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13/06/2023 | LUXEMBOURG | N°47497C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 13 juin 2023, 47497C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47497C ECLI:LU:CADM:2023:47497 Inscrit le 1er juin 2022

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Audience publique du 13 juin 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2022 (n° 43825 du rôle) dans un litige l’opposant aux sociétés à responsabilité limitée (A) SARL et (B) SARL, Luxembourg, en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt com

mercial communal

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47497C ECLI:LU:CADM:2023:47497 Inscrit le 1er juin 2022

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Audience publique du 13 juin 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2022 (n° 43825 du rôle) dans un litige l’opposant aux sociétés à responsabilité limitée (A) SARL et (B) SARL, Luxembourg, en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47497C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 1er juin 2022 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG pour compte de l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, sur base d’un mandat afférent lui conféré par le ministre des Finances le 20 mai 2022, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 26 avril 2022 (n° 43825 du rôle), par lequel ledit tribunal a reçu en la forme et déclaré justifié le recours principal en réformation introduit au nom de :

1) la société à responsabilité limitée (A) SARL, ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant unique, et se subrogeant dans les droits de la société à responsabilité limitée (B) SARL ayant eu son siège social à L-… …, …, …, et ayant été inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, suite à une opération de fusion-absorption, et 2) « pour autant que de besoin », la société à responsabilité limitée absorbée (B) SARL, préqualifiée, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 21 août 2019, répertoriée sous le numéro …., dit, par réformation de ladite décision directoriale, que c’est à tort que le directeur a refusé la déduction, en tant que dépense d’exploitation au sens de l’article 45, paragraphe (1), LIR, du report de perte déclaré par la société (B) SARL dans sa déclaration d’impôts de l’année 2014, renvoyé la dossier au directeur en prosécution de cause, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation pour le surplus et rejeté la demande en allocation d’une indemnité de procédure introduite par les demanderesses tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens ;

Vu le mémoire en réponse déposé par la société à responsabilité limitée CLEMENT KONRAD & PARTNERS SARL, établie et ayant son siège social à L-2519 Luxembourg, 1, rue Schiller, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, représentée par Maître Christophe CLEMENT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au greffe de la Cour administrative le 1er juillet 2022 au nom et pour compte des sociétés (A) SARL et (B) SARL ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG au greffe de la Cour administrative le 29 septembre 2022 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par la société à responsabilité limitée CLEMENT KONRAD & PARTNERS SARL, représentée par Maître Christophe CLEMENT, au greffe de la Cour administrative le 28 octobre 2022 au nom et pour compte des sociétés (A) SARL et (B) SARL ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 novembre 2022.

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En date du 19 septembre 2018, le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition », émit les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2014 concernant la société à responsabilité limitée (B) SARL, société entretemps absorbée et désignée ci-après par la « société (B) », à l’égard de la société à responsabilité limitée (A) SARL, ci-après la « société (A) », ayant absorbé la société (B) par fusion-

absorption du 14 décembre 2017.

Par courrier du 18 décembre 2018, la société (B) adressa au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », une réclamation à l’encontre des prédits bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal.

En date du 21 août 2019, le directeur prit la décision qui suit :

« (…) Vu la requête introduite le 18 décembre 2018 par le sieur (K), au nom de la société à responsabilité limitée absorbée (B), L-… …, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2014, émis le 19 septembre 2018 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Vu l’article 4 de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues ;

Considérant que la réclamation pèche par l’emploi d’une langue non officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir soumis un revenu de ….. euros à l’impôt ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens des réclamants, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que la réclamante fait valoir que « According to the 2013 tax assessment of the Company dated 24 May 2018, an amount of EUR ….. should be considered as non-

deductible for Luxembourg tax purposes due to the fact that it is deemed to be connected to holding of real estate assets by the Company in Germany. We understand that the aforementioned amount is mainly composed by the value adjustment on the cash pooling activity and by other tax adjustments. As result, a tax loss amounting to EUR (…..) has been assessed for the year 2013 » ; et « As from 2011 the Company has booked in the profit and loss accounts value adjustments on the nominal and accrued interest amounts under the ICM Agreement and respective receivables. This has been justified by the financial situation of the (F) according to the Note 4.1. of the annual accounts for the financial year 2013 the nominal accounts of the intragroup ICM cash pooling loans and accrued interests were neither fully nor partially recoverable in the future. However, in 2014 the Company has booked income form recovery of previous written offs connected to the group cash pooling activity of EUR ….. » ;

Considérant qu’en établissant les bases d’imposition de l’année 2014, le bureau d’imposition a déduit un montant de ….. euros en tant que perte reportable de l’année 2013 ;

que la réclamante avait cependant déclaré une perte reportable d’un montant de ….. euros se rapportant à l’année 2013 ;

Considérant qu’en vertu de ses statuts de constitution, la réclamante a pour objet la prise de participation, sous quelque forme que ce soit, dans des sociétés luxembourgeoises et étrangères, l’acquisition par l’achat, la souscription ou de toute autre manière, ainsi que le transfert par vente, échange ou autre, d’actions, d’obligations, de reconnaissance de dettes, notes ou autres titres de quelque forme que ce soit, et la propriété, l’administration, le développement et la gestion de son portefeuille ; qu’elle peut en outre procéder à l’acquisition, le développement, la promotion, la vente, la gestion et la location de biens immobiliers au Grand-Duché de Luxembourg ou à l’étranger, ainsi que toutes opérations immobilières ;

Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que la réclamante a détenu un ou plusieurs immeubles situés en Allemagne ;

Considérant qu’il ressort encore du dossier fiscal que la réclamante a conclu une convention de trésorerie (ci-après : ICM) avec la société à responsabilité limitée (L) consistant à faciliter le maniement des fonds au sein du groupe d’entreprises auquel appartiennent les sociétés précitées ; que la société à responsabilité limitée (L) redistribue les fonds qu’elle a reçus de la réclamante aux autres sociétés du groupe afin de financer et d’entretenir les immeubles situés en Allemagne ;

Considérant qu’une demande de décision anticipée a été approuvée par le bureau d’imposition Sociétés 6 en date du 10 septembre 2009 ; que ladite demande avait comme objet, entre autres, le traitement fiscal des recettes et des dépenses en relation avec l’ICM ; que le point « 2.1.1. Real estate activity - Interest income under the ICM Agreement » retient notamment ce qui suit:

« Based on the economic rationale of the transaction and the bundle of features and acts (a.o. the cash pooled in (L) for being put at the group disposal represents less than 10% of the total real estate value owned by the group in 2007 and in 2008), the cash pooling mechanism is considered as a mere accessory to the real estate activity of the group and follows the same tax treatment at the level of the (M) [dont la réclamante] and (L) S. à r.l. In this respect, interest income received by the (M) (under the ICM Agreement) are deemed to be derived from the immovable properties. Any income (including interest income received under the ICM Agreement) deriving from the immovable properties are tax exempt for CIT and MBT purposes in Luxembourg pursuant to Article 4 of the Lux-Ger DTT. » ;

que le point « 2.1.2. Real estate activity - Interest charges under the ICM Agreement » stipule ce qui suit :

« Pursuant to Article 45 (2) LITL, any charges in direct economic connection with an exempt asset (including interest charges incurred by the (M) and (L) under the ICM Agreement) are not deductible from the taxable basis of the (M). » ; que par suite logique, toutes les charges en relation avec l’ICM ne sont partant pas à considérer comme déductibles ;

Considérant que la réclamante fait valoir que « As from 2011 the Company has booked in the profit and loss accounts value adjustments on the nominal and accrued interest amounts under the ICM Agreement and respective receivables. This has been justified by the financial situation of the (F) according to the Note 4.1. of the annual accounts for the financial year 2013 the nominal amounts of the intragroup ICM cash pooling bans and accrued interests were neither fully nor partially recoverable in the future. However, in 2014 the Company has booked income from recovery of previous written offs connected to the group cash pooling activity of EUR …… As stated above, based on the 2013 tax assessments of the Company dated 24 May 2018, we understand that the described value adjustments under the ICM agreement were entirely allocated to Germany, base on the application of the double tax treaty in force between Luxembourg and Germany. We are of the opinion that any income and expenses in connection with the ICM agreement should be allocated to Luxembourg given that there is no direct connection with the real estate assets located in Germany. In fact, based on the information provided to us, the Company is only subject to limited tax liability in Germany with regards to the so-called « German source income » » ;

Considérant que selon les termes choisis, il y a dorénavant lieu de comprendre que les recettes et dépenses découlant de l’ICM seraient, contrairement à ce que la réclamante a affirmé dans la demande de décision anticipée du 10 septembre 2009, à inclure dans la base imposable au Luxembourg ; que ladite demande du 10 septembre 2009 expose sans équivoque que les intérêts perçus en vertu de l’ICM respectivement que les charges afférentes à l’ICM sont réputés être en relation avec les biens immobiliers situés en Allemagne ;

Considérant que le report de pertes est régi par les dispositions de l’article 114 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) et range par conséquent parmi les dépenses spéciales ;

qu’en matière d’impôt commercial communal, la déduction de telles pertes du bénéfice de l’exercice est permise dans les conditions du § 9bis Gewerbesteuergesetz (GewStG) ;

Considérant en outre que si un bulletin ayant fixé une cote d’impôt égale à zéro avait reconnu une perte dans le chef du contribuable, la réclamation n’aurait pas été admise contre tel bulletin, mais seulement contre un bulletin futur opérant report de la perte déterminée par reconstitution des bénéfices et des pertes depuis la dernière imposition à cote positive de la période éligible pour le report de pertes et fixant pour la première fois une cote d’impôt supérieure à zéro (TA du 4 février 1998, n° 9850 du rôle) ;

Considérant que dans le cas d’un report de pertes divergeant de celui sollicité par le contribuable à travers sa déclaration fiscale, il échet notamment de reconstituer l’origine du report de pertes à octroyer au titre de l’année d’imposition litigieuse ;

qu’il s’impose dès lors de procéder en l’espèce à une reconstitution des résultats fiscaux des années antérieures afin d’être en mesure de déterminer le report de pertes susceptible d’influer sur le bénéfice réalisé en 2014 ;

Considérant qu’il y a lieu de relever d’abord que la réclamante est restée en défaut de produire des déclarations fiscales pour les années 2011 et 2012 ; que par la suite les bases d’imposition ont dû être établies par voie de taxation en vertu du § 217 AO ; que les bulletins d’impôt des années en question ont été émis en date du 9 mars 2016 et en date du 8 février 2017 ; que les bulletins d’impôts relatifs aux années 2011 et 2012 n’ont pas fait l’objet d’une contestation quelconque et sont coulés en force de chose jugée ;

Considérant qu’en ce qui concerne le montant de la perte reportable de l’année 2013 mise en compte par le bureau d’imposition, il y a lieu d’analyser la détermination du résultat imposable au Luxembourg de l’année d’imposition 2013 ;

Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que le résultat de l’année 2013 de la réclamante a été déterminé, abstraction faite des recettes et dépenses relatives aux immeubles situés en Allemagne, comme suit :

Mondial Allemagne Luxembourg Revenus :

838.137,00 196.271,00 641.866,00 Dépenses :

-10.531.942,00 -943.056,00 -9.588.886,00 Résultat déclaré :

-9.693.805,00 -746.785,00 -8.947.020,00 Impôts non déductibles 4.317,00 Redressement bureau -8.753.436,00 +8.753.436,00 d’imposition (ICCM Cash Pooling) Résultat -9.693.805,00 -9.500.221,00 -189.267,00 Considérant que par sa requête introductive, la requérante entend faire valoir une réattribution nouvelle du résultat de l’année 2013, i.e. un revenu imposable au Luxembourg de -…… euros qui se décompose comme suit :

Revenus :

….

Dépenses :

- ….

Impôts non déductibles :

….

Résultat imposable : - ….

Considérant que la réclamante est restée en défaut de fournir des explications par rapport aux montants initialement déclarés ;

Considérant qu’aux termes de l’article 4, alinéa 1er de l’ancienne Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne contre les doubles impositions « Bezieht eine Person mit Wohnsitz in einem der Vertragstaaten Einkünfte aus unbeweglichem Vermögen (einschlieβlich des Zubehörs), das in dem anderen Staate liegt, so hat der andere Staat das Besteuerungsrecht für diese Einkünfte. » ; que le droit d’imposition des revenus visés à l’article susmentionné revient au pays dans lequel sont situés les biens immobiliers, en l’espèce, à l’Allemagne ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 45, alinéa 2 L.I.R. ne sont pas déductibles les dépenses d’exploitation qui sont en connexion économique avec des revenus exonérés ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la correction de valeur se rapportant à l’ICM n’est pas déductible en tant que dépense d’exploitation ;

Considérant que les pertes dégagées par des opérations de « cash pooling », telles que décrites dans la demande de décision anticipée susmentionnée, ne sont pas susceptibles d’influencer directement le résultat indigène de la réclamante ;

que c’est donc à juste titre que le bureau d’imposition ne les a pas prises en compte ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 novembre 2019, inscrite sous le numéro 43825 du rôle, les sociétés (A) et (B) firent introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 21 août 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 août 2020, inscrite sous le numéro 44854 du rôle, elles firent encore introduire une requête tendant à voir ordonner par le président du tribunal administratif ou par le juge qui le remplace, le sursis à exécution par rapport à la décision précitée, requête qui fut déclarée non fondée par ordonnance du 28 août 2020.

Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme et, au fond, le déclara justifié. Il réforma la décision du directeur du 21 août 2019, répertoriée sous le numéro …, au motif que c’est à tort que le directeur avait refusé la déduction, en tant que dépense d’exploitation au sens de l’article 45, paragraphe (1), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR », du report de perte déclaré par la société (B) dans sa déclaration d’impôt de l’année 2014, renvoya le dossier au directeur en prosécution de cause, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation pour le surplus et rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure introduite par les demanderesses, tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 1er juin 2022, l’Etat a interjeté appel contre le jugement précité.

Quant à la forme Sur la recevabilité du mémoire en réplique Les sociétés intimées relèvent que la date du mémoire en réponse indiquée par l’Etat dans son mémoire en réplique ne serait pas exacte. Selon elles, la partie étatique aurait fait référence à un mémoire en réponse déposé au greffe en date du 1er juillet 2021 alors qu’en réalité ce mémoire aurait été déposé par les sociétés intimées le 1er juillet 2022. Dans la mesure où cette erreur matérielle serait de nature à induire en erreur quant à la chronologie des actes déposés et porterait substantiellement atteinte aux droits de la défense, les sociétés intimées disent s’en remettre à la sagesse de la Cour quant à la recevabilité du mémoire en réplique de l’Etat.

Analyse de la Cour Il convient de rappeler que les règles de procédure qui encadrent la recevabilité des actes devant les juridictions administratives ont pour objet la préservation des droits de la défense afin que, notamment devant la Cour, la partie intimée soit en mesure de faire valoir ses droits dans des conditions propices à l’organisation de sa défense.

Or, dans le cas d’espèce, la demande en irrecevabilité formulée par les sociétés intimées peut être légitimement remise en cause au regard de la nature de la méprise relevée comme ayant substantiellement affecté leurs droits de la défense.

En effet, il n’est pas retraçable aux yeux de la Cour en quoi l’existence d’une erreur matérielle portant sur l’année de dépôt du mémoire en réponse des parties intimées, telle qu’elle figure dans le mémoire en réplique déposé par l’Etat, serait de nature à porter une atteinte substantielle aux droits de la défense des sociétés intimées.

Bien au contraire, si les sociétés intimées ont pu relever l’existence de cette erreur malencontreuse et procéder au rétablissement de la véritable date du dépôt concerné dans leurs écrits, c’est bien là la preuve qu’elles n’ont pas pu être induites en erreur dans la chronologie des actes déposés devant la Cour.

Il s’ensuit que ce moyen est à rejeter et que le mémoire en réplique étatique n’est pas à écarter des débats.

Sur la recevabilité de l’appel Arguments des parties A titre liminaire, les sociétés (A) et (B) demandent à la Cour le rejet de l’appel en ce que la demande formulée par l’Etat pour la réformation du jugement entrepris ne permettrait pas d’identifier sur quels arguments et sur quelle base légale les premiers juges n’auraient pas fait une juste et exacte application de la loi sur la question de la déduction du report de pertes litigieux.

La partie étatique conteste l’irrecevabilité de l’acte d’appel telle qu’elle est soulevée par les sociétés intimées. Selon elle, le jugement entrepris causerait tort et grief à l’Etat en ce qu’il n’a pas fait droit à ses moyens, menant ainsi à la réformation de la décision directoriale du 21 août 2019. En outre, la requête d’appel mentionnerait bien les moyens invoqués pour contester la décision des premiers juges.

Analyse de la Cour La Cour note que par leur moyen, les sociétés intimées entendent soulever l’exception de libellé obscur pour faire échec à la recevabilité de la requête d’appel.

En effet, l'exceptio obscuri libelli, qui est d'application en matière de contentieux administratif, sanctionne de nullité l'acte contrevenant aux prescriptions de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », dont le but est de permettre au défendeur de savoir quelle est la décision critiquée et quels sont les moyens à la base de la demande afin de lui permettre d'organiser utilement sa défense. En l'absence de grief effectif porté aux droits de la défense de la partie intimée, le moyen d'irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter.

Il se dégage de la requête d’appel déposée par l’Etat que le jugement entrepris lui cause tort et grief dans la mesure où il n’a pas fait droit à ses moyens au point d’avoir conclu à la réformation de la décision directoriale du 21 août 2019 par laquelle le directeur avait confirmé la légalité des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2014 émis à l’égard de la société (B) le 19 septembre 2018.

La partie étatique y indique son désaccord par rapport à l’analyse des premiers juges et explique ensuite l’origine de cette différence de vues en précisant notamment les motifs pour lesquels l’Etat rejette la déductibilité de la correction de valeur litigieuse tout en fournissant une explication quant aux motifs justifiant, selon elle, l’imposition, au Luxembourg, de la reprise partielle de la correction de cette même valeur.

Il résulte également de la requête d’appel que l’Etat appuie ses développements en se fondant sur les dispositions de la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d’Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir les règles d’assistance administrative réciproques en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et en matière d’impôt commercial et d’impôt foncier, ainsi que du Protocole final et l’échange de notes relatifs à cette convention, signés à Luxembourg le 23 août 1958, tels que modifiés, et applicable jusqu’au 31 décembre 2013, ci-après désignés par « l’ancienne Convention fiscale », et plus particulièrement sur son article 4, dont l’objet est de déterminer l’Etat contractant en droit d’imposer les revenus immobiliers et leurs accessoires perçus par des personnes relevant du champ d’application de ladite Convention fiscale.

Eu égard à ce qui précède, les sociétés intimées ne peuvent raisonnablement invoquer l’irrecevabilité de la requête d’appel alors qu’elle contient les moyens et les bases légales suffisants pour décrire la position de la partie appelante.

Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par le fait que les sociétés (A) et (B) ont pu prendre position en réponse aux moyens soulevés par la partie étatique dans sa requête d’appel démontrant, à cette occasion, qu’elles ont pu utilement organiser leur défense sans qu’un quelconque grief ne soit à relever en l’espèce.

Partant, ce moyen d’irrecevabilité est à rejeter.

L’appel ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond Arguments des parties Selon la partie étatique, l’analyse des premiers juges serait incorrecte et devrait être réformée en ce qu’il a été retenu, à tort, que le report de perte déclaré par la société (B), en 2013, est déductible de l’impôt sur le revenu de l’année 2014 en tant que dépenses d’exploitation au sens de l’article 45, paragraphe (1), LIR. Le délégué du gouvernement souligne que dans la mesure où le dernier immeuble de la société a été vendu en janvier 2013, il ne pourrait plus être considéré que la société (B) avait encore besoin de financement dès lors qu’elle ne détenait plus aucun immeuble au Luxembourg. Or, étant donné que la correction de valeur serait en lien avec l’activité immobilière, la charge que constitue la correction de valeur devrait être exclusivement allouée à la République fédérale d’Allemagne, pays où se situait ledit immeuble et où les revenus immobiliers ont été imposés conformément à la Convention fiscale applicable entre le Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne. L’Etat insiste sur le fait qu’en application de l’article 45, paragraphe (2), LIR, les dépenses d’exploitation ne peuvent être déduites dès lors qu’elles sont en lien économique avec des revenus exonérés, ce qui serait ici le cas de ladite correction de valeur. En outre, les pertes dégagées par les opérations de « cash pooling », telles que décrites dans la décision anticipée obtenue en 2009 par le groupe de sociétés auquel appartenait la société (B), ne seraient pas susceptibles d’influencer directement le résultat indigène de la société (B). Ce serait partant à bon droit que le bureau d’imposition les a ignorées pour les besoins de l’imposition de la société (B).

La partie étatique fait également valoir que la décision fiscale anticipée et la convention intra-groupe de gestion de trésorerie ne seraient plus applicables à la suite de la vente, par la société (B), de l’immeuble et de la cessation de ses activités en République fédérale d’Allemagne, de sorte que la reprise de correction de valeur sur la créance litigieuse ne pourrait plus être attribuée au résultat en République fédérale d’Allemagne et devrait partant être imposable au Luxembourg faute pour la République fédérale d’Allemagne de disposer d’un droit d’imposition du fait de la vente de l’immeuble y situé. A suivre le raisonnement des premiers juges, le délégué du gouvernement soutient que la reprise de la correction de valeur ne serait en définitive taxée ni au Luxembourg ni en République fédérale d’Allemagne.

Enfin, il précise qu’il conviendrait de qualifier tout report de perte de dépense spéciale et non de dépense d’exploitation tel que cela résulterait erronément de la décision des premiers juges.

Les sociétés intimées demandent la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Elles rappellent que la société (B) ayant cédé son dernier bien immobilier, situé en République fédérale d’Allemagne, en janvier 2013, la relation causale des prêts sous le contrat de gestion de trésorerie avec la détention dudit bien aurait cessé d’exister permettant ainsi une « intégration de l’imposition au Luxembourg » soit la déduction, au Luxembourg, de la correction de valeur liée audit contrat, pour un montant de ….. euros au titre de l’année 2013, et l’imposition, au Luxembourg, de la reprise de la correction de valeur sur le même contrat, au titre de l’année 2014, pour un montant de ….. euros. S’appuyant sur un arrêt de la Cour administrative du 13 décembre 2011 (n° 28871C), les sociétés intimées soutiennent que le gain réalisé en 2014 sur le contrat de gestion serait à imposer au Luxembourg tandis que les pertes issues de ce même contrat seraient déductibles aux termes de l’article 45, paragraphe (1), LIR pour l’année 2013, en tant que dépenses d’exploitation, et en tant que dépense spéciale à compter de 2014. Selon elles, adopter une décision contraire reviendrait à aboutir à une situation de double imposition les concernant puisqu’elles ne seraient pas admises à déduire la correction de valeur opérée en 2013 tandis que la reprise de valeur enregistrée pour l’année 2014 serait, quant à elle, imposable au Luxembourg. Les sociétés intimées estiment qu’en ayant procédé de la sorte, le directeur a violé les §§ 243 et 244 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », en ce qu’il aurait uniquement instruit la réclamation introduite à leur charge.

En outre, les sociétés intimées font valoir que la demande d’imposition de la reprise de correction de valeur au Luxembourg, telle qu’elle est formulée par la partie étatique dans sa requête d’appel, devrait être considérée comme irrecevable, voire sans objet eu égard à l’admission de l’imposition de cette reprise de correction de valeur par le jugement entrepris.

Enfin, les sociétés (A) et (B) relèvent que le bureau d’imposition ne se serait pas conformé à une décision anticipée du 10 septembre 2009 dans la mesure où cette dernière aurait admis un parallélisme entre la non-déductibilité des charges et le fait de ne pas inclure les revenus afférents à ces mêmes charges dans la base imposable du contribuable. En ayant admis la non-déductibilité des charges de correction de valeur, d’une part, et l’imposition de la reprise de valeur, d’autre part, le bureau d’imposition serait allé à l’encontre de la décision anticipée et aurait ainsi bafoué la confiance légitime à laquelle pouvait s’attendre le contribuable.

Analyse de la Cour Sur la portée de l’appel A titre liminaire, la Cour observe que les sociétés intimées entendent délimiter la portée de l’appel du 1er juin 2022 à la seule question de la déductibilité de la correction de valeur opérée en 2013 par la société (B).

La Cour ne peut suivre les sociétés intimées dans leur raisonnement.

En effet, dans sa requête d’appel, l’Etat demande la réformation du jugement entrepris en ce qu’il lui causerait tort et grief et conteste, plus particulièrement, l’analyse du tribunal en ce qu’elle aboutirait à ce que « la reprise [de correction de valeur] ne serait en définitive taxée ni au Luxembourg, ni en Allemagne, ce qui ne [serait] pas acceptable ».

Or, dans la mesure où les parties sont en désaccord sur l’existence d’une perte reportable au titre de l’exercice 2013 et sur l’incidence de cette perte sur l’imposition de la reprise partielle de la correction de valeur, il y a lieu de retenir que la partie étatique a entendu soumettre au contrôle de la Cour aussi bien la question de la déductibilité de la correction de valeur en 2013 que le principe même de l’assujettissement de la reprise partielle de la correction de correction de valeur à l’impôt au titre de l’année 2014.

En outre, les questions de la déductibilité de la correction de valeur opérée en 2013 et de l’imposabilité de la reprise partielle de cette même correction en raison du paiement partiel en 2014 ne constituent que deux aspects fiscaux qui découlent de la nature intrinsèque de la créance en cause de la société (B) à l’égard de la société (L). Le respect du principe de cohérence et de la systémique globale des impositions litigieuses exige que la Cour statue sur le traitement fiscal aussi bien de la créance et de la correction de valeur y relative comptabilisées en 2013 que du revenu découlant de la reprise partielle de cette correction de valeur intervenue en 2014.

Ce moyen est partant à rejeter.

Sur le traitement fiscal des créances comptabilisées par la société (B) Il est constant en cause que la société (B) a appartenu à une structure sociétaire d’investissement immobilier dénommée (N) ci-après « (N) », avant d’être absorbée par la société (A) suivant le constat de réalisation de fusion du 14 décembre 2017 dressé devant notaire.

Détentrice d’un bien immobilier en République fédérale d’Allemagne, la société (B) était également signataire d’une convention intra-groupe de gestion de trésorerie, désignée par le sigle ICM pour Intercompany Cash Management agreement, la liant à la société de financement du groupe, la société (L).

Parmi les arrangements financiers formalisés par ladite convention, il a été convenu que la société (B) devait mettre à la disposition de la société (L), sous la forme de prêts, les revenus immobiliers tirés de l’exploitation de son bien immobilier situé en République fédérale d’Allemagne.

La Cour constate que les parties sont en désaccord quant au traitement fiscal qu’il convient de réserver à la comptabilisation de la correction de valeur constatant le caractère irrécouvrable, au 31 décembre 2013, de la créance dont a été titulaire la société (B) à l’égard de la société (L).

Les parties s’opposent également sur le traitement fiscal devant trouver application au remboursement partiel de cette créance intervenu, de manière inattendue, l’année suivante, en 2014.

La Cour se doit de rappeler que dans l’analyse des arguments soulevés par les parties, elle n’est pas tenue de suivre la suite des moyens invoqués par ces dernières, mais qu’elle est amenée à traiter les moyens d’appel dans la suite que la logique juridique et la bonne administration de la justice imposent comme étant la plus adéquate.

Quant à la déductibilité de la correction de valeur Il est constant en cause que la correction de valeur pour cause de créance irrécouvrable s’est élevée, au 31 décembre 2013, à la somme de ….. euros et qu’elle provient exclusivement de la créance dont a été titulaire la société (B) à l’égard de la société (L) à la suite de divers prêts lui consentis en exécution de la convention intra-groupe de gestion de trésorerie.

La Cour relève que cette correction de valeur a été effectuée après que la direction de la société (B) a décidé que le montant des prêts accordés à la société (L), y compris les intérêts y afférents, était définitivement irrécouvrable par la société (B) à compter du 31 décembre 2013.

Selon les notes figurant au sein des comptes financiers de la société (B) pour l’année 2013, le caractère irrécouvrable de ladite créance aurait résulté de la situation financière du groupe. En effet, ladite mention, insérée au point 4.1, des états financiers de la société (B), au 31 décembre 2013, se lit comme suit :

“The Management of the Company are of the opinion that due to the financial situation within the Group the nominal amounts of the intragroup ICCM cash pooling loans and the accrued interests thereon are neither fully nor partially recoverable in the future, so the nominal and accrued interest amounts owed to the Company by the affiliated undertaking stay fully impaired as at December 31, 2013 with the aggregate carrying value of …. EUR in total”.

La Cour relève encore que le bien-fondé de cette correction de valeur n’a pas été remis en cause par le directeur et que le litige entre les parties est circonscrit à la seule question de la déductibilité de cette correction de valeur, au Luxembourg, au titre de l’année 2013 et plus loin, à son imposition, également au Luxembourg, en raison du remboursement partiel, inattendu, de cette créance durant l’année 2014.

Il convient de noter que la vérification de la déductibilité de cette correction de valeur pour l’année 2013 est un préalable nécessaire à l’analyse de son éventuelle prise en compte, en tant que montant constitutif de l’assiette de la perte reportable déclarée par la société (B) pour l’année 2014, conformément aux dispositions de l’article 109 LIR prévoyant les conditions de déductibilité de certaines dépenses spéciales.

En premier lieu, la Cour note que les parties font régulièrement référence à l’existence d’une décision fiscale anticipée qui, selon elles, serait de nature à avoir une influence sur le traitement fiscal que pourrait reconnaître la Cour dans le cadre de la présente affaire.

Or, selon la partie étatique, cette décision fiscale anticipée ne trouverait plus application au regard de l’évolution de la situation de la société (B) marquée par la vente de son bien immobilier en 2013 tandis que les sociétés intimées insistent sur le fait que l’Etat serait tenu d’honorer cet accord préalable dans le respect du principe de confiance légitime de la société (B).

La Cour note que par une décision du 10 septembre 2009 portant sur la structure sociétaire (N), dont a fait partie la société (B) durant les années litigieuses, l’administration des Contributions directes a confirmé que le traitement fiscal décrit dans la demande de décision anticipée introduite par (N) était conforme « avec les législations fiscales et positions administratives en vigueur ».

En ce qui concerne le traitement fiscal pertinent à la solution du présent litige, l’administration des Contributions directes a avalisé le traitement fiscal décrit par le groupe (N) comme devant être appliqué aux structures détentrices de biens immobiliers situés en République fédérale d’Allemagne, dont la société (B). En effet, le point 4 de la décision fiscale anticipée litigieuse intitulée « Developments on the legal framework » est rédigé en ces termes :

“Based on article 4 (1) of the Double Tax Treaty concluded between Luxembourg and Germany (…) income derived by a Luxembourg tax resident company from an immovable property located in Germany are tax exempt in Luxembourg.

(…) Based on the above and in the absence of a specific tax legislation that would expressly provide for an exhaustive definition of the income that are deemed to be “derived from” an immovable property, the internal Laws, general principles, administrative practice and jurisprudence all recognize the adage that “the treatment of the accessory follows the treatment of the related principal.”.

Quant aux applications particulières des principes généraux d’imposition énoncés au point 4 précité de la décision fiscale anticipée, le point D de ladite décision, intitulé « Luxembourg tax implications » contient les développements suivants :

« 2. The (M) 2.1. Corporate Income Tax and Municipal Business Tax 2.1.1. Real estate activity – Interest income under the ICM agreement (…) the cash pooling mechanism is considered as mere accessory to the real estate activity of the group and follows the same tax treatment at the level of the (M) (…) interest income received by the (M) (under the ICM agreement) are deemed to be derived from the immovable properties.

Any income (including interest income received under the ICM Agreement) deriving from the immovable properties are tax exempt for CIT and MBT purposes in Luxembourg pursuant to Article 4 of the Lux-Ger DTT.

2.1.2. Real estate activity – Interest charges under the ICM agreement Pursuant to Article 45 (2) LITL, any charges in direct economic connection with an exempt asset (including interest charges incurred by the (M) and (L) under the ICM agreement) are not deductible from the taxable basis of the (M).”.

Il résulte de l’extrait de la décision anticipée précitée que le fondement légal retenu pour la détermination de l’Etat contractant ayant le droit d’imposer les revenus immobiliers précités est l’article 4 de l’ancienne Convention fiscale entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d’Allemagne.

D’après l’article 4, alinéa (1), de l’ancienne Convention fiscale, dans sa version originale applicable au moment des faits, les Etats contractants sont convenus que : „Bezieht eine Person mit Wohnsitz in einem der Vertragstaaten Einkünfte aus unbeweglichem Vermögen (einschließlich des Zubehörs), das in dem anderen Staate liegt, so hat der andere Staat das Besteuerungsrecht für diese Einkünfte“.

Selon cette disposition conventionnelle, les revenus immobiliers et leurs accessoires perçus par une personne entrant dans le champ d’application de l’ancienne Convention fiscale sont à imposer dans l’Etat de situation desdits biens.

La décision fiscale anticipée précitée, reprenant les principes généraux du droit d’imposition des revenus immobiliers, retient que les revenus issus de l’exploitation de biens immobiliers situés en République fédérale d’Allemagne et détenus par des sociétés issues de la structure (N) résidentes au Luxembourg, dont la société (B), sont à qualifier de revenus immobiliers imposables dans l’Etat de situation desdits biens, soit en République fédérale d’Allemagne.

Cette même décision fiscale entérine également la qualification de revenus immobiliers des revenus financiers et de rendement générés par l’activité de trésorerie et de financement (dite de cash pooling) organisée par la convention intra-groupe de gestion de trésorerie dès lors qu’elle les assimile, également selon l’interprétation des sociétés intimées lors de la demande de ladite décision, à un revenu accessoire auxdits revenus immobiliers.

Dans la mesure où l’article 4 précité de l’ancienne Convention fiscale reconnaît l’imposition des revenus accessoires aux revenus immobiliers dans l’Etat de situation des biens immobiliers, c’est également à la République fédérale d’Allemagne qu’est attribuée l’imposition de ces revenus auxiliaires.

En retenant l’application de l’article 4 de l’ancienne Convention fiscale aux revenus évoqués ci-avant, la décision fiscale anticipée a ainsi confirmé l’exonération de ces revenus au Luxembourg.

La Cour note sur ce point que les parties ne contestent pas l’exonération, au Luxembourg, des revenus immobiliers perçus par la société (B) jusqu’à la date du 31 janvier 2013, date à laquelle le bien immobilier détenu par la société (B) en République fédérale d’Allemagne a été aliéné.

En outre, à compter de l’aliénation dudit bien, les parties s’accordent quant au fait que la reprise partielle de la correction de valeur opérée en 2014, soit le remboursement inattendu d’une partie de la créance de la part de la société (L), doit être qualifiée de revenu indigène passible de l’impôt sur le revenu au Luxembourg pour l’année 2014 tout en s’opposant sur les raisons de l’existence de ce droit d’imposition au Luxembourg.

En outre, en ce qui concerne les charges générées par l’activité de gestion de trésorerie et de financement (cash pooling), les parties s’opposent diamétralement sur la question de la déductibilité de la correction de valeur comptabilisée en 2013. Si pour l’Etat il est évident que ces charges sont accessoires, car liées aux revenus immobiliers exonérés qui les auraient générés, de sorte à ne pas être déductibles au Luxembourg, les sociétés intimées, elles, rejettent cette interprétation en affirmant qu’à compter de l’aliénation du bien immobilier de la société (B), la correction de valeur perdrait sa qualification de revenu accessoire aux revenus immobiliers exonérés.

Tel que retenu ci-avant, la décision fiscale anticipée litigieuse confirme d’ores et déjà que les revenus issus de l’activité de gestion de trésorerie et de financement (cash pooling) constituent des revenus accessoires aux revenus immobiliers perçus par les entités luxembourgeoises détentrices de biens immobiliers sis en République fédérale d’Allemagne (cf. point 2.1.1. de la décision fiscale anticipée citée ci-avant), de sorte à être également exonérés au Luxembourg en application de l’ancienne Convention fiscale.

Par suite, la question résiduelle qu’il appartient à la Cour de trancher est celle de savoir si la qualification de ces revenus accessoires perdure malgré l’aliénation du bien immobilier détenu par la société (B), en janvier 2013, aussi bien pour la catégorisation de la charge générée par la correction de valeur comptabilisée en 2013 par la société (B) que pour le revenu qu’elle a perçu, en 2014, suivant le remboursement partiel de cette créance.

Il échet de relever que la correction de valeur litigieuse opérée dans les comptes de la société (B) en 2013 traduit, à l’époque, le caractère irrécouvrable de sa créance vis-à-vis de la société (L). Cette correction de valeur constitue ainsi une charge pour la société (B) qui avait perdu, en principe, tout espoir de la recouvrer un jour dans ses livres, de sorte à revêtir la nature d’une diminution de la valeur d’un élément de l’actif.

Or, étant donné que la correction de valeur opérée en 2013 naît du fait de la convention intra-groupe de gestion de trésorerie, ladite correction constitue un accessoire aux revenus immobiliers perçus par la société (B) en ce que ces revenus sont à l’origine même de l’existence de la créance jugée irrécouvrable, enregistrée en 2013.

En effet, tel qu’il résulte de l’objet de ladite convention de gestion de trésorerie et des écrits des parties, il ne fait aucun doute que les revenus immobiliers perçus par la société (B) ont été mis à la disposition de la société de financement du groupe sous la forme de différents prêts, de sorte que c’est bien la cession de ces revenus immobiliers qui constitue la cause intrinsèque de cette créance.

En outre, en effectuant ces différents prêts à partir de la cession de ses propres revenus immobiliers à la société (L), la société (B) a agi en qualité de prêteur de la société (L) durant de nombreuses années, de sorte que la temporalité de la créance irrécouvrable constatée dans ses livres au 31 décembre 2013 peut être aisément établie.

Ensuite, il ne fait aucun doute que la créance enregistrée par la société (B) comme irrémédiablement perdue au 31 décembre 2013 reste en lien avec lesdits revenus immobiliers, faute de toute autre opération économique qui aurait eu pour effet d’altérer la qualification juridique actuelle de cette créance.

Sur ce point particulier, la Cour tient à souligner que l’aliénation du bien immobilier détenu par la société (B) n’est pas de nature à faire perdre à la créance enregistrée sa qualification de revenus accessoires puisque bien qu’ayant été encourues par elle après l’aliénation dudit bien, il n’en reste pas moins que la cause et la temporalité de cette créance restent liées aux revenus immobiliers qui l’ont générée.

Enfin, la Cour ne partage pas l’appréciation des premiers juges selon laquelle les prêts, représentés par la créance irrécouvrable enregistrée au 31 décembre 2013 par la société (B), perdraient leur relation causale avec le bien immobilier du fait de son aliénation et en raison de la continuité de la convention intra-groupe de gestion au point de désormais couvrir les besoins de financement globaux de la société (B).

S’il est vrai que les premiers juges ont cru pouvoir déduire ce raisonnement à partir d’un arrêt de la Cour administrative du 13 décembre 2011 (n° 28871C du rôle), il convient cependant de l’écarter faute de trouver application au cas d’espèce. En effet, à la différence du cas de figure à la base de l’arrêt de la Cour précité où il était question d’un financement externe, il se dégage clairement des faits de la présente espèce que la cause de la créance litigieuse résulte précisément des revenus immobiliers cédés par la société (B) à la société (L) sur le fondement de la convention intra-groupe de gestion de trésorerie.

En conservant ce lien causal et temporel avec les revenus immobiliers qui l’ont générée, la créance invoquée comme déductible par la société (B) au titre de l’année 2013 ne peut qu’être regardée comme étant en lien avec des revenus immobiliers exonérés selon le libellé de l’article 4 de l’ancienne Convention fiscale.

Partant, bien que la comptabilisation de cette correction de valeur eût été ultérieure à l’aliénation dudit bien et malgré le maintien de la convention intra-groupe de gestion de trésorerie après cette aliénation, ladite correction de valeur en vue d’acter la perte définitive des chances de recouvrement des prêts octroyés à la société (L), au 31 décembre 2013, relève toujours des revenus accessoires visés par la stipulation conventionnelle portant sur les revenus immobiliers.

Partant, tel que le prévoit l’article 4 de l’ancienne Convention fiscale entre le Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne, les revenus immobiliers et leurs accessoires sont imposables dans le pays de situation du bien immobilier, soit en l’espèce en République fédérale d’Allemagne.

Dès lors, bien que la correction de valeur opérée en 2013 soit à qualifier de diminution de l’actif au sens du droit interne, il doit être retenu qu’elle est, sur la base du texte conventionnel précité, directement liée à des revenus exonérés au Luxembourg.

Or, comme l’a justement relevé le directeur, les dépenses d’exploitation en lien économique avec des revenus exonérés ne sont pas déductibles aux termes de l’article 45, paragraphe (2), LIR, selon lequel « [n]e sont pas déductibles les dépenses d’exploitation qui sont en connexion économique avec des revenus exonérés ».

Partant, dans la mesure où la correction de valeur pour un montant de …. euros est en lien avec des revenus exonérés, c’est à bon droit que le directeur en a rejeté la déductibilité pour l’année 2013.

Cette analyse correspond également à celle retenue dans le cadre des bulletins du 24 mai 2018 relatifs à l’imposition de la société (B) au titre de l’exercice 2013, étant donné que le bureau d'imposition a considéré que la correction de valeur en cause se rattachait à la détention de biens immobiliers en République fédérale d’Allemagne et qu’elle n’était partant pas déductible de l’actif net mis à la base de l’imposition à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal.

Dans la mesure où les sociétés intimées s’estimaient en droit d’inclure ce montant parmi l’assiette constitutive du report de perte déclaré en 2014, c’est également à bon droit que le directeur a rejeté la déductibilité de cette correction de valeur au sein du montant global du report de perte dont se sont prévalues les sociétés intimées pour l’année 2014.

Il s’ensuit que c’est à tort que le tribunal a conclu au caractère déductible de la correction de valeur litigieuse en tant que dépense d’exploitation déductible de l’assiette des revenus indigènes de la société (B), au titre de l’année 2013 étant donné que cette dépense est en lien économique avec des revenus exonérés au sens de l’article 45, paragraphe (2), LIR.

Quant à l’imposition de la reprise de la correction de valeur La Cour constate enfin qu’un remboursement partiel de la créance litigieuse, initialement considérée comme irrécouvrable, est intervenu en 2014 en faveur de la société (B) pour un montant total de ….. euros.

A l’instar de la qualification de la correction de valeur enregistrée par la société (B) en 2013, il convient de relever que ledit remboursement partiel est également à qualifier de revenu accessoire aux revenus immobiliers qui sont à l’origine de ce remboursement de créance.

Cette qualification reste par ailleurs inchangée y compris eu égard à l’aliénation du bien immobilier intervenue en janvier 2013 et au maintien de la convention intra-groupe de gestion de trésorerie. En effet, tel que la Cour l’a retenu ci-avant, la cause et la portée temporelle de ladite créance peuvent être aisément établies, de sorte à exiger, là aussi, le rattachement de cette reprise de créance aux revenus immobiliers qui sont à son origine et pour lesquels elle constitue également un accessoire.

Quant à l’imposition de cette reprise partielle, la Cour constate qu’une nouvelle Convention fiscale est entrée en vigueur entre le Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne à partir du 1er janvier 2014, de sorte à avoir potentiellement une incidence sur le traitement fiscal applicable à ladite reprise.

D’après l’article 6, alinéa (1), de la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d’Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berlin le 23 avril 2012, et applicable à partir du 1er janvier 2014, ci-après désignée par « la nouvelle Convention fiscale », les revenus immobiliers perçus par un résident d’un Etat contractant restent imposables dans l’Etat de situation du bien immobilier.

Selon l’article 6 précité dans sa version originale, les Etats contractants sont convenus que : „Einkünfte, die eine in einem Vertragsstaat ansässige Person aus unbeweglichem Vermögen (einschließlich der Einkünfte aus land- und forstwirtschaftlichen Betrieben) bezieht, das im anderen Vertragsstaat liegt, können im anderen Staat besteuert werden.“.

Partant, conformément à la stipulation conventionnelle précitée, les revenus immobiliers et les accessoires qui sont assimilables à des revenus immobiliers sont imposables dans le pays de situation dudit bien, soit en République fédérale d’Allemagne.

Au vu de ce qui précède, c’est dès lors à tort que le directeur a imposé cette reprise partielle de créance, en tant que bénéfice commercial selon le droit interne, faute pour le Luxembourg de disposer, en l’espèce, d’un droit d’imposition conformément aux stipulations conventionnelles applicables.

En outre, la Cour observe que le directeur a fait preuve d’incohérence dans les motifs communiqués aux sociétés intimées pour justifier l’imposition de cette reprise partielle. En effet, alors que le directeur rejette la déductibilité de la correction de valeur en 2013 en raison de sa connexité avec des revenus immobiliers exonérés, il omet de retenir un tel lien étroit entre lesdits revenus et le remboursement partiel de la créance en 2014 bien que ces deux corrections de valeur fussent pourtant fondées sur la même cause.

Enfin, aux yeux de la Cour, cette conclusion s’impose malgré les développements de la partie étatique selon lesquels la non-imposition de cette reprise partielle de créance par le Luxembourg mènerait à une situation de double non-imposition puisque ni la République fédérale d’Allemagne ni le Luxembourg n’auraient en définitive imposé ce revenu.

Sur ce point particulier, la Cour relève que ni les stipulations issues de la nouvelle Convention fiscale entre le Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne, ni le droit interne ne prévoient, en faveur du Luxembourg, un droit d’imposition résiduel dès lors que l’autre Etat contractant n’aurait pas procédé à l’imposition d’un revenu visé par le texte conventionnel.

Partant, cette situation de double non-imposition ne serait pas, à elle seule, susceptible de conférer au Luxembourg un droit d’imposition en l’absence d’une disposition conventionnelle prise en ce sens.

Cependant, si la partie étatique estime que la République fédérale d’Allemagne pourrait disposer, en vertu de son droit interne, d’un droit légitime à imposer ladite reprise de correction de valeur, c’est-à-dire que l'autorité compétente luxembourgeoise a des raisons de supposer qu'il peut exister une perte d'impôt en République fédérale d’Allemagne, il lui appartient d’en informer ledit Etat en lui communiquant les informations vraisemblablement pertinentes pour l’application de sa législation interne en recourant au mécanisme de l’échange spontané d’informations tel qu’il est, notamment, encadré par la loi du 29 mars 2013 portant transposition de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.

En conclusion, l’appel étatique est dès lors partiellement justifié et le jugement entrepris du 26 avril 2022 est à réformer en ce sens que la correction de valeur comptabilisée par la société (B) en 2013 pour un montant de ….. euros constitue une dépense d’exploitation non déductible, car en connexion économique avec des revenus exonérés. Par réformation du jugement entrepris, il y a lieu de réformer la décision directoriale du 21 août 2019 (n° …..) en ce sens que la reprise partielle de la correction de valeur effectuée en 2014 constitue un revenu exonéré pour lequel le droit d’imposition est reconnu à la République fédérale d’Allemagne par la nouvelle Convention fiscale applicable à ce volet du présent litige.

Au vu de la solution au fond, il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer pour une moitié à l’Etat et pour l’autre moitié aux sociétés intimées.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 1er juin 2022 en la forme, au fond, déclare l’appel partiellement justifié, partant, réforme le jugement entrepris du 26 avril 2022 en ce sens que la correction de valeur comptabilisée par la société (B) SARL en 2013 pour un montant de ….. euros constitue une dépense d’exploitation non déductible et, par réformation du jugement entrepris, réforme la décision directoriale du 21 août 2019 (n° …..) en ce sens que la reprise partielle de la correction de valeur effectuée en 2014 constitue un revenu exonéré pour lequel l’imposition est reconnue à la République fédérale d’Allemagne par la nouvelle Convention fiscale applicable, confirme le jugement entrepris pour le surplus, fait masse des dépens des deux instances et les impose pour une moitié à l’Etat et pour l’autre moitié aux sociétés intimées.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 13 juin 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier assumé de la Cour …… s. …… s. SCHROEDER 19


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47497C
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-06-13;47497c ?

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