La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2023 | LUXEMBOURG | N°46956

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 15 juin 2023, 46956


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48811C ECLI:LU:CADM:2023:48811 Inscrit le 12 avril 2023 Audience publique du 15 juin 2023 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 20 mars 2023 (n° 46956 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 48811C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2023 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Venezuela), de n

ationalité vénézuélienne, demeurant à …, dirigé contre un jugement du 20 m...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48811C ECLI:LU:CADM:2023:48811 Inscrit le 12 avril 2023 Audience publique du 15 juin 2023 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 20 mars 2023 (n° 46956 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 48811C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2023 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à …, dirigé contre un jugement du 20 mars 2023 (n° 46956 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 décembre 2021 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 5 mai 2023 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 6 juin 2023.

Le 1er avril 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En dates des 27 mai, 3 juin 2019 et 6 juillet 2021, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 21 décembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Madame (A) comme non fondée et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 1er avril 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er avril 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 27 mai et 3 juin 2019 et le rapport d’entretien complémentaire du 6 juillet 2021, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Madame, vous signalez être de nationalité vénézuélienne, être divorcée depuis 2015 et avoir vécu avec votre mère dans le quartier « …, … ». Vous auriez deux enfants avec votre ex-époux, les dénommées (B) et (C), qui seraient toutes les deux restées chez leur père alors que « Le divorce a été problématique. Je ne les ai pas vues depuis six ans » (p. 3 du rapport d’entretien). Jusqu’en 2013, vous auriez étudié à l’… et vous y auriez en même temps travaillé comme …. En 2015, après votre divorce, vous auriez tenté de réintégrer l’… et en 2018, vous auriez été acceptée, mais vous auriez alors été obligée de quitter le pays et de venir introduire une protection internationale au Luxembourg, où résidaient déjà votre mère, (D) et votre sœur (E), alors que vous seriez dans le collimateur des « colectivos ».

Vous expliquez que les « colectivos » auraient eu le contrôle sur le quartier du « cimetière » dans lequel vous et votre famille auriez habité depuis « toujours ». Vous dites qu’ils dicteraient la loi, tandis que vous seriez « de l’opposition. Je ne soutiens pas le régime » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous expliquez que le « grand problème » serait que les « colectivos » seraient au courant, depuis février ou mars 2019, que votre mère serait partie en Europe en décembre 2018 et que vous risqueriez par conséquent d’être kidnappée, alors que cela représenterait une rentrée d’argent facile pour eux. Vous dites qu’ils vous auraient d’ailleurs déjà fait comprendre que vous seriez quelqu’un d’« important » à leurs yeux dans le 2contexte d’un kidnapping. Vous précisez aussi que les femmes kidnappées seraient torturées et violées dans votre quartier avant d’être égorgées, même en cas de payement de rançon.

Début mars 2019, les « colectivos » auraient commencé à vous menacer, après qu’ils seraient passés pour leur « recensement » mensuel et qu’ils auraient alors remarqué que votre mère ne serait toujours pas retournée. Ils vous auraient alors fait comprendre que cette maison ne vous appartiendrait pas et que vous devriez la quitter pour éviter qu’ils ne « s’occupent » de vous. La première semaine de mars 2019, il y aurait en outre eu une coupure d’électricité qui vous aurait enfermée à la maison alors que tout aurait été fermé. Après le rétablissement du courant, vous seriez retournée au travail et à « l’école » et en rentrant un soir chez vous, quatre ou cinq « colectivos » vous auraient attendu devant votre maison pour vous avertir qu’ils vous kidnapperaient dès qu’ils en auraient reçu l’ordre. Vous auriez alors contacté vos sœurs et votre famille aurait rassemblé l’argent pour vous acheter un ticket d’avion. « Par chance », à ce moment-là, il y aurait eu des manifestations et des pillages dans votre zone d’habitation de sorte que le groupe de « colectivos » aurait été occupé. Vous précisez être partie avec votre valise et avoir laissé la clé de votre maison à votre tante pour qu’elle puisse y aller de temps en temps. A l’aéroport, vous auriez dû passer trois contrôles qui se seraient passés sans problème après que vous auriez expliqué partir faire du tourisme en France et puis revenir dans le pays. Vous auriez alors été persuadée qu’« ils » finiraient par entrer dans votre maison et deux semaines après votre arrivée au Luxembourg, ils s’en seraient effectivement accaparés. Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu vous installer dans une autre région du Venezuela alors que « Si tu es opposante, ton nom est public » (p. 5 du rapport d’entretien) et que les « colectivos », grâce à leurs recensements, seraient forcément au courant des adresses des opposants. En cas d’un retour au Venezuela, vous seriez « kidnappée, torturée et assassinée » (p. 8 du rapport d’entretien) pour être une « opposante au régime ». Conviée à préciser pourquoi vous seriez considérée comme une telle opposante, vous expliquez que toutes les personnes qui ne participeraient pas aux manifestations pro-

gouvernementales seraient considérée comme telles. En plus, lors desdits recensements, vous auriez « clairement » fait comprendre aux « colectivos » que vous seriez opposée au régime.

A partir de ce moment, vous auriez été fichée comme un « traître à la patrie ».

Après la relecture de votre entretien, vous vous rappelez toutefois qu’après le rétablissement de l’électricité, les membres des « colectivos » placés devant votre porte, seraient entrés chez vous dès qu’ils l’auraient voulu et vous auraient alors abusée pendant les deux dernières semaines de mars 2019, jusqu’à ce que vous quittiez le pays (p. 5 du rapport d’entretien). Concernant ces abus, vous précisez encore que ces hommes auraient agi comme bon leur semble chez vous, qu’il y aurait eu beaucoup de personnes différentes qui vous auraient violée, que vous auriez été obligée de cuisiner pour eux à toute heure de la journée et qu’ils seraient aussi bien passés l’après-midi que le soir pour vous rendre « visite ». En même temps, vous auriez été obligée de continuer à aller au travail. Vous n’auriez pu ni manger, ni dormir.

Le 29 mars 2019, vous avez quitté le Venezuela à bord d’un avion en direction de la France. Vous auriez ensuite pris un autre avion pour arriver au Luxembourg.

Dans la mesure où il s’est avéré que manifestement vous n’avez pas été sincère sur la réalité de votre situation familiale au Luxembourg, vous avez été convoquée à vous présenter pour le 6 juillet 2021 à un entretien complémentaire. Vous déclarez lors dudit entretien que vous auriez en tout trois enfants et que votre fille, (F), réside également au Luxembourg. Vous ne l’auriez pas mentionnée plus tôt dans le cadre de votre demande de protection 3internationale parce qu’elle se serait trouvée en situation illégale et que vous n’auriez pas été en contact avec elle depuis longtemps. Vous n’auriez par le passé pas été en bons termes et vous auriez craint qu’elle aurait pu penser que vous l’auriez dénoncée si vous l’aviez mentionnée aux autorités luxembourgeoises qui viendraient alors la « chercher ». Vous précisez toutefois avoir soupçonné votre fille de se trouver au Luxembourg étant donné que toute sa famille s’y trouverait, à savoir ses deux tantes, « Donc si elle n’est pas au Venezuela, elle devait se trouver ici ou au Portugal » (p. 2 du rapport d’entretien complémentaire) ou encore « Quand elle était partie avec ma mère au Portugal, je me doutais déjà qu’elle n’allait pas rentrer. J’imaginais qu’elle serait ici au Luxembourg (…) » (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire). Il en ressort encore que (F) aurait voyagé au Luxembourg avec votre mère qui aurait vécu chez vous. Vous n’auriez toutefois appris sa présence au Luxembourg qu’après votre arrivée au pays et après avoir parlé à votre mère et votre sœur. Vous précisez encore qu’après les trois mois passés au Luxembourg et après l’expiration de son visa, votre mère aurait demandé à (F) de rentrer au Venezuela et que vous auriez imaginé qu’elle l’aurait effectivement fait. Vous précisez aussi que votre mère aurait convaincu votre fille de se présenter au Ministère pour introduire une demande de protection internationale.

Interrogée sur vos membres de famille qui seraient restés vivre à Caracas, vous mentionnez votre tante, son enfant et encore sept autres cousins et leurs familles respectives. Interrogée quant au sort de vos deux autres enfants vivant pourtant aussi à Caracas, vous déclarez « Je ne sais pas, sincèrement. Ce sont des étudiantes, elles pensent à leurs copains et leurs études.

Elles ne m’ont rien dit de problèmes d’harcèlement » (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire).

Vous présentez un passeport vénézuélien et la copie de votre acte de naissance.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Madame, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit doit être réfutée au vu des contradictions et incohérences en ressortant, des informations à ma disposition et du fait que vous n’êtes pas en mesure de corroborer la moindre partie de votre récit avec des preuves quelconques.

Ainsi, je soulève en premier lieu que vous prétendez avoir vécu depuis « toujours » avec votre mère, voire, votre famille, dans une maison située dans le quartier d’« … » à Caracas, quartier qui serait contrôlé par les « colectivos » qui y feraient la loi. Après le départ de votre mère vers le Luxembourg en décembre 2018, vos prétendus problèmes auraient débuté alors que des membres des « colectivos » vous auraient fait comprendre que vous deviez quitter cette maison parce qu’elle ne vous appartiendrait pas. Or, il y a lieu de relever que si vous avez bien été enregistrée au Venezuela à la paroisse civile de …, dans la municipalité de … du district de la capitale Caracas, dont fait partie le quartier d’…, cette municipalité ne se trouve nullement sous le contrôle des « colectivos ». En effet, en 2017, les autorités avaient décidé de retirer toute police de la région au profit des bandes criminelles et des délinquants y régissant, dans le but d’y créer une « zona de paz » qui serait autogouvernée par ces derniers dans le but d’y rétablir la paix. Si ce plan a échoué alors que les bandes armées n’ont jamais rendu leurs armes et que les violences ont continué, la région d’… continue à être contrôlée par des bandes criminelles, en premier lieu la bande dite « El Coqui » qui y font la loi et qui sont clairement opposés à l’Etat ou à des prétendus « collectivos » agissant au nom de l’Etat. D’ailleurs, encore en 2021, des affrontements y ont eu lieu entre ces dernières et les forces de l’ordre.

4Force est de constater qu’il ne ressort nullement des recherches effectuées que ces bandes de délinquants seraient désormais parties ou auraient été vaincues et que les « colectivos » se seraient installés à leur place. Il est dès lors réfuté que vous ayez, les semaines précédant votre départ, été menacée et surveillée par des membres des « colectivos » qui auraient continuellement rodé autour de votre maison. De même, il est réfuté sur base de ces informations que des membres des « colectivos » auraient, depuis votre départ du Venezuela, occupé la maison de votre mère dans ce quartier pauvre aux mains des bandes armées et qui ne se trouve justement pas sous leur contrôle tel que vous le prétendez, mais bien sous celui de cette « megabanda » dont les leaders sont activement recherchées par les autorités.

Le constat que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire octroyer une protection internationale est ensuite confirmé par votre récit tournant autour des prétendus viols à répétition dont vous auriez été victime. En effet, force est de constater que vous ne mentionnez initialement aucunement un quelconque viol dont vous auriez été victime au Venezuela, alors que vous vous limitez à parler aux pages 5 et 6 de votre rapport d’entretien de menaces que vous auriez reçues et de vos craintes de vous faire séquestrer par des membres des « colectivos » qui vous auraient fait comprendre qu’ils pourraient s’en prendre à vous à tout moment. Ce n’est qu’à la fin de votre entretien et surtout lors de la relecture de votre rapport d’entretien que vous ajoutez à deux reprises, et ce de façon totalement superficielle et fortuite, avoir été abusée sexuellement pendant deux semaines par une multitude d’hommes. Concernant ces prétendus viols, je soulève aussi qu’il ne fait aucun sens que vous soyez volontairement rentrée chez vous tous les jours après le travail, où vous auriez alors été violée à répétition par différents hommes pour lesquels vous auriez en plus dû cuisinier. En effet, vous prétendez que vous auriez pendant ce calvaire de deux semaines continué à travailler normalement, de sorte que vous seriez donc tous les jours sortie de chez vous et que vous auriez par conséquent à tout moment pu vous échapper de vos prétendus agresseurs. Contre toute logique, vous auriez cependant préféré retourner vivre tous les jours chez vos prétendus violeurs. Il n’est dans ce même contexte pas logique que vous prétendez avoir finalement pu quitter la maison après ces deux semaines de calvaire, parce que les « colectivos » auraient été appelés à refouler des manifestants de sorte que vous auriez pu profiter de leur absence pour partir. En effet, étant donné que vous seriez de toute façon sortie tous les jours de votre maison, vous n’auriez manifestement pas dû attendre un prétendu départ de votre maison de membres des « colectivos » pour pouvoir la quitter à votre tour.

Le constat que vous n’avez nullement été victime de tels abus sexuels, abus que vous avez manifestement décidé d’ajouter à votre récit dans le but de le rendre plus dramatique pour ainsi augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale, vaut d’autant plus que vous n’avez pas non plus soufflé mot de ces prétendus viols sur votre fiche de motifs manuscrite. En effet, à l’instar de votre récit initial dans le cadre de votre entretien concernant vos motifs de fuite, vous avez noté sur cette fiche avoir quitté le Venezuela parce que vous craindriez d’y être séquestrée alors que les habitants de votre quartier seraient au courant que vous auriez de la famille en Europe et qu’ils pourraient ainsi recevoir une rançon, parce qu’il serait difficile d’y trouver assez à manger, parce qu’il n’y aurait pas de travail, pas d’électricité et pas d’eau. Les « colectivos » seraient en outre responsable de la distribution des aides alimentaires et en priveraient ceux qui seraient contre le régime. Or, je soulève qu’il n’est manifestement pas logique que vous ayez préféré faire part de tous ces motifs économiques sur votre fiche de motifs manuscrite plutôt que des motifs dramatiques et violents que vous avez par la suite ajoutés à votre récit.

5Il est par ailleurs peu vraisemblable qu’après ces deux semaines de viols à répétition, vous ayez simplement fait vos bagages, donné les clés de votre maison à votre tante et pris l’avion pour venir au Luxembourg. Vous ne faites d’ailleurs pas non plus état d’une quelconque blessure dont vous auriez souffert et vous ne semblez à aucun moment, ni au Venezuela, ni au Luxembourg avoir été intéressée à rechercher une quelconque aide ou à vous faire examiner et soigner par des professionnels, voire, à faire expertiser les viols dont vous auriez été victime. Force est d’ailleurs de constater qu’au Luxembourg, peu de temps après ces prétendus viols à répétition, vous semblez vous porter parfaitement bien, tout en informant sur vos réseaux sociaux vous trouver au Luxembourg. Dans ce contexte, je soulève d’ailleurs aussi qu’une personne réellement persécutée ou qui craint d’être persécutée, tente par tous les moyens de se cacher ou d’éviter d’être retrouvée, tandis que vous avez justement fait le contraire; preuve de plus que vous ne craignez rien.

Je soulève ensuite que vos explications concernant le prétendu déroulement de votre départ du Venezuela ne tiennent pas non plus la route. En effet, si vraiment vous étiez de quelque façon que ce soit recherchée, voire, persécutée par les autorités vénézuéliennes, vous n’auriez manifestement pas simplement pu quitter le pays de manière officielle à bord d’un avion. Ce constat vaut d’autant plus que vous prétendez avoir réussi à passer ce contrôle parce que vous auriez fait croire aux autorités que vous partiriez faire du tourisme et que vous compteriez retourner au Venezuela. De nouveau, si vraiment vous étiez dans le collimateur des autorités et que celles-ci n’avaient pas voulu que vous quittiez le pays, vous n’auriez certainement pas réussi à les convaincre de tout de même vous laisser partir parce que vous auriez en quelque sorte promis de revenir. J’ajoute dans ce contexte que vos précisions quant à ce sujet ne permettent manifestement pas de donner plus de poids à vos dires, bien au contraire, elles démontrent encore davantage que vous faites part d’un récit inventé de toutes pièces. En effet, vous prétendez que les autorités, bien qu’opposées à votre départ, vous auraient finalement laissée partir parce qu’elles en auraient eu « marre » de vous contrôler et parce que la situation aurait été « très bizarre »: « Ils m’ont demandé si j’allais rentrer à la date de retour de mon billet d’avion. Je leur ai dit que oui. Ils ont essayé de me mettre en retard. Ils avaient vérifié ma valise. Ils m’ont renvoyé à la fin de la file pour un nouveau contrôle pour essayer de me faire rater l’avion. A la fin, ils en ont eu marre et ils m’ont laissé passer pour la prochaine vérification. (…) Pour le deuxième contrôle, j’ai dû faire la queue deux fois et pour le troisième contrôle, une fois. Pour eux c’était très bizarre » (p. 6 du rapport d’entretien). Pour être complet au sujet de votre venue au Luxembourg, j’ajoute encore, que le constat s’impose, que depuis qu’un membre de votre famille, en l’occurrence votre mère, s’est vue octroyer une protection internationale par les autorités luxembourgeoises, les autres membres, dont vous et votre fille, auriez décidé de sauter sur l’occasion et de suivre ses pas en venant vous aussi introduire une telle demande, en faisant toutefois état de récits manifestement pas convaincants.

Je constate finalement que vous n’êtes pas non plus en mesure de verser une quelconque preuve à l’appui de vos dires, pour corroborer ne serait-ce qu’une partie infime de vos dires. En effet, bien que vous ayez vécu pendant toute votre vie avec votre famille ou votre mère au « …, … », que vous auriez passé des études universitaires et travaillé pendant des années à Caracas, je constate que vous restez en défaut de fournir des preuves quelconques susceptibles de corroborer vos dires, en commençant par votre lieu de résidence et la maison dans laquelle vous auriez vécu, vos études, votre travail, vos tentatives d’être réintégrée à l’… et le fait de finalement avoir été acceptée en 2018, les problèmes que vous auriez rencontrés au Venezuela, la prétendue occupation de votre maison par les « colectivos ».

6Or, dans la mesure où une multitude de membres de famille vivraient toujours à Caracas, où vous avez certainement aussi eu d’autres connaissances et connu notamment des collègues de travail et d’études, il ne devrait manifestement pas constituer dans votre chef une impossibilité insurmontable de soumettre aux autorités des pièces probantes sur votre vie privée et professionnelle, voire simplement votre vie au quotidien dans votre pays d’origine ainsi que les problèmes rencontrés. Je conclus en tout cas que depuis votre arrivée en Europe, respectivement au Luxembourg, en mars 2019, vous êtes restée totalement inactive dans ce contexte, en ne jugeant à aucun moment opportun d’entreprendre une démarche quelconque qui vous permettraient de corroborer la moindre partie de vos dires.

Un tel comportement fait preuve d’un désintérêt évident par rapport à votre demande de protection internationale et ne fait que confirmer les doutes retenus concernant votre crédibilité, alors qu’on doit pouvoir attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et vraiment à la recherche d’une protection internationale qu’elle entreprenne au moins tout ce qui est dans son pouvoir pour se procurer des preuves de ses dires et mette à disposition des autorités desquelles elle demande cette protection des pièces susceptibles de corroborer ses allégations.

Le constat que votre situation au Venezuela n’est nullement aussi grave que vous avez voulu faire croire aux autorités luxembourgeoises est encore confirmé par le fait que pratiquement toute votre famille serait restée vivre à Caracas. En effet, hormis vos deux enfants que vous avez initialement oubliés de mentionner lorsque l’agent chargé de votre entretien vous a interrogée quant aux membres de famille restés à Caracas, il ressort de vos dires que votre tante et huit cousins avec leurs familles respectives vivraient toujours à Caracas. Quant au sort de vos deux filles restées au Venezuela, vous répondez « Je ne sais pas, sincèrement.

Ce sont des étudiantes, elles pensent à leurs copains et leurs études. Elles ne m’ont rien dit de problèmes d’harcèlement » (p. 3 du rapport d’entretien). A cela s’ajoute que vous précisez encore que votre mère aurait recommandé à votre fille (F), dont vous avez initialement caché l’existence aux autorités luxembourgeoises, de rentrer au Venezuela après l’expiration de son visa.

Partant, au vu du rejet de la sincérité de vos dires, aucune suite positive à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

7L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, au vu des considérations qui précèdent, il ne saurait pas être exclu que des motifs d’ordre économique, matériel ou de convenance personnelle sous-tendent en réalité votre demande de protection internationale, tels que brièvement mentionnés sur votre fiche de motifs manuscrite. De tels motifs ne sauraient cependant pas justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention et de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou à risque d’être persécutée à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.

Je tiens à mentionner que beaucoup de Vénézuéliens, qui ont comme vous quitté le pays au cours de la dernière décennie, ont justement fui cette crise économique et humanitaire qui a touché le Venezuela: « The mass emigration of Venezuelans constitute one of the largest in recent Latin American history. In regards to recent refugee flows, the OAS noted that while the number of Syrians who left their country reached 6.5 million in seven years (2011-2017), the number of Venezuelans who left their country reached 4 million in four years (2015-June 2019). (…) as of 5 June 2020, there were 5 082 170 refugees and migrants reported by host governments, with the actual number likely to be higher as it does not take into account for Venezuelan migrants without a regular status. Among the causes for emigration are the inability to meet basic living standards, the collapse of basic services, criminality, lack of access to health care, hyperinflation, shortages of food and medicines, the deterioration of the education system, lack of access to pre- and post-natal care, insufficient protection mechanisms in cases of domestic violence, and ‘repression’ by the government and security forces ».

L’UNHCR avait déjà retenu en décembre 2018 que: « As of December 2018, more than 3 million Venezuelans have left for other countries in the region and beyond. Reasons cited for leaving included lack of food, medicine or essential social services, as well as incidents of violence and insecurity. Venezuelans continue to leave at an average of 5,000 a day.

Fluctuating oil prices and a drop in production, increased international pressure and sanctions and continued hyperinflation and disparity between the official and unofficial exchange rates will impact negatively on the economy, resulting in increased hardship and poorer living conditions in Venezuela. The deterioration of infrastructure, public services and security may impact UNHCR’s operations in 2019 ».

Dans ce contexte, on peut aussi citer le rapport de « Human Rights Watch » qui a retenu en 2020 au sujet du Venezuela que « The country is bankrupt, and widespread undernourishment has driven people to seek refuge elsewhere, causing the largest exodus in Latin American history. (…) "no independent government institutions remain today in Venezuela to act as a check on executive power…. Severe shortages of medicines, medical supplies, and food leave many Venezuelans unable to feed their familles adequately or access essential healthcare". The COVID-19 pandemic has compounded the suffering. Venezuela was woefully unprepared for the pandemic because years of economic mismanagement exhausted their healthcare infrastructure and medical supply reserves ».

8Je note toutefois que, suite à l’exode massif des années 2010 susmentionné, l’année 2020 s’est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées: « After leading his country’s economy over a cliff President Nicolas Maduro has brought it a certain measure of stability. By allowing dollars to flow freely and private enterprise to flourish in recent months, he seems to have breathed new life into his regime. He remains widely despised but emigration has begun to slow, people are returning and the government is enacting laws to tax dollar transactions and allow companies to issue debt in foreign currencies ».

Ces retours au pays se sont encore multipliés récemment à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d’autres pays sud-américains pour fuir la crise économique dans leur propre pays. Ces retours démontrent en même temps, tel que relevé ci-avant, que les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des persécutions, tout en ne craignent manifestement pas d’y retourner.

Le seule situation sécuritaire générale au Venezuela, respectivement la crise économique et humanitaire dans laquelle se trouverait le pays, ne saurait en tout cas pas non plus suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et ce la Loi de 2015.

Il en est de même de vos prétendues craintes, à les supposer réelles, de vous faire séquestrer pour une rançon, « torturer et violer », voire, tuer, parce qu’il serait connu chez vous que vous auriez des membres de famille habitant en Europe. En effet, ces prétendues craintes ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention de Genève et la Loi de 2015, alors que vous ne craindriez nullement d’être séquestrée à cause de l’un des cinq critères susmentionnés, mais bien parce que vous auriez des membres de famille en Europe, ce qui vous rendrait une cible intéressante au niveau de la rançon payée. A cela s’ajoute que ces craintes, à les supposer réelles, doivent être définies comme étant totalement hypothétiques et ne traduisant manifestement pas une crainte fondée de persécution au sens des textes précités.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

9L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Outre les conclusions quant aux doutes relatifs à la crédibilité de vos déclarations et des motifs économiques et de convenance personnelle qui fondent votre demande de protection internationale, il y a encore lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.

En effet, dans la mesure où aucune crédibilité n’est accordée à vos déclarations quant aux prétendus craintes de vous trouver dans le collimateur des autorités vénézuéliennes, respectivement, quant à vos prétendus problèmes avec les « colectivos », vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Venezuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Comme susmentionné, vos prétendues craintes d’être séquestrée parce que vous auriez de la famille en Europe, voire, d’être « torturée et violée », doivent dans ce contexte être définies comme étant totalement hypothétiques.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2022, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 décembre 2021 rejetant sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par un jugement du 20 mars 2023, le tribunal administratif reçut en la forme le recours en réformation en ses deux branches, au fond, le dit non justifié et en débouta, tout en condamnant la demanderesse aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2023, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle soutient avoir subi des persécutions dans son pays d’origine et qu’elle aurait relaté les raisons l’ayant poussée à quitter son pays d'origine lors des entretiens auprès du ministère, lesquels auraient fait l’objet d’un rapport, tout comme elle aurait exposé de manière précise les raisons pour lesquelles elle ne pourrait pas retourner dans son pays d'origine.

10 En droit, l’appelante soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont estimé que son récit n’était pas crédible et sollicite le bénéfice du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne les abus sexuels subis, elle reproche au ministre, à travers la remarque qu’elle aurait pu échapper à ses agresseurs en se rendant au travail au lieu de rentrer chez elle, de l’avoir tenue pour responsable des viols qu’elle aurait subis. Elle dénonce ainsi le comportement insensible de l’agent ministériel, qu’elle qualifie de violence verbale, et se prévaut de l’article 5 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) qui prévoirait que les parties s’abstiennent de commettre tout acte de violence à l’égard des femmes et s’assurent que notamment les fonctionnaires se comportent conformément à cette obligation.

Ce serait dès lors à tort que les premiers juges ont conclu que l’absence d’explication de sa part face à cette remarque de l’agent ministériel serait de nature à ébranler la crédibilité de son récit en lien avec les « colectivos ».

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le 11demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il convient d’ajouter que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge administratif doit fondamentalement procéder à une évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais il se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement dans la mesure où des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant rappelé, la Cour constate que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de l’appelante pour différents motifs tenant principalement à l’absence de crédibilité des faits invoqués et du bien-fondé des craintes alléguées à l’égard des autorités vénézuéliennes et des « colectivos », estimant qu’il ne pouvait pas être exclu que des motifs d’ordre économique ou de convenance personnelle sous-tendaient la demande de protection internationale.

Concernant tout d’abord la question de la crédibilité du récit de l’appelante, la Cour rejoint et fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à confirmer le constat du ministre selon lequel la crédibilité du récit de l’appelante était réfutée en raison des contradictions et incohérences affectant ses déclarations.

En effet, en ce qui concerne le prétendu vécu avec les « colectivos », il convient de relever que l’appelante a changé au cours des auditions successives de version à cet égard. Si, au départ, elle a mis en avant des craintes d’être séquestrée et rackettée par les habitants de son quartier, lesquels auraient été au courant du fait qu’elle aurait de la famille en Europe, elle a ensuite affirmé que des « colectivos » l’auraient menacée, surveillée et qu’ils auraient continuellement rôdé autour de chez elle pendant les deux semaines précédant sa fuite car ils auraient soupçonné sa mère d’être en Europe et qu’ils auraient été convaincus qu’elle ne soutiendrait pas le gouvernement en place, avant de rajouter lors de la relecture de son entretien qu’elle aurait été victime de viols de la part de différents « colectivos » pendant ces mêmes deux semaines pour la punir de ne pas avoir divulgué le fait que sa mère serait en Europe.

Or, la Cour est amenée à relever que le récit ainsi mis en avant par l’appelante est incohérent, peu plausible et même invraisemblable, pour les raisons plus amplement détaillées par le ministre dans sa décision que la Cour fait siennes.

En ce qui concerne les prétendus abus sexuels que l’appelante aurait subis aux mains des « colectivos », la Cour partage la conclusion des premiers juges que le récit afférent de l’appelante laisse de convaincre de la réalité des faits allégués, dès lors que non seulement l’appelante n’en a fait état que lors de la relecture du rapport d’audition, ce qui n’est en soi pas critiquable, mais qu’elle a évoqué ces viols de manière vague et sommaire.

12 En outre, il convient de relever que l’appelante n’apporte en appel aucune explication ou justification satisfaisante de nature à énerver les reproches du ministre et des premiers juges quant aux incohérences et contradictions ainsi relevées, mais se borne en substance à solliciter le bénéfice du doute et à reprocher à l’agent du ministère d’avoir eu un comportement critiquable à son égard en ce qui concerne la remarque qu’elle aurait pu échapper à ses agresseurs en se rendant au travail au lieu de rentrer chez elle.

La Cour ne saurait toutefois déceler dans l’attitude de l’agent du ministère aucune violence verbale ou intention de dénigrer les abus sexuels prétendument subis par l’appelante, l’agent ayant, par sa remarque, simplement relevé qu’il n’était pas plausible que l’appelante rentrait à la maison où l’attendaient des « colectivos » qui abusaient d’elle pendant les deux dernières semaines avant son départ, alors qu’ils l’auraient laissée aller au travail chaque jour et qu’elle aurait donc eu l’occasion de s’échapper.

Quant au bénéfice du doute sollicité par l’appelante, la Cour rappelle qu’en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, « lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres », le bénéfice du doute est accordé, « lorsque les conditions suivantes sont remplies:

a) le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande;

b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants;

c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande;

d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait; et e) la crédibilité générale du demandeur a pu être établie.

En l’espèce, les conditions énoncées sous les points a), b), c), et e) ne sont pas remplies, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’octroyer à l’appelante le bénéfice du doute.

Il convient encore de relever le manque de sincérité de l’appelante en ce qui concerne sa situation familiale, celle-ci ayant omis de mentionner aux autorités luxembourgeoises le fait qu’une de ses filles habitait au Luxembourg, l’appelante n’ayant indiqué que sa mère et sa sœur vivant au Luxembourg.

Quant à la crainte alléguée par l’appelante liée au fait de devoir retourner au Venezuela en tant que demanderesse de protection internationale déboutée, la Cour rejoint encore les premiers juges en leur conclusion qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation que tout demandeur de protection internationale débouté retournant au Venezuela serait considéré comme un opposant au régime en place et qu’il risquerait, de ce fait, d’y subir des persécutions.

Ainsi, au vu de ces considérations, la Cour est amenée à conclure que le ministre a valablement pu remettre en question la crédibilité du récit de l’appelante dans sa globalité et, en conséquence, pu retenir l’absence de raisons sérieuses de croire qu’elle encourrait ou encourt, en cas de retour dans son pays d’origine, une crainte fondée de persécution ou un risque réel de subir des atteintes graves, mais que sa motivation de quitter le Venezuela, fût-

13elle explicable, a essentiellement été d’ordre économique, ne justifiant en tant que telle pas une mesure de protection internationale.

C’est partant à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelante le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 20 mars 2023, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président, en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juin 2023 Le greffier de la Cour administrative 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46956
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-06-15;46956 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award