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16/05/2023 | LUXEMBOURG | N°48356C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 16 mai 2023, 48356C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48356C ECLI:LU:CADM:2023:48356 Inscrit le 9 janvier 2023

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Audience publique du 16 mai 2023 Appel formé par la société anonyme (B) S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2022 (n° 45339 du rôle) en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, ins

crit sous le numéro 48356C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 9 janv...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48356C ECLI:LU:CADM:2023:48356 Inscrit le 9 janvier 2023

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Audience publique du 16 mai 2023 Appel formé par la société anonyme (B) S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2022 (n° 45339 du rôle) en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48356C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2023 par Maître Marianne GOEBEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (B) S.A., établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 29 novembre 2022 (n° 45339 du rôle), par lequel le tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation à l’encontre des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2013 à 2015, tous émis le 21 février 2018, au fond, le déclara non justifié et en débouta la société demanderesse, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et condamna la société demanderesse aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse de Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER déposé au greffe de la Cour administrative le 7 février 2023 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2023 par Maître Marianne GOEBEL pour compte de l’appelante ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le magistrat rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Allyson NOEL, en remplacement de Maître Marianne GOEBEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 avril 2023.

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Suite au dépôt par la société anonyme (B) S.A., ci-après « la société (B) », des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, le bureau d’imposition Sociétés Diekirch de l’administration des Contributions directes l’invita par courrier du 5 juillet 2017, sur le fondement des paragraphes 170 et 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », de lui fournir pour le 4 août 2017 au plus tard les renseignements et/ou pièces suivants :

« 2013-2015 :

-70821000 Loyer immobilier : détail du compte avec indication par montant des noms des locataires et de la période de location ;

-74800000 Autres produits d’exploitation divers : détail du compte ;

-60816000 Vêtements professionnels : détail du compte ;

2013 : -Sorties du tableau d’amortissement …€ : explications avec copies des pièces à l’appui ;

2014 : -66820000 Amendes et pénalités (…€) : détail du compte avec copies des pièces à l’appui. ».

Le courrier prémentionné fit l’objet d’un rappel en date du 20 novembre 2017.

Par courrier du 3 janvier 2018, le bureau d’imposition informa la société (B), sur le fondement du paragraphe 205, alinéa 3, AO, qu’il envisageait d’apporter des modifications aux déclarations fiscales telles que déposées par ladite société pour les exercices 2013 à 2015, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 2 février 2018.

Ledit courrier fut libellé comme suit :

« (…) En vertu du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts (AO), je vous informe, préalablement à l’imposition, qu’il sera dérogé à vos déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années 2013-2015 sur le(s) point(s) suivant(s) :

A défaut de fournir les pièces demandées (v. nos courriers du 05.07 et 20.11.2017), les redressements suivants seront imposés :

°Usage gratuit de l’immeuble à (D) 2013-2015: …€/an ; ce montant sera soumis à une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 15% (par année) ;

°La charge « Vêtements professionnels » sera considérée comme charge privée : les montants suivants seront ajoutés aux résultats déclarés avec une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 15%: …€ en 2013 et …€ en 2014 ;

°Amende au sens de l’art.12 no 4 LIR : le montant de …€ sera remplacé par …€.

Je vous invite à fournir vos observations y afférentes pour le 02.02.2018 au plus tard;

ce délai passé, l’imposition des exercices en question sera établie compte tenu des redressements envisagés. (…) ».

En date du 21 février 2018, le bureau d’imposition Sociétés Nord de l’administration des Contributions directes, ci-après « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société (B) le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2013 en y indiquant ce qui suit:

« (…) En exécution des dispositions de la section III (articles 146 à 151) de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, la société désignée ci-dessus est débitrice de retenues d’impôt sur les revenus de capitaux du montant établi ci-après:

(…) Calcul de la retenue d’impôt (article 148 L.I.R.) (…) La société n’a pas pris la retenue à sa charge (…) 15,000 % de EUR … = EUR … Base d’imposition totale et montant de la retenue repris au décompte (…) base : EUR … retenue : EUR … Motifs et remarques (…) Usage gratuit immeuble (D) : … Vêtements professionnels: … Redressement suivant notre lettre du 03.01.2018 (…) ».

En date du même jour, le bureau d’imposition émit encore à l’égard de la société (B) le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2014 en y indiquant ce qui suit:

« En exécution des dispositions de la section III (articles 146 à 151) de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, la société désignée ci-dessus est débitrice de retenues d’impôt sur les revenus de capitaux du montant établi ci-après :

(…) Calcul de la retenue d’impôt (article 148 L.I.R.) (…) La société n’a pas pris la retenue à sa charge :

(…) 15% de EUR … = EUR … Base d’imposition totale et montant de la retenue repris au décompte (…)] base : EUR … retenue : EUR … Motifs et remarques (…) Usage gratuit immeuble (D) : … Vêtements professionnels: … Redressement suivant notre lettre du 03.01.2018 (…) ».

Toujours le même jour, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (B) le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2015 en y indiquant ce qui suit :

« En exécution des dispositions de la section III (articles 146 à 151) de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, la société désignée ci-dessus est débitrice de retenues d’impôt sur les revenus de capitaux du montant établi ci-après :

(…) Calcul de la retenue d’impôt (article 148 L.I.R.) (…) La société n’a pas pris la retenue à sa charge :

(…) 15% de EUR … = EUR … Base d’imposition totale et montant de la retenue repris au décompte (…) base : EUR … retenue : EUR … Motifs et remarques (…) Usage gratuit immeuble (D) Redressement suivant notre lettre du 03.01.2018 (…) ».

Toujours le 21 février 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (B) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2013, 2014 et 2015, en indiquant dans ceux relatifs aux années 2013 et 2014 ce qui suit : « Distribution cachée de bénéfice, voir explications sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux (…) ».

Le même jour, le bureau d’imposition émit enfin encore à l’égard de la société (B) les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, ainsi que le bulletin d’établissement de la valeur unitaire et le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016.

Par courrier du 18 mai 2018, la société à responsabilité limitée (E) SARL, ci-après « la société (E) », introduisit au nom de la société (B) une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013 à 2015 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », la société (E) y indiquant plus particulièrement que la réclamation porte sur « l’ajout hors bilan de l’usage gratuit de l’immeuble situé à (D) ainsi que de l’ajout hors bilan de l’achat de vêtements professionnels ».

A défaut de réponse du directeur, la société (B) fit introduire, par requête déposée le 9 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2013 à 2015, émis le 21 février 2018.

Par un jugement du 29 novembre 2022 (n° 45339 du rôle), le tribunal reçut en la forme ce recours principal en réformation, et, au fond, le déclara non justifié et en débouta la société (B), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et condamna la société demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Pour ce faire, les premiers juges, après avoir constaté que le recours était limité à la seule question de l’imposition d’une distribution cachée de bénéfices de l’ordre de … euros par an, au motif d’une mise à disposition gratuite d’une maison sise à (D), arrivèrent à la conclusion que la partie étatique avait mis en avant à suffisance un faisceau d’indices rendant probable une telle distribution cachée de bénéfices et que la société (B) était restée en défaut de prouver qu’il n’y avait pas diminution de bénéfices, voire que la diminution était économiquement justifiée. En l’occurrence, elle n’aurait pas prouvé que la maison litigieuse n’avait pas été utilisée à titre privé, respectivement que les périodes d’absence de location s’expliquaient par d’autres facteurs, tels qu’un défaut de clients intéressés ou encore des difficultés pour mettre le bien immobilier en location, et ce malgré les efforts déployés au niveau publicitaire et commercial pour améliorer la visibilité du bien, d’une part, et au niveau de la mise en valeur de la propriété, d’autre part. Enfin, le tribunal rejeta les contestations de la société (B) au sujet de l’évaluation de la distribution cachée de bénéfices, en insistant sur la considération que le bureau d’imposition était forcé de procéder par la voie de la taxation, à défaut par la société (B) d’avoir répondu à ses questions, de sorte que la prise en compte d’une certaine marge de sécurité par l’administration était licite, et en retenant que le contribuable n’avait fourni aucun élément concluant susceptible de remettre en question la méthode de calcul employée par l’Etat, à savoir la prise en compte d’une valeur correspondant à 5% de la valeur unitaire, correspondant à un loyer moyen de … euros par semaine sur une période de 12 semaines.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2023, la société (B) a fait régulièrement relever appel de ce jugement.

Arguments des parties à l’instance Après avoir rappelé les faits et rétroactes tel que repris ci-avant, décrit son actionnariat, à savoir Monsieur (F) et de Madame (J), donné des précisions en ce qui concerne les activités professionnelles en Belgique de ses actionnaires, décrit les acquisitions immobilières opérées par ailleurs en Belgique par ceux-ci, fait état de la constitution d’une deuxième société en Belgique, la société (B1), ayant pour objet la location saisonnière de gîtes situés sur le territoire belge, décrit les conditions d’acquisition de la maison litigieuse sise à (D) en France, fait état de travaux réalisés au cours des années 2013 à 2015 sur ce bien immobilier, énuméré les diverses agences immobilières chargées de la location de ce bien pendant toute l’année et fait état de sa présence sur divers sites internet afin d’accroître sa visibilité, l’appelante conclut à l’absence de distribution cachée de bénéfices, tout en contestant la mise à disposition gratuite du bien litigieux en faveur de Monsieur (F) et de Madame (J).

L’appelante examine ensuite les dispositions de l’article 164 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », et les règles de preuve en la matière, pour ensuite critiquer les premiers juges pour avoir retenu que l’administration avait valablement pu faire état d’un renversement de la charge de la preuve sur base d’un faisceau d’indices rendant probable une distribution cachée de bénéfices. A cet égard, elle fait valoir que (i) la transposition d’un taux annuel d’occupation hôtelière touristique au cas de la location d’une villa serait contestable, (ii) le fait qu’elle possède un seul bien à la Côte d’Azur n’impliquerait pas nécessairement que celui-ci était occupé par ses deux actionnaires, en affirmant qu’une telle déduction reposerait sur une simple supposition, (iii) ses actionnaires auraient possédé au cours des exercices fiscaux litigieux encore d’autres biens immobiliers destinés exclusivement à la location, détenus soit en leur nom soit par l’intermédiaire d’autres sociétés et en l’occurrence trois immeubles situés en Belgique à Spa et à Liège, (iv) l’étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sur laquelle se sont appuyés les premiers juges concernerait le taux d’occupation des hôtels et des campings, de sorte à ne pas être transposable à des villas de haut standing, tel que cela serait le cas en l’espèce, qui connaîtraient un taux de location nettement moins élevé et qui se caractériseraient par une location à la semaine et essentiellement durant les périodes de vacances scolaires, ce qui impacterait nécessairement sur le taux d’occupation, l’appelante en voulant pour preuve des attestations testimoniales de représentants des agences chargées par elle et le planning des réservations faites durant les années 2013 à 2014, (v) la maison n’aurait pas pu être occupée par les époux (F-J) ensemble avec leurs enfants, scolarisés, en dehors des périodes de vacances scolaires, alors que la villa aurait été précisément donnée en location durant les périodes de vacances scolaires, (vi) il conviendrait de mettre en relation le taux d’occupation de la villa avec les travaux réalisés au cours des années litigieuses, à savoir des travaux d’aménagement intérieur réalisés au début de l’année 2013, expliquant l’absence de location jusqu’au mois d’avril, des travaux au niveau de la toiture liés à une fuite en octobre 2013, période au cours de laquelle Monsieur (F) se serait déplacé pour s’occuper de la surveillance de ces travaux, la rénovation de la piscine au courant de l’année 2014, ainsi que des travaux d’aménagement intérieur, ayant impliqué que Monsieur (F) se serait déplacé du 25 mars au 5 avril 2014 pour superviser ces travaux, ainsi que des travaux de réparation à la suite d’une inondation au courant du mois d’octobre 2015, ce qui expliquerait le défaut de location du bien jusqu’à la fin de l’année, l’appelante soulignant que la gestion de ces différents travaux aurait nécessité la présence de Monsieur (F) sur place à raison d’une à deux semaines maximum, ces déplacements étant ainsi liés à son activité professionnelle.

L’appelante s’appuie encore sur des attestations testimoniales pour justifier son affirmation selon laquelle ses actionnaires n’auraient pas utilisé la maison litigieuse à titre privé.

En résumé, elle critique le bureau d’imposition et par suite les premiers juges pour avoir conclu à partir d’un défaut de correspondance entre le taux d’occupation réel de la maison litigieuse et des statistiques fournies par la partie étatique, à un usage privatif du bien immobilier durant les périodes de disponibilité locative et ce malgré les preuves fournies par elle sur les efforts entrepris pour donner le bien en location, en l’occurrence sur de multiples sites Internet, à travers des mandats confiés à des agences immobilières sans limite temporelle durant l’année et sur son propre site Internet.

L’appelante réitère ensuite ses contestations quant à l’usage privé du bien par Monsieur (F) et Madame (J) durant 12 semaines par an, l’appelante déclarant se rapporter à ses écrits de première instance quant à une impossibilité matérielle pour ceux-ci d’occuper le bien pendant une telle durée et ce hors périodes de vacances scolaires, tout en soulignant que la disponibilité du bien immobilier au cours des exercices litigieux aurait concerné notamment les périodes hors vacances scolaires.

Pour le surplus, l’appelante insiste sur la scolarisation des trois enfants de Monsieur (F) et de Madame (J) durant les années litigieuses, dont elle déduit une impossibilité matérielle pour ceux-ci d’avoir occupé la maison litigieuse hors périodes de vacances.

Ensuite, elle insiste sur l’activité professionnelle de Madame (J), celle-ci exerçant la profession de médecin spécialiste, ainsi que les occupations de Monsieur (F) qui aurait dû être présent sur le territoire belge au cours des années litigieuses pour gérer les biens immobiliers situés en Belgique et détenus en son nom propre et par l’intermédiaire d’une autre société, pour suivre une formation à Liège au cours des années 2013 et 2014 et pour assurer la présidence d’un club de football à Spa.

Or, l’administration pourrait supposer une diminution indue de bénéfices uniquement si les circonstances la rendent probable. Tel ne serait pas le cas en l’espèce, alors qu’elle aurait prouvé l’impossibilité matérielle pour les époux (F-J) de se rendre pendant 12 semaines par an à (D) et aurait, par ailleurs, fait état d’efforts déployés par elle pour assurer une rentabilité maximale de son bien immobilier en multipliant ses partenaires et les actions publicitaires pour la location et en effectuant, par ailleurs, des travaux d’aménagement nécessaires pour attirer les potentiels clients.

Il s’ensuivrait que le simple constat selon lequel le bien immobilier n’avait pas été loué pendant 30 semaines par an serait insuffisant pour conclure de ce fait à une mise à disposition gratuite à un associé ou à une autre personne intéressée.

L’appelante donne encore à considérer que le raisonnement de la partie étatique permettrait d’imposer des revenus fictifs issus de biens immobiliers dès qu’aucun locataire n’avait été trouvé.

En second lieu, l’appelante fait valoir que l’administration exigerait de sa part une preuve impossible à fournir, à savoir la preuve d’un fait négatif, ce qui serait contraire à l’article 6, paragraphe (1), de la Convention de sauvegarde des droits et libertés fondamentales (CEDH), l’appelante soulignant par ailleurs que le contribuable ne pourrait avoir la charge de la preuve que dans la limite de ce qui est raisonnable.

Elle estime que par application du paragraphe 171 AO et l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », (i) le fait que l’immeuble litigieux a fait l’objet de locations à des tiers sans lien avec elle, (ii) qu’il figure sur différents sites Internet, (iii) qu’elle a mandaté des agences immobilières sans limitation quant aux périodes de location disponibles et (iv) qu’elle-même dispose d’un site Internet, constitueraient des éléments de preuve valables et suffisants de la situation telle qu’elle existait et qui permettraient de confirmer qu’il n’y a pas eu mise à disposition gratuite de la maison à un associé ou à une personne intéressée.

Au-delà de ces considérations, l’appelante reprend le planning de la location du bien litigieux durant les années 2013 à 2015 et conclut que celui-ci, lu ensemble avec les attestations testimoniales produites par elle, attesterait de la faible présence de Monsieur (F) et de Madame (J) dans la maison litigieuse, la présence de Monsieur (F) étant exclusivement liée aux travaux de maintenance et à la gestion du bien en collaboration avec ses partenaires. L’ensemble des éléments de preuve fournis par elle excluraient dès lors l’hypothèse d’une distribution cachée de bénéfices.

En troisième lieu, l’appelante critique l’évaluation faite par le bureau d’imposition par voie de taxation. Tout en admettant que face à une imposition par voie de taxation, le contribuable ne peut prospérer dans sa réclamation que s’il apporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition retenues, l’appelante donne à considérer que tant au cours de la procédure de réclamation que devant le tribunal administratif, elle aurait fourni l’ensemble des preuves justifiant que l’immeuble litigieux était destiné exclusivement à la location en faveur des tiers et n’avait pas fait l’objet d’une mise à disposition gratuite en faveur de personnes liées à elle-même.

A cet égard, elle critique les premiers juges pour avoir validé l’imposition retenue sur base de la considération qu’elle n’avait pas fourni en temps utile les informations demandées au bureau d’imposition. Au contraire, toutes les informations requises auraient été apportées dans le cadre de la réclamation, qui n’aurait pas reçu de réponse du directeur, de sorte qu’elle n’aurait pas pu bénéficier d’un réexamen global de sa situation par le directeur, l’appelante ne tirant toutefois aucune conclusion en droit à partir de cette affirmation.

Elle aurait encore fourni des preuves additionnelles justifiant que ses associés n’ont pas occupé la maison litigieuse à titre privé.

Elle aurait encore fourni des éléments de preuve justifiant que la méthode d’évaluation retenue par le bureau d’imposition ne correspond à aucune réalité économique au regard de l’impossibilité pour les époux (F-J) de se rendre dans la maison litigieuse pendant la période retenue par le bureau d’imposition.

Enfin, l’appelante réclame le paiement d’une indemnité de procédure de … € sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, alors qu’elle aurait dû faire appel aux services d’un avocat pour introduire une réclamation devant le directeur sans recevoir de réponse de la part de celui-ci, qu’elle a ensuite dû introduire un recours contentieux et qu’à défaut d’avoir obtenu gain de cause malgré les preuves fournies par elle, elle aurait été forcée d’introduire la présente requête d’appel entraînant pour elle des frais supplémentaires pour assurer sa défense.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de d’appel en insistant sur l’existence d’un faisceau de circonstances rendant la distribution cachée de bénéfices probable, à savoir (i) le fait que l’appelante ne dispose que d’un seul actif immobilier, (ii) la circonstance que ledit bien n’a été loué à des tiers que durant 15 semaines en 2013, 18 semaines en 2014 et 11 semaines en 2015 et qu’il n’aurait pas été loué durant les périodes correspondant aux congés scolaires en France, telles que les vacances de Toussaint, de Carnaval et de Noël, périodes pourtant favorables aux locations touristiques dans le sud de la France, ces périodes d’inoccupation étant à mettre en relation avec (iii) le taux annuel d’occupation hôtelières touristiques dans la région litigieuse selon l’INSEE qui serait autour de 57 %, soit 30 semaines par an, et (iv) le fait que les parts de l’appelante sont détenues par deux personnes physiques, époux résidant en Belgique et que, par ailleurs, le dossier fiscal de l’appelante serait « empreint d’une forte connotation familiale», l’Etat faisant encore état d’une supposée relation familiale avec un autre administrateur, Madame (S-T), et avec Monsieur (Y) commissaire aux comptes.

L’ensemble de ces éléments laisserait raisonnablement présumer une utilisation à titre privé du bien immobilier par les administrateurs, les actionnaires ou des personnes intéressées, sans que cette conclusion ne soit énervée par les pièces supplémentaires fournies par l’appelante.

A cet égard, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité de ces pièces dans la mesure où elles n’auraient pas fait l’objet d’une analyse par le directeur.

Ensuite, il conteste la pertinence de ces pièces en ce que (i) elles ne permettraient pas d’exclure la présence d’autres membres de la famille ou de personnes proches de Monsieur (F) et de son épouse, (ii) l’indisponibilité de l’un des époux (F-J) n’empêcherait pas l’autre ou un proche de séjourner dans l’immeuble et (iii) il conviendrait de nuancer les déclarations des témoins.

Le délégué du gouvernement insiste par ailleurs sur le bien-fondé de l’évaluation faite par le bureau d’imposition, à savoir la somme de … € par année fiscale en considération d’un loyer moyen de … € par semaine pour une moyenne de 12 semaines de location.

Enfin, il conteste l’indemnité de procédure réclamée par l’appelante.

Dans sa réplique, l’appelante réitère en substance ses contestations et prend ensuite position par rapport aux reproches de la partie étatique en ce qu’elle serait « empreinte d’une forte connotation familiale », en affirmant qu’il appartiendrait à l’Etat d’identifier les personnes qui auraient occupé le bien immobilier litigieux, tout en reprochant à l’Etat d’exiger de sa part une preuve impossible à fournir et d’avoir fondé la taxation sur de simples potentialités.

En ce qui concerne le reproche de la partie étatique selon lequel elle n’aurait pas répondu aux questions lui posées par le bureau d’imposition, l’appelante réitère qu’elle aurait pour le moins introduit une réclamation n’ayant pas reçu de réponse.

Analyse de la Cour Liminairement, la Cour rappelle qu’elle est saisie dans la limite des prétentions des parties, telles que concrétisées à travers les moyens invoqués dans leurs requête ou mémoires.

Il s'ensuit que sauf l'hypothèse des moyens à soulever d'office, elle n'est pas amenée à prendre position par rapport aux moyens qui ne figurent pas dans les conclusions d'appel, de sorte qu'elle n'est pas tenue de répondre aux conclusions de première instance auxquelles se réfèrent simplement les conclusions d'appel. Sous cet aspect, la Cour n’a pas à répondre aux conclusions de l’appelante dans la mesure où elle déclare reprendre ses conclusions de première instance, mais ne prendra position que par rapport aux moyens figurant dans les écrits procéduraux de l’instance d’appel.

Toujours à titre liminaire, la Cour retient encore que les nouvelles pièces produites par l’appelante sont admissibles et ce nonobstant la circonstance qu’elles n’avaient pas été soumises au bureau ou au directeur, de sorte que les contestations afférentes du délégué du gouvernement, étant relevé que le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, sont à rejeter.

Ensuite, à l’instar des premiers juges, la Cour constate que le litige entre les parties se limite à la question du bien-fondé de la distribution cachée de bénéfices telle que retenue par le bureau d’imposition au motif d’une mise à disposition gratuite de l’immeuble appartenant à l’appelante et situé à (D), cette distribution cachée ayant été évaluée par le bureau d’imposition à la somme de … € pour chacune des années 2013, 2014 et 2015 et ce par voie de taxation au motif qu’il n’aurait pas reçu de réponse aux questions posées à l’appelante avant l’établissement des bulletins litigieux.

Les premiers juges ont correctement tracé le cadre légal applicable en se référant à l’article 164, paragraphe (3), LIR, qui dispose que :

« Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable.

Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

Ils ont aussi rappelé à bon escient qu’une distribution cachée de bénéfices existe si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers, une distribution cachée de bénéfices s’analysant en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de sa substance permet de dégager sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (« Vermögensminderung »), soit un défaut d’accroissement de l’actif (« verhinderte Vermögensmehrung »).

La Cour tient encore à rappeler qu’au-delà du fait que l’avantage accordé par la société doit entraîner soit une diminution de l’actif, soit un défaut d’accroissement de l’actif dans son chef, il doit, tout comme les distributions de revenus dans les formes prévues par le droit des sociétés, avoir la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers1, étant relevé que les revenus provenant d’une distribution cachée de bénéfices rentrent dans le champ de l’article 97, paragraphe (1), n° 1, LIR, qualifiant « comme revenus provenant de capitaux mobiliers :

1. les dividendes, parts de bénéfice et autres produits alloués, sous quelque forme que ce soit, en raison des actions, parts de capital, parts bénéficiaires ou autres participations de toute nature dans les collectivités visées aux articles 159 et 160 (…) ».

La Cour relève encore qu’aux termes de l’article 104, paragraphe (1), LIR « sont considérés comme recettes tous les biens et avantages, tant en espèces qu’en nature, mis à la disposition du contribuable dans le cadre de l’une des catégories de revenus nets mentionnées aux numéros 4 à 8 de l’article 10 », dont la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

Comme la notion d’avantage doit être entendue comme « toute fourniture ou prestation de service appréciable en argent » (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, commentaire des articles, doc. parl. 5714, art. 112, p. 165), la mise en location, par une société visée aux articles 159 et 160 LIR, d’une habitation à titre gratuit doit être qualifiée d’avantage constitutif d’un autre produit au sens de l’article 97, paragraphe (1), n° 1, LIR lorsqu’il est accordé à un associé en raison de sa participation dans la société en question, de sorte que ledit avantage peut donner lieu à une distribution cachée de bénéfices dans cette mesure.

La Cour retient ensuite que les premiers juges ont à juste titre complété le cadre légal constitué par l’article 164, paragraphe (3), LIR par la référence à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « [l]a preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».

Tel que retenu à juste titre par les premiers juges, il résulte d’une lecture combinée des dispositions des articles 59 de la loi du 21 juin 1999 et 164, paragraphe (3), LIR que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit en effet procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d'imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable qu’il peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas de diminution de bénéfices ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées2.

Les premiers juges ont dès lors à juste titre examiné de prime abord si le bureau d’imposition a fait état à suffisance d’un faisceau de circonstances rendant probable l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente par la société (B) à un associé, actionnaire ou intéressé au sens de l’article 164, paragraphe (3), LIR.

1 Cour adm., 11 mars 2021, n° 44078C du rôle, disponible www.jurad.etat.lu 2 Cour adm., 12 février 2009, n° 24642C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 656 et les autres références y citées.

Ils ont encore retenu à bon escient que dans la mesure où le bureau d’imposition reproche à la société (B) d’avoir fait profiter ses associés ou ses administrateurs, en l’occurrence les époux (F-J), de l’immeuble litigieux pendant une partie de l’année sans contrepartie financière, le cercle des personnes bénéficiaires d’avantages tel que visé par le bureau d’imposition correspondant à celui relevant du champ d’application de l’article 164, paragraphe (3), LIR.

La Cour constate que l’appelante conteste la réalité même d’une mise à disposition gratuite de l’immeuble litigieux à ses deux associés et estime avoir fourni suffisamment d’éléments de preuve de nature à exclure une telle mise à disposition, tout en reprochant à l’Etat de ne pas avoir identifié, au-delà de ses deux associés, un autre intéressé qui aurait été bénéficiaire d’une mise à disposition gratuite de la maison litigieuse.

Tel que cela a été relevé par les premiers juges, il n’est pas contesté que le bien immobilier litigieux a été loué à des tiers n’ayant aucun lien avec la société (B), l’appelante ayant d’ailleurs fourni des pièces justificatives à cet égard attestant que la maison sise à (D) a été donnée en location à des fins touristiques durant diverses périodes durant les trois années litigieuses et ayant soumis tant au tribunal qu’à la Cour en l’occurrence un relevé des périodes de location à des tiers, relevé qui n’a d’ailleurs pas été contesté autrement par la partie étatique.

Ainsi, au regard des pièces d’ores et déjà soumises au tribunal, complétées encore en l’occurrence par diverses attestations testimoniales en instance d’appel, le constat s’impose que l’appelante a, au cours des années fiscales litigieuses, donné la maison litigieuse en location à des tiers à des fins touristiques et a mis en place à cette fin une certaine visibilité à travers des agences spécialisées dans la location touristique dans le sud de la France et à travers un site internet, la maison ayant suivant les déclarations des responsables des agences chargées de la location été offerte en location sans limitation quant aux périodes de disponibilité3, de sorte qu’un usage purement privé, voire principalement privé de la maison par les associés de l’appelante ou autres intéressés est contredit par les pièces du dossier.

Nonobstant ce constat, les premiers juges ont retenu que la partie étatique a mis en avant à suffisance un faisceau d’indices rendant probable une distribution cachée de bénéfices dans la mesure où (i) l’unique bien immobilier détenu par l’appelante n’aurait été loué que durant quelques semaines par an et ce bien que l’objet social principal de l’appelante consiste en l’achat et la vente de biens immobiliers, la location, la gestion et la mise en valeur des biens immobiliers, et bien que le taux d’occupation hôtelière touristique recensée dans la région litigieuse soit bien supérieur au taux d’occupation effectif de la maison litigieuse et où (ii) pour les exercices concernés, l’appelante était détenue à parts égales par Monsieur (F) et Madame (J), résidant à la même adresse en Belgique, et lesquels sont également administrateur respectivement administrateur délégué à la gestion journalière de l’appelante, constats qui ont amené le tribunal à présumer une utilisation à titre privé du bien immobilier litigieux, tout en constatant que l’appelante était restée en défaut d’expliquer la raison d’être des périodes de non-location.

La Cour constate de prime abord que la partie étatique reproche à l’appelante de ne pas avoir réagi à la demande d’informations lui adressée par le bureau d’imposition au sujet de la location du bien sis à (D). Il est certes vrai que les demandes adressées par le bureau d’imposition à travers des courriers des 5 juillet et 20 novembre 2017 au sujet des locataires de ladite maison et des périodes de location sont restées sans réponse. Certes encore l’appelante n’a pas non plus réagi au courrier du 3 janvier 2018 du bureau d’imposition 3 Cf attestations de Monsieur (K) et de Monsieur (L).

l’informant qu’à défaut d’avoir reçu les informations demandées, il allait procéder à un redressement des déclarations de l’impôt visant les années 2013 à 2015 en soumettant à la retenue de l’impôt sur le revenu des capitaux une somme de … € par an au titre d’un usage gratuit de l’immeuble litigieux. La Cour retient que cette façon de procéder de l’appelante correspond certes manifestement à un défaut de collaboration du contribuable, qui (i) a valablement permis de semer le doute aux yeux du bureau d’imposition quant à l’usage de la maison litigieuse par les associés de l’appelante ou par des intéressés, ce au regard du fait qu’il n’est pas contesté que la maison constitue l’unique bien immobilier détenu par l’appelante durant les années litigeuses et que l’appelante est détenue par deux actionnaires, personnes physiques liées par des lien familiaux, à savoir les époux (F-J), divorcés suivant un jugement du Tribunal de première instance de … du … mais mariés à l’époque, et qui (ii) par suite a forcé le bureau d’imposition à procéder à une estimation par la voie de la taxation de l’avantage qu’il estime avoir été accordé aux associés de l’appelante. Il n’en reste toutefois pas moins que le seul défaut de réponse aux renseignements demandés ne permet pas, à ce stade et au regard des explications dorénavant fournies par l’appelante, de retenir ipso facto l’existence d’une distribution cachée de bénéfices, mais il convient d’examiner, au regard des éléments ainsi produits par le contribuable, si une telle distribution cachée se trouve vérifiée.

En ce qui concerne concrètement la mise en location du bien litigieux, il se dégage des informations fournies par la société (B) en phase contentieuse, en l’occurrence des relevés des locations qui ne sont pas contestés par la partie étatique, que la maison sise à (D) a été donnée en location durant les périodes suivantes :

2013 2014 2015 27.4 au 18 mai 5 au 19.4 18 au 25.4 22.6 au 24.8 26.4 au 3.5 4.7 au 23.8 14 au 21.9 24 au 31.5 29.8 au 12.9 22.12 2013 au 4.1 2014 7.6 au 23.8 10 au 17.10 13 au 27.9 25.10 au 1.11 La Cour retient de prime abord qu’au regard des explications fournies par l’appelante quant à la finition des travaux de rénovation en mars 2013, à la réalisation de travaux au niveau de la piscine et du toit jusqu’en mars 2014 et à un sinistre s’étant produit début octobre 2015, et contrairement à la conclusion des premiers juges, les périodes de non-location durant ces mêmes périodes, qui se situent toutes en dehors de la saison d’été, sont tout à fait retraçables, de sorte que c’est à tort que le bureau d’imposition a conclu à l’existence d’un faisceau d’indices suffisant pour présumer une utilisation privée de la maison pendant ces mêmes périodes. Dans ces conditions, la partie étatique n’est par ailleurs pas fondée à déduire une occupation du bien par les associés de l’appelante du fait que la maison n’a pas été louée pendant les vacances scolaires en France de Toussaint, de Noël et de Carnaval, qui de plus correspondent à des périodes « hors saison ».

La Cour rejoint ensuite l’appelante dans sa conclusion selon laquelle, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, la seule comparaison entre le taux d’occupation effectif de la maison litigieuse et celui se dégageant des statistiques de l’INSSE est insuffisante pour conclure à un taux d’occupation « suspect », susceptible de laisser présumer une occupation de la maison par ses associés durant des périodes de non-location. En effet, les statistiques en question visent de façon non contestée le taux d’occupation des hôtels et des campings dans la région, qui n’est toutefois pas forcément comparable à celui de maisons d’habitation et surtout à celui de maisons d’un certain standing, la partie étatique ne contestant pas l’affirmation de l’appelante selon laquelle il s’agit en l’espèce d’une maison de haut standing. A cet égard, la partie appelante a expliqué de façon convaincante que le taux d’occupation touristique varie en fonction du type du bien, s’adressant à des publics cibles différents, ce constat étant corroboré par les statistiques de l’INSSE dont il se dégage que les taux d’occupation des hôtels et des campings, avec lesquels l’Etat entend comparer le taux d’occupation de la villa litigieuse, ont évolué de façon différente, le taux d’occupation des hôtels ayant été en hausse, tandis que celui des campings en baisse pour la même région, et par les attestations testimoniales des responsables des agences chargées de la mise en location du bien litigieux, qui font état d’une occupation annuelle du type de location comparable à la maison litigieuse de l’ordre de 12 semaines par an, respectivement d’une occupation qui se concentre surtout sur les mois de juin à septembre.

Ensuite, pour ce qui est du taux d’occupation durant les périodes de l’année autres que celles pour lesquelles l’appelante a expliqué la non-location par des travaux, la Cour relève que certes globalement parlant, le taux d’occupation était légèrement supérieur à celui d’environ 12 semaines avancé par le témoin (K), dont l’appelante a produit l’attestation à l’appui de l’appel. Force est toutefois encore de constater que, malgré les efforts de promotion que l’appelante déclare avoir déployés en vue de la location de son bien et malgré son intention affirmée de le donner en location sur une période de temps maximale durant l’année - celle-ci déclarant viser une location durant toute l’année sans restrictions -, durant les périodes qui, suivant les prédites attestations testimoniales, sont pourtant particulièrement propices à la location touristique de villas dans la région, à savoir durant les mois de juin à septembre4, la villa n’a pas été louée pendant plusieurs semaines. Ainsi, en 2013 elle n’a pas été louée entre le 24 août et le 14 septembre, ni d’ailleurs entre le 18 mai et le 22 juin. En 2014, elle n’a pas été louée durant la première semaine de juin, ni entre le 28 août et le 13 septembre, tandis qu’en 2015, elle n’a pas été louée entre le 25 avril et le 4 juillet, ni entre 23 et le 29 août. Il est par ailleurs surprenant que durant l’année 2015, entre début avril et début juillet, soit pendant une période de 3 mois, la maison n’a été louée que durant une semaine, à savoir du 18 au 25 avril, tandis qu’en 2013 et 2014, elle a pourtant été louée de façon régulière durant cette même période.

Or, aucune explication précise n’est fournie par l’appelante au sujet de ces périodes de non-location, se situant pourtant en bonne saison et qui, de plus, se situent en substance pour chacune des années concernées sur la même période de l’été, à savoir fin août/début septembre, respectivement en juin. Si dans ses relevés des locations, l’appelante renvoie, du moins en partie, de façon générale aux occupations professionnelles de Monsieur (F) et de Madame (J) et à la scolarisation de leurs enfants, la Cour constate que ces considérations permettent certes de douter que les époux (F-J) ont occupé la maison chaque année durant 12 semaines par an, tel que cela a été retenu par le bureau d’imposition. Elles ne permettent toutefois pas d’exclure une occupation privée à titre de 2 à 3 semaines par an par eux, étant relevé que les périodes de non-location précitées ne se recoupent pas toutes avec des périodes de scolarisation des enfants, notamment fin août où la maison n’a de façon systématique pas été donnée en location, et que, pour le surplus, même hors vacances scolaires, la maison a pu être occupée par les époux (F-J), entretemps divorcés, ensemble ou par chacun individuellement.

En ce qui concerne les attestations testimoniales produites par l’appelante et émanant de la gérante de l’entreprise chargée du lavage du linge de la maison, de l’agriculteur qui s’occupe de l’entretien du jardin de la villa et d’habitants de la région, la Cour constate que celles-ci permettent certes d’ébranler la conclusion de l’Etat selon laquelle Monsieur (F) et 4 Cf attestation de Monsieur (L) Madame (J) auraient occupé personnellement la villa durant 12 semaines par an, tel que retenu par le bureau d’imposition et confirmé par les premiers juges, dans la mesure où il s’en dégage de façon concordante que Monsieur (F) ne s’est trouvé dans la villa que rarement et que celle-

ci était essentiellement donnée en location à des tiers. En revanche, les auteurs de ces attestations confirment encore des contacts personnels avec Monsieur (F) une à deux fois par an, voire des courts séjours d’une ou deux fois par an. De plus, les témoins se limitent à mentionner des contacts avec Monsieur (F) sans donner des explications sur la présence ou l’absence sur les lieux de Madame (J), de sorte à ne pas être de nature à exclure que celle-ci, ensemble avec son époux ou seule, a utilisé la maison pendant des périodes de non-location.

A partir de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour est amenée à retenir que si les éléments à sa disposition et surtout ceux produits pour la première fois en instance d’appel permettent d’invalider la conclusion du bureau d’imposition selon laquelle la maison litigieuse aurait été utilisée à titre privé par les actionnaires de l’appelante sans contrepartie durant une période de 12 semaines par an, il n’en reste toutefois pas moins que la non-location de la villa durant les périodes relevées ci-avant par la Cour, qui sont sans relation avec des travaux réalisés, et qui sont pourtant situées en large partie en période propice entre juin à septembre, vue devant la toile de fond de l’espèce, à savoir (i) le fait que l’appelante détient de façon non contestée un seul bien alors que son objet social consiste dans l’achat et la vente de biens immobiliers, ainsi que la location, la gestion et la mise en valeur de biens immobiliers et (ii) l’actionnariat de l’appelante se situant dans un contexte purement familial, constitue un indice suffisant permettant de présumer une utilisation à titre privé du bien immobilier litigieux par les associés de l’appelante, toutefois durant des périodes plus réduites pour les années concernées.

Il s’ensuit que les premiers juges sont, certes en partie pour d’autres motifs, à confirmer dans leur constat de principe en ce qu’ils ont retenu des indices suffisants permettant de présumer un usage privé de la maison litigieuse par les associés de l’appelante, mais sont à réformer en ce qui concerne la durée de cette utilisation privée, qui est à réduire à 3 semaines en 2013 et 2015 et à 2 semaines en 2014, les périodes de non-location en saison estivale ayant été inférieures en 2014.

La Cour constate encore que l’appelante est restée en défaut d’expliquer de façon convaincante qu’il n’y a pas eu de diminution de bénéfices en ce que durant les périodes d’occupation privée présumées une contrepartie aurait été fournie par ses associés, l’appelante n’alléguant pas avoir reçu une telle contrepartie, mais contestant par principe tout usage privé de la maison.

Elle n’a pas non plus expliqué à suffisance que l’utilisation privée présumée ait été économiquement justifiée. Sur ce point, l’appelante affirme certes que Monsieur (F) se serait déplacé à quelques reprises à (D) en raison de la gestion de travaux effectués sur la maison et de son entretien, déplacements qui seraient ainsi selon elle à mettre en relation économique avec la génération de recettes. Ces déplacements avaient toutefois, selon les explications de l’appelante, lieu en automne, respectivement au début de l’année, partant en dehors des périodes de non-location relevées ci-avant par la Cour comme laissant présumer un usage privé de la maison.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le principe même de l’existence d’une distribution de bénéfices telle que retenue par le bureau d’imposition au bénéfices des deux associés de l’appelante est à confirmer, tandis que par réformation du jugement du 29 novembre 2022, la durée de la période que les associés de l’appelante sont considérés comme avoir utilisé la maison litigieuse à titre privé est à réduire à 3 semaines en 2013 et 2015 et à 2 semaines en 2014.

Cette conclusion n’est pas énervée par le reproche de l’appelante selon lequel l’Etat exigerait de sa part la preuve d’un fait négatif, une telle preuve étant en effet certes impossible à rapporter. A cet égard, il convient encore de relever qu’en vertu du paragraphe 171, alinéa 1er, AO, le contribuable est tenu de prouver ses déclarations, mais uniquement dans les limites de ce qui est raisonnable (« soweit ihm dies nach den Unständen zugemutet werden kann »)5.

En revanche, au regard du fait que de façon non contestée, tel que cela se dégage des plannings des locations tels que produits par l’appelante, la maison litigieuse n’a pas été donnée en location pendant des périodes prolongées durant les années litigieuses, l’exigence de donner des explications par rapport à ces périodes de non-location et de les justifier ne revient pas à exiger une preuve impossible à fournir, l’appelante ayant en effet la possibilité, tel que cela a été relevé par les premiers juges, de fournir plus particulièrement des preuves de l’emploi du temps de ses associés durant les périodes de non-location du bien, un voyage à une autre destination ou une autre occupation retraçable permettant par exemple d’exclure une utilisation privée du bien pendant les périodes susvisées, voire de fournir des preuves quant à l’occupation de la maison pendant certaines périodes et ce par exemple à travers des attestations testimoniales de personnes susceptibles de donner des explications quant à l’emploi de la maison, voire d’autres pièces comme par exemple des relevés de consommation d’eau ou d’électricité susceptibles de corroborer l’affirmation de l’appelante selon laquelle la maison aurait été inoccupée pendant les périodes de non-location.

Or, l’appelante est justement restée en défaut de fournir à suffisance de telles preuves.

En effet, les quelques périodes de non-location susceptibles de soulever des questions, telles que confirmées par la Cour, restent toujours inexpliquées en instance d’appel, si ce n’est par une référence vague et générale aux occupations professionnelles des époux (F-J), qui n’excluent toutefois pas, tel que retenu ci-avant, l’utilisation d’une maison de vacances à raison de 2 à 3 semaines par an en période d’été. Pour les considérations telles que relevées ci-avant, la scolarisation des enfants des associés n’exclut pas non plus cette occupation.

En ce qui concerne enfin le quantum de l’avantage retenu par le bureau d’imposition, les premier juges ont à juste titre pris en compte le fait que l’appelante a fait l’objet d’une taxation d’office partielle, pour ce qui est de l’évaluation de l’avantage accordé aux associés, dont le principe est inscrit au paragraphe 217, paragraphe (1), AO, lequel dispose que :

« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, für die eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind. (2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind».

Tel que les premier juges l’ont relevé à bon escient, la taxation des revenus constitue le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités 5 Cour adm. 26 novembre 2015, n° 36037C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 976 et les autres références y citées.

d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt6. Elle consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, afin d’aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans toute la mesure du possible à la réalité économique. Ce procédé comporte nécessairement une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération7. La taxation d’office ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition compte tenu des éléments à disposition du bureau d’imposition, même applicable à l’égard des contribuables soigneux et diligents8.

Selon les explications fournies par la partie étatique, la distribution cachée de bénéfices a été évaluée à partir d’un loyer moyen de … € par semaine, évalué sur base des loyers effectivement perçus, sans que ce loyer par semaine ne soit contesté par l’appelante.

A défaut de toute contestation par l’appelante quant au montant du loyer ainsi pris en compte, la prise en compte de la somme de … € par semaine est à confirmer.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que, par réformation partielle du jugement entrepris du 29 novembre 2022, la distribution cachée de bénéfices de … € pour chacune des années fiscales 2013 à 2015 telle que retenue par le bureau d’imposition est à ramener à la somme de … € pour les années 2013 et 2015 chacune et à la somme de … € pour l’année 2014 ;

La demande en paiement d’une indemnité de procédure de … € formulée par l’appelante sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est à rejeter, dans la mesure où il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Eu égard à l’issue du litige, l’appelante ayant partiellement obtenu gain de cause, la Cour fait masse des frais et les impose pour moitié à chacune des parties.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 9 janvier 2023 en la forme, au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation partielle du jugement entrepris du 29 novembre 2022, dit que la distribution cachée de bénéfice de … € pour chacune des années fiscales 2013 à 2015 telle que retenue par le bureau d’imposition est à ramener à la somme de … € pour les années 2013 et 2015 chacune et à la somme de … € pour l’année 2014 ;

confirme le jugement du 29 novembre 2022 entrepris pour le surplus, 6 Cour adm 29 octobre 2009, n° 25700C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts n° 945 et les autres références y citées.

7 Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts n° 946 et les autres références y citées.

8 Cour adm. 30 avril 2009, n° 25231C, Pas. adm. 2022, V° Impôts n° 950 et les autres références y citées.

renvoie l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution, rejette la demande de l’appelante tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, fait masse des frais et les impose pour moitié à chacune des parties à l’instance.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 16 mai 2023 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier assumé ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mai 2023 Le greffier de la Cour administrative 17



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 16/05/2023
Date de l'import : 25/05/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 48356C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-05-16;48356c ?

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