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04/05/2023 | LUXEMBOURG | N°46/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 mai 2023, 46/23


N° 46 / 2023 du 04.05.2023 Numéro CAS-2022-00086 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Sibel

DEMIR, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et PERSONNE...

N° 46 / 2023 du 04.05.2023 Numéro CAS-2022-00086 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Sibel DEMIR, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Joëlle CHRISTEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 68/21 - I - CIV, rendu le 10 mars 2021 sous le numéro CAL-2020-00019 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 20 juillet 2022 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 9 août 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 16 septembre 2022 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 19 septembre 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la tribunal d’arrondissement de Luxembourg, statuant sur les difficultés de liquidation de la communauté de biens ayant existé entre le demandeur en cassation et la défenderesse en cassation, avait, entre autres, décidé que la défenderesse en cassation n’était pas redevable à la communauté d’une récompense au titre des travaux effectués par le demandeur en cassation dans l’intérêt de l’immeuble appartenant en propre à la défenderesse en cassation. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1437 alinéa 1 qui dispose que fois qu’il est pris sur la communauté une somme, soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des conjoints, telles que le prix ou partie du prix d’un bien à lui propre ou le rachat des services fonciers, soit pour le recouvrement, la conservation ou l’amélioration de ses biens personnels, et généralement toutes les fois que l’un des deux conjoints a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense ».

En ce que la Cour d’appel a dit la demande en récompense de PERSONNE1.) du fait des travaux de rénovation réalisés par le biais de son industrie personnelle, sur l’immeuble propre de PERSONNE2.) non fondée et a donc rejeté cette demande pour ne pas être une cause de récompense ;

Alors que la réalisation de travaux de rénovation par un époux sur un bien propre de l’autre époux est une mise disposition son industrie personnelle qui caractérise un profit personnel d’un époux au détriment de la communauté qui s’appauvrit sans contrepartie ; que le mécanisme des récompenses est un mécanisme tendant à la rectification d’un déséquilibre entre la communauté et le patrimoine propre d’un époux ; qu’en rejetant la demande en récompense de PERSONNE1.) en faveur de la communauté, la Cour d’appel a violé l’article 1437 alinéa 1 du code civil. ».

Réponse de la Cour L’industrie personnelle déployée par un époux à l’amélioration d’un bien propre de l’autre époux n’ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté de biens, dès lors qu’elle ne représente pas le prélèvement d’une somme commune et que la plus-value procurée au bien propre ne représente pas un profit personnel tiré d’un bien commun.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Joëlle CHRISTEN, sur ses affirmations de droit.

Monsieur le Président Roger LINDEN, qui a participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Christiane JUNCK en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ PERSONNE2.) (affaire n° CAS-2022-00086 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 9 août 2022 d’un mémoire en cassation, signifié le 20 juillet 2022 à la partie défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt n°68/21-I-CIV rendu le 10 mars 2021 par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, sous le numéro CAL-2020-00019 du rôle.

La recevabilité du pourvoi Il ne résulte pas du dossier soumis à Votre Cour que l’arrêt du 10 mars 2021 ait été signifié.

Le pourvoi, déposé dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation est recevable.

Le mémoire en réponse de la défenderesse en cassation, signifié au demandeur en cassation en son domicile élu le 16 septembre 2022 et déposé au greffe de la Cour le 19 septembre 2022 peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Les faits et les antécédents procéduraux Par jugement civil contradictoire du 22 octobre 2019, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, statuant dans le cadre de difficultés de liquidation de la communauté de biens ayant existé entre PERSONNE2.) et PERSONNE1.) et dont le divorce a été prononcé par jugement, confirmé en appel, du 3 décembre 2009, a dit, notamment, que l’immeuble sis à L-ADRESSE2.), constitue un bien propre à PERSONNE2.), que PERSONNE2.) redoit à la communauté une récompense de 123.498,87 euros en relation avec le remboursement des deux prêts hypothécaires et les travaux effectués dans ledit immeuble et a déclaré recevable mais non fondée la demande de PERSONNE1.) en obtention d’une récompense pour le travail personnel investi dans la maison de PERSONNE2.).

De ce jugement PERSONNE1.) a relevé appel limité et il a notamment demandé à la Cour d'appel de dire, par réformation, que la communauté a droit à récompense du chef de l’industrie de l’époux employé dans l’immeuble propre, pour un montant non contestable de 128.000 euros.

Dans son arrêt du 10 mars 2021, la Cour d’appel a déclaré l’appel non fondé sur ce point au motif que :

« Un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il est pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement, lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté. Il s’ensuit que la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté.

L’industrie personnelle déployée à l’amélioration d’un bien propre ne forme point une cause de récompense pour la communauté car elle ne représente ni le prélèvement d’une somme commune ni un profit personnel retiré d’un bien commun (Cass. fr. 1er civ. 28 février 2006 : JCP G 2006, I,193) Au vu des développements qui précèdent, l’appel de PERSONNE1.) tendant, par réformation, à se voir rétribuer les travaux accomplis dans l’immeuble de PERSONNE2.) n’est pas fondé ».

Le présent pourvoi est dirigé contre cet arrêt du 10 mars 2021.

Sur l’unique moyen de cassation Le moyen est tiré de la violation de l’article 1437 alinéa 1er du Code civil, en ce que les juges d’appel ont dit la demande en récompense du demandeur en cassation du fait des travaux de rénovation, réalisés par le biais de son industrie personnelle, sur l’immeuble propre de la défenderesse en cassation non fondée et ont donc rejeté cette demande pour ne pas être une cause de récompense, alors que la réalisation de travaux de rénovation par un époux sur un bien propre de l’autre époux est une mise à disposition de son industrie personnelle qui caractérise un profit personnel d’un époux au détriment de la communauté qui s’appauvrit sans contrepartie ; que le mécanisme des récompenses est un mécanisme tendant à la rectification d’un déséquilibre entre la communauté et le patrimoine propre d’un époux et qu’en rejetant la demande en récompense du demandeur en cassation en faveur de la communauté, la Cour d’appel a violé l’article 1437 alinéa 1er du Code civil.

Le demandeur en cassation reconnaît que les juges d’appel ont fait application d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation française dès 1992, mais il donne à considérer que cette jurisprudence procède de deux restrictions.

En effet, nonobstant le fait qu’il n’aurait pas eu prélèvement en argent sur la communauté, celle-ci aurait profité d’une économie en argent. Cette économie enrichirait le patrimoine de l’époux propriétaire de l’immeuble au détriment de la communauté. Le savoir-faire et l’industrie d’un conjoint constitueraient également une valorisation du bien immobilier, ce qui engendrerait un profit personnel pour l’époux propriétaire.

De plus, la notion de bien commun visée par l’article 1437 alinéa 1er du Code civil devrait inclure, outre les biens matériels, les fruits, gains et revenus. L’apport en industrie générerait un gain et potentiellement des revenus qui juridiquement constitueraient des fonds communs et donc des bien communs. La mise à disposition de l’industrie personnelle d’un conjoint au profit personnel de l’autre conjoint devrait partant ouvrir droit à récompense en faveur de la communauté.

Aux termes de l’article 1437 alinéa 1er du Code civil, dont la teneur est identique à l’article 1437 du Code civil français, « toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux telles que le prix ou partie du prix d’un bien à lui propre ou le rachat des services fonciers soit pour le recouvrement, la conservation ou l’amélioration de ses biens personnels et généralement toutes les fois que l’un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense ».

En raison de l’identité des dispositions légales, la jurisprudence luxembourgeoise1 suit la jurisprudence française quant à la question de savoir si l’industrie personnelle d’un époux consacrée à un bien propre peut être source de récompense. Votre Cour de cassation n’a, sauf erreur, pas encore été saisie de cette question.

D’après une jurisprudence française constante depuis 1992, l’industrie personnelle déployée à l'amélioration d'un bien propre ne forme pas une cause de récompense pour la communauté car elle ne représente ni le prélèvement d'une somme commune ni un profit personnel retiré d'un bien commun. En effet, selon la Cour de cassation française, « un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il a pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté. Il s’ensuit que la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté »2.

La même solution est appliquée lorsque les travaux sont exécutés par un conjoint au profit d’un bien lui appartenant en propre. En effet, « un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il a pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté. Il s’ensuit que la plus-

1 Voir notamment: Cour d’appel, 24 mars 2021, n° 81/21 - I- CIV, n° CAL-2019-00566 du rôle.

2 Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 29 mai 2013, n° de pourvoi 11-25.444 ; Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 30 juin 1992, n° de pourvoi : 90-19.346 : « mais attendu que la seule circonstance que le mari se soit consacré à l'exploitation du fonds de commerce propre à la femme, n'est pas de nature, en l'absence d'investissements pour conserver ou améliorer le fonds, non allégués en l'espèce, à ouvrir droit à récompense pour la communauté »; Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 5 avril 1993, n° de pourvoi :

91-15.139 ; Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 28 février 2006, n° de pourvoi : 03-16.887 ; Cour d’appel de Nîmes, 14 sept. 2016, n° 15/03238 : JurisData n° 2016-019832.

value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien lui appartenant en propre ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté ».3 Si parfois certaines formulations employées par la Cour de cassation française ont suscité des interrogations sur l’ouverture d’éventuelles brèches, elle n’a cependant pas dévié de sa jurisprudence et n’a jamais reconnu un droit à récompense au profit de la communauté pour l’industrie personnelle déployée sur un bien propre 45. Cette solution a le mérite et elle a été inspirée par le souci de simplifier les liquidations et d’éviter un contentieux portant, notamment, sur l’évaluation financière de ce travail manuel.

La jurisprudence de la Cour de cassation française est, pour le reste, de la même teneur en matière d’indivision et il est retenu que « qu'en statuant ainsi, alors que l'activité personnelle déployée par un indivisaire ayant contribué à améliorer un bien indivis ne peut être assimilée à une dépense d'amélioration, dont le remboursement donnerait lieu à application de l'article 815-13 du code civil6, la cour d'appel a, par fausse application, violé le texte susvisé »7.

En droit belge, la version originaire de l’article 1437 du Code civil a été modifiée pour devenir l’article 1432 du Code civil dans le cadre d’une réforme de 1976. Un deuxième alinéa y a été ajouté par une loi du 22 juillet 20188.

Depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2022 de la loi du 19 janvier 2022 portant le livre 2, titre 3 « Les relations patrimoniales des couples » et le livre 4 « Les successions, donations et testaments » du Code civil, les récompenses dans le contexte de la dissolution des régimes matrimoniaux sont dorénavant régies par les articles 2.3.44 et 3 Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 10 juin 2015, n° de pourvoi 14-19.829.

4 A titre d’exemple, la Cour de cassation française a retenu, sous le visa de l’article 1437 du Code civil, que:

« Attendu, selon ce texte, qu'un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu'il est pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement, lorsque l'époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté ; qu'il s'ensuit que la plus-value procurée par l'activité d'un époux ayant réalisé lui-même certains travaux sur un bien qui lui est propre, ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté ; Attendu que, pour condamner M. X… à verser une récompense à la communauté pour la construction, à l'aide de son travail personnel, d'une maison d'habitation sur un terrain lui appartenant en propre, l'arrêt attaqué énonce que cet immeuble a été édifié grâce au temps passé par le mari à l'exécution des travaux, et qu'une récompense est due à la communauté qui s'est appauvrie, non seulement de ses deniers à concurrence de 19 536 francs, mais aussi du travail du mari ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'est pas contesté que la construction litigieuse a été réalisée par le mari, non pas pendant ses heures de travail, mais durant ses moments de loisir, qu'il n'était pas tenu de consacrer à la conservation ou à l'amélioration des biens communs, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés » (Cour de cassation française, 1ère chambre civile, 18 mai 1994, n° de pourvoi 92-14.747).

5 B. VAREILLE, « Régimes de communauté : l'industrie personnelle d'un époux sur un bien propre source de récompense », RTD civ. 2004, p. 132, note sous Cour d’appel de Paris, 20 mars 2003, Dr. fam. 2003, n°120.

6 Article 815-13 du Code civil français : « Lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.

Inversement, l'indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute ».

7 Cour de cassation française,1ère chambre civile, 13 Juillet 2016, n° de pourvoi 15-21.985.

8 Loi du 22 juillet 2018 modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière.

suivants du Code civil belge, dont la teneur est restée essentiellement identique aux articles 1432 et suivants abrogés.

L’article 2.3.44 du Code civil belge est libellé comme suit : « Il est dû récompense par chaque époux à concurrence des sommes qu'il a prises sur le patrimoine commun pour acquitter une dette propre et généralement toutes les fois qu'il a tiré un profit personnel du patrimoine commun.

L'époux qui exerce sa profession au sein d'une société dont les actions lui sont propres doit une récompense au patrimoine commun pour les revenus professionnels nets que le patrimoine commun n'a pas reçus et qu'il aurait raisonnablement pu recevoir si la profession n'avait pas été exercée au sein de cette société.

Il est de même dû récompense au patrimoine commun à concurrence du préjudice qu'il a subi en conséquence d'un des actes énumérés à l'article 2.3.36, lorsque ce préjudice n'a pas été entièrement réparé par l'annulation de l'acte ou lorsque l'annulation n'a pas été demandée ou obtenue ».

La Cour de cassation belge s’est prononcée comme suit par rapport à la question juridique posée en l’espèce :

« Si, aux termes de l'article 221, alinéa 1er, du Code civil, chacun des époux contribue aux charges du mariage selon ses facultés, il ne résulte pas de cette disposition que, pour autant qu'il satisfasse à l'obligation qu'elle prescrit, un conjoint n'aurait pas la libre disposition de sa force de travail, qu'il devrait consacrer tout entière à la production de revenus ayant un caractère commun.

Conformément aux articles 1432 et 1435 du même code, il n'est dû par un époux de récompense au patrimoine commun que dans la mesure où celui-ci s'est appauvri au profit de son patrimoine propre.

L'enrichissement que procure à son patrimoine propre l'industrie que lui consacre un conjoint en dehors d'une relation professionnelle, auquel ne correspond, partant, aucun appauvrissement du patrimoine commun, ne saurait donner lieu à une récompense.

Tant par ses motifs propres que par ceux du jugement entrepris, qu'il adopte, l'arrêt constate que la défenderesse « réclame une récompense au profit de la communauté pour la force de travail déployée par [le demandeur] dans [deux] immeubles [propres dont il est propriétaire] ».

Il considère que « la force de travail est une valeur patrimoniale qui[…], si elle s'exerce dans le cadre de relations professionnelles, […] se matérialise par la perception de revenus tandis que, si elle s'exerce dans le cadre de travaux domestiques, [elle] se matérialise dans l'amélioration d'un bien » ; que, « si la force de travail d'un individu lui est personnelle, les fruits du travail de l'époux commun en biens appartiennent à la communauté » ; que, « en l'occurrence, l'appauvrissement résulte du fait que la valeur de la force de travail déployée, au lieu de tomber dans le patrimoine commun, comme elle a vocation à le faire, profite à un patrimoine propre dont elle améliore le bien » ;

qu'« il en est d'autant plus [ainsi] que [le demandeur, qui est conducteur à la Société nationale des chemins de fer belges], exerçait »,au moment où les travaux litigieux ont été exécutés, « une activité complémentaire de ‘construction de maisons individuelles’ » et qu'« il apparaît dès lors que ces travaux ont été exécutés dans le cadre d'une activité professionnelle, fût-elle complémentaire, [du demandeur] ».

Ni par ces énonciations ni par aucune autre, l'arrêt, qui ne dénie pas que, comme l'exposait le demandeur, « les travaux litigieux ont été réalisés durant ses temps de loisir » et qui ne constate pas qu'il aurait manqué à son obligation de contribuer aux charges du mariage, ne justifie légalement sa décision « que la communauté s'est appauvrie du temps [qu'il a] passé […] pour exécuter des travaux à ses biens propres plutôt qu'au profit de tiers » et que, compte tenu de l'enrichissement de son patrimoine propre, il doit dès lors une récompense au patrimoine commun »9. L’arrêt de la Cour d’appel a partant été cassé.

Cette solution paraît plus nuancée que celle adoptée par la jurisprudence française. Selon les commentateurs de cet arrêt, il a été retenu que chaque époux a la libre disposition de sa force de travail et, s’il satisfit à ses obligations contributives aux charges du mariage, ne doit pas la consacrer toute entière à la production de revenus ayant un caractère commun. Par contre un usage non approprié ou abusif de cette force de travail personnelle ou propre pourrait ouvrir un doit plus large à récompense10. Le droit à récompense est ouvert lorsque l’époux a utilisé, ou détourné, sa force de travail au profit de son patrimoine propre s’il en est résulté une perte de revenus professionnel. Tel n’est pas le cas lorsque le travail en nature a été accompli hors contexte professionnel. L’usage de la force de travail à des fins patrimoniales propres doit s’être produit à un moment où normalement, l’époux devait déployer cette force de travail à des fins professionnelles lucratives11.

Il a été critiqué que l’indemnisation d’une absence de revenus pour le patrimoine commun puisse relever de l’article 1432 du Code civil et que la Cour de cassation n’ait pas éteint le débat en constatant qu’une valeur propre investie dans le patrimoine propre ne créait, par définition, aucun appauvrissement du patrimoine commun qui n’a rien financé dans cette aventure patrimoniale au sens où il ne s’est en rien dépouillé au profit du patrimoine propre12.

Il faut en conclure qu’à part l’hypothèse où le travail sur le bien propre est effectué durant un temps normalement consacré à une activité professionnelle, la jurisprudence belge ne reconnaît pas non plus un droit à récompense au profit de la communauté pour l’industrie personnelle déployée au profit d’un bien propre.

9 Cour de cassation belge, 1ère chambre, 29 juin 2017, R.C.J.B., 2020, p. 99.

10 Ph. DE PAGE, « L’industrie personnelle d’un époux au profit de son patrimoine propre : cause de récompense au profit du patrimoine commun », R.C.J.B., 2020, p.116 et 117, n° 10.

11 Idem, n° 11.

12 Idem, n° 12.

Il découle de tout ce qui précède qu’en suivant une jurisprudence constante de la Cour de cassation française rendue en application d’une disposition légale identique en droit luxembourgeois, les magistrats d’appel ont fait une correcte application de la disposition légale visée au moyen.

Le pourvoi est partant à rejeter.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46/23
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-05-04;46.23 ?

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