la directive 2011/16, transposé par l’article 7, paragraphes (1) et (3), de la loi du 29 mars 2013.

Ce dernier dispose que « (1) L'autorité requise luxembourgeoise fait effectuer toute enquête administrative nécessaire à l'obtention des informations visées à l'article 6.

(3) Pour obtenir les informations demandées ou pour procéder à l'enquête administrative demandée, l'autorité requise luxembourgeoise suit les mêmes procédures que si elle agissait de sa propre initiative ou à la demande d'une autre autorité luxembourgeoise ».

34.

Au vœu de ces deux dernières dispositions, le directeur doit faire usage des moyens d’instruction prévus par le droit luxembourgeois, en l’occurrence ceux figurant dans l’AO, dans le cadre de l’instruction des cas d’imposition pour les besoins de l’imposition indigène.

35.

Il s’y ajoute que la loi du 25 novembre 2014 prévoit, conformément à son article 1er, paragraphe (1), un cadre procédural particulier pour les enquêtes administratives à effectuer au niveau d’un échange de renseignements international avec un Etat requérant qui peut être, d’après le renvoi opéré par le point 4 dudit article 1er, paragraphe (1), à la loi du 29 mars 2013, un autre Etat membre de l’Union européenne. L’enquête administrative particulière, dans l’hypothèse où l’administration luxembourgeoise saisie ne détient pas d’ores et déjà les renseignements sollicités par un Etat membre requérant, consiste essentiellement pour le directeur à requérir lesdits renseignements auprès de la personne qui est à considérer comme leur détenteur, cette dernière étant alors soumise à l’obligation légale de les communiquer audit directeur en vue de leur échange avec l’autorité compétente de l’Etat membre requérant (cf. Cour adm. 29 septembre 2022, n° 47254Ca du rôle).

36.

Cependant, ce cadre procédural particulier instauré par la loi du 25 novembre 2014 ne peut pas être interprété et appliqué de manière détachée des dispositions de fond de la loi du 29 mars 2013, ainsi que des dispositions de droit commun de l’AO qui complètent le cadre procédural de la loi du 25 novembre 2014 sur les points non expressément prévus par cette dernière loi et pour autant que celle-ci n’y déroge pas pour les besoins de l’échange de renseignements international. L’article 18, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013 doit ainsi être interprété en ce sens que le moyen procédural utilisé par le directeur et l’obtention des renseignements sollicités doivent être entièrement conformes au droit interne luxembourgeois.

37.

Par ailleurs, ledit article 18, paragraphe (2), en indiquant, par transposition du même libellé que celui figurant dans l’article 17, alinéa 2, de la directive 2011/16, que l’autorité requise luxembourgeoise « n’est pas obligée », pourrait être compris comme une simple dispense de l’obligation de donner suite à une demande d’échange provenant d’un autre Etat membre tout en laissant un pouvoir d’appréciation pour passer outre cette non-conformité.

Toutefois, le principe fondamental de l’Etat de droit (cf. Cour const. 22 janvier 2021, n° 00152 du registre) et le droit du détenteur de renseignements à la protection contre des interventions de la puissance publique qui seraient arbitraires ou disproportionnées, requièrent d’interpréter cette disposition en ce sens que la conformité au droit de l’Etat requis de la mesure adoptée et de la collecte de renseignements constituent une condition de légalité de l’obligation faite au détenteur de fournir des renseignements et que ce dernier peut se prévaloir d’un éventuel défaut de conformité au droit de l’Etat membre requis pour contester cette mesure.

38.

En outre, l’article 19, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013, en disposant que « L'article 18, paragraphes (2) et (4), ne saurait en aucun cas être interprété comme autorisant l'autorité requise luxembourgeoise à refuser de fournir des informations au seul motif que ces informations sont détenues par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu'agent ou fiduciaire, ou qu'elles se rapportent à une participation au capital d'une personne », exclut spécifiquement, dans le cadre de l’échange international de renseignements sur demande, le secret professionnel des établissements de crédit et des autres professionnels du secteur financier comme motif valable pour refuser la collecte et la transmission à un Etat requérant de renseignements détenus par de tels établissements luxembourgeois, alors même que le § 178bis AO consacre l’opposabilité de ce secret professionnel à l’ACD dans le cadre d’une procédure d’imposition interne.

39.

En l’absence d’une autre disposition particulière dans la loi du 29 mars 2013 ou dans celle du 25 novembre 2014 instaurant un cadre spécifique à l’égard d’autres secrets professionnels, la conclusion s’impose dès lors qu’a contrario, hormis la règle spécifique contenue à l’article 19, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013, le régime du droit interne concernant l’incidence d’un secret professionnel sur l’obligation d’un tiers de fournir des renseignements à l’administration doit trouver application. La Cour ne saurait ainsi partager l’argumentation étatique qui suggère que l’article 2, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014 devrait être considéré comme une exception légale à l’opposabilité de tout secret professionnel, une telle portée ne se dégageant point de son libellé.

40.

Les parties appelantes se prévalent partant à juste titre du § 177 AO qui instaure un régime relatif à l’incidence du secret professionnel de l’avocat en tant que tiers face aux pouvoirs d’investigation de l’ACD dans les termes suivants :

« (1) Die Auskunft können ferner verweigern:

1. Verteidiger und Rechtsanwälte, soweit sie in Strafsachen tätig gewesen sind, 2. Ärzte über das, was ihnen bei Ausübung ihres Berufs anvertraut ist, 3. Rechtsanwälte über das, was ihnen bei Ausübung ihres Berufs anvertraut ist;

4. die Gehilfen der zu 1 bis 3 bezeichneten Personen hinsichtlich der Tatsachen, die sie in dieser ihrer Eigenschaft erfahren haben.

(2) Diese Bestimmung findet auf die zu 3 und 4 bezeichneten Personen insoweit keine Anwendung, als es sich um Tatsachen handelt, die bei Beratung oder Vertretung in Steuerangelegenheiten zu ihrer Kenntnis gekommen sind, es sei denn, dass es sich um Fragen handelt, deren Bejahung oder Verneinung ihre Auftraggeber der Gefahr einer Strafverfolgung aussetzen würde ».

41.

Cette disposition a déjà été interprétée par la Cour dans ses arrêts du 13 juillet 2021 (nos 45185C, 45186C, 45187C, 45188C, 45189C, 45190C et 45191C du rôle) en ce sens qu’elle établit, dans son alinéa (1), le principe de l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’investigation menées par l’ACD et que ce secret professionnel porte sur tous les éléments de fait concernant ses clients dont il a obtenu connaissance dans le cadre et en raison de l’exercice dans tous les domaines relevant de son activité professionnelle d’avocat, soit directement de la part de ses mandataires, soit d’autres sources, mais en lien avec son activité d’avocat.

42.

L’alinéa (2) du § 177 AO excepte de ce principe les informations qui sont portées à sa connaissance dans le cadre exclusif d’une activité de conseil en matière d’impôts ou de représentation de contribuables au sens du § 107 AO et quant auxquelles il se trouve partant soumis à une obligation de renseignement par rapport à l’ACD conformément au § 175 AO.

Pour ainsi dire en tant qu’exception à l’exception, le principe de l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’investigation de l’ACD reprend son empire lorsque la réponse fournie par l’avocat aux questions lui adressées quant à son client risquerait d’exposer ce dernier à un risque de poursuites pénales.

43.

En d’autres termes synthétiques, l’avocat peut en principe refuser de fournir tout renseignement, mais s’il agit en tant que conseil ou représentant exclusivement en matière fiscale, il doit livrer tout renseignement demandé, sauf lorsque la communication de ces renseignements risque d’exposer son client à des poursuites pénales.

44.

Dans ses arrêts susvisés du 13 juillet 2021, la Cour a encore retenu que l’avocat a seul le pouvoir de retracer à partir de ses dossiers le cadre dans lequel les renseignements sollicités par l’administration lui ont été fournis – soit en tant qu’avocat exerçant une activité de conseil ou de représentation en matière d’impôts, soit en tant qu’avocat hors de l’exercice d’une activité de conseil ou de représentation en matière d’impôts, soit encore dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle autre que son activité d’avocat – et de décider de la réalité d’un risque de sanctions pénales pour son mandataire. En ce sens, il doit opposer son secret professionnel à une demande de l’administration seulement lorsqu’il peut valablement estimer, sur base de son analyse de ses dossiers, que l’un des motifs essentiels de refus de collaboration – éléments factuels lui communiqués dans le cadre de son activité professionnelle en dehors d’un conseil ou d’une représentation en matière fiscale, ou risque d’exposer son client à des poursuites pénales en cas de révélation d’éléments factuels lui communiqués dans le cadre d’une activité de conseil ou de représentation en matière d’impôts – se trouve vérifié dans le cas concret.

45.

Dans le même ordre d’idées, il incombe à l’avocat qui s’est vu adresser par un bureau d'imposition une demande de renseignements en tant que tiers, sur pied du § 175 AO, de procéder à cette analyse et de, soit communiquer au bureau d'imposition les renseignements sollicités lorsque ceux-ci relèvent de l’exception à l’opposabilité de son secret professionnel prévue par le § 177, alinéa (2), AO, soit d’informer le bureau d'imposition de ce que, suivant son analyse, les renseignements requis sont couverts par son secret professionnel dans les limites établies par le § 177, alinéa (1), n° 3 AO.

46.

Par voie de conséquence, tout comme le § 177 AO n’empêche pas un bureau d'imposition ni le directeur de s’adresser à un avocat en tant que tiers afin de requérir de sa part des renseignements quant à un autre contribuable dans le cadre d’une procédure d’imposition ou de surveillance fiscale dans un cadre interne, la même disposition n’empêche pas le directeur de lui adresser une décision d’injonction en sa qualité de tiers détenteur des renseignements sollicités au sens de l’article 2, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014.

47.

En outre, il y a lieu d’insister sur le fait que le § 177 AO ne comporte aucune restriction particulière en ce qui concerne la nature ou l’envergure des renseignements qui peuvent être requis de la part d’un avocat, hormis la limite générale du raisonnable. Celle-ci, formellement inscrite au § 171, alinéa (1), AO, délimite les renseignements pouvant être sollicités en imposant à l’administration de n’exiger du contribuable de rapporter des preuves que dans la limite de ce qui est raisonnable. Il y a lieu d’ajouter que la jurisprudence luxembourgeoise considère que cette limite du raisonnable formellement inscrite au § 171, alinéa (1), AO est une concrétisation particulière du critère de l’équité prévu par le § 2 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934 dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », qui impose également la vérification du caractère approprié d’une décision par rapport à la situation concrète de son destinataire afin d’éviter de lui imposer une charge déraisonnable selon les circonstances concrètes.

48.

Par conséquent, une décision d’injonction ne devient pas illégale du fait d’être adressée à un avocat et de solliciter des renseignements pertinents de toute nature.

49.

En revanche, l’incidence du secret professionnel de l’avocat sur son obligation de fournir les renseignements doit être examinée au niveau de l’exécution de la décision d’injonction en ce que l’opposabilité éventuelle du secret professionnel, conformément aux critères prévus par le § 177 AO, doit être considérée comme motif valable du défaut d’exécution de la décision d’injonction par l’avocat et donc comme un obstacle à la fixation à son encontre d’une amende sur base de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014.

50.

Il s’ensuit que l’argumentation des parties appelantes fondée sur l’article 18, paragraphe (2), de la loi du 29 mars 2013 et le § 177 AO n’est pas de nature à affecter la validité d’une décision d’injonction ayant un avocat comme destinataire.

51.

Il n’en serait autrement que si des règles ou principes d’ordre supérieur – comme les règles et principes généraux du droit de l’Union européenne – imposaient des limites, actuellement non prévues par le § 177 AO, quant à la nature ou à l’envergure des renseignements qui peuvent être requis de la part d’un avocat.

Quant à la question de la divulgation d’un secret professionnel 52.

En deuxième lieu, les parties appelantes invoquent l’article 17, alinéa 4, de la directive 2011/16, lequel dispose comme suit :

« (4) La transmission d'informations peut être refusée dans les cas où elle conduirait à divulguer un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information dont la divulgation serait contraire à l'ordre public ».

53.

L’article 18, paragraphe (4), de la loi du 29 mars 2013 est exactement de la même teneur.

54.

C’est à partir de ces dispositions que les parties appelantes invoquent le caractère d’ordre public du secret professionnel de l’avocat et soutiennent, en substance, que les injonctions adressées à la société (F) de fournir toute la documentation disponible concernant les services qu’elle a prestés à son client constitueraient une ingérence injustifiée dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti par l'article 7 de la Charte. Selon les parties appelantes, cette ingérence ne pourrait être justifiée sur la base de l'objectif recherché par la directive 2011/16 de lutter contre la fraude et de favoriser l'établissement correct des taxes et impôts dans les situations transfrontalières, au motif que l’obligation mise à charge de la société (F) de fournir les informations sollicitées ne pourrait être considérée comme étant strictement nécessaire pour accomplir les objectifs de ladite directive.

55.

Le constat s’impose que l’article 17, alinéa 4, de la directive 2011/16 ne définit pas davantage les secrets professionnels visés qui justifieraient un rejet, par l’autorité compétente de l’Etat membre requis, d’une demande d’échange de renseignements émanant d’un Etat membre requérant lorsqu’une telle demande impliquerait l’obtention de renseignements de la part d’une personne soumise à un tel secret professionnel. En outre, cet article ne prévoit aucun cadre particulier quant à l’envergure des renseignements pouvant être sollicités ou quant à des modalités spécifiques de communication de ces mêmes renseignements.

56.

C’est de manière pertinente que les parties appelantes se prévalent de l’arrêt susvisé de la CJUE du 8 décembre 2022. En effet, même si l’analyse qui y est faite porte sur les dispositions insérées dans la directive 2011/16 qui ont trait à l’obligation de déclaration concernant les dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes, la CJUE y interprète d’une manière plus générale la portée de l’article 7 de la Charte par rapport au secret professionnel des avocats. Les principes y retenus sont partant de nature à influer sur la validité des dispositions de la directive 2011/16 concernant l’échange de renseignements sur demande et des dispositions de transposition contenues dans les lois du 29 mars 2013 et 25 novembre 2014, ainsi que des décisions d’injonction litigieuses en l’espèce. Cependant, malgré la formulation générale de ces principes, la CJUE n’a pas encore eu l’occasion de les appliquer dans toute leur portée à l’égard du régime de l’échange de renseignements sur demande tel que prévu par les différentes dispositions de la directive 2011/16 et les lois des 25 mars 2013 et 25 novembre 2014 qui en assurent la transposition.

57.

La Cour tient à souligner qu’elle est saisie en l’espèce de deux recours contentieux distincts. Le premier lui a été déféré à travers les deux appels sous examen et est dirigé contre la décision d’injonction du 19 août 2022. Le second lui a été déféré à travers les deux appels inscrits sous les nos 48678C et 48685C du rôle et est dirigé contre la décision directoriale du 16 septembre 2022 ayant infligé à la société (F) une amende fiscale à hauteur de …… euros, en application de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014, pour ne pas avoir donné de suites à la décision d’injonction du 19 août 2022.

58.

Il est certes vrai que dans le cadre des deux appels inscrits sous les nos 48678C et 48685C du rôle, les parties appelantes arguent notamment que la société (F) pourrait valablement se prévaloir du fait qu’elle aurait presté ses conseils surtout en matière de droit des sociétés en tant que motif pour justifier que, conformément au § 177 AO, elle ne serait pas tenue d’exécuter la décision d’injonction en raison de l’opposabilité de son secret professionnel. Si la Cour confirmait cette analyse, elle serait amenée à constater la dispense de la société (F) de fournir les renseignements requis et à la décharger de l’amende mise à sa charge. De la sorte, la société (F) pourrait obtenir à ce niveau une préservation de ses droits et intérêts dans la mesure où elle ne serait tenue ni de fournir les renseignements en cause, ni de régler l’amende lui infligée.

59.

Cependant, la Cour se trouve également saisie des appels sous examen dans le cadre duquel les parties appelantes contestent la validité de la décision d’injonction du 19 août 2022 elle-même en invoquant notamment l’article 7 de la Charte. Elles mettent ainsi en cause en tant que telle l’obligation faite, à travers cette décision, à la société (F), en exécution de dispositions de droit de l’Union et de droit national, de fournir les renseignements y définis et ce indépendamment de la question de savoir si ladite société peut valablement se prévaloir d’un motif la dispensant d’exécuter cette décision d’injonction.

60.

Or, la CJUE a déjà jugé que le droit d’accès à un tribunal, faisant partie du contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, implique que le destinataire d’une décision d’injonction ne saurait être contraint de l’enfreindre en refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci avant de pouvoir accéder à un tribunal, sous peine de ne pas jouir d’une protection juridictionnelle effective (CJUE 6 octobre 2020, aff. jointes C‑245/19 et C‑246/19, État luxembourgeois c/ B (C‑245/19), et État luxembourgeois c/ B, C, D, F. C. en présence de A (C‑246/19).

61.

La Cour considère que ce même raisonnement implique qu’un détenteur de renseignements ne peut pas voir son droit à accéder à un tribunal, afin de contester une décision d’injonction lui adressée, limité à la question de savoir s’il peut se prévaloir d’une dispense de son obligation d’y donner suite afin d’échapper à la sanction attachée au non-respect de la décision d’injonction et qu’il ne saurait se voir opposer le fait que la reconnaissance du caractère justifié de cette voie de recours lui procurerait une protection suffisante. Le droit d’accéder à un tribunal afin de bénéficier d’un recours effectif doit plutôt impliquer que le destinataire d’une décision d’injonction doit, en outre, être admis à faire contrôler par un tribunal la validité de cette décision en faisant notamment vérifier si ladite décision, de par les obligations qu’elle lui impose, constitue une intervention arbitraire ou disproportionnée de la puissance publique dans sa sphère d’activité privée et si elle respecte les droits garantis par la Charte.

62.

Ce droit implique en conséquence aux yeux de la Cour qu’elle doit statuer sur le bien-fondé des moyens soulevés dans le cadre du recours sous examen afin de vérifier, conformément à la demande des parties appelantes, si la décision d’injonction litigieuse du 19 août 2022 est conforme aux dispositions de la Charte et de la directive 2011/16 et ce, indépendamment du sort du recours introduit par la société (F) contre la décision de fixation d’une amende du 16 septembre 2022 et de ses suites.

63.

En conséquence, la Cour considère que des réponses à ces questions sont nécessaires afin de solutionner le litige sous examen et qu’elle est amenée, conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à soumettre à la CJUE à titre préjudiciel des questions afférentes.

64.

En premier lieu, la CJUE précise dans son arrêt précité du 8 décembre 2022 que l’article 7 de la Charte protège la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients, cette protection recouvrant non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence (point 27 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

65.

En l’espèce, la société (F) indique qu’elle a conseillé son client espagnol exclusivement dans le domaine du droit des sociétés et plus précisément en vue de « la mise en place et la modification ultérieure d'une structure d'acquisition et de financement impliquant différentes sociétés luxembourgeoises ». Même s’il paraît a priori logique d’admettre que dès lors que la consultation juridique d’un avocat en vue de la mise en place de dispositifs transfrontières de planification fiscale rentre dans le champ de la protection renforcée de l’article 7 de la Charte, la même conclusion peut être dégagée concernant un conseil en matière de mise en place de structures sociétaires d’investissement, la Cour estime néanmoins qu’une clarification en ce sens est nécessaire au regard de la diversité de ces domaines d’intervention.

66.

En deuxième lieu, la CJUE a considéré, dans son arrêt du 8 décembre 2022, que l’obligation faite par la directive 2011/16 à l’avocat de révéler son identité, son appréciation quant au contenu du dispositif transfrontière et le fait qu’il a été consulté, ainsi que la divulgation à l’administration fiscale de ces informations entraînent une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte (points 27 à 30 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

67.

Or, en l’espèce, la décision d’injonction du 19 août 2022 impose à la société (F) de fournir au directeur grosso modo l’ensemble de la documentation disponible relative à ses relations avec son client, une description détaillée des opérations susmentionnées, ainsi qu’une explication de son implication dans ces processus et l'identification de ses interlocuteurs. Au vu de la portée globale des renseignements sollicités, il paraît logique de conclure que la décision d’injonction du 19 août 2022, en tant qu’acte individuel à travers lequel l’autorité compétente d’un Etat membre exécute dans un cas particulier les obligations incombant à cet Etat en vertu de la directive 2011/16, entraîne également une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte.

Cependant, au vu de la différence entre les régimes d’échange de renseignements respectivement en cause et les actes correspondants visés, la Cour considère qu’une confirmation de cette analyse a priori par la CJUE est nécessaire.

68.

En troisième lieu, pour le cas où la protection de l’article 7 de la Charte devrait trouver application en l’espèce et où l’existence d’une ingérence se trouverait vérifiée, la Cour relève que la CJUE a rappelé, dans son arrêt du 8 décembre 2022, que les droits consacrés à l’article 7 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par référence à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la CJUE a reconnu que la Charte admet des limitations à l’exercice de ces droits, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (point 34 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

69.

La CJUE a encore admis que la lutte contre la planification fiscale agressive et la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscales constituent des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, susceptibles de permettre qu’une limitation soit apportée à l’exercice des droits garantis par l’article 7 de celle-ci (point 44 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

70.

Il est partant permis de conclure que le secret professionnel de l’avocat – qui couvre les échanges de l’avocat avec ses clients – ne bénéficie pas d’une protection absolue qui exclurait toute injonction de fournir des renseignements suite à une demande d’échange émanant d’un autre Etat membre, mais qu’une telle injonction reste admissible dans des limites conformes aux conditions visées ci-avant.

71.

Quant à la condition que les limitations soient prévues par la loi, la CJUE a examiné les dispositions du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, relatif au mécanisme de notification et d’échange automatique de dispositifs transfrontières, et conclu que ledit paragraphe, en prévoyant expressément l’obligation, pour l’avocat intermédiaire dispensé de l’obligation de déclaration en raison du secret professionnel auquel il est tenu, de notifier aux autres intermédiaires les obligations de déclaration qui leur incombent en vertu du paragraphe 6 de cet article, satisfait au principe de légalité.

72.

Cependant, la directive 2011/16 ne comporte, en matière d’échange de renseignements sur demande, aucune disposition qui prévoirait un régime particulier comportant des limitations spécifiques à l’obligation d’un avocat de fournir des renseignements en tant que tiers détenteur, mais se limite à énoncer dans son article 17, alinéa 4, qu’un secret professionnel peut être un motif justifiant le refus de donner suite à une demande d’échange de renseignements.

73.

Par conséquent, la question de la conformité de la directive 2011/16 aux articles 7 et 52, paragraphe 1, de la Charte se pose au vu du fait qu’elle ne comporte, au-delà de son article 17, alinéa 4, aucune disposition instaurant un aménagement particulier et harmonisé du devoir de collaboration de l’avocat en tant que tiers détenteur dans le cadre de l’échange de renseignements sur demande.

74.

En quatrième lieu, pour le cas où la CJUE conclurait à la conformité de la directive 2011/16 malgré l’absence de dispositions spéciales visant le secret professionnel des avocats, notamment en jugeant que ladite directive peut valablement laisser au droit interne des Etats membres le soin de réglementer cette question dans le respect des limites imposées par l’article 7 de la Charte, la question se pose si le régime du devoir de collaboration des avocats dans le cadre de l’échange de renseignements sur demande régi par la directive 2011/16 en tenant compte de l’incidence de leur secret professionnel peut être déterminé par les dispositions du droit de chaque Etat membre prévu pour les situations internes, conformément au renvoi opéré par l’article 18, alinéa 1, de ladite directive. Dans cette hypothèse, le § 177 AO devrait être appliqué en tant que disposition de droit national réglementant le devoir de collaboration des avocats en tant que tiers.

75.

En cinquième lieu, comme la Cour vient de le rappeler ci-avant, le § 177 AO limite certes l’obligation de collaboration du contribuable au seul domaine du conseil presté exclusivement en matière fiscale. Cependant, cette limitation du champ de l’obligation de communication de l’avocat ne joue qu’au niveau de l’exécution de la décision d’injonction, mais non pas au niveau de l’émission de la décision d’injonction même. En effet, le § 177 AO ne comporte aucune limitation particulière à l’obligation de l’avocat en ce qui concerne l’envergure ou la nature des renseignements qu’il peut être appelé à fournir et qui imposerait au directeur, dès le moment de la prise de sa décision d’injonction, des restrictions dans la définition des renseignements qu’un avocat serait appelé à lui fournir.

76.

Or, la CJUE a retenu dans son arrêt du 8 décembre 2022 que pour assurer le respect du contenu essentiel de la confidentialité des communications entre l’avocat et son client, au vœu de l’article 7 de la Charte, seule la levée limitée de cette confidentialité serait admissible. Il peut être encore déduit de cet arrêt qu’une obligation de renseigner à charge d’un avocat qui induirait la levée de la confidentialité des informations relatives à la teneur de ces communications serait à considérer comme une ingérence dans le contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients (point 39 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

77.

En l’espèce, il convient de rappeler que la décision d’injonction du 19 août 2022 impose à la société (F) de fournir au directeur grosso modo l’ensemble de la documentation disponible relative à ses relations avec son client, une description détaillée des opérations susmentionnées, ainsi qu’une explication de son implication dans ces processus et l'identification de ses interlocuteurs. Au vu de la portée globale des renseignements sollicités qui portent en substance sur le contenu de l’ensemble de son dossier, dont notamment les détails quant à la teneur de toutes les communications entre la société (F) et son client espagnol, il peut être légitimement présumé que l’obligation de fournir tous ces renseignements touche au contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients et risquerait de se heurter à l’article 7 de la Charte. La décision d’injonction en cause, qui sollicite cette étendue de renseignements de la part d’un avocat, est cependant conforme au § 177 AO et son destinataire ne peut refuser d’y donner suite que s’il peut valablement mettre en avant qu’il a conseillé son client en dehors du seul domaine de la fiscalité.

78.

Par conséquent, il n’est pas à exclure que la CJUE retienne également que le § 177 AO n’est pas conforme à l’article 7 de la Charte et qu’il faille en déduire la non-conformité au droit de l’Union de la décision d’injonction du 19 août 2022 dans cette mesure.

79.

Cette conclusion n’entraînerait néanmoins pas automatiquement l’annulation intégrale de cette décision puisqu’au vu des différents chefs de renseignements requis de la part de la société (F), elle ne constitue pas une décision indivisible – laquelle ne pourrait pas faire l'objet d'une annulation partielle –, mais bien une décision divisible selon les chefs de renseignements visés. Or, en présence d’une illégalité qui ne s'étend qu'à certaines parties dissociables d’une décision – en l’espèce, les parties de la décision du 19 août 2022 qui devraient être considérées comme touchant au contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients –, le juge administratif luxembourgeois peut se limiter à annuler les seuls chefs illégaux de la décision. Autrement dit, en l’espèce, le juge administratif luxembourgeois pourrait laisser subsister l’obligation faite à l’avocat de fournir les renseignements qui ne seraient pas considérés comme affectant le contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients.

80.

Par conséquent, même si la CJUE reconnaissait en son principe la possibilité d’enjoindre à un avocat de fournir des renseignements dans le cadre d’un échange de renseignements sur demande et même si le § 177 AO était admis en son principe comme une base légale interne valable pour une telle injonction, conformément au renvoi opéré par l’article 18, alinéa 1, de la directive 2011/16, l’examen de la Cour ne devrait pas s’arrêter au niveau du constat d’une ingérence dans le contenu essentiel de la confidentialité des communications entre l’avocat et son client, mais devrait continuer afin de vérifier si d’autres principes retenus par la CJUE dans son arrêt du 8 décembre 2022 sont, le cas échéant, de nature à limiter davantage encore les renseignements qui peuvent être valablement requis de la part d’un avocat dans le cadre d’un échange de renseignements sur demande fondé sur la directive 2011/16.

81.

En effet, dans son arrêt du 8 décembre 2022, la CJUE a appliqué le principe de proportionnalité à l’égard de l’obligation de notification des avocats examinée dans cet arrêt, et a interprété ledit principe en ce sens qu’il exige que les limitations qui peuvent notamment être apportées par des actes du droit de l’Union à des droits et libertés consacrés dans la Charte ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la satisfaction des objectifs légitimes poursuivis ou du besoin de protection des droits et libertés d’autrui, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante. En outre, d’après la CJUE, un objectif d’intérêt général ne saurait être poursuivi sans tenir compte du fait qu’il doit être concilié avec les droits fondamentaux touchés par la mesure, ce en effectuant une pondération équilibrée entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, afin d’assurer que les inconvénients causés par cette mesure ne soient pas démesurés par rapport aux buts visés (point 41 de l’arrêt du 8 décembre 2022).

82.

En ce qui concerne le point de savoir si l’obligation faite aux avocats était appropriée et nécessaire à la réalisation des objectifs de la directive 2011/16, la CJUE a examiné cette question par rapport à l’obligation de notification prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de ladite directive, en vérifiant son caractère strictement nécessaire par rapport aux obligations incombant à tous les autres intermédiaires ou, le cas échéant, au contribuable concerné. Dans la mesure où ces obligations des autres intermédiaires et du contribuable concerné assurent, aux yeux de la CJUE, une notification effective du dispositif en question à l’administration fiscale compétente, elle a conclu au caractère non nécessaire de l’obligation de notification incombant aux avocats.

83.

Si ces exigences tirées du caractère approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de la directive 2011/16 doivent être appliquées par rapport à une obligation de fournir des renseignements à charge des avocats dans le cadre de l’échange de renseignements sur demande, elles pourraient être comprises comme imposant un contrôle renforcé de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés à l’avocat afin d’assurer que ce dernier soit seulement sollicité de fournir des renseignements qui peuvent effectivement servir aux fins d’imposition dans l’Etat requérant. L’exigence de la nécessité de l’obligation de collaboration des avocats pourrait également impliquer un contrôle renforcé quant au point de savoir si l’Etat membre requérant a effectivement exploité préalablement les sources habituelles d’information auxquelles il peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ces objectifs, conformément à l’article 17, alinéa 1, de la directive 2011/16. La même exigence pourrait encore amener à vérifier concrètement si l’avocat visé est effectivement la seule source possible des renseignements qui sont demandés.

84.

De même, la pondération équilibrée devant être effectuée entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, afin d’assurer que les inconvénients causés par cette mesure ne soient pas démesurés par rapport aux buts visés, pourrait imposer la prévision de conditions supplémentaires de validité d’une décision d’injonction émise à l’encontre d’un avocat dans le cadre d’un échange de renseignements sur demande, qui pourraient tenir à une finalité fiscale spécifique – par exemple, la détection de structurations agressives ou abusives – ou à l’importance de l’enjeu financier du contrôle en cours dans l’Etat requérant.

85.

La Cour considère que les développements ci-avant concernant la mise en rapport des principes contenus dans l’arrêt de la CJUE du 8 décembre 2022 avec la question de la validité d’une injonction faite à un avocat de fournir certains renseignements, dans le cadre d’une procédure d’échange de renseignements sur demande avec un autre Etat membre en exécution de la directive 2011/16, permettent de conclure que ces principes sont de nature à conditionner la validité de dispositions de la directive 2011/16, du § 177 AO et de la décision d’injonction du 19 août 2022 elle-même et que des réponses aux questions d’interprétation du droit de l’Union soulevées ci-avant sont dès lors nécessaires afin de solutionner le litige sous examen.

86.

Par conséquent, conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, la Cour demande à la CJUE de statuer à titre préjudiciel sur les questions formulées au dispositif du présent arrêt.

87.

Eu égard à la procédure préjudicielle à engager, il y a lieu de réserver tous autres droits et moyens des parties ainsi que les dépens et de fixer l’affaire au rôle général jusqu’à ce que la CJUE rende son arrêt sur les questions préjudicielles qui lui sont ainsi soumises.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, vidant l’arrêt du 4 mai 2023, quant au fond, avant tout autre progrès en cause, demande à la Cour de Justice de l’Union européenne de statuer à titre préjudiciel sur les questions suivantes :

« 1. Une consultation juridique d’un avocat en matière de droit des sociétés – en l’espèce en vue de la mise en place d’une structure sociétaire d’investissement – rentre-t-elle dans le champ de la protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients accordée par l’article 7 de la Charte ? 2. En cas de réponse affirmative à la première question, une décision de l’autorité compétente d’un Etat membre requis, émise afin de donner suite à une demande d’échange de renseignements sur demande émanant d’un autre Etat membre sur base de la directive 2011/16, portant injonction à un avocat de lui fournir grosso modo l’ensemble de la documentation disponible relative à ses relations avec son client, une description détaillée des opérations ayant fait l’objet de son conseil, une explication de son implication dans ces processus et l'identification de ses interlocuteurs, constitue-t-elle une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte ? 3. En cas de réponse affirmative à la deuxième question, la directive 2011/16 est-elle conforme aux articles 7 et 52, paragraphe 1, de la Charte en ce qu’elle ne comporte, au-delà de son article 17, alinéa 4, aucune disposition permettant formellement l’ingérence dans la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients dans le cadre du régime de l’échange de renseignements sur demande et définissant elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné ? 4. En cas de réponse affirmative à la troisième question, le régime du devoir de collaboration des avocats (ou d’un cabinet d’avocats) en tant que tiers détenteurs dans le cadre de l’application du mécanisme de l’échange de renseignements sur demande instauré par la directive 2011/16, en particulier les limitations spécifiques visant à tenir compte de l’incidence de leur secret professionnel, peut-il être régi par les dispositions du droit interne de chaque Etat membre régissant le devoir de collaboration des avocats, en tant que tiers, à l’enquête fiscale dans le cadre de l’application de la loi fiscale interne, conformément au renvoi opéré par l’article 18, alinéa 1, de ladite directive ? 5. En cas de réponse affirmative à la quatrième question, pour être conforme à l’article 7 de la Charte, une disposition légale nationale établissant le régime du devoir de collaboration des avocats en tant que tiers détenteurs, telle celle applicable en l’espèce, doit-elle comporter des dispositions particulières qui :

- assurent le respect du contenu essentiel de la confidentialité des communications entre l’avocat et son client ; et - instaurent des conditions particulières afin d’assurer que l’obligation de collaboration des avocats soit réduite à ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de la directive 2011/16? 6. En cas de réponse affirmative à la cinquième question, les conditions particulières visant à assurer que la collaboration des avocats à l’enquête fiscale est réduite à ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de la directive 2011/16, doivent-elles inclure l’obligation, pour l’autorité compétente de l’Etat membre requis :

- d’effectuer un contrôle renforcé quant au point de savoir si l’Etat membre requérant a effectivement exploité préalablement les sources habituelles d’information auxquelles il peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ces objectifs, conformément à l’article 17, alinéa 1, de la directive 2011/16 ; et/ou - de s’être adressée au préalable, et en vain, à d’autres détenteurs potentiels de renseignements afin de pouvoir s’adresser, en dernier ressort, à un avocat en sa qualité de détenteur potentiel de renseignements ; et/ou - de procéder, dans chaque cas individuel, à une pondération entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, d’une manière telle qu’une décision d’injonction ne pourrait valablement être émise à l’encontre d’un avocat que si des conditions supplémentaires, telles que l’exigence que l’enjeu financier du contrôle en cours dans l’Etat requérant atteigne ou soit susceptible d’atteindre une certaine importance ou soit susceptible de relever du droit pénal, sont remplies ? », sursoit à statuer et met l’affaire au rôle général en attendant l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne concernant les questions préjudicielles ci-avant formulées, réserve tous autres droits et moyens des parties ainsi que les dépens.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2023 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier assumé de la Cour …… s. …… s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2023 Le greffier de la Cour administrative 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48677Ca%2B48684Ca
Date de la décision : 11/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-07-11;48677ca.2b48684ca ?

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