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29/06/2023 | LUXEMBOURG | N°48547C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 29 juin 2023, 48547C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48547C ECLI:LU:CADM:2023:48547 Inscrit le 17 février 2023 Audience publique du 29 juin 2023 Appel formé par Monsieur (A) et consort, … (Belgique), contre un jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2023 (n° 45430 du rôle) en matière de remise gracieuse Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 48547C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 17 février 2023 par Maître Christophe VANDEVYVER, avocat inscrit au Barreau de Verviers (Belgique) et exerçant sous sa dénomination professionne

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48547C ECLI:LU:CADM:2023:48547 Inscrit le 17 février 2023 Audience publique du 29 juin 2023 Appel formé par Monsieur (A) et consort, … (Belgique), contre un jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2023 (n° 45430 du rôle) en matière de remise gracieuse Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 48547C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 17 février 2023 par Maître Christophe VANDEVYVER, avocat inscrit au Barreau de Verviers (Belgique) et exerçant sous sa dénomination professionnelle d’origine, inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, et par Maître Luc TECQMENNE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B), demeurant ensemble à B-… (Belgique), …, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 10 janvier 2023 (n° 45430 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré irrecevable leur recours en réformation dirigé contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020 portant rejet de leur demande de remise gracieuse ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 mars 2023 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2023 en nom et pour le compte des appelants ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 20 avril 2023 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christophe VANDEVYVER et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries à l’audience publique du 25 mai 2023.

Par courrier daté au 28 mars 2019, réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes le 8 avril 2019, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), ci-après « les époux (A-B) », introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », une demande de remise gracieuse visant les impôts sur le revenu des années 2011 et 2012 mis à leur charge par les bulletins d’impôts émis à leur égard respectivement les 16 août 2012 et 21 août 2013.

Par une décision du 28 septembre 2020 (n° GR 063.19 du rôle), le directeur rejeta la demande de remise gracieuse des époux (A-B) pour manquer de fondement.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2020, les époux (A-B) introduisirent par l’intermédiaire de Maître Christophe VANDEVYVER, avocat inscrit au Barreau de Verviers (Belgique) et exerçant à Luxembourg sous sa dénomination professionnelle d’origine en tant qu’avocat inscrit à la liste IV du tableau dressé annuellement par le conseil de l’Ordre des avocats de Diekirch, un recours tendant à la réformation de la décision directoriale prévisée du 28 septembre 2020.

Par jugement du 10 janvier 2023, le tribunal administratif déclara le recours en réformation irrecevable et condamna les demandeurs aux frais de l’instance.

Après s’être déclarés compétents pour connaître du recours en réformation dirigé contre une décision directoriale portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts, les premiers juges déclarèrent irrecevable le recours leur soumis pour avoir été signé par un avocat inscrit à la liste IV du tableau de l'Ordre des avocats à Diekirch.

Pour arriver à cette conclusion, les premiers juges retinrent qu’il se dégageait de l’article 9 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, ci-après « la loi du 10 août 1991 », que les avocats inscrits à la liste I ou à la liste V des tableaux des Ordres des avocats étaient seuls habilités à accomplir les actes pour lesquels le ministère d’avocat à la Cour est prescrit, tandis que les avocats inscrits aux listes II, IV et VI pouvaient uniquement accomplir les actes pour lesquels le ministère d’avocat à la Cour est prescrit à condition d’être assistés par un avocat à la Cour inscrit à la liste I ou à la liste V des avocats.

Le tribunal nota encore que l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », posait quant à lui le principe général imposant le ministère d’avocat à la Cour pour l’introduction et la signature de toute requête introductive d’instance devant le tribunal administratif sauf dérogations prévues, tel que cela est notamment le cas en matière fiscale.

Après avoir admis qu’en matière fiscale des dérogations audit principe sont prévues en ce que par application des articles 57 de la loi du 21 juin 1999 et 2, paragraphe (1), alinéa (2), de la loi du 10 août 1991, les recours en matière de contributions directes peuvent également être introduits en première instance devant le juge administratif par les parties elles-mêmes, un expert-comptable ou un réviseur d’entreprises, les premiers juges estimèrent que les avocats inscrits à la liste IV des tableaux dressés annuellement par les conseils des Ordres des avocats n’avaient pas le droit d’introduire sous leur seule signature un recours devant le tribunal administratif en matière de contributions directes.

Ils relevèrent encore que l’obligation pour les avocats inscrits à la liste IV de se faire assister par un avocat de la liste I ou V afin de pouvoir accomplir les actes pour lesquels le ministère d’avocat à la Cour est prescrit découlait également de l’article 5, paragraphe (4), de la loi modifiée du 13 novembre 2002 portant transposition en droit luxembourgeois de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise, ci-après désignées respectivement par « la loi du 13 novembre 2002 » et « la directive 98/5/CE », article disposant que « pour les actes et procédures soumis par les lois et règlements au ministère d'avocat à la Cour, l'avocat européen exerçant sous son titre professionnel d'origine doit agir de concert avec un avocat à la Cour qui se constitue et qui est responsable à l'égard de la juridiction ».

Finalement, le tribunal rejeta encore le moyen des époux (A-B) tiré d’une discrimination injustifiée des avocats inscrits à la liste IV au regard de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, en raison de la prétendue comparabilité des avocats de la liste I et IV, pour ne pas se trouver dans une situation juridique comparable, relevant que si l’avocat de la liste IV avait le droit d’exercer à titre permanent au Grand-Duché de Luxembourg sous son titre professionnel d’origine, sous condition d’être inscrit au tableau de l’un des Ordres des avocats du Grand-Duché de Luxembourg, ce dernier, tant qu’il exerce sous ledit titre d’origine, devait respecter les règles de procédure applicables devant les juridictions luxembourgeoises, tel que prévu à l’article 5, paragraphe (4), de la loi du 13 novembre 2002, à savoir se faire assister par un avocat de la liste I ou V afin de pouvoir accomplir les actes pour lesquels le ministère d’avocat à la Cour est obligatoirement prescrit.

Dans ce contexte, les premiers juges notèrent encore que ce constat se trouvait renforcé par le fait que l’inscription d’un avocat de la liste IV sur la liste I des avocats à la Cour n’était pas automatique après une certaine durée d’inscription sur la liste IV, mais nécessitait, en application de l’article 9 de la loi du 13 novembre 2002, le dépôt d’une demande à cette fin, moyennant la preuve d’une activité effective et régulière d’une durée d’au moins trois ans au Luxembourg dans le droit luxembourgeois, y compris le droit communautaire, afin d’être dispensé de l’épreuve d’aptitude prévue par la loi du 10 août 1991, exigée pour les avocats stagiaires de la liste II, dispense susceptible de faire l’objet d’un refus par l’Ordre des avocats du Grand-Duché compétent.

Le 17 février 2023, les époux (A-B) ont régulièrement interjeté appel contre le jugement du 10 janvier 2023.

Les appelants relèvent en premier lieu que l’article 57 de la loi du 21 juin 1999 reconnaîtrait implicitement la recevabilité d’une requête qui ne serait pas nécessairement signée par un avocat de la liste I, mais qui pourrait être signée par un « mandataire ». Ils reprochent aux premiers juges d’avoir estimé qu’en vertu de la précision apportée par l’article 2, paragraphe (1), point c), de la loi du 10 août 1991, la notion de « mandataire » prévue audit article 57 serait limitée et ne viserait pas les avocats inscrits sur une autre liste que la liste I, conclusion qui serait toutefois inexacte. Dans ce contexte, ils rappellent que l’article 2, paragraphe (1), point c), de la loi du 10 août 1991 prévoyait « en son temps », en application de l’article 66 de la loi du 21 juin 1999, que le recours en matière fiscale pouvait également être introduit par un avocat inscrit à la liste II, ceci afin de « redresser un oubli de la loi [modifiée] du 7 novembre 1996 [portant organisation des juridictions de l'ordre administratif] » puisque « si on admet les experts-comptables et réviseurs à plaider en matière fiscale, on doit y admettre également les avocats de la liste II », même si cette précision a de nouveau été supprimée par la loi du 16 décembre 2011 concernant l’exercice de la profession d’avocat sous forme d’une personne morale, mais non pas parce que le législateur souhaitait supprimer l’extension aux avocats de la liste II, mais tout simplement parce que « la référence à un avocat inscrit à la liste II n’étant pas appropriée eu égard au libellé de la première phrase du paragraphe (1). » Partant, il conviendrait de retenir qu’un avocat de la liste IV correspondrait bel et bien à la notion de « mandataire » telle que prévue à l’article 57 de la loi du 21 juin 1999.

Dans un deuxième ordre d’idées, les époux (A-B) concluent à une violation du principe d’égalité et de non-discrimination, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution en ce que les avocats non inscrits à la liste I et souhaitant représenter leurs clients en contentieux fiscal seraient discriminés par rapport à leurs confrères exerçant dans d’autres matières juridiques, telles le droit commercial ou le droit pénal pour lesquelles la représentation n’est pas réservée aux seuls avocats à la Cour de la liste I. Ainsi, il n’existerait pas de particularités « objectives » permettant de considérer que les avocats exerçant la matière administrative se trouveraient dans une situation « différente » de leurs confrères exerçant dans ces autres matières.

En deuxième lieu, les avocats de la liste IV seraient encore discriminés par rapport aux experts-comptables et réviseurs d'entreprises, étant donné que, de par leur profession, les avocats disposeraient, par essence, de plus de connaissances et d’expérience en matière d’actes de procédure que les experts-comptables et réviseurs d’entreprises. Partant, il ne saurait être conclu à l’existence de situations distinctes justifiant que les experts-comptables et réviseurs d’entreprises puissent poser des actes de procédure, alors que cela est exclu pour les avocats autres que ceux inscrits à la liste I. Cette discrimination serait d’autant plus flagrante que leur mandataire, Maître Christophe VANDEVYVER, exercerait en Belgique depuis 1997, principalement en droit fiscal, et serait inscrit à la liste IV du barreau de Diekirch depuis près de 10 ans.

En troisième lieu, les avocats de la liste IV seraient discriminés par rapport aux avocats de la liste I. Les appelants argumentent sur ce point qu’un avocat européen exerçant sous son titre professionnel d’origine serait admis comme avocat à la Cour soit s’il justifie d’une activité effective et régulière d’une durée d’au moins 3 ans au Luxembourg et dans le droit luxembourgeois, y compris le droit de l’Union européenne, soit s’il bénéficie des dispositions de l’article 9, paragraphe (2), de la loi du 13 novembre 2002, conditions qui seraient réunies dans le chef de leur mandataire et qui démontreraient que celui-ci se trouverait dans une situation comparable à celle d’un avocat de la liste I.

Sur ce, les appelants sollicitent, « le cas échéant », la saisine de la Cour constitutionnelle d’une ou de plusieurs questions préjudicielles afférentes.

Dans un troisième ordre d’idées, les époux (A-B) concluent à une atteinte aux libertés de circulation européennes, telles que consacrées par la directive 77/249/CEE du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats, ci-après « la directive 77/249/CEE », prise en ses articles 4 et 5, et la directive 98/5/CE, prise en ses articles 2 et 5, directives prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’assortir la représentation et la défense d’un client en justice par la condition de se faire « assister par un avocat local ». Ils renvoient dans ce contexte à deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) des 25 février 1988 (affaire 427/85, Commission c. Allemagne) et 10 juillet 1991 (affaire C-294/89, Commission c. France), jurisprudence qui serait parfaitement transposable à la directive 98/5/CE et qui aurait été intégrée à l’article 5 de ladite directive prévoyant que l’Etat membre d’accueil ne peut exiger de l’avocat exerçant sous son titre d’origine qu’il agisse de concert avec un avocat local que « dans la mesure où le droit de l’Etat membre d’accueil réserve ces activités aux avocats exerçant sous le titre professionnel de cet Etat ». Or, le droit luxembourgeois exclurait la possibilité pour un avocat « étranger », agissant en tant que prestataire de services ou en tant qu’avocat exerçant sous son titre d’origine, d’introduire un recours devant le tribunal administratif, alors même qu’un tel recours selon le droit luxembourgeois n’est pas conditionné par l’assistance d’un avocat, tant le contribuable lui-même qu’un expert-comptable ou un réviseur d’entreprise pouvant intenter et diligenter ledit recours.

Partant, le droit luxembourgeois violerait tant la libre prestation de services telle que consacrée par la directive 77/249/CEE que la liberté d’établissement consacrée par la directive 98/5/CE, et il conviendrait « le cas échéant », de soumettre la question par voie préjudicielle à la CJUE.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et à voir confirmer le jugement entrepris.

Concernant la prétendue violation du principe d’égalité devant la loi entre les avocats, le délégué signale que seule l’inscription sur une liste des avocats serait déterminante. Ainsi, il se dégagerait de l’article 9 de la loi du 10 août 1991 que dès que la procédure est écrite, tout autre avocat doit se faire assister par un avocat à la Cour, peu importe la matière. Les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée par les appelants ne se trouveraient pas dans une situation comparable et la différence procéderait de disparités objectives tenant à l’achèvement des différentes formations respectives. Cette différenciation serait rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but consistant dans la sauvegarde des intérêts du justiciable dans une matière exigeant des connaissances techniques approfondies.

Pour le surplus, la différence de traitement par rapport aux experts-comptables et réviseurs d’entreprise serait également justifiée, alors que seuls les avocats à la Cour ainsi que les réviseurs et experts-comptables ont accompli leur formation intégrale avec ses spécificités en droit luxembourgeois administratif et fiscal, contrairement aux avocats exerçant sous leur titre d’origine ayant passé un examen de fin de stage dans leur pays d’origine ne tenant pas compte des particularités de droit luxembourgeois. Ainsi, en agissant par avocats à la Cour, réviseurs ou experts-comptables, les intérêts du contribuable seraient préservés dans une matière exigeant des connaissances techniques respectivement l’expérience professionnelle d’un professionnel de la postulation ayant accompli son perfectionnement en droit national.

Quant à la prétendue atteinte à la liberté de circulation, le représentant étatique donne à considérer que les deux directives 77/249/CEE et 98/5/CE disposent que les avocats d’un pays étranger peuvent être obligés à se faire assister par un avocat à la Cour pour agir en justice et la législation nationale les aurait transposées en ce sens. Les deux arrêts de la CJUE ne seraient pas transposables, alors que dans ces cas d’espèce, le droit national n’imposait pas l’assistance d’un avocat local, contrairement au droit luxembourgeois ou cette obligation serait exigée par l’article 7 de la loi du 16 décembre 2011 portant transposition en droit luxembourgeois de la directive 98/5/CE et modifiant l’article 9 de la loi du 10 août 1991, et ceci dans l’intérêt général des « justiciables-contribuables ».

Le délégué du gouvernement ne conteste pas que Maître Christophe VANDEVYVER est membre d’un barreau luxembourgeois et légalement établi sur le territoire, mais donne à considérer que le devoir de se faire assister par un avocat à la Cour ne serait pas lié à des considérations géographiques ou de nationalité, mais aurait trait à l’achèvement de la formation en droit complémentaire luxembourgeois et la seule différence permettant d’agir là où la procédure est écrite résulterait de la formation professionnelle du mandataire et du titre en découlant. Partant, le droit luxembourgeois n’entraverait nullement la possibilité pour un avocat de la liste IV d’introduire un recours devant le tribunal administratif mais exigerait, tout comme pour l’avocat de la liste II, de se faire assister par un avocat à la Cour.

En termes de réplique, les appelants estiment encore que l’exigence de signature du recours administratif par un avocat de la liste I constitue une règle de procédure et ne serait pas prescrite à peine de déchéance, de nullité ou d’irrecevabilité et que, conformément à l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ». Or comme la partie étatique resterait en défaut de démontrer une atteinte à ses droits de la défense, la seule absence de signature du recours par un avocat de la liste I ne saurait entraîner l’irrecevabilité dudit recours.

La Cour se doit de rappeler que dans l’analyse des arguments soulevés par les parties, elle n’est pas tenue de suivre la suite des moyens invoqués par ces dernières, mais qu’elle est amenée à traiter les moyens d’appel dans la suite que la logique juridique et la bonne administration de la justice imposent comme étant la plus adéquate.

Il résulte des faits soumis en cause que Maître VANDEVYVER est avocat inscrit au Barreau de Verviers (Belgique) et qu’il exerce au Luxembourg, sous sa dénomination professionnelle d’origine, en tant qu’avocat inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch.

Les appelants indiquent dans leurs écrits que Maître VANDEVYVER serait inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch depuis près de 10 ans et qu’il interviendrait « régulièrement », en cette qualité, dans le cadre de litiges fiscaux pour des clients luxembourgeois ou des clients belges ayant des activités au Luxembourg.

Selon eux, en exigeant que Maître VANDEVYVER agisse de concert avec un avocat à la Cour pour introduire un recours en matière fiscale devant le tribunal administratif, le droit luxembourgeois serait contraire au droit de l’Union et violerait plus particulièrement la libre prestation de services, telle qu’elle serait consacrée tant par « le Traité UE » que par le directive 77/249/CEE, et la liberté d’établissement que reconnaîtrait ce même Traité et la directive 98/5/CE.

La Cour note que peu de renseignements ont été soumis à son contrôle quant à l’activité exacte de Maître VANDEVYVER au Luxembourg. Ces éléments, du fait de leur caractère succinct, ne permettent pas à la Cour d’établir, avec précision, si Maître VANDEVYVER exerce au Luxembourg de manière permanente, au sens de la loi du 13 novembre 2002, ou si son activité est à qualifier de temporaire, même en présence d’un cabinet situé au Luxembourg, car effectuée dans le cadre d’une prestation de services (CJUE, 30 novembre 1995, Gebhard c. Consiglio dell'Ordine degli Avvocati e Procuratori di Milano, C-55/94, EU:C:1995:411, points 26 et suivants).

La Cour relève cependant que Maître VANDEVYVER est inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch conformément à la loi du 13 novembre 2002, dont l’objectif principal est de faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un autre Etat membre que celui dans lequel l’avocat a acquis sa qualification. La Cour observe également que la partie étatique ne remet pas en cause cette inscription puisqu’elle reconnaît que Maître VANDEVYVER est légalement établi dans le pays.

C’est partant à partir de la liberté d’établissement, notamment consacrée par la directive 98/5/CE, transposée en droit interne par la loi du 13 novembre 2002, que s’analyse la question de la recevabilité du recours introduit par Maître VANDEVYVER, devant les premiers juges, au nom des époux (A-B).

En ce qui concerne la représentation en justice, il échet de relever que l’article 2 de la loi du 10 août 1991 prévoit une série de règles dérogatoires au principe général selon lequel seuls les avocats inscrits à la liste I et à la liste V peuvent assurer la représentation et la défense de leurs clients devant les juridictions de quelque nature, principe général, prévu à l’article 9, paragraphe (1), de la loi du 10 août 1991 qui dispose que « [l]es avocats inscrits à la liste I et à la liste V des avocats sont seuls habilités à accomplir les actes pour lesquels les lois et règlements prescrivent le ministère d'avocat à la Cour. ».

Quant aux exceptions prévues par la loi en matière de représentation par un avocat, l’article 2, paragraphe (1), lettre c), de la loi du 10 août 1991 admet, pour les recours en matière de contributions directes, le droit des « justiciables d'agir par eux-mêmes ou de se faire représenter ou assister par un expert-comptable ou un réviseur d'entreprises, dûment autorisé à exercer sa profession, devant le tribunal administratif appelé à connaître d'un recours en matière de contributions directes ».

Il se dégage dudit article que le droit interne organisant le recours en matière de contributions directes ne réserve pas, devant le tribunal administratif, l’activité de représentation et de défense en justice aux seuls avocats à la Cour dès lors que les parties peuvent agir elles-mêmes et qu’il leur est également loisible de recourir aux services d’un expert-comptable ou d’un réviseur d’entreprise.

Quant à la question particulière de la recevabilité des recours introduits par un avocat exerçant au Luxembourg sous sa dénomination professionnelle d’origine, la loi du 13 novembre 2002 prévoit en son article 5, paragraphe (4), que « [p]our les actes et procédures soumis par les lois et règlements au ministère d'avocat à la Cour, l'avocat européen exerçant sous son titre professionnel d'origine doit agir de concert avec un avocat à la Cour qui se constitue et qui est responsable à l'égard de la juridiction. ».

Par l’article précité, le législateur a consacré pour l’avocat européen, exerçant au Luxembourg de manière permanente, l’obligation d’agir de concert avec un avocat à la Cour pour la seule hypothèse où le ministère d’avocat est obligatoire devant la juridiction saisie.

Cette intention législative se dégage clairement des documents retraçant les travaux parlementaires du projet de loi ayant donné lieu à la loi du 13 novembre 2002 et selon lesquels « [c]ontrairement au texte du projet, qui prévoit que pour les actes et procédures soumis par les lois et règlements au ministère d’avocat à la Cour, l’avocat européen devra agir de concert avec un avocat à la Cour, le Conseil d’Etat propose de prévoir que pour toutes les activités de représentation et de défense en justice, qu’elles relèvent de la représentation obligatoire ou de la représentation facultative, l’avocat européen devra agir de concert, selon les cas, soit avec un avocat à la Cour, soit avec un avocat. Autrement dit, si le paragraphe (3) actuel de l’article 5 restreint les activités professionnelles des avocats européens dans le domaine de la représentation en justice obligatoire, le Conseil d’Etat suggère d’imposer aux avocats européens l’obligation de concertation également dans les cas de représentation facultative.

Dans sa note précitée, l’Ordre des Avocats de Luxembourg „est d’avis que la proposition du Conseil d’Etat risque de ne pas être conforme à la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes“. Partageant cette crainte, la Commission préfère la version gouvernementale, l’avocat européen ne devant ainsi agir de concert que lorsque la postulation est obligatoire. » (Projet de loi n° 4790, Rapport de la Commission juridique, 26 juin 2002, p. 9).

Quant à la jurisprudence de la CJUE évoquée par les travaux parlementaires précités et sur laquelle se fondent également les appelants, il échet de relever que dans les arrêts Commission c. Allemagne du 25 février 1988 (affaire 427/85) et Commission c. France du 10 juillet 1991 (affaire 294/89), la CJUE a considéré comme contraires au droit de l’Union les législations allemande et française, alors en vigueur, en ce qu’elles imposaient à un avocat prestataire de services d’agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau allemand, dans la première affaire, et un avocat inscrit à un barreau français, dans la seconde affaire, bien que devant des juridictions devant lesquelles le ministère d’avocat ne fût point obligatoire.

La Cour relève qu’en prévoyant l’obligation d’agir de concert avec un avocat à la Cour uniquement pour les recours où le ministère d’avocat est obligatoire, l’article 5, paragraphe (4), de la loi du 13 novembre 2002 appert conforme à la jurisprudence de la CJUE précitée, jurisprudence qui a été reprise au considérant (10), de la directive 98/5/CE, selon lequel « l'obligation d'agir de concert s'applique conformément à l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice des Communautés européennes, notamment dans son arrêt rendu le 25 février 1988 dans l'affaire 427/85 (Commission contre Allemagne).

La directive 98/5/CE a ainsi étendu le champ d’application de la jurisprudence de la CJUE, initialement limitée aux avocats exerçant dans le cadre d’une libre prestation de services, au sens de la directive 77/249/CEE, aux avocats établis dans un autre Etat membre que celui de leur qualification d’origine.

La reprise de cette jurisprudence par la directive 98/5/CE a ainsi pour effet de placer les avocats exerçant dans un autre Etat membre, de manière permanente, sur un pied d’égalité avec les avocats prestataires de service en ce qui concerne la représentation et la défense de clients devant les juridictions où l’assistance d’un avocat est facultative.

En effet, en droit interne, la loi modifiée du 29 avril 1980 réglant l'activité en prestations de service, au Grand-Duché de Luxembourg, des avocats habilités à exercer leurs activités dans un autre Etat membre des Communautés Européennes, ci-après « la loi du 29 avril 1980 », qui transpose en droit interne la directive 77/249/CEE, reconnaît déjà à l’avocat européen le droit d’agir, seul, devant les juridictions où le ministère d’avocat à la Cour n’est pas obligatoire.

D’après l’article 3, alinéa (1), de la loi du 29 avril 1980 précitée :

« Pour les activités de représentation et de défense en justice l'avocat doit • agir de concert avec un avocat à la Cour exerçant auprès de la juridiction saisie, pour les matières où la représentation par un avocat à la Cour est obligatoire; ».

Partant, conformément à l’article 3, alinéa (1), premier tiret, de la loi du 29 avril 1980, un avocat agissant en prestation de services, dans le cadre d’activités de représentation et de défense en justice au Luxembourg, n’est pas tenu d’agir de concert avec un avocat à la Cour, dès lors que la représentation, par un tel avocat, est facultative devant la juridiction saisie.

A fortiori, la même conclusion s’impose à l’endroit des avocats européens exerçant au Luxembourg, de manière permanente, tel Maître VANDEVYVER, eu égard au parallélisme instauré par la directive 98/5/CE en matière de représentation devant les juridictions qui ne nécessitent pas l’assistance obligatoire d’un avocat.

C’est partant à tort que les appelants soutiennent que le droit luxembourgeois violerait la liberté d’établissement et la libre prestation de services, alors qu’il se dégage, bien au contraire, aussi bien de la transposition de la directive 98/5/CE, par la loi du 13 novembre 2002, que de la modification de la loi du 29 avril 1980, transposant en droit interne la directive 77/249/CEE, que le législateur luxembourgeois avait précisément pour intention d’assurer la conformité du droit interne applicable aux avocats européens à la jurisprudence de la CJUE et à la directive 77/249/CEE, (Voy. sur ce dernier point, Projet de loi n° 5770, Rapport de la Commission juridique, 12 novembre 2008, p. 7).

Partant, la demande des appelants de soumettre une question par voie préjudicielle à la CJUE manque de pertinence.

Finalement, la Cour tient à rappeler qu’une solution identique se dégage déjà de son arrêt du 5 mars 2015 (n° 35505C du rôle) dans lequel elle avait déjà dit pour droit qu’un avocat inscrit à la liste IV pouvait introduire, seul, un recours en matière de contributions directes devant le tribunal administratif conformément à la liberté d’établissement que lui assure la directive 98/5/CE.

C’est partant à tort que les premiers juges ont déclaré le recours en réformation irrecevable au motif que l’avocat inscrit en liste IV n’était pas admis à introduire, sous sa seule signature, un recours en matière fiscale, de sorte que le jugement entrepris est à réformer.

Eu égard à la solution du litige, l’ensemble des moyens formulés quant à une prétendue inégalité devant la loi entre les avocats des différentes listes ou même par rapport aux autres professions admises à recourir en matière de contributions directes devant le tribunal administratif deviennent surabondants, de sorte que la saisine de la Cour constitutionnelle d’une ou de plusieurs questions préjudicielles manque, là-aussi, de pertinence pour ne pas être nécessaire à la solution du litige.

De l’accord des parties et eu égard au fait que le litige n’a pas fait l’objet d’une analyse au fond par les premiers juges, il y a lieu de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le tribunal administratif en vue de garantir le double degré de juridiction.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 17 février 2023 en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

par réformation du jugement entrepris du 10 janvier 2023, dit que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré irrecevable le recours en réformation introduit par Monsieur (A) et son épouse, Madame (B) ;

renvoie l’affaire devant le tribunal administratif en prosécution de cause en vue de statuer sur le mérite au fond du recours initial de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B) ;

condamne l’Etat aux dépens de la présente instance d’appel et réserve les frais de la première instance.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 juin 2023 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48547C
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-06-29;48547c ?

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