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15/06/2023 | LUXEMBOURG | N°47814C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 15 juin 2023, 47814C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47814C ECLI:LU:CADM:2023:47814 Inscrit le 12 août 2022

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Audience publique du 15 juin 2023 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 juillet 2022 (n° 44515 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le num...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47814C ECLI:LU:CADM:2023:47814 Inscrit le 12 août 2022

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Audience publique du 15 juin 2023 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 juillet 2022 (n° 44515 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47814C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 12 août 2022 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du château d’Eau, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée par son gérant commandité en fonctions, la société à responsabilité limitée BSP s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d’Eau, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par son gérant Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 4 juillet 2022 (n° 44515 du rôle) par lequel le tribunal rejeta la demande tendant à la jonction dudit recours avec celui inscrit sous le numéro 44517 du rôle, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 février 2020, référencée sous le numéro …, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et débouta la société demanderesse de sa demande en obtention d’une indemnité de procédure tout en la condamnant aux frais et dépens ;

Vu le mémoire en réponse déposé par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG au greffe de la Cour administrative le 14 octobre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 9 novembre 2022 par la société BONN STEICHEN & PARTNERS, représentée par Maître Alain STEICHEN, pour compte de la société à responsabilité limitée (AB) ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 19 janvier 2023.

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Il est constant que la société à responsabilité limitée (AB), ci-après la « société (AB) », et la société anonyme (CD), ci-après la « société (CD) », font partie d’un groupe de sociétés ayant opté pour le régime de l’intégration fiscale, tel que prévu par l’article 164bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR », la société (CD) étant la société intégrante et la société (AB) l’une des sociétés intégrées du groupe.

Il est encore constant que la société (AB) fit l’objet d’un contrôle fiscal, couvrant la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, qui donna lieu à un rapport dressé le 25 juillet 2019 par le réviseur du Service révision de l’administration des Contributions directes.

A la suite de ce contrôle, le bureau d’imposition Sociétés Esch de l’administration des Contributions directes émit, en date du 14 août 2019, à l’encontre de la société (AB) les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2011, les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2013, ainsi que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2014.

Le 25 septembre 2019, le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de la société (CD) les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette globale de l’année 2013.

Le 30 octobre 2019, le même bureau d’imposition émit à l’encontre de la société (CD) les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette globale de l’année 2012, ainsi que les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette globale de l’année 2014.

Par courrier conjoint de leur mandataire du 14 novembre 2019, réceptionné le même jour, les sociétés (AB) et (CD) introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », des réclamations à l’encontre des bulletins d’imposition énumérés ci-avant.

Le 13 février 2020, le directeur statua sur ces réclamations par deux décisions séparées, l’une prise à l’encontre de la société (AB), référencée sous le numéro …, et l’autre prise à l’encontre de la société (CD), référencée sous le numéro ….

Dans la première de ces décisions, le directeur, d’une part, déclara irrecevables les réclamations dirigées par la société (AB) contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2011 et 2012, émis le 14 août 2019, ainsi que celles introduites contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014, également émis le 14 août 2019, et, deuxièmement, rejeta la réclamation dirigée par ladite société à l’encontre du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012, lui aussi émis le 14 août 2019. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Vu la requête introduite le 14 novembre 2019 par Me Alain Steichen, de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, d’une part, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), avec siège social à L-…, pour réclamer contre :

- les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2011, - les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, - le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012, - les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2013, - les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2014, tous émis en date du 14 août 2019 ;

et, d’autre part, au nom de la société anonyme (CD), avec siège social à L-2220 Luxembourg, pour réclamer contre :

- les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2012, tous émis le 30 octobre 2019, - les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2013, tous émis le 25 septembre 2019, - les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la ventilation de la base d’assiette globale de l’impôt commercial de de l’année 2014, tous émis le 30 octobre 2019, Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant de prime abord, qu’il importe de noter que depuis l’année d’imposition 2012, les réclamantes font partie d’un groupe de sociétés ayant opté pour le régime d’intégration fiscale tel qu’instauré par l’article 164bis de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) ; que pour les années 2012, 2013 et 2014, le groupe de sociétés sus-énoncé comprend en tout 4 sociétés ; que la société mère constitue la société intégrante, en l’occurrence, la société anonyme (CD), alors que la société à responsabilité limitée (AB) constitue, à côté de 2 autres sociétés, la société intégrée ; que les résultats des sociétés intégrées, dont celui de la société à responsabilité limitée (AB), sont à intégrer dans celui de la société intégrante pour une période couvrant au moins 5 exercices d’exploitation ;

Considérant que, bien qu’intégrées fiscalement, les réclamantes sont à considérer comme des sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes ; que les réclamations introduites par la société anonyme (CD) et la société à responsabilité limitée (AB) sont réunies en un seul écrit (« Réclamation conjointe ») ;

Considérant néanmoins que chaque acte attaqué fera l’objet d’une décision directoriale distincte, la présente décision ne portant que sur les réclamations introduites par la société à responsabilité limitée (AB), celles introduites par la société anonyme (CD) étant disjointes pour être vidées séparément sous le n° … ;

Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser en la forme ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir admis dans son chef une distribution cachée de bénéfices au sens de l’article 164, alinéa 3 L.I.R. ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, la loi d’impôt étant d’ordre public ; qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

En ce qui concerne les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2011 [sic] Considérant qu’aux termes du § 232, alinéa 1er AO, un bulletin d’impôt ne peut être attaqué qu’au cas où le contribuable se sent lésé par le montant de l’impôt fixé ou conteste son assujettissement à l’impôt ;

Considérant que les montants de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2011 ont été fixés à 0 (zéro) euro et que la société à responsabilité limitée (AB) (ci-après : la réclamante) ne prétend pas à la fixation de cotes d’impôt positives ;

En ce qui concerne les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, ainsi que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014 Considérant qu’aux termes de l’article 164bis L.I.R., les sociétés de capitaux résidentes pleinement imposables, dont 95 pour cent au moins du capital est détenu directement ou indirectement par une autre société de capitaux résidente pleinement imposable ou par un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités, peuvent, sur demande, être intégrées fiscalement dans la société mère ou dans l’établissement stable indigène, de façon à faire masse de leurs résultats fiscaux respectifs avec celui de la société mère ou de l’établissement stable indigène ;

Considérant que la circulaire L.I.R. n° 164bis/1 du 27 septembre 2004 retient que le régime d’intégration fiscale ne vise pas à instaurer une base légale pour l’imposition du résultat consolidé au sens propre d’un groupe de sociétés, mais se limite à permettre aux sociétés intéressées de regrouper ou de compenser leurs résultats fiscaux pendant la période d’application du régime d’intégration fiscale ; que les résultats fiscaux des sociétés filiales admises au régime d’intégration fiscale, dont entre autres le résultat fiscal de la réclamante, sont ajoutés au résultat fiscal de la société intégrante, en l’occurrence de la société anonyme (CD) ;

Considérant qu’aux termes de l’alinéa 4 de l’article 1 du règlement grand-ducal du 1er juillet 1981 portant exécution de l’article 164bis L.I.R., la société intégrante est passible de l’impôt sur le revenu des collectivités correspondant au revenu imposable du groupe établi, le revenu imposable de la requérante se chiffrant dorénavant et en toute logique à 0 (zéro) euro ;

Considérant, tel que cela a été retenu supra, qu’un bulletin d’impôt ne peut être attaqué qu’au cas où le contribuable se sent lésé par le montant de l’impôt fixé ou conteste son assujettissement à l’impôt ; que les montants de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2012, 2013 et 2014 de même que les montants de l’impôt commercial communal des années 2012, 2013 et 2014 ont été fixés à chaque fois à 0 (zéro) euro et que la requérante ne prétend pas à la fixation de cotes d’impôt positives ;

Considérant qu’il découle de ce qui précède que les réclamations contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2011 et 2012, ainsi que les réclamations contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014 doivent être déclarées irrecevables pour défaut d’intérêt ;

En ce qui concerne le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012 Considérant que la réclamante « a pour objet l’exploitation d’un débit de boissons alcooliques et non-alcooliques avec établissement de restauration. Elle pourra accomplir tant au Grand-Duché de Luxembourg qu’à l’étranger, tous actes, toutes opérations financières, industrielles, commerciales, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à son objet social et permettant d’en faciliter la réalisation. » ;

Considérant que, sur pourvoi du préposé du bureau d’imposition Sociétés Esch-sur-Alzette, la comptabilité de la requérante des années 2011, 2012, 2013 et 2014 a fait l’objet d’une vérification au sens du § 162 AO par le Service de révision des contributions ;

Considérant que la réclamante a été soumise aux obligations de la tenue d’une comptabilité régulière au sens des articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, des articles 8 à 11 du Code de Commerce et du § 160, alinéa 1er AO ; que le paragraphe 162 AO détermine les conditions à respecter par les entreprises afin que leur comptabilité soit tenue de manière régulière ;

Considérant qu’une comptabilité régulière en la forme et au fond est la représentation des comptes d’une entreprise dans une stricte chronologie et d’après les faits réels ; qu’elle est censée avoir enregistré de manière claire, précise et ordonnée toutes les opérations de cette entreprise ; qu’elle doit avoir pris en considération de façon exacte l’intégralité des faits comptables ; que s’y juxtapose le § 208, alinéa 1er AO, qui crée une présomption de régularité intégrale en faveur des comptabilités conformes aux règles énoncées au § 162 AO ;

Considérant que le rapport dressé par le réviseur du Service de révision conclut que d’après les constatations y reprises « la comptabilité est rejetée quant à la forme et quant au fond » ; qu’en ce qui concerne plus particulièrement la distribution cachée de bénéfices voire la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux en résultant, le n° 15 dudit rapport renseigne ce qui suit :

15. Vol de marchandises Le gérant, Monsieur (E), affirme que l’ancien employé, Monsieur (F) aurait détourné des marchandises. A cette fin il joint en tant que pièce à l’appui des témoignages manuscrits de certains employés de son entreprise. De même il ajoute une photo d’une « reconnaissance de dette » du 30/11/2012 sur un montant de (100)€.

Selon cette reconnaissance de dette, Monsieur (F) doit (100)€ à Monsieur (E).

Cependant, Monsieur (F) a détourné des marchandises appartenant à l’entreprise et non pas à Monsieur (E). La comptabilité ne contient pas d’écriture comptable relative à cette opération.

Le réviseur est d’avis que le fait que Monsieur (E), en forçant Monsieur (F) de lui verser l’équivalent des marchandises détournées, a lui aussi détourné ce montant de l’entreprise. Un tel détournement constitue un manque à gagner pour l’entreprise et représente une distribution cachée de dividende au sens de l’article 164(3) LIR.

Le réviseur accepte de diminuer l’engagé de (100)€ comme suit :

- (50) pour l’année 2011 et - (50) pour l’année 2012.

Cette opération impacte le calcul des recettes suivant le § 217 AO (voir section 14 de ce rapport).

En conséquence, il y a lieu d’opérer une distribution cachée de bénéfice de (100)€ au profit de Monsieur (E) en ce qui concerne l’année 2012.

Considérant qu’il découle du n° 15 susmentionné et de la présente requête, qu’un ancien employé de la réclamante a systématiquement volé des marchandises au cours des années 2011 et 2012 ; qu’après avoir découvert le malfaiteur, le gérant unique l’a fait signer une reconnaissance de dette ; que cette reconnaissance de dette est datée au 30 novembre 2012 et retient que le voleur doit « à titre personnel la somme de (100) (… euros) à Monsieur (E) » ; que le malfaiteur s’est engagé à verser ladite somme sur le compte bancaire privé du gérant unique ;

Considérant qu’aux termes de l’article 164, alinéa 3 L.I.R., il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ;

Considérant que depuis le 10 août 2009, le sieur (E) est le gérant unique de la réclamante ; qu’il convient de mentionner que la société anonyme (GH) et le sieur (E) ont constitué la société mère de la réclamante à parts égales en date du 26 septembre 2008 ; que partant le sieur (E) est actionnaire indirect de la réclamante par le biais de la société anonyme (CD) ; que pour le surplus, le sieur (E) a été nommé administrateur lors de la constitution de la société anonyme (CD) ;

Considérant que l’article 164, alinéa 3 L.I.R. est l’application du principe suivant lequel il y a lieu, pour les besoins du fisc, de restituer aux actes leur véritable caractère et doit partant s’interpréter en fonction de cette finalité ;

Considérant que « l’essence de la notion de distribution cachée [de bénéfices] doit être dégagée à partir du principe posé par l’article 164 (1) LIR que les distributions ne peuvent pas réduire le revenu imposable. La loi opère de la sorte une distinction entre la sphère de réalisation des revenus, qui détermine le revenu imposable devant être soumis à imposition, et celle d’utilisation ou de distribution des revenus qui ne doit pas influer sur le revenu imposable. La notion de distribution cachée de bénéfices ne tend ainsi pas à réintégrer dans les comptes sociaux une opération déterminée et le revenu correspondant, mais tend, d’abord, à requalifier l’opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus pour lui conférer sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé ou actionnaire et ayant entraîné soit une diminution de l’actif ("Vermögensminderung") soit un défaut d’accroissement de l’actif ("verhinderte Vermögensmehrung") et, ensuite, à annihiler la réduction indue du revenu imposable causée par cette opération de distribution. Dans la mesure où l’admission de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices ne tend dès lors pas à rajouter un élément particulier de revenu, mais à éliminer les effets fiscaux d’une opération de distribution de revenus, le montant retenu du chef de la distribution cachée ne peut pas être qualifié de revenu réalisé par le contribuable, mais s’analyse en une opération de correction de bénéfice hors-bilan. » ;

Considérant qu’il est patent que les marchandises en question ont été acquises par la réclamante et non par le gérant unique ; que suite à leur détournement, le gérant unique a obligé le malfaiteur à verser une somme équivalente aux marchandises volées sur son compte privé ; qu’il s’ensuit que la réclamante est restée sur ses frais étant donné que la reconnaissance de dette désigne le gérant unique comme créancier de la somme de (100) euros, alors que c’est pourtant la réclamante qui aurait été en droit de percevoir le remboursement en cause ; que le rapport dressé par le réviseur expose que « La comptabilité ne contient pas d’écriture comptable relative à cette opération » de sorte qu’il est exclu que la réclamante a perçu le montant de (100) euros ;

Considérant que dans son placet, la réclamante invoque que « le Gérant n’a à ce jour pas encore touché un quelconque paiement sous cette « reconnaissance de dette » et qu’il a la ferme intention de continuer toute somme reçu (sic) à (AB) après réception » ; qu’il est pour le moins surprenant qu’une personne à qui ont été dérobées des marchandises dont la valeur correspond à pas moins de (100) euros ne dépose pas immédiatement plainte auprès du Parquet ; qu’ « il [lui] aurait appartenu [au gérant unique] de dénoncer ledit comportement sur le champ au Parquet et à l’Administration des contributions directes », quod non en l’espèce ; que la réclamante affirme qu’à ce jour, le gérant unique n’aurait toujours pas touché les fonds tel que cela a été convenu dans la reconnaissance de dette ; qu’il doit être admis qu’entretemps, elle n’a toujours pas engagé des poursuites judiciaires à l’encontre du malfaiteur étant donné que dans l’hypothèse d’une dénonciation auprès du Parquet, la réclamante aurait joint une telle preuve à la présente requête afin de se voir exonérer du reproche d’une distribution cachée de bénéfices ; que la réclamante, en plus de la reconnaissance de dette, est en possession de témoignages manuscrits de la part de deux de ses employés ;

Considérant que l’affirmation selon laquelle le gérant unique n’aurait pas perçu le montant de (100) euros reste à l’état de pure allégation et n’emporte pas la conviction de la présente instance ; qu’il n’y a pas l’ombre d’un doute que la reconnaissance de dette sommant le voleur à payer (100) euros sur le compte privé du gérant unique est à qualifier en tant que distribution cachée de bénéfices ;

Considérant dans ce contexte et suite à ce qui précède, qu’il reste sans le moindre conteste que c’est à bon escient que le réviseur est parti du principe d’une distribution cachée de bénéfices au sens de l’article 164, alinéa 3 L.I.R. dans le chef de la réclamante ; que le bureau d’imposition est donc pleinement à confirmer dans sa manière d’agir et que c’est à juste titre qu’il a admis une distribution cachée de bénéfices pour un montant de (100) euros ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 146 L.I.R., les distributions de bénéfices tant ouvertes que cachées, sont passibles de la retenue sur revenus de capitaux ;

Considérant qu’aux termes de l’article 148 L.I.R., le taux de la retenue d’impôt applicable pour l’année 2012 est de 15 pour cent, à moins que le débiteur prenne à sa charge l’impôt à retenir, ce qui, même en matière de distribution cachée de bénéfices, n’est jamais présumé ;

Considérant que le bulletin de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux de l’année litigieuse est à confirmer ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2011 et 2012, ainsi que celles contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014 irrecevables pour défaut d’intérêt, reçoit la réclamation contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012 en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Dans la seconde des deux décisions évoquées ci-avant, le directeur (i) se déclara incompétent pour statuer sur les réclamations dirigées par la société (CD) à l’encontre des bulletins rectificatifs de la ventilation de la base d’assiette globale des années 2012, 2013 et 2014, émis les 25 septembre et 30 octobre 2019, (ii) déclara irrecevables les réclamations dirigées par ladite société contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, émis le 30 octobre 2019, et (iii) rejeta les réclamations introduites par la même société à l’encontre des bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014, émis les 25 septembre et 30 octobre 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2020, inscrite sous le numéro 44515 du rôle, la société (AB) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision directoriale du 13 février 2020, référencée sous le numéro ….

Par jugement du 4 juillet 2022, le tribunal administratif rejeta la demande tendant à la jonction dudit recours avec celui inscrit sous le numéro 44517 du rôle, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée, au fond, le déclara non justifié et en débouta la société demanderesse, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et débouta la société demanderesse de sa demande en obtention d’une indemnité de procédure, tout en la condamnant aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 août 2022, la société (AB) a régulièrement interjeté appel contre le jugement précité.

Quant à la portée de l’appel Moyens des parties La société (AB) précise que son appel vise à obtenir la réformation du jugement entrepris dans le sens de voir reconnaître qu’il n’y aurait pas eu de distribution cachée de bénéfices de sa part au profit de son gérant unique, Monsieur (E), tout « en démontrant que la régularité de [s]a comptabilité, ayant comme conséquence [s]a taxation d’office [ne serait] pas justifiée ».

La partie étatique soutient que le seul volet de la décision directoriale déférée devant la Cour porterait sur le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012, de sorte que toute demande non formulée en première instance devrait être considérée comme nouvelle et partant irrecevable. Selon elle, dans la mesure où l’irrecevabilité du recours à l’encontre des bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2011 et 2012 et des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013 et 2014 n’aurait pas été contestée par l’appelante, ce serait à bon droit que les premiers juges ont retenu qu’au vu des moyens exposés devant eux, ils ne sauraient remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de ces bulletins.

Analyse de la Cour La Cour relève que, devant les premiers juges, les griefs soulevés par la société (AB) à l’encontre de la décision directoriale litigieuse ont porté uniquement sur le volet relatif à l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en faveur de son gérant unique.

La Cour constate qu’à travers sa requête d’appel, la société (AB) indique solliciter la réformation du jugement entrepris sur la question de la distribution cachée de bénéfices, dont les premiers juges ont confirmé l’existence en sa défaveur et qu’elle soulève, en outre, la question de la régularité de sa comptabilité, en la forme comme au fond, pour pouvoir contester, par la suite, la taxation d’office dont elle dit avoir injustement fait l’objet.

Or, tel que justement mis en avant par le délégué du gouvernement, la société (AB) ne saurait invoquer des demandes nouvelles absentes du recours qu’elle a initialement formé à l’encontre de la décision directoriale portée devant les premiers juges, celle-ci ayant été uniquement attaquée sur le volet relatif à la distribution cachée de bénéfices.

Par suite, il y a lieu de retenir que l’appel devant la Cour est circonscrit à la seule question de savoir si, pour l’année 2012, la société (AB) a procédé à une distribution cachée de bénéfices au profit de son gérant unique, Monsieur (E).

Quant à la distribution cachée de bénéfices Moyens des parties La société appelante expose que le contexte de ce redressement résiderait dans la découverte qu’un de ses anciens salariés aurait dérobé, de 2011 à 2012, des bouteilles d’alcool d’une valeur d’environ (100) euros qu’il aurait pris l’habitude d’emporter à son domicile après son service et cela à l’insu de son employeur. Le salarié, dont les agissements auraient été découverts seulement en novembre 2012, aurait été licencié et une reconnaissance de dette aurait été signée entre le gérant de la société (AB) et l’ancien salarié afin d’assurer le recouvrement de la somme de ces vols.

Or, ce serait de manière infondée, à partir de cette reconnaissance de dette, que le bureau d’imposition, confirmé par le directeur, ont conclu à l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en faveur du gérant de la société appelante, Monsieur (E). S’il n’est pas contesté que seul le nom du gérant a été indiqué au sein de la reconnaissance de dette, en sa qualité de créancier, cette situation s’expliquerait par la présence de Monsieur (E) lors de la découverte du détournement des marchandises et par sa volonté d’obtenir le remboursement des sommes en souffrance en faisant signer un engagement légalement contraignant à l’employé accusé du vol de marchandises. Il serait clair qu’au regard de la situation, le gérant n’agirait pas pour son propre compte mais bien en tant que représentant légal de la société (AB) dont il serait « l’incarnation physique » et cette représentation aurait été comprise par toutes les personnes impliquées puisque le gérant aurait agi en tant que simple « recouvreur de dette » au profit de la société appelante. Dans l’hypothèse où le gérant aurait réussi à récupérer les sommes en souffrance auprès de l’ancien employé, il serait évident qu’il les aurait restitué à la société appelante. L’absence de document unilatéral du gérant s’engageant à remettre lesdites sommes à la société créancière ne saurait, pour autant, empêcher l’existence d’un accord oral prévoyant une telle restitution entre la société (AB) et son gérant.

La société (AB) conteste, ensuite, l’existence d’une distribution cachée de bénéfices telle que retenue par les premiers juges dans la mesure où il n’aurait jamais été dans son intention d’octroyer un avantage à son gérant unique. Plus particulièrement, la société appelante souligne qu’au moment des vols subis, elle n’aurait même pas eu conscience de s’appauvrir, de sorte qu’aucune volonté d’enrichir son gérant ne pourrait être constatée en l’espèce. En l’absence de tout avantage octroyé au gérant, il manquerait partant une des conditions essentielles pour retenir l’existence d’une distribution cachée de bénéfices. En outre, ce serait à tort que les premiers juges ont dit pour droit que l’acte de reconnaissance de dettes doit être pris en compte dans l’évaluation de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices alors qu’aucune distribution de la sorte ne pourrait être constatée au moment de la signature de l’acte précité eu égard, là encore, au fait que la société (AB) n’aurait aucunement eu l’intention d’enrichir son gérant en lui octroyant un quelconque avantage. En outre, la société appelante soutient que retenir l’existence d’une distribution cachée de bénéfices à son encontre serait injuste en ce qu’elle serait « punie doublement » tout d’abord en raison du vol et ensuite du fait de la réintégration du montant de la marchandise volée dans son résultat imposable.

Enfin, dans l’hypothèse où la Cour conclurait à l’existence d’une distribution cachée de bénéfices au moment de la signature de l’acte de reconnaissance de dette, il y aurait lieu de retenir que la société appelante aurait distribué sa créance envers Monsieur (E) et qu’il conviendrait alors de s’interroger sur la valeur de ladite créance au moment de sa distribution au gérant en vue de déterminer le montant de la retenue à la source à prélever par la société (AB). La question de la valeur de la créance transmise se poserait également eu égard au fait que l’ancien employé serait officiellement sans ressources et que les chances de remboursement des (100) euros tendraient vers zéro. Or, vu l’improbabilité de recouvrir les sommes des marchandises dérobées, la créance n’aurait aucune valeur au moment de sa prétendue distribution au gérant, de sorte que la distribution d’un actif sans valeur ne pourrait avoir de conséquence fiscale. La société appelante précise qu’en cas de confirmation, par la Cour, de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices, celle-ci devrait porter sur une créance sans valeur, de sorte qu’il ne devrait y avoir de conséquence fiscale ni à son niveau ni au niveau de son gérant.

La société appelante conclut qu’il n’existerait aucun avantage octroyé à son gérant au sens de l’article 164, paragraphe (3), LIR et que le bureau d’imposition resterait en défaut de démontrer l’existence d’une distribution cachée de bénéfices au profit de Monsieur (E). Selon elle, les charges qu’elle aurait supportées resteraient déductibles de son revenu imposable par application conjointe des articles 167 et 45 LIR, de sorte qu’il appartiendrait à la Cour de réformer dans son intégralité l’analyse des premiers juges.

De son côté, la partie étatique demande la confirmation du jugement entrepris en ce que ce serait à bon droit que les premiers juges ont retenu l’existence d’une distribution cachée de bénéfices de la société appelante au profit de son gérant unique.

Le délégué du gouvernement considère que, conformément aux critères posés par l’article 164 LIR, une distribution cachée de bénéfices serait vérifiée en l’espèce. En outre, ladite distribution résulterait clairement des pièces fournies et des aveux de la partie appelante devant la Cour. Plus particulièrement, la partie étatique fait valoir que le bureau d’imposition aurait pu valablement mettre en exergue le fait que Monsieur (E) se serait attribué, à titre personnel, une créance qui aurait dû revenir à la société (AB), celle-ci ayant été victime d’un vol de marchandises estimées à la somme de (100) euros. Elle ajoute que ledit gérant se targuerait de la qualité de créancier dans les pièces que la société (AB) a versées à l’appui de son appel et qu’il serait surprenant que suite au vol de ses marchandises, aucune plainte n’aurait été déposée au Parquet et qu’aucun signalement n’aurait été fait à l’administration des Contributions directes. La partie étatique souligne que les entreprises (AB) et (CD) seraient liées et auraient les mêmes actionnaires et bénéficiaires économiques et qu’il conviendrait également de retenir que Monsieur (E) serait à qualifier d’actionnaire indirect de la société (AB), de sorte à retenir à son endroit la qualification d’intéressé en ce qu’il détiendrait une participation dans la société (CD), société mère de l’appelante.

Enfin, le délégué du gouvernement conclut que la reconnaissance de dette sommant le « malfaiteur » de payer la somme des marchandises dérobées sur le compte privé du gérant unique serait à qualifier de distribution cachée de bénéfices et ce serait partant à bon droit que le directeur a confirmé le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012. Selon lui, l’attribution de cette créance équivaudrait a priori à un avantage alloué à Monsieur (E) en raison de sa qualité d’intéressé et il serait à retenir qu’un gestionnaire normalement prudent et avisé n’aurait pas accordé un tel avantage à un tiers.

Analyse de la Cour A titre liminaire, la Cour relève que la reconnaissance de dette serait, de l’aveu du gérant unique, sans être utilement contesté par la partie étatique, lié à un vol continu de marchandises du restaurant exploité par la société (AB), de 2011 à 2012, et dont l’auteur suspecté de ces agissements serait l’un de ses anciens salariés.

En ce qui concerne les redressements opérés par le bureau d'imposition et confirmés par le directeur, il convient de noter qu’ils sont fondés sur le régime des distributions cachées de bénéfices tel que prévu par l’article 164, paragraphe (3), LIR qui dispose que « les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

Le terme « notamment » utilisé par la seconde phrase de l’article 164, paragraphe (3), LIR indique, tel que confirmé par les travaux parlementaires, que, conformément à un choix délibéré du législateur, cette formulation est générale afin de permettre « à l’administration et aux instances de recours de prendre leur décision dans chaque cas d’espèce » et ce au vu de la difficulté de prévoir une énumération exhaustive (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, ad art. 239, p. 3).

L’essence de la notion de distribution cachée doit être dégagée à partir du principe posé par l’article 164, paragraphe (1), LIR selon lequel les distributions ne peuvent pas réduire le revenu imposable. La loi opère de la sorte une distinction entre la sphère de réalisation des revenus, qui détermine le revenu imposable devant être soumis à imposition, et celle d’utilisation ou de distribution des revenus qui ne doit pas influer sur le revenu imposable.

Ainsi, une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de la substance permet de dégager sa qualification réelle d’opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (« Vermögensminderung ») soit un défaut d’accroissement de l’actif (« verhinderte Vermögensmehrung »). La notion de distribution cachée de bénéfices ne tend ainsi pas à réintégrer dans les comptes sociaux une opération déterminée et le revenu correspondant, mais tend, d’abord, à requalifier l’opération et, ensuite, à annihiler la réduction indue du revenu imposable causée par cette opération de distribution.

Dans la mesure où l’admission de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices ne tend dès lors pas à rajouter un élément particulier de revenu, mais à éliminer les effets fiscaux d’une opération de distribution de revenus, le montant retenu du chef de la distribution cachée ne peut pas être qualifié de revenu réalisé par le contribuable, mais s’analyse en une opération de correction de bénéfice hors-bilan.

Les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164, paragraphe (3), LIR précité, existent dès lors si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.

La qualification d’une opération comme distribution cachée est ainsi soumise notamment à la condition de l’existence d’une relation d’associé ou de sociétaire (« Gesellschafterverhältnis ») qui est la cause de l’avantage sans contrepartie effective qui a été alloué par la société.

Il convient également de rappeler qu’aux termes de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».

Il résulte d’une lecture combinée des dispositions dudit article 59 et de l’article 164, paragraphe (3), LIR que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose donc en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit en effet procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d'imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable qu’il peut remettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas de diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées.

Le cercle de personnes bénéficiaires d’avantages dont l’article 164, paragraphe (3), LIR autorise la requalification en distributions cachées est ainsi délimité par cette disposition aux associés, sociétaires et intéressés de l’entité sociale visée.

Il est constant en cause que Monsieur (E) revêt à l’égard de la société (AB) la qualité de gérant unique et d’actionnaire indirect, étant donné qu’il détient une participation dans la société (CD), société mère de la société appelante, de sorte à pouvoir être qualifié de sociétaire.

Par suite, Monsieur (E) relève du cercle de personnes susceptibles de bénéficier d’un avantage résultant d’une distribution cachée au sens de l’article 164, paragraphe (3), LIR.

En ce qui concerne l’existence d’un avantage accordé au gérant de la société appelante, il ne fait aucun doute que la reconnaissance de dette litigieuse d’un montant de (100) euros a été dressée en faveur de celui-ci, étant donné que l’acte par lequel la dette a été reconnue a été conclu entre deux parties, d’une part, l’auteur présumé des vols, Monsieur (F), et, d’autre part, le gérant de la société lésée par ces vols de marchandises, Monsieur (E).

La Cour relève en effet que ladite reconnaissance de dette n’indique que les prénom et nom du gérant de la société appelante sans jamais indiquer la dénomination sociale de la société (AB) pour laquelle il dit avoir agi en sa qualité de gérant. A cela s’ajoute, sans être utilement contesté par la partie appelante, que le numéro de compte bancaire indiqué sur l’acte de reconnaissance de dette est le numéro du compte bancaire personnel du gérant.

La reconnaissance de dette, telle qu’elle a été établie par les parties, est dès lors a priori indicatrice de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en faveur du gérant de l’appelante.

S’il est vrai que la rédaction de ce document tend à indiquer que le gérant s’est personnellement attribué la créance dont est titulaire la société appelante à l’égard de l’auteur présumé des vols, il n’en reste pas moins qu’au regard des circonstances particulières de l’affaire en cause, il doit être admis que le gérant a pu valablement se substituer à la société appelante en tant que créancier de celle-ci.

Pour justifier l’indication de son nom et de son compte bancaire, le gérant explique avoir voulu retenir une solution immédiate, vu qu’il aurait confronté l’auteur présumé des vols, de sorte à avoir immédiatement formalisé la solution la plus susceptible de donner lieu à un remboursement des sommes dérobées selon lui, à savoir la signature d’une reconnaissance de dette le liant à son ancien salarié.

Il doit être relevé que bien qu’inhabituelles, les justifications apportées par le gérant de la société appelante, pour motiver les modalités de recouvrement mises en œuvre auprès de l’auteur présumé du vol, paraissent plausibles aux yeux de la Cour.

Le fait que le gérant n’a ni déposé une plainte, ni informé l’administration des Contributions directes de cette situation n’est pas de nature à remettre en cause la plausibilité des arguments qu’il a avancés, le gérant ayant, semble-t-il, souhaité privilégier une solution incluant la participation de l’auteur présumé des vols pensant que cette façon de procéder lui permettrait le remboursement certain des sommes en souffrance.

Du fait de la substitution de créanciers s’étant produite dès la signature de la reconnaissance de dette, bien qu’elle n’eût pas été formalisée à travers l’existence d’une cession de créance formelle entre la société appelante et son gérant unique, il incombe à la Cour de rechercher si, dans ces conditions particulières, une distribution cachée de bénéfices peut être néanmoins constatée dans le chef du gérant de la société appelante, Monsieur (E).

Il résulte du libellé de l’article 164, paragraphe (3), LIR qu’une distribution cachée de bénéfices exige l’allocation d’un avantage en faveur d’une personne susceptible d’en bénéficier, c’est-à-dire, en l’espèce, la preuve qu’un avantage a été effectivement accordé par la société appelante au profit de Monsieur (E).

C’est à bon droit que la partie étatique soutient que la cession de créance en faveur du gérant de la société appelante « équivaut a priori à un avantage alloué à Monsieur (E) » en raison de la qualité de sociétaire préalablement dégagée par la Cour.

Cependant, ce constat préliminaire ne saurait suffire pour constater une distribution cachée de bénéfices à défaut de preuve de l’allocation effective d’un tel avantage en faveur du gérant de la société appelante.

Il convient en effet de rappeler que l’avantage accordé par la société doit non seulement entraîner soit une diminution de l’actif, soit un défaut d’accroissement de l’actif dans son chef, mais également, tout comme les distributions de revenus dans les formes prévues par le droit des sociétés, avoir la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers (cf. BFH 18 décembre 1996, I R 139/94, BStBl. II 1997, 301 ; HERRMANN, HEUER, RAUPACH, KStG-Kommentar, § 8, Anm. 113 ; Cour adm. 27 juillet 2022, n° 46801C). Or, une recette suppose la mise à disposition effective du bien ou de l’avantage à son bénéficiaire.

La partie étatique se contente cependant d’affirmer qu’une distribution cachée de bénéfices serait établie en raison de la reconnaissance de dette litigieuse, d’aveu de la partie appelante et des pièces qu’elle a versées devant la Cour. Plus particulièrement, elle s’appuie sur le fait que le gérant de la société appelante s’est présenté comme unique créancier dans les démarches qu’il a entreprises ultérieurement, devant la justice de paix, pour obtenir le remboursement de la somme de (100) euros.

Ces éléments ne font néanmoins qu’alléguer l’existence d’un avantage alloué à Monsieur (E) sans toutefois en démontrer le caractère vraisemblable, voire certain, de sorte que la partie étatique est restée en défaut de mettre en évidence un faisceau d’indices corroborant la probabilité de l’existence d’un avantage distribué en faveur dudit gérant.

De son côté, la société appelante a pu présenter la copie d’une requête introduite devant le juge de paix de et à Esch-sur-Alzette, datée du 11 novembre 2014, en vue d’obtenir une injonction visant à interroger les organismes sociaux sur la situation de revenu de son ancien salarié aux fins d’exécuter une saisie-arrêt pour le remboursement des (100) euros dérobés.

Par une ordonnance du 13 novembre 2014, le juge de paix a enjoint au Centre commun de la sécurité sociale, ci-après « CCSS », de fournir les informations à sa disposition sur l’affiliation actuelle de l’ancien salarié. Or, les vérifications opérées par le CCSS et matérialisées dans un courrier du 25 novembre 2014, ont confirmé l’absence d’affiliation de l’ancien salarié aussi bien en tant que salarié qu’en tant que bénéficiaire d’une pension.

Le fait que la société appelante affirme que les chances de remboursement de cette somme seraient définitivement compromises et les dires du gérant soutenant qu’il n’aurait perçu aucun remboursement depuis la signature de la reconnaissance de dette permettent, à défaut de tout autre indice contraire soumis par la partie étatique, d’écarter l’existence d’une distribution cachée de bénéfices par la société appelante en faveur de son gérant unique.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que les moyens de la société appelante sont de nature à infirmer la validité du faisceau d’indices dégagé par le réviseur, le bureau d'imposition et le directeur à l’égard de l’évènement incriminé, de sorte que c’est à tort que les premiers juges ont retenu l’existence d’une distribution cachée de bénéfices résultant de la reconnaissance de dette entre l’ancien salarié de la société appelante et le gérant de celle-ci.

Enfin, quant à la demande de la société appelante de se voir remettre, au greffe de la Cour, l’intégralité de son dossier fiscal incluant les comparables utilisés par l’administration des Contributions directes, il convient d’écarter ce moyen eu égard à son manque de pertinence par rapport au litige circonscrit dont la Cour a été saisie.

Il s’ensuit que l’appel est justifié et que le jugement entrepris encourt la réformation en ce sens que le recours de la société appelante est fondé.

Quant à l’indemnité de procédure L’appelant sollicite une indemnité de procédure de 4.000 euros pour la première instance et de 2.000 euros pour l’instance d’appel, pour avoir dû recourir aux services rémunérés d’un avocat afin de faire valoir ses droits.

Cette demande est à rejeter eu égard à la solution au fond et au fait qu’il ne découle point des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de la société appelante les frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 12 août 2022 en la forme, au fond, déclare l’appel justifié, partant, réforme le jugement entrepris du 4 juillet 2022 en ce sens que la décision directoriale du 13 février 2020 (n° C 27272) encourt la réformation en ce sens que la reconnaissance de dette entre l’ancien salarié de la société (AB) et le gérant de celle-ci pour un montant total de (100) euros n’est pas à qualifier de distribution cachée de bénéfices au profit de ce gérant et annule le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2012, émis le 14 août 2019, rejette la demande en communication de l’intégralité du dossier de la société (AB) pour la communication des comparables utilisés par l’administration des Contributions directes, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour exécution, rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société (AB) pour les deux instances, fait masse des dépens des deux instances et les met à charge de l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 15 juin 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juin 2023 Le greffier de la Cour administrative 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47814C
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-06-15;47814c ?

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