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04/07/2023 | LUXEMBOURG | N°47688C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 juillet 2023, 47688C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47688C ECLI:LU:CADM:2023:47688 Inscrit le 12 juillet 2022

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Audience publique du 4 juillet 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 7 juin 2022 (n° 44935 du rôle) dans un litige l’opposant à la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l., …, en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47688C ECLI:LU:CADM:2023:47688 Inscrit le 12 juillet 2022

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Audience publique du 4 juillet 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 7 juin 2022 (n° 44935 du rôle) dans un litige l’opposant à la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l., …, en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47688C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 12 juillet 2022 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat afférent lui conféré par le ministre des Finances le 7 juillet 2022, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 7 juin 2022 (n° 44935 du rôle), par lequel ledit tribunal a statué sur le recours introduit par la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l.

(anc. (D) s.à r.l.), immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …., établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, représentée par son gérant en fonctions, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 juin 2020 (n° …. du rôle) rendue sur réclamation introduite en date du 24 décembre 2019 contre une décision du bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 du 5 décembre 2019 et, « pour autant que de besoin » de ladite décision du bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 du 5 décembre 2019, le tribunal ayant déclaré le recours principal en réformation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la décision du bureau d'imposition du 5 décembre 2019, reçu en la forme le recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision directoriale déférée du 15 juin 2020, au fond, déclaré ce recours justifié et dit que la partie demanderesse est à relever de l’amende lui infligée par le bureau d'imposition en date du 5 décembre 2019, telle que confirmée par la décision directoriale déférée du 15 juin 2020 et condamné l’Etat aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 septembre 2022 par la société à responsabilité limitée ETUDE NOESEN, établie et ayant son siège social à L-1475 Luxembourg, 1, plateau du Saint-Esprit, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l., préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 octobre 2022 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 14 novembre 2022 par la société à responsabilité limitée ETUDE NOESEN, représentée par Maître Jean-Paul NOESEN, préqualifié, pour compte de la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l., préqualifiée ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 1er décembre 2022.

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Par un courrier adressé au bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d'imposition », en date du 29 juillet 2016, la société à responsabilité limitée (B) s.à r.l., ci-après la « société (B) », demanda, pour le compte de la société à responsabilité limitée (F) s.à r.l., établie et ayant eu son siège social à L-… …, …, …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, ci-après dénommée la « société (F) », l’accord de l’administration des Contributions directes en vue de déposer ses déclarations d’impôts et ses bilans en devise USD à partir de l’année fiscale 2016, vu qu’en date du 22 juillet 2016, le capital social de la société (F) avait été converti d’euros en USD avec effet au 1er janvier 2016.

Cette demande fut acceptée par le bureau d'imposition en date du 3 août 2016 sous condition notamment que, pour l’année de transition, les bilans soient également établis en euros.

Suite au dépôt, en date du 3 octobre 2017, de la déclaration fiscale de la société (F) pour l’année d’imposition 2016, par le biais de la société (B), le bureau d'imposition s’adressa, en date du 10 octobre 2018, à la société (F) pour avoir notamment des « explications détaillées concernant les résultats reportés de -……. USD (au 31.12.2015 : -….. EUR) ».

En date du 19 novembre 2018, la société (F) prit position par rapport à ce point comme suit :

« En ce qui concerne les bénéfices reportés, le solde à la fin de 2015 s’élevait bien à …… EUR, toutefois, lors du recalcul[e] des soldes, le gain non réalisé d’un montant de …… EUR (……. USD) a été rajouté, du fait que les prêts étaient en USD, d’où le montant modifié ».

Par courrier du 21 novembre 2018, le bureau d'imposition demanda à la société (F) de fournir, pour le 7 décembre 2018 au plus tard, les « détails concernant la détermination du montant de ….. EUR (….. USD) afin d’expliquer le passage de -….. EUR à -…… USD ».

Suite au rappel adressé par le bureau d'imposition à la société (F) en date du 6 février 2019, la société (B), en date du 28 février 2019, informa le bureau d'imposition de ce qui suit :

« (…) En me référant à votre lettre du 6 février dernier et notre conversation téléphonique du 18 février dernier relatives à la déclaration fiscale de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal de l'année 2016 de la société sous - rubrique, je souhaiterais attirer votre attention sur ce qui suit.

En ce qui concerne le passage de la devise d'EUR en USD au 1 janvier 2016 le comptable a comptabilisé :

USD EUR Balance retained earnings 31/12/2015 ….. -/-

Loss for the financial year 2015 ….. -/-

Balance retained earnings ….. -/-

Realised fix gain (01/01/2016) …..

Balance retained earnings 31/12/2016 ….. -/-

….. -/-

Nous avons obtenu l'information du comptable que la conversion fut réalisée par une seule conversion ; étant donné le changement en devise, la comptabilité aurait dû commencer en utilisant cette nouvelle devise en prenant les soldes après conversion. De plus, nous avons reçu l'information que le logiciel du comptable ne permet pas d'utiliser plus qu'une devise et dès lors la comptabilité a été faite pour 2016 en USD utilisant les soldes après conversion de sorte qu'il n'y avait pas des écritures différentes mais juste une seule conversion.

J'espère que ceci vous aide et finalement veuillez noter qu'une erreur fut glissée dans la conversion du montant total des pertes reportables au 31 décembre 2015 ; comme vous pouvez le constater de la déclaration fiscale de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal de l'année 2015, le montant total des pertes reportables au 31 décembre 2015 s'élève à EUR ….. (donc avant la conversion de devise). Nous avons converti ce dernier montant en USD en utilisant le taux de change au 31.12.2016 (i.e. EUR / USD = 1 / 1.0541) pour arriver à l'équivalent d'USD …… Vu que la conversion avait lieu par l'AGE avec effet rétroactif au 1er janvier 2016, il nous semble que le taux de change à appliquer est celui du 31 décembre 2015 (i.e. EUR / USD = 1 / 1.0887), de sorte que l'équivalent en USD des pertes reportables cumulatives au 31 décembre 2015 devrait s'élever à EUR ….. * 1.0887 = USD …… (…) ».

Suite au dépôt d’une déclaration d’impôt rectifiée pour l’année d’imposition 2016, le bureau d'imposition prononça, en date du 5 décembre 2019, une amende administrative à l’encontre de la société (B), en vertu du § 402, alinéa (1), de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931, dénommée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », sur base des motifs suivants :

« (…) Il ressort de l'analyse de votre dossier fiscal, en particulier pour l'année d'imposition 2016, qu'en tant que mandataire de la société (F) sàrl (n° fiscal …..) votre négligence a provoqué que des recettes d'impôt ont été indûment diminuées.

En effet, à la suite du dépôt de la déclaration fiscale de l'année 2016 (en date du 3 octobre 2017), il a été constaté que le bilan fiscal joint tient compte de résultats reportés inexplicables. Les explications reçues en réponse à notre demande de renseignements (cf courriers des 10 octobre 2018, 19 novembre 2018, 21 novembre 2018 et 28 février 2019) n'étaient en aucun cas pertinent[es].

Afin de remédier à cette insuffisance (non-respect du principe de la continuité des bilans) vous avez déposé en date du 7 octobre 2019 une déclaration rectificative avec des comptes annuels adaptés à la situation réelle, voir redressement des résultats reportés.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer que conformément au § 402 alinéa 1 AO qui réprime la fraude fiscale involontaire, je me vois dans l'obligation de vous infliger une amende administrative de 8.000 euros.

Ce montant est justifié par le fait que suite au dépôt de la déclaration initiale le montant de l'impôt fraudé aurait été important.

En effet :

L'impôt sur le revenu des collectivités pour l'exercice 2016 suivant déclaration initiale se serait élevé à 0,00€. L'impôt effectivement dû pour cet exercice, suite au redressement, s'élève à ….€. L'impôt sur le revenu des collectivités éludé s'élève donc à ….€.

L'impôt commercial communal pour l'exercice 2016 suivant déclaration initiale se serait élevé à 0,00€. L'impôt effectivement dû pour cet exercice, suite au redressement, s'élève à ….€. L'impôt commercial communal éludé s'élève donc à ….€.

L'amende est à payer endéans 1 mois à partir de la notification de le présente [sic], sur le compte du bureau de recette des contributions directes (…) ».

Par un courrier du 24 décembre 2019, le mandataire de la société (B) introduisit une réclamation contre cette décision, par rapport à laquelle le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », prit position comme suit à travers une décision du 15 juin 2020, inscrite sous le n° … du rôle :

« (…) Vu la requête introduite le 24 décembre 2019 par Maître Jean-Paul Noesen, au nom de la société à responsabilité limitée (B) (anc. (D) s.à r.l.), avec siège social à L-… …, pour réclamer contre l'amende administrative lui infligée par le bureau d'imposition Sociétés 6 sur pied du § 402, alinéa 1er de la loi générale des impôts (AO) en date du 5 décembre 2019 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de lui avoir infligé, au motif que sa négligence en tant que mandataire de la société à responsabilité limitée (F) (n° fiscal ….) aurait provoqué une diminution manifeste de recettes d'impôt, une amende administrative de 8.000 euros sur base du § 402 AO, alors que de son côté, la réclamante argue qu'elle « n'était en aucune manière chargée de la tenue de la comptabilité ou du contrôle de la comptabilité [de la société (F)] » ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

Considérant, à titre liminaire et en matière de principe, que le § 402, alinéa 1er AO, ayant trait, ensemble avec les §§ 166, alinéa 3 AO et 396, alinéa 1er AO, aux amendes administratives, se lit comme suit :

« Wer fahrlässig als Steuerpflichtiger oder als Vertreter oder bei Wahrnehmung der Angelegenheiten eines Steuerpflichtigen bewirkt, dass Steuereinnahmen verkürzt oder Steuervorteile zu Unrecht gewährt oder belassen werden (§ 396 Absätze 1 und 2), wird wegen Steuergefährdung mit einer Geldstrafe bestraft.

L'amende administrative ne doit pas dépasser le quart du montant des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu et ne peut être inférieure à cinq pour cent des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu. La décision portant fixation du montant de l'amende administrative est prise par le bureau d'imposition et peut être attaquée par voie d'une réclamation au sens du § 228. » ;

Considérant que s'y juxtapose l'alinéa 2 du § 402 AO, donnant de plus amples précisions en ce qui concerne le terme de la « Steuergefährdung » :

« Eine Steuerumgehung ist nur dann als Steuergefährdung zu bestrafen, wenn die Verkürzung der Steuereinnahmen oder die Gewährung der ungerechtfertigten Steuervorteile dadurch bewirkt wird, dass der Täter vorsätzlich oder fahrlässig Pflichten verletzt, die ihm im Interesse der Ermittlung einer Steuerpflicht obliegen. » Considérant que plusieurs conditions doivent dès lors être remplies afin que le § 402 AO puisse s'appliquer, notamment :

1) Il doit s'agir ou bien du contribuable ou bien, dans un sens large, de son représentant qui, de par son comportement, a provoqué une diminution indue de recettes d'impôts, 2) ledit comportement doit présenter des traits concrets de négligence (« fahrlässig »), 3) ledit comportement négligent doit avoir pour conséquence une diminution des recettes d'impôts proprement dites (« verkürzte Steuereinnahmen »), sinon du moins un avantage fiscal (« Steuervorteil ») pour le contribuable, et 4) la diminution des recettes d'impôts, voire les avantages fiscaux obtenus ont, soit, par le biais du comportement négligent de la part du contribuable ou de son représentant, pu être atteints une première fois (« gewährt »), soit ils ont déjà été accordés, à tort, dans le passé, tandis que ni le contribuable ni son représentant n'ont jugé utile de procéder au redressement de la situation (« belassen »), tout en sachant que 5) le comportement présentant des traits concrets de négligence (« fahrlässig »), voire même d'intentionnalité (« vorsätzlich »), doit en outre s'inscrire de manière directe et inhérente dans le cadre des obligations qui incombent au contribuable ou, dans un sens large, à son représentant lors de la détermination de la charge fiscale ;

Considérant, quant à la réclamante, qu'il s'agit déjà de par sa dénomination commerciale d'un professionnel de la représentation et de la consultation en matière fiscale, comme le fait d'ailleurs savoir son site internet, suivant lequel « The core activities of (B) are in the field of rendering Luxembourg tax advice in an international context, preparing and negotiating with the Luxembourg Inland Revenue advance tax ruling requests and some tax compliance type of work.

As from the date of opening of the office, (B)' clients have increased and still increase in number. Among these clients are important US, Swedish and Dutch quoted software companies, US, Italian and Romanian pharmaceutical industries (of which some are listed), an important tour operator group established on a worldwide basis, a Brasilian quoted mining company, an important Belgian group of companies active in logistics, some companies active in the production and sale of jewellery, an important US real estate group, a car import company, an UK broadcasting group and an important food and beverage group having presences all over the world. In addition to these multinational clients, (B) offers its tax advisory services and tax compliance services to some medium sized companies, artists and sportsmen — and women and to some high net worth individivuals informal investors. » ; qu'il semble donc pour le moins étrange que la réclamante argue qu'elle n'aurait fait autre chose que d'assumer « un rôle de « Monsieur-les-Bons-Offices » en faisant l'intermédiaire entre les services du domiciliataire et le Bureau d'Imposition [et qu'elle] se voit, — en guise de remerciement — infliger aujourd'hui une amende de 8.000 € » ; que la condition n° 1 telle que relevée ci-dessus s'avère dès lors remplie en l'espèce, dans le sens que la réclamante est à qualifier de représentant, même professionnel, du contribuable au vœu de l'alinéa 1er du § 402 AO ;

Considérant, nonobstant les nombreuses qualités qu'énumère et s'autoattribue la réclamante en matière fiscale et comptable, qu'il ne saurait être remis en cause que son comportement lors de l'établissement de la déclaration pour l'impôt sur le revenu, pour l'impôt commercial et pour l'impôt sur la fortune de l'année 2016 dans le chef de la société à responsabilité limitée (F) a mené à une diminution indue des impôts de (…. + … i.e.) … euros, IRC et ICC confondus ; que même à admettre, à l'instar de l'argument présenté par la réclamante, que « la déclaration fiscale pour la société (F) (…) pour l'année d'imposition 2016, [fut dressée] sur base d'une comptabilité préparée par les soins du domiciliataire, approuvée par celle-ci et dûment publiée au RCSL », il n'en reste pas moins qu'il ne saurait être remis en question que la société (F) s'est justement adressée à la réclamante à cause des compétences que cette dernière, suivant ses propres affirmations, s'est forgées, notamment et entre autres dans le domaine fiscal, de sorte qu'elle devrait être à même, sans difficultés majeures, de détecter des inconvénients potentiels dans une comptabilité a posteriori jugée impertinente et irrégulière quant à la forme et/ou quant au fond, de sorte qu'il ne reste d'autre choix que de qualifier de négligent le comportement de la réclamante, dans le sens où de par son inadvertance et son inaction face aux redressements qu'il aurait fallu apporter à la comptabilité présentée, elle a contribué à une diminution indue des impôts dont la société (F) était redevable ;

Considérant encore et notamment afin d'infirmer l'argument de la réclamante, comme quoi les inconvénients seraient uniquement à chercher du côté du domiciliataire de la société (F), en tant qu'auteur de la comptabilité, que même à admettre la comptabilité présentée comme dépourvue de toute faille et de toute erreur matérielle, il n'en resterait pas moins qu'en vertu de l'article 40 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), il y a toujours lieu de prendre comme point de départ afin de dresser les bilans fiscaux l'ensemble des valeurs contenues dans les bilans commerciaux, sauf à y détecter des valeurs qui s'avèrent contraires aux dispositions régissant en matière fiscale (principe de l'accrochement du bilan fiscal au bilan commercial), impliquant le cas échéant des redressements extra-bilantaires ; que le rôle qui incombe à une personne qui remplit et établit une déclaration d'impôt ne se borne donc pas à copier les positions comptables dans les formulaires pré-imprimés, mais implique nécessairement que cette personne veille à ce que ses indications soient non seulement justes et correctes par rapport aux règles et normes existant en matière comptable, mais qu'elles le soient également sous l'angle des textes et dispositions fiscaux ; que c'est donc à tort, en matière de principe tout comme en l'espèce, que la réclamante estime pouvoir renvoyer à autrui afin de s'exonérer de toute faute professionnelle potentielle et de toute responsabilité personnelle alors que le seul rôle qui lui aurait apparemment incombé dans tout le processus aurait été de dresser la déclaration fiscale de l'année 2016, quod non ;

Considérant, quant à la chronologie des faits ayant mené le bureau d'imposition à juger opportun de fixer une amende au sens du § 402, alinéa 1er AO à la réclamante, que tout a débuté en date du 29 juillet 2016 par la remise de la part de la réclamante aux bons soins du bureau d'imposition Sociétés 6 d'une missive destinée à « [lui] exposer notre (i.e. celle de la réclamante) analyse du traitement fiscal à appliquer [au sujet d'une structuration juridique envisagée] et qui sera dûment reflété dans les déclarations fiscales de(s) la(es) société(s) du groupe » d'entreprises auquel appartient la réclamante, demande qui visait notamment la conversion de la devise fonctionnelle d'euros en dollars américains ; que le bureau d'imposition y a répondu en date du 3 août 2016 dans les termes suivants : « I acknowledge the receipt of your request of july 29, 2016 to report your taxable income from tax year 2016 (financial year : 01/01/2016 — 31/12/2016) onwards in USD. Given the information currently available, I have the pleasure to inform you that I accept your request under the express condition that, for the financial year of transition, you remit, together with the commercial balance sheet in USD and when appropriate the tax balance sheet in that same currency, a tax balance sheet in euro in order to enable us to check processing of differences in value which may arise upon the conversion of assets of the tax balance sheet in euro at the transition rate of those assets where the counter-value in the tax balance sheet in euro has not been established at the exchange rate prevailing at the closing date. Finally, I would like to draw your attention to the fact that you will be bound by the exercise of the option to report your taxable income in USD for future tax years as long as your capital is expressed in USD. » ;

Considérant que lors de la remise en date du 3 octobre 2017 de la déclaration pour l'impôt sur le revenu, pour l'impôt commercial et pour l'impôt sur la fortune de l'année 2016, la réclamante a déclaré une perte suivant bilan fiscal s'élevant à -…. euros, un bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial (avant reports de pertes au sens de l'article 114 L.I.R.) se chiffrant à … euros et des pertes reportables au titre des années 2011, 2014 et 2015 se chiffrant en somme à (…. + …. + ….. i.e.) ….. euros ; que le bureau d'imposition, lors du contrôle de la déclaration remise, a découvert que le bilan fiscal joint tenait compte de résultats reportés inexplicables, de sorte qu'il s'est retourné par le biais de missives datant du 10 octobre 2018, du 19 novembre 2018, du 21 novembre 2018 et du 28 février 2019 vers la réclamante afin d'obtenir de plus amples explications au sujet desdits reports de pertes, explications qu'il a, en fin de compte et après les avoir analysées minutieusement, jugées peu pertinentes au regard de la problématique évoquée ; que ce n'est qu'en date du 8 octobre 2019 finalement que la réclamante a remis une déclaration rectificative de l'année 2016, reprenant de tout nouveaux chiffres ; qu'ainsi, la déclaration rectificative remise ne renseigne dorénavant plus une perte de -….. euros, mais un bénéfice de …. euros, ce qui a entraîné un changement au niveau du bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial (avant reports de pertes au sens de l'article 114 L.I.R.), qui s'est élevé dès à présent à ….. euros, et des reports de pertes dont les montants n'ont toutefois pas subi de grands changements, alors qu'ils se chiffrent maintenant à (…. + …. + ….. i.e.) ….. euros, au lieu du montant de …..

euros tel que renseigné dans la déclaration initiale ; qu'il résulte de l'ensemble des opérations entreprises, comme indiqué plus haut, une différence en impôt de (… + ….. i.e.) ….. euros ;

Considérant que l'argument invoqué par la réclamante, en ce que le bureau d'imposition ne se serait adressé non pas à elle, mais « au domiciliataire (…), qui a dû concéder avoir eu recours à des procédés de comptabilisation inadéquats, de sorte qu'après redressement des comptes et de la déclaration, la société affiche désormais un léger bénéfice au lieu d'une légère perte », ne saurait être admis, vu que ce n'est justement pas au domiciliataire que le bureau d'imposition s'est adressé, mais tant à la société (F) qu'à la réclamante même ; que toutes ces hypothèses et prémisses ne font par contre aucune différence dans la pratique, ni d'ailleurs en théorie ou sous l'angle juridique, étant donné que l'essentiel est toujours que les lettres atteignent leur destinataire, et qu'il appartient par ailleurs au contribuable de choisir s'il souhaite avoir recours, le cas échéant, à un professionnel de la domiciliation ou non ; qu'on ne saurait, de l'autre côté et en l'espèce, parler d'une « légère perte » que la société (F) aurait réalisée et reportée si le bureau d'imposition n'avait pas remarqué les inconvénients manifestes contenus dans la déclaration initialement remise, et notamment le manque de continuité dans les chiffres ; qu'il découle de tout ce qui précède que la manière d'agir de la réclamante, outre le fait que son comportement saura valablement être qualifié de négligent au sens du § 402, alinéa 1er AO, s'inscrit de manière directe et inhérente dans le cadre des obligations qui lui ont incombé du fait de son rôle de représentant de la société (F), notamment celle de veiller à ce que le revenu imposable et donc la charge fiscale soient déterminés correctement, ce qui n'était justement pas le cas, par contre ; qu'étant donné que les conditions prévues par le § 402 AO sont réunies dans le chef de la réclamante en ce qui concerne son comportement dans le dossier (F), il y a lieu d'admettre que c'est, en principe, à bon escient que le bureau d'imposition a procédé à la fixation d'une amende au sens du § 402, alinéa 1er AO dans son chef ;

Considérant qu'il reste à analyser, face aux critères de la raison, de l'équité et des limites prévues par la loi, si l'amende qu'a infligée le bureau d'imposition Sociétés 6 à la recourante est justifiée en ce qui concerne son montant ; que le respect des limites prévues par la loi se trouve vérifié en l'occurrence, la loi prévoyant un montant minimal pour les amendes au sens du § 402, alinéa 1er AO de 5 pour cent de l'impôt éludé ou du remboursement indûment obtenu et un montant maximal de 25 pour cent de l'impôt éludé ou du remboursement indûment obtenu, et l'amende en cause ayant été fixée à 8.000 euros, montant qui n'est ni inférieur au seuil minimal de 5 pour cent, ni supérieur au seuil de 25 pour cent prévu par la loi, étant donné que l'impôt éludé se chiffre en tout à …. euros ; qu'il y a en outre lieu de souligner que le bureau d'imposition s'est borné à fixer l'amende en cause au montant (presque) minimal, vu que cette dernière fut fixée à 8.000 euros et que le montant minimal légal s'élève en l'espèce à (5% x …. i.e.) …. euros ;

Considérant qu'en ce qui concerne par ailleurs les critères de la raison et de l'équité, le bureau d'imposition était tenu de fixer l'amende de telle sorte qu'elle soit adaptée aux circonstances, adéquate et proportionnée au manquement constaté, et qu'elle prenne par ailleurs en compte la capacité contributive du contribuable ; qu'étant donné que les critères impératifs de la raison et de l'équité, au regard de l'ensemble des développements repris sous rubrique, sont remplis en l'occurrence, et que la réclamante ne fait valoir aucun autre moyen quant au montant en soi de l'amende infligée, il reste dès lors à examiner la capacité contributive de la réclamante ; que suivant les bilans qu'a remis la réclamante, ses bénéfices s'élèvent au titre des années 2016, 2017 et 2018 à respectivement …. euros, …. euros et ….

euros, de sorte que le montant de 8.000 euros tel que fixé par le bureau d'imposition à titre d'amende saura être admis comme parfaitement adapté à la capacité contributive de la réclamante, tout comme aux manquements constatés ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 août 2020, inscrite sous le numéro 44935 du rôle, la société (B) fit introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision précitée du directeur du 15 juin 2020 et, « pour autant que de besoin », contre la décision précitée du bureau d'imposition du 5 décembre 2019.

Dans son jugement du 7 juin 2022, le tribunal administratif donna acte à la partie demanderesse qu’elle renonçait à son recours subsidiaire en annulation, déclara le recours principal en réformation irrecevable en ce qu’il était dirigé contre la décision du bureau d'imposition du 5 décembre 2019 et reçut en la forme le recours principal en réformation en ce qu’il était dirigé contre la décision directoriale déférée du 15 juin 2020. Quant au fond, le tribunal déclara le recours justifié et dit que la partie demanderesse était à relever de l’amende lui infligée par le bureau d'imposition en date du 5 décembre 2019, telle que confirmée par la décision directoriale déférée du 15 juin 2020. Il condamna finalement l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 juillet 2022, l’Etat a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 7 juin 2022.

L’Etat expose que plusieurs conditions devraient être réunies pour qu’une amende puisse être prononcée sur base du § 402 AO, à savoir 1) que la personne visée soit le contribuable ou son représentant dans un sens large qui a provoqué, par son comportement, une diminution indue de recettes d’impôts, 2) que ledit comportement présente des traits concrets de négligence ou d’intentionnalité, 3) que ledit comportement négligent ait pour conséquence une diminution de recettes d’impôts ou un avantage fiscal, 4) que la diminution de recettes d’impôts ou l’avantage fiscal aient été obtenus par le biais du comportement négligent ou intentionnel une première fois ou aient été maintenus sans que le contribuable ou son représentant n’aient jugé utile de procéder au redressement de la situation et 5) que le comportement s’inscrive de manière directe et inhérente dans le cadre des obligations qui incombent au contribuable ou à son représentant lors de la détermination de la charge fiscale.

L’Etat critique en premier lieu le tribunal pour avoir considéré que le § 402 AO ne serait applicable qu’en cas de comportement négligent (« Fahrlässigkeit ») et renvoie à cet égard à l’alinéa (2) du § 402 AO qui mentionnerait le comportement intentionnel (« vorsätzlich ») et dont il se dégagerait que la négligence ne constituerait que le minimum requis pour que soit caractérisé un cas relevant du § 402 AO.

L’Etat soutient que le tribunal aurait également retenu à tort une absence d’impôt éludé.

L’intimée aurait adressé pour compte de la société (F) le 29 juillet 2016 au bureau d'imposition un courrier demandant la conversion de la devise fonctionnelle d’euros en dollars américains et le bureau d'imposition aurait approuvé cette demande le 3 août 2016 sous certaines conditions. Dans la déclaration pour l'impôt sur le revenu, pour l'impôt commercial et pour l'impôt sur la fortune de l'année 2016, remise en date du 3 octobre 2017, la partie demanderesse aurait déclaré une perte suivant bilan fiscal s'élevant à -…. euros, un bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial, avant reports de pertes, se chiffrant à …. euros et des pertes reportables au titre des années 2011, 2014 et 2015 se chiffrant en somme à (… + …. + … =) … euros. Comme la décision directoriale l’aurait partant valablement constaté, l’impôt dû conformément à la déclaration initiale se serait donc élevé à zéro euro.

Le bureau d'imposition, lors du contrôle de la déclaration, aurait alors découvert que le bilan fiscal joint aurait tenu compte de résultats reportés inexplicables, ce qui l’aurait amené à solliciter de plus amples explications au sujet des reports de pertes en question. Or, les explications données par l’intimée auraient finalement été jugées dénuées de pertinence par le bureau d'imposition au regard de la problématique évoquée, le délégué du gouvernement soulignant que ce serait bien l’intimée qui aurait répondu aux demandes du bureau d'imposition.

L’intimée aurait finalement remis le 8 octobre 2019 une déclaration rectificative de l'année 2016, reprenant de tout nouveaux chiffres, à savoir qu’elle ne renseignerait dorénavant plus une perte de ….. euros, mais un bénéfice de …. euros, ce qui aurait entraîné un changement au niveau du bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial (avant reports de pertes) s'élevant à …. euros, et des reports de pertes dont les montants n'auraient pas subi de grands changements, se chiffrant à (… + … + … =) … euros, au lieu du montant de … euros, tel que renseigné dans la déclaration initiale. Il résulterait de l'ensemble des opérations entreprises une différence en impôt de (… + …00 =) …. euros.

L’Etat souligne que le bureau d'imposition serait à l’origine de ce redressement et non pas le contribuable ou son représentant et que l’avantage fiscal en cause serait clairement établi par la différence d’impôt susvisée, de sorte que ce serait à tort que les juges de première instance auraient retenu une prétendue absence d’impôt éludé en l’espèce.

Il conteste encore le raisonnement du tribunal suivant lequel la simple tentative d’une fraude fiscale involontaire ne serait pas envisageable, au motif que l’infraction ne serait constituée que par le résultat obtenu de manière involontaire, en arguant qu’il ne serait pas conforme au texte de cette disposition de la loi. Il considère qu’il ne s’agirait en l’espèce point d’une tentative mais que l’infraction de fraude fiscale involontaire aurait été consommée par la remise de la déclaration erronée.

Le représentant étatique rappelle que l’intimée affirmerait elle-même, au vu de la présentation de son activité sur son site internet, être un professionnel de la représentation et de la consultation en matière fiscale, de manière que la société (F) se serait adressée à elle à cause des « compétences en matière fiscale dont elle se targue » et qu’elle aurait dû être à même de détecter des irrégularités dans une comptabilité jugée a posteriori comme étant dénuée de pertinence et irrégulière. Ainsi, l’intimée ne saurait se disculper en faisant valoir qu’elle n’aurait pas été l’autrice de la comptabilité erronée, qu’il faudrait imputer les irrégularités au domiciliataire de la société (F) et qu’elle aurait procédé à des rectifications.

L’Etat met en avant qu’en sa qualité de professionnel qui établit une déclaration d’impôt pour compte d’un client, elle ne pourrait pas se borner à recopier les positions comptables dans des formulaires pré-imprimés, mais devrait procéder à toutes les vérifications requises afin de veiller à la conformité des indications dans les formulaires aux règles et normes en matière tant comptable que fiscale.

De la sorte, il faudrait nécessairement qualifier de négligent le comportement de l’intimée qui, par son inadvertance et son inaction face aux redressements qu’il lui aurait incombé d’apporter à la comptabilité présentée, aurait contribué à une diminution indue des impôts dont la société (F) était redevable. En outre, le comportement négligent de l’intimée s’inscrirait de manière directe et inhérente dans le cadre des obligations d’ordre fiscal qui lui auraient incombé du fait de son rôle de représentant de la société (F), à savoir notamment celle de veiller à ce que le revenu imposable et donc la charge fiscale soient déterminés correctement, ce qui n'aurait pas été le cas en l’espèce.

En ce qui concerne le montant de l'amende, le délégué du gouvernement fait relever qu’il serait manifeste que le respect des limites prévues par la loi se trouverait vérifié en l'occurrence, le montant de 8.000,- euros correspondant presqu’au minimum légal de 5% des impôts éludés et étant à considérer comme parfaitement adapté à la capacité contributive de la partie intimée, tout comme aux manquements constatés.

L’intimée conclut par contre à la confirmation du jugement entrepris.

Aux termes du § 402 AO, « (1) Wer fahrlässig als Steuerpflichtiger oder als Vertreter oder bei Wahrnehmung der Angelegenheiten eines Steuerpflichtigen bewirkt, dass Steuereinnahmen verkürzt oder Steuervorteile zu Unrecht gewährt oder belassen werden (§396 Absätze 1 und 2), wird wegen Steuergefährdung mit Geldstrafe bis zu 125.000 Euros bestraft. L'amende administrative ne doit pas dépasser le quart du montant des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu et ne peut être inférieure à cinq pour cent des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu. La décision portant fixation du montant de l'amende administrative est prise par le bureau d'imposition et peut être attaquée par voie d'une réclamation au sens du § 228.

(2) Eine Steuerumgehung ist nur dann als Steuergefährdung zu bestrafen, wenn die Verkürzung der Steuereinnahmen oder die Gewährung der ungerechtfertigten Steuervorteile dadurch bewirkt wird, dass der Täter vorsätzlich oder fahrlässig Pflichten verletzt, die ihm im Interesse der Ermittlung einer Steuerpflicht obliegen. ».

Les premiers juges se sont en outre référés à juste titre au § 392, alinéa (1), AO, diposant que « Steuervergehen im Sinn dieses Gesetzes sind strafbare Verletzungen von Pflichten, die die Steuergesetze im Interesse der Besteuerung auferlegen », lequel s’applique de manière générale à toutes les infractions fiscales.

Au vœu de L’admission d’une fraude fiscale involontaire (« Steuergefährdung ») au sens du § 402, alinéa (1), AO requiert ainsi la réunion des conditions cumulatives suivantes :

i) une diminution des recettes d'impôts (« Steuereinnahmen verkürzt ») ou l'octroi soit le maintien d’un avantage fiscal indu (« Steuervorteile zu Unrecht gewährt oder belassen ») pour le contribuable, ii) causé directement par iii) un manquement par négligence à une obligation incombant à l'auteur de l’infraction en vue d’assurer la perception correcte de l’impôt (« Pflichten (…), die ihm im Interesse der Ermittlung einer Steuerpflicht obliegen »), iv) l’auteur pouvant être soit le contribuable (« Steuerpflichtiger »), soit son représentant (« Vertreter »), sinon toute personne qui participe à la gestion des affaires du contribuable (« bei Wahrnehmung der Angelegenheiten eines Steuerpflichtigen »).

Comme les premiers juges l’ont relevé à bon escient, la fraude fiscale involontaire au sens du § 402, alinéa (1), AO se distingue de la fraude fiscale simple sinon aggravée au sens du § 396 AO par le fait que la diminution de l’impôt ou l’avantage fiscal n’ont pas été recherchés intentionnellement.

En ce qui concerne le premier élément d’une diminution des recettes d’impôts (« Steuereinnahmen verkürzt ») ou l’octroi soit le maintien d’un avantage fiscal indû (« Steuervorteile zu Unrecht gewährt oder belassen »), le § 402, alinéa (1), AO fait référence aux alinéas (1) et (2) du § 396 AO, lesquels précisent encore « (1) Wer zum eigenen Vorteil oder zum Vorteil eines anderen nicht gerechtfertigte Steuervorteile erschleicht oder vorsätzlich bewirkt, dass Steuereinnahmen verkürzt werden, (…) », ainsi que « (2) Der Steuerhinterziehung macht sich auch schuldig, wer Sachen, für die ihm Steuerbefreiung oder Steuervorteile gewährt sind, zu einem Zweck verwendet, der der Steuerbefreiung oder dem Steuervorteil, die er erlangt hat, nicht entspricht, und es zum eigenen Vorteil oder zum Vorteil eines anderen vorsätzlich unterlässt, dies der Steuerkontrollstelle vorher rechtzeitig anzuzeigen ».

L’usage, par le § 402, alinéa (1), AO, des mêmes notions de diminution des recettes d’impôts et d’octroi soit du maintien d’un avantage fiscal indû et le renvoi exprès au § 396, alinéas (1) et (2), AO doit être compris comme établissant un parallélisme de cette condition par rapport à celle prévue par cette dernière disposition pour la fraude fiscale intentionnelle (HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-Kommentar, § 402, Anm. 2).

L’élément matériel de la diminution des recettes d’impôts ou de l’octroi soit du maintien d’un avantage fiscal tel que défini par le § 396, alinéa (1), AO, implique donc toujours que la diminution ou l’avantage ait été définitivement obtenu (« bewirkt »). Le § 396, alinéa (3), 1e phrase, AO, suivant lequel « Es genügt, dass infolge der Tat ein geringerer Steuerbetrag festgesetzt oder ein Steuervorteil zu Unrecht gewährt oder belassen ist », définit pour les impôts fixés par voie d’assiette le moment à partir duquel cet élément matériel de l’infraction doit être considéré comme étant consommé et ce critère peut être utilisé mutatis mutandis à d’autres voies de fixation de l’impôt (HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-

Kommentar, § 396, Anm. 10).

Il faut donc, pour qu’il y ait consommation, qu'une créance fiscale en principe due n'ait pas été fixée du tout, qu'elle ait été fixée pour un montant trop faible, qu'elle ait été établie tardivement ou qu'un avantage fiscal ait été maintenu à tort (cf. Daniel ASK, Georges SIMON, La fraude fiscale involontaire : une épée de Damoclès au-dessus de la tête des contribuables et de leurs conseillers ou un risque contrôlé ?, Revue de Droit Fiscal, Legitech, n° 13, décembre 2021).

La jurisprudence judiciaire constante admet ainsi que l’infraction de fraude fiscale est une infraction de résultat et qu’elle « est par conséquent consommée non pas à l’instant où le contribuable remet sa déclaration d’impôt à l’Administration, fait qui constitue la tentative, mais seulement à partir du moment où l’Administration lui a accordé un avantage fiscal injustifié ou fixé la dette fiscale du contribuable à un montant inférieur à celui qu’elle aurait retenu si elle avait connu la situation réelle » (Trib. arr. Lux, 14 février 2002, no 353/2002 ;

dans le même sens Cour d’appel, 21 décembre 2021, n° 416/21 V.).

Dès lors, à l’égard d’un impôt fixé par voie d’assiette à travers un bulletin d’impôt qui quantifie la dette d’impôt et emporte son exigibilité, l’élément matériel de la diminution des recettes d’impôt est consommé au moment de l’émission du bulletin d’imposition qui fixe un montant d’impôt dû inférieur à celui d’une fixation de l’impôt correspondant aux bases d’imposition telles qu’elles auraient été fixées si le contribuable avait fourni les renseignements qui auraient permis au fisc de dégager les bases d’imposition réelles (cf. HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-Kommentar, § 396, Anm. 10).

C’est partant à tort que l’Etat soutient que l’infraction de fraude fiscale involontaire aurait été consommée par la remise de la déclaration erronée.

En l’espèce, les premiers juges ont relevé à bon escient que la première déclaration d’impôt préparée par l’intimée pour le compte de la société (F) concernant l’année d’imposition 2016 renseignait notamment une perte de - …. euros, un bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial, avant reports de pertes, se chiffrant à …. euros et des pertes reportables au titre des années 2011, 2014 et 2015 se chiffrant en somme à (…. + …. + …. =) …. euros. De la sorte, l’impôt dû conformément à la déclaration initiale se serait donc élevé à zéro euro au titre de l’année 2016.

Il se dégage encore des éléments en cause que le bureau d'imposition s’est exécuté de sa mission légale de vérification des déclarations du contribuable et qu’il a sollicité des renseignements complémentaires quant à des résultats reportés inexpliqués. L’intimée a pris position pour compte de la société (F) par courriers des 19 novembre 2018 et 28 février 2019 en admettant des erreurs commises dans l’enregistrement d’un gain non réalisé et dans la conversion des comptes d’euros en dollars américains. L’intimée a encore déposé le 8 octobre 2019, pour compte de la société (F), une déclaration d’impôt rectificative affichant dorénavant un bénéfice de …. euros, ce qui a entraîné un changement au niveau du bénéfice à reporter pour le calcul de l'impôt commercial s'élevant à ….euros et des reports de pertes se chiffrant à …. euros, au lieu du montant de …. euros, tel que renseigné dans la déclaration initiale, de sorte que l’impôt commercial communal et l’impôt sur le revenu des collectivités se sont finalement élevés à un total de …. euros au lieu de zéro euro.

Il se dégage encore du dossier fiscal de la société (F) que suite au dépôt de cette déclaration rectificative par les soins de l’intimée, le bureau d'imposition a établi dès le 10 octobre 2019 des feuilles d’établissement en vue de l’émission des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2016 qui reprenaient exactement les montants de bénéfices renseignés dans la déclaration d’impôt rectificative et repris ci-dessus.

Au vu de ces éléments, la Cour rejoint entièrement les premiers juges dans leur analyse que la faute dans la comptabilité de la société (F) a été découverte par le bureau d'imposition et rectifiée par le contribuable, par le biais de l’intimée, au cours de l’instruction du dossier d’imposition à travers le dépôt d’une déclaration d’impôt rectificative, soit en tout cas avant l’émission des bulletins d’impôt afférents. Le bureau d'imposition a partant été mis en mesure d’émettre des bulletins correspondant à une imposition correcte des revenus de la société (F).

De la sorte, la soumission de la comptabilité erronée et de la déclaration initiale, certes défaillante au départ, n’a finalement causé aucune diminution effective de l’impôt dû au détriment de l’administration des Contributions directes.

Il s’y ajoute que les feuilles d’établissement susvisées documentent une imposition suivant le § 100a AO.

Or, un bulletin sur déclaration prévu par cette disposition est émis sur base de la seule déclaration d’impôt soumise sans instruction du cas d’imposition intégral par le bureau d'imposition et sous la réserve ex lege d’une instruction et d’un contrôle ultérieurs du cas d’imposition. Le caractère provisoire d’un tel bulletin, en ce sens que l’imposition y retenue peut être modifiée ultérieurement à la suite d’une instruction en détail du dossier par l'administration fiscale, entraîne qu’il ne peut pas être considéré comme bulletin admettant définitivement une diminution des recettes d'impôts proprement dites ou l'octroi ou le maintien d'un avantage fiscal (HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-Kommentar, § 402, Anm. 8).

C’est partant pour ces deux raisons de non-consommation de la diminution de recettes fiscales et d’émission d’un bulletin provisoire sur déclaration que la conclusion s’impose que l’élément matériel de la diminution des recettes d’impôt n’a pas été consommé au moment de l’émission, sur base des feuilles d’établissement susvisées du 10 octobre 2019, des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2016.

L’Etat critique encore le tribunal pour avoir conclu que la simple tentative d’une fraude fiscale involontaire ne serait pas envisageable. Dans la mesure où cette critique doit être comprise comme tendant à justifier l’amende prononcée comme sanction d’une tentative de fraude fiscale involontaire, elle laisse néanmoins pareillement d’être justifiée.

Le § 402, alinéa (1), AO réprime en effet la réduction non intentionnelle des recettes d'impôt pour autant que l'auteur à l'origine de cette réduction peut se voir reprocher une négligence par rapport à une obligation lui incombant dans l’intérêt de l'établissement de l'impôt. La réduction intentionnelle des recettes d’impôt par voie de commission ou d’omission par rapport à une obligation lui incombant dans l’intérêt de l'établissement de l'impôt rentre par contre dans le champ de la fraude fiscale volontaire réprimée par le § 396 AO.

Le § 402, alinéa (2), AO, dont l’Etat se prévaut, régit, en parallèle avec le § 396, alinéa (4), AO, le cas particulier de la « Steuerumgehung » initialement définie par le § 5 AO qui a cependant été remplacé par le § 6 StAnpG visant l’usage abusif de formes et institutions du droit privé. Si le § 402, alinéa (2), AO fait certes état d’un élément moral intentionnel (« (…) der Täter vorsätzlich oder fahrlässig Pflichten verletzt (…) »), ce dernier ne vise cependant que l’élément matériel du non-respect de l’obligation fiscale qui doit partant avoir été commis intentionnellement ou par négligence, mais ne s’étend pas à tous les autres éléments matériels constitutifs de cette infraction. La fraude fiscale réprimée par le § 402, alinéa (2), AO reste partant à la base une infraction non intentionnelle, puisque l’intention coupable par rapport à tous les éléments matériels – à savoir l’usage volontairement abusif de formes et d’institutions du droit privé et le non-respect malhonnête d’obligations prévues dans l’intérêt de l’imposition dans le but d’une diminution des recettes fiscales effectivement obtenue – n’est pas requise.

Si une telle intention coupable globale se trouve vérifiée, la fraude fiscale rentre dans le champ d’application du § 396, alinéa (4), AO (HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-Kommentar, § 396, Anm. 24, et § 402, Anm. 12).

En outre, le § 397, alinéa (2), AO, encore mis en avant par l’Etat, dispose certes que « Die für die vollendete Tat angedrohte Strafe gilt auch für den Versuch », mais ne saurait justifier une sanction pour une tentative de fraude fiscale involontaire. Le § 397 AO constitue en effet le complément du § 396 AO en ce qu’il rend expressément la tentative punissable et doit être interprété en ce sens qu’il ne saurait s’appliquer qu’à des délits intentionnels (HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, RAO-Kommentar, Vor §§ 396 bis 400, Anm. 1 et § 397, Anm. 4).

Finalement, l’intimée argue à juste titre, en renvoyant notamment à l’article 51 du Code pénal, que d’une manière générale, la tentative suppose une résolution coupable qui a été manifestée par des actes extérieurs, de sorte que la tentative pour les infractions non intentionnelles n'est pas punissable.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que c’est à juste titre que le tribunal a jugé qu’une des conditions cumulatives de la fraude fiscale involontaire n’est pas remplie en l’espèce et qu’il a relevé l’intimée de l’amende lui infligée par le bureau d'imposition sur base du § 402 AO.

Partant, l’appel étatique n’étant justifié en aucun de ses moyens, il est à rejeter comme étant non fondé et en conséquence, le jugement a quo est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 12 juillet 2022 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’Etat, partant, confirme le jugement entrepris du 7 juin 2022, condamne l’Etat aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier assumé de la Cour …….

s. …..

s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2023 Le greffier de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47688C
Date de la décision : 04/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-07-04;47688c ?

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