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09/03/2023 | LUXEMBOURG | N°48021C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 mars 2023, 48021C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48021C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48021 Inscrit le 6 octobre 2022

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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 31 août 2022 (n° 45883 du rôle) en présence de la société à responsabilité limitée (CD), …, de la société anonyme (EF), …, et de la société anonyme (GH), …, en matière de marchés public

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48021C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48021 Inscrit le 6 octobre 2022

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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 31 août 2022 (n° 45883 du rôle) en présence de la société à responsabilité limitée (CD), …, de la société anonyme (EF), …, et de la société anonyme (GH), …, en matière de marchés publics

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 48021C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 6 octobre 2022 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 31 août 2022 (n° 45883 du rôle) par lequel ledit tribunal a reçu en la forme et rejeté au fond son recours tendant à l’annulation de « (1) une ou plusieurs décisions portant mise à l'écart des offres présentées par la partie requérante pour les lots 21 et 27 du marché public intitulé « Appel d'offres pour l'exploitation de services de transports publics par route "RGTR" »; (2) une ou plusieurs décisions portant attribution des lots 21 et 27 du marché public intitulé « Appel d'offres pour l'exploitation de services de transports publics par route "RGTR" » à un ou plusieurs autres soumissionnaires ou groupement de soumissionnaires dont l'identité est actuellement inconnue de la partie requérante »;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, immatriculée près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, des 11 et 12 octobre 2022 portant signification de cette requête d’appel (1) à la société à responsabilité limitée (CD), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, (2) à la société anonyme (EF), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonctions, (3) ainsi qu’à la société anonyme (GH), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonctions;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 7 novembre 2022 par la société à responsabilité limitée NAUTADUTILH Avocats Luxembourg SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Jean Bertholet, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 189905, représentée aux fins de la présente instance par Maître Vincent WELLENS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté par Maître Maxime VANDERSTRAETEN, avocat inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Bruxelles, au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 10 novembre 2022 par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de la société à responsabilité limitée (CD), préqualifiée;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 11 novembre 2022 par Maître François PRUM, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société anonyme (EF), préqualifiée;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 12 décembre 2022 pour compte de la société appelante (AB);

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 12 janvier 2023 pour compte de l’Etat;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport et Maître Marc THEWES, assisté par Maître Hicham RASSAFI, Maître Vincent WELLENS, Maître Alain RUKAVINA, ainsi que Maître Lionel SPET, en remplacement de Maître François PRUM, en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 31 janvier 2023.

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Par avis de marché publié les 10 et 11 septembre 2020, le ministère de la Mobilité et des Travaux publics, département de la Mobilité et des Transports, ci-après le « ministère », annonça l’ouverture d’une procédure d’appel d’offres pour l’exploitation de services de transports publics par route « RGTR », divisés en 32 lots visant à chaque fois différentes lignes régionales ou locales.

La société à responsabilité limitée (AB), ci-après la « société (AB) », ainsi que différentes autres entreprises de transport de personnes déposèrent des offres, lesquelles furent ouvertes en public le 8 décembre 2020, la société (AB) ayant plus particulièrement remis des offres pour les lots 21 (Luxembourg – Leudelange – Itzig – Munsbach) et 27 (agglomération Luxembourg).

Par décision du 31 mars 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après le « ministre », écarta ces deux offres, aux motifs suivants :

« (…) Après une analyse approfondie de votre dossier, je suis au regret de vous informer que toutes vos offres ont été jugées irrégulières et ont dû être écartées au sens de l'article 80 paragraphe (1) du Règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, car elles ne satisfont pas aux conditions formulées dans les documents de marché.

Mes services ont en effet relevé que les calculs concernant les prix horaires pour le personnel proposés dans vos offres sont erronés car ils sont basés sur un volume horaire différent de celui des heures commerciales à prester tel qu'indiqué dans les fiches-lots fournies dans le dossier de soumission.

Or, conformément à l'article 60 paragraphe (1) du Règlement grand-ducal précité, il est interdit de changer ou d'ajouter quoi que ce soit au texte ou aux inscriptions des pièces de soumission. Les offres non conformes à cette interdiction ne sont pas prises en considération (article 63 du Règlement).

L'anomalie précitée ne s'apparente pas à une erreur arithmétique qui pourrait être corrigée en application de l'article 81 du Règlement.

En outre, en procédure ouverte comme en l'espèce, il n'est pas possible de vous donner l'opportunité de corriger cette erreur - à supposer qu'il s'agisse d'une erreur -, car cela aboutirait à la présentation d'une offre nouvelle et violerait le principe d'égalité de traitement (article 80 paragraphe (2) du Règlement). (…) ».

Répondant à un courrier adressé au ministre par le mandataire de la société (AB) le 1er avril 2021, afin que lui soit communiqué: « (1) la nature précise de la ou des erreurs invoquées pour rejeter l’offre [présentée par sa mandante]; (2) un exposé circonstancié, tant en droit qu’en fait, de l’impossibilité pour vos services de redresser d’office la ou les erreurs invoquées ; ainsi que (3) la ou les décisions d’attribution respectives pour tous les lots pour lesquels [sa mandante] a remis une offre », le ministre prit position par courrier du 9 avril 2021 libellé comme suit:

« (…) Mon courrier du 31 mars 2021 énonce parfaitement le raisonnement tant en fait qu'en droit qui a conduit à la décision d'irrégularité de toutes les offres remises par votre mandante.

Il a été indiqué dans ce courrier : « Mes services ont en effet relevé que les calculs concernant les prix horaires pour le personnel proposés dans vos offres sont erronés car ils sont basés sur un volume horaire différent de celui des heures commerciales à prester tel qu'indiqué dans les fiches-lots fournies dans le dossier de soumission. » Pour illustrer cela, je vous prie de trouver en pièce-jointe l'ensemble des fiches-lots avec la partie des bordereaux correspondante aux prix horaires pour le personnel telle que remis par votre mandante sur lesquels sont indiqués dans un cadre vert les montants à comparer.

Par souci de lisibilité, les montants totaux des heures à comparer sont repris dans le tableau ci-dessous :

Lot Heures de service commercial Heures indiquées par (AB) indiquées dans les fichiers-lots S.à.r.l.

21 52.251,57 61.779,46 27 52.442,11 60.132,59 Force est de constater, que le montant des heures de service à prester dans le cadre de ce marché diffère avec celui repris dans les bordereaux remis par votre mandante.

Or, il a été reprécisé sur le bordereau que les prix horaires pour le personnel doivent être fournis pour une heure de service commercial car les prestations à vide (haut-le-pied) ne sont pas rémunérées séparément, ni en termes de kilomètres, ni en termes de conduite, et doivent donc être incluses dans les tarifs. Cette information est également reprise aux articles D.2 « Définitions et acronymes, Horaires » et C.6.1.1 « Rémunération des prestations » du Dossier de soumission.

Il est aussi rappelé que les variantes ne sont pas admises (article A.5.3 « Variantes » du Dossier de soumission).

3. Il est à ajouter que le bordereau remis par la société … pour le lot 27 ne saurait être recevable car votre mandante n'a pas introduit son offre avec la bonne version du bordereau.

4. Dès lors, les offres remises par votre mandante ne satisfont pas aux conditions formulées dans les documents de marché.

Pour le reste, je vous renvoie à mon courrier du 31 mars 2021.

5. Enfin, l'article 249 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics prévoit :

(2) À la demande du candidat ou du soumissionnaire concerné, les entités adjudicatrices communiquent, dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception d'une demande écrite : (…) b) à tout soumissionnaire écarté, les motifs du rejet de son offre, y compris, dons les cas visés à l'article 144, paragraphe 1er, alinéas 2 à 4, de la loi, les raisons pour lesquelles elles ont conclu à la non-équivalence ou décidé que les travaux, fournitures ou services ne répondent pas aux performances ou aux exigences fonctionnelles;

c) à tout soumissionnaire avant fait une offre recevable, les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue ainsi que le nom du titulaire ou des parties à l'accord-cadre;

Les offres de votre mandante ont été jugées comme irrégulières. Contrairement à ce que vous affirmez, l'article 249, paragraphe 2, point b) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics prévoit uniquement la communication à tout soumissionnaire écarté des motifs du rejet de son offre.

De surcroît, l'article 7 de la loi modifiée du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d'attribution de contrats de concession, selon lequel "la décision d'attribution est communiquée à chaque soumissionnaire", ne saurait être interprété comme imposant la communication de l'ensemble de la décision d'attribution à tous les soumissionnaires (voy. par ex. Trib. Adm., 8 octobre 2018, n°397369. (…) ».

Par une décision du 31 mars 2021, le ministre informa la société à responsabilité limitée (CD), ci-après la « société (CD) », de ce qu’elle fut déclarée adjudicataire pour le lot 21.

Par une décision du 31 mars 2021, le ministre informa encore la société anonyme (EF), ci-après la « société (EF) », de ce qu’elle fut déclarée, en groupement conjoint avec la société anonyme (GH), ci-après la « société (GH) », adjudicataire pour le lot 27.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2021, inscrite sous le numéro 45883 du rôle, la société (AB) fit introduire un recours tendant à l’annulation de :

« (1) une ou plusieurs décisions portant mise à l'écart des offres présentées par la partie requérante pour les lots 21 et 27 du marché public intitulé « Appel d'offres pour l'exploitation de services de transports publics par route "RGTR" » ;

(2) une ou plusieurs décisions portant attribution des lots 21 et 27 du marché public intitulé « Appel d'offres pour l'exploitation de services de transports publics par route "RGTR" » à un ou plusieurs autres soumissionnaires ou groupement de soumissionnaires dont l'identité est actuellement inconnue de la partie requérante. ».

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45884 du rôle, la société (AB) sollicita encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond. - Par une ordonnance du 26 mai 2021, le premier vice-président, en remplacement du président du tribunal administratif, ordonna le sursis à exécution des décisions du ministre du 31 mars 2021 ayant déclaré irrecevable les offres de la société (AB) présentées pour les lots 21 et 27, ainsi que des décisions d’attribution des 31 mars 2021 des lots en question aux sociétés (CD), (EF) et (GH), jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro du rôle 45883.

Par jugement du 31 août 2022, le tribunal administratif, après avoir rejeté la demande de la partie demanderesse tendant à se voir communiquer les décisions d’adjudication, reçut le recours en la forme, le dit non justifié, partant en débouta, le tout en rejetant les demandes respectives en paiement d’une indemnité de procédure formulées par la partie demanderesse et par l’Etat et en condamnant la partie demanderesse aux frais et dépens.

Les premiers juges conclurent, entre autres, que c’était à juste titre que le pouvoir adjudicateur avait considéré irrecevable et écarté, au sens de l'article 80, paragraphe (1), du règlement grand-ducal modifié du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après le « règlement du 8 avril 2018 », les offres de la société (AB) en raison du fait que le volume total de l’horaire de service offert, à travers les bordereaux soumis, dépasserait de façon significative celui à prester, c’est-à-dire ne correspondrait pas au volume total de l’horaire de service, tel qu’il se dégagerait des fiches-lots fournies dans le dossier de soumission.

Ainsi, ce serait à tort que la partie demanderesse soutiendrait que la notion « heure de service commercial » correspondrait à un chiffre variable, à déterminer par le soumissionnaire et auquel il conviendrait d’ajouter les heures de battement, étant donné qu’il se dégagerait clairement du cahier des charges du marché qu’il s’agirait d’un chiffre invariable et préétabli par le pouvoir adjudicateur à travers les horaires des lignes indiqués dans les fiches-lots et auquel il conviendrait de ne rien ajouter.

Les premiers juges considérèrent encore que pareille non-conformité, une fois constatée, impliquerait obligatoirement la mise à l’écart de l’offre ainsi viciée, le pouvoir adjudicateur ne disposant y relativement ni d’une latitude d’appréciation, ni ne pourrait-il admettre ou opérer un redressement ou une régularisation.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 6 octobre 2022, la société (AB) a relevé appel du susdit jugement du 31 août 2022.

D’après le dernier état de ses conclusions, n’incluant plus la demande formulée dans la requête d’appel tendant à l’obtention d’une décision avant dire droit avec injonction à la partie publique de produire encore différentes autres pièces, le mandataire de la partie appelante, à l’audience des plaidoiries, s’étant déclaré satisfait des pièces produites par l’Etat au cours de la procédure d’appel, celle-ci soutient en substance, dans un premier ordre d’idées, que le rejet de son offre serait vicié, au motif qu’elle aurait déposé une offre conforme.

En effet, dans une procédure tendant à solliciter des candidats un « prix » total à calculer sur la base des prix unitaires du bordereau de soumission, c’est-à-dire où le pouvoir adjudicateur sollicitait des offres de prix unitaires pour chacun des lots, elle s’y serait parfaitement conformée en produisant un bordereau de soumission, pour chacun des lots convoités, contenant une liste de prix unitaires, ventilés selon les horaires de conduite (nuit, jours fériés, etc.).

Selon l’appelante, les quantités à indiquer dans le bordereau de soumission ne constitueraient qu’une simple estimation, seuls les prix unitaires indiqués liant le candidat et non les quantités, ces dernières n’étant déterminées qu’au fur et à mesure de l'exécution du contrat.

Il conviendrait partant de conclure que les montants indiqués au titre des « heures de service commercial par an » ne feraient techniquement pas partie des offres, d’une part, et qu’une erreur y afférente devrait rester sans incidence au niveau de la question de la conformité des offres, d’autre part.

Par ailleurs, il serait faux de dire qu’elle aurait en quoi que ce soit modifié les documents de soumission et contrevenu à l'article 60, paragraphe 1er, du règlement du 8 avril 2018.

De même, il ne pourrait pas être question de proposition d’une variante, d’une offre conditionnelle ou encore d’une offre comprenant une combinaison et/ou une modification des lots.

Par conséquent, l'article 63 du règlement du 8 avril 2018 ne constituerait point non plus une base légale valide pour les décisions contestées.

Au-delà, l’erreur sur les valeurs lui reprochée n’aurait eu aucune incidence sur la comparabilité des offres, l’Etat s’en étant aperçu facilement et ayant, sans problème et conséquence, pu et dû la rectifier pour les seuls besoins de la comparaison des offres.

Cette rectification resterait en effet sans la moindre incidence sur la valeur de son offre de prix unitaire et ne la modifierait aucunement, mais au contraire rétablirait l'effectivité des principes de transparence et d'égalité.

La partie appelante insiste sur le fait que par rapport à un appel d’offres pour des prix unitaires, elle aurait répondu en pleine conformité par la production d’une offre de prix unitaires.

Par ailleurs, en dehors du cas de figure spécifique et strictement règlementé procéduralement d’une offre anormalement basse, procédure jamais ouverte en l’espèce, il n'appartiendrait à personne de déterminer ce qui est un prix « juste » ou « correct » à l'issue d'une mise en concurrence et même si elle s’était trompée dans ses calculs, ce qui ne serait pas le cas, elle devrait en assumer les conséquences financières.

En ordre subsidiaire, la partie appelante fait soutenir qu’il serait erroné de considérer qu’elle aurait contrevenu aux documents de soumission en renseignant, dans ses bordereaux de soumission, un volume horaire prenant en compte les temps de battement.

Cette conclusion s’imposerait au regard de ce qu’au vu des stipulations du dossier de soumission (dont les articles A.6.3, C.6.1.1, A.6.4), l'adjudicataire serait rémunéré sur la base d'un « prix kilométrique » et d'un « prix horaire », renseigné dans son bordereau, multipliés par les « courses telles qu'indiquées dans les horaires et reprises dans les roulements », d’une part, les candidats ayant encore reçu l'instruction de calculer des « prix horaires comprenant tous les éléments de rémunération » (les autres frais tels que matériel roulant, carburant, etc. étant couverts par le prix kilométrique) et en « prenant en compte les temps de parcours indiqués dans les horaires détaillés tels que présentés dans la fiche d'allotissement correspondant au lot (heures de pointe/heures creuses), les temps de battement et les catégories de véhicules à mettre en service pour les lignes du lot », mais non le temps consacré aux « courses à vide/haut-le-pied et autres heures payées au conducteur en dehors du véhicule : pause, prise et fin de service », d’autre part, et les temps de battement feraient obligatoirement partie intégrante des roulements car devant « être ajoutés à la fin de chaque course », de troisième part.

Selon la partie appelante, aucun reproche ne saurait lui être fait d’avoir suivi toutes les instructions accompagnant chaque bordereau, l’invitant à indiquer un prix unitaire comprenant toutes les ressources et tous les types de prestation requis et à déterminer ses prix unitaires en prenant en compte les temps de battement, comme cela figurerait d’ailleurs encore expressément à la première page de chacun des bordereaux de soumission.

Dans un deuxième ordre d’idées, développé en termes de réplique en instance d’appel, suite au mémoire en réponse de l’Etat et de la fourniture de différentes informations et pièces additionnelles, la partie appelante entend pointer un autre problème viciant, selon elle, tant la décision d’écartement de son offre que la décision d’adjudication, toutes deux visées par son recours, et requérant leur annulation.

Déclarant avoir appris, pour la première fois à la lecture dudit mémoire en réponse de la partie étatique, qu’aux yeux du pouvoir adjudicateur, seul le volume horaire total par lot et par plage horaire importait et que les candidats auraient été libres de ventiler le volume horaire total du lot par plage horaire, l'Etat se contentant à cet égard de contrôler si le total des heures commerciales correspondait au volume horaire prévu par la fiche-lot correspondante, la partie appelante soutient que l’Etat aurait de la sorte impunément admis l’indication d’« heures fantaisistes », en particulier au niveau des plages horaires pour lesquelles les salaires sont les plus élevés (nuit, samedi, dimanches et jours fériés) et, de la sorte, permis aux candidats de baisser artificiellement le prix total annuel et faussé l'évaluation des offres.

Entrevue comme telle, alors que, de façon contradictoire, il serait à d’autres endroits du susdit mémoire tout aussi bien question de ce que le temps de service commercial constituerait une donnée invariable, la conception de la procédure de mise en concurrence de l'Etat serait viciée car elle aurait pour résultat que les prix totaux des offres de chacun des candidats ne seraient pas fondés sur les mêmes éléments et partant seraient incomparables.

Or, tel aurait bien été la situation en l’espèce.

En effet, comme il se dégagerait de la pièce additionnelle produite par l’Etat, intitulée « Mise en perspective des fiches-lots avec la version non-confidentielle des pages 5 et 6 des bordereaux des soumissionnaires choisis pour tous les lots », que l'addition des heures de service des différentes plages horaires ne correspondrait au total de la fiche horaire pour aucun des soumissionnaires, il serait patent que les offres globales n’auraient pas pu être comparées entre elles.

La partie appelante entend encore plus particulièrement dégager des extraits des bordereaux fournis l’existence de différences considérables entre les offres remises pour les différents lots.

Ainsi, le pouvoir adjudicateur aurait curieusement été très sévère et exigeant à son égard, mais très large à propos des offres des autres soumissionnaires.

Or, en écartant arbitrairement son offre, tout en fermant les yeux sur les irrégularités des offres d'autres soumissionnaires, l’Etat aurait violé le principe d'égalité des soumissionnaires.

Sur ce, la partie appelante demande à la Cour d’annuler les deux décisions contestées, principalement en décidant que son offre aurait été conforme et partant à tort déclarée irrecevable, sinon en retenant que le motif retenu à son dépens, à savoir une déviation des heures de service commercial par rapport aux indications de la fiche-lot, rendant impossible une comparaison des offres de la requérante avec celles des autres soumissionnaires, affecterait en réalité toutes les offres, sinon en jugeant que le motif retenu à son dépens serait erroné car la divergence qui lui est reprochée, découlant de la prise en compte des temps de battement, serait conforme aux stipulations du cahier des charges, sinon parce qu’il aurait incombé à l’Etat de redresser l’erreur lui opposée à l'aide des données fixes, objectives et intangibles dont il disposait.

A travers son mémoire en réponse, l’Etat conclut à la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le rejet de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure.

Exposant que si dans le cadre des contrats conclus antérieurement où les « courses à vide » auraient été incluses dans les roulements et rémunérées par l'Etat au prix kilométrique identique à celui des courses commerciales, tel ne serait plus le cas dans le cadre du nouvel appel d'offres.

Ainsi, pour le marché sous examen et concernant le personnel de conduite, les soumissionnaires ne seraient rémunérés que pour les prestations de service commercial, c'est-à-dire les moments où les autobus sont effectivement affectés au transport de passagers et non pas pour les courses à vide, ni d’ailleurs pour les pauses et temps de battement, les soumissionnaires devant tenir compte de tous les autres coûts -dont lesdits frais de personnel liés aux trajets à vide, pauses et temps de battement- au niveau du tarif horaire, lesdits coûts devant être intégrés dans les prix unitaires commerciaux.

Concernant plus précisément le « temps de battement », à savoir l’intervalle de temps minimal entre deux courses commerciales, requis comme une marge de sécurité dans la planification continue du service, il ne saurait être ajouté aux temps des prestations effectives et facturées comme telles.

Il est insisté sur ce que le dossier de soumission ne laisserait aucun doute, la troisième colonne du tableau repris à la page 5 du bordereau de soumission (annexe D.0.8) mentionnant exclusivement les « heures de service commercial par an », qui seraient à multiplier avec les tarifs horaires pour chaque plage horaire, pour arriver à un prix total pour le lot visé, tandis qu'à la page 4 il est précisé que c'est le temps de service commercial qui est le multiplicateur à appliquer aux tarifs horaires.

Or, comme, dans ses deux offres, la société (AB) aurait rajouté le temps de battement au temps de service effectif, ses offres n’auraient pas été conformes aux exigences claires et précises du dossier de soumission, partant viciées d’une irrégularité patente, à savoir la modification du volume horaire défini par les fiches-lot, cette irrégularité faussant les prix totaux et unitaires renseignés dans ses bordereaux de soumission, de sorte à compromettre la comparabilité de ses offres avec celles des autres soumissionnaires.

L'Etat soutient encore ne pas avoir eu l’obligation ou le droit de passer outre cette irrégularité, de la redresser ou de la voir régulariser.

En réponse au nouvel argument développé en termes de réplique par la partie appelante, tiré de ce que pour les mêmes lots, il y aurait des différences entre les volumes renseignés au niveau des différents types de « plage horaire », l’Etat insiste dès le début sur le fait que ces « légères » différences n'affecteraient en rien le volume total renseigné qui correspondrait pour les autres soumissionnaires au volume total renseigné par lot dans les fiches-lots respectives.

Ainsi, pour l’Etat, la « nouvelle argumentation développée à un stade avancé de la procédure par la partie appelante » serait de prime abord inopérante, au motif qu’elle resterait étrangère à la question de savoir s'il convenait ou non pour les soumissionnaires d'inclure des temps de battement au volume horaire prédéfini dans les fiches-lots. En effet, ce serait par conséquent sur base de la réponse à cette seule question que devraient être appréciés la conformité des offres de la partie appelante ainsi que le bien-fondé de la décision de l'Etat de les rejeter.

A cet égard, il serait clairement établi que la notion d'« heures de service commercial » utilisée dans le bordereau de soumission serait exclusive de la notion de « temps de battement » et les offres de la société (AB) pêcheraient sous ce rapport.

Cette question aurait été la seule qui aurait été toisée au fond par le tribunal administratif en première instance et que ce serait donc par rapport à cette seule question que la Cour serait appelée à prendre position, « sous peine de contrevenir à l'effet dévolutif de l'appel ».

Ainsi, il est soutenu que la partie appelante ne saurait être admise, au stade de l'appel, « de faire feu de tout bois en développant une argumentation nouvelle qui ne vise pas expressément à critiquer le jugement rendu par le Tribunal administratif qui est circonscrit à la question de l'interprétation de la notion d'« heures de service commercial » tel que rappelé ci-avant en prétextant notamment que la procédure de soumission serait entachée d'un vice majeur dont elle aurait pris connaissance sur base des soi-disant « nouvelles » explications de l'Etat dans son mémoire en réponse du 7 novembre 2022 ».

Il est encore soutenu que « le juge de l'annulation est appelé, au-delà des critères de stricts légalité des décisions administratives attaquées devant lui, à souscrire aux principes généraux supérieurs par essence, à la fois de réalisme, de cohérence et de sécurité juridique », de sorte que « dans la mesure où l'offre de la partie appelante demeurerait irrégulière quand bien même il y aurait lieu de suivre son argumentation concernant le caractère non-comparable des offres remises dans le cadre du marché en cause (quod non) et où les contrats y afférents ont déjà été signés avec les soumissionnaires gagnants, il ne ferait aucun sens pour Votre Cour de tenir compte de cette argumentation au risque de contrevenir aux principes généraux mentionnés ci-avant ».

Au-delà, l’Etat estime que ses explications en ce qui concerne la marge de discrétion laissée aux soumissionnaires dans le cadre de la ventilation des heures commerciales par type de plage horaire n'auraient rien de nouveau et que l'on ne devrait pas tomber dans le jeu de l’appelante sur ce point.

En effet, il aurait été, dès le début, clairement exposé que seul le volume horaire total défini dans la fiche-lot correspondante serait décisif pour apprécier la conformité des offres des soumissionnaires, tandis que la répartition par sous-catégorie/type de plage horaire pour le personnel de conduite n’aurait pas été décisive.

Il est précisé que les fiches-lots n’auraient pas contenu de calculs afférents et il serait indubitablement revenu, sans possibilité de méprise possible, « à chaque soumissionnaire de réaliser cet exercice de ventilation sur base des horaires prévus par les fiches-lots, adaptée en fonction de sa propre méthode de comptabilisation (notamment pour tenir compte de ses propres règles internes) sans avoir la certitude absolue que sa manière de ventiler serait identique à celle des autres soumissionnaires, au contraire ».

L'Etat déclare encore se rapporter à la sagesse de la Cour en ce qui concerne « le maintien de l'intérêt à agir de la partie appelante dans le cadre de l'argumentation nouvelle défendue par cette dernière en se basant sur un caractère prétendument non-comparable de l'ensemble des offres déposées dans le cadre du marché en question à cause de différences dans la ventilation des heures commerciales dans les différents types de plages horaires pour le personnel de conduite (heures de nuit, dimanche, jours fériés, etc.) ».

En effet, un demandeur, pour justifier d'un intérêt à agir, devrait justifier d'un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l'annulation de l'acte litigieux devrait lui procurer une satisfaction certaine et personnelle.

Plus particulièrement en matière de marchés publics, la jurisprudence retiendrait que le demandeur devrait non seulement avoir été lui-même soumissionnaire, mais il devrait, par ailleurs, s'être trouvé dans une situation telle qu'il avait raisonnablement une chance pour entrer en ligne de compte pour se voir attribuer le marché, puisqu'à défaut, il ne saurait tirer une quelconque satisfaction personnelle effective d'une annulation judiciaire.

Ainsi, si dans les limites du moyen tiré de l’inclusion des temps de battement dans les volumes horaires de service commercial, le recours serait susceptible de faire tomber la décision ministérielle de rejet des offres de l'appelante, avec comme conséquence qu’elle pourrait faire valoir des chances au niveau de l'attribution, d'où son intérêt de voir les décisions d'attribution annulées également, tel ne serait pas le cas à propos de son nouvel argument tiré du caractère prétendument non-comparable de l'ensemble des offres, dans la mesure où sous ce rapport, l'appelante s'attaquerait directement aux décisions d'attribution sans attaquer les décisions de rejet de ses offres et, sans annulation des décisions de rejet, c’est-à-dire sans le constat de régularité de ses offres, l'appelante n'aurait pas d'intérêt à agir à l'encontre des décisions d'adjudication.

Concernant la ventilation des heures commerciales par type de plage horaire pour le personnel de conduite, l’Etat continue à exposer que la liberté laissée aux autocaristes, leur permet « dans une certaine mesure, un calcul sur la base des spécificités propres à l'auto-cariste ».

Tout en admettant que les notions et contraintes légales relatives au travail de nuit et travail de dimanche ou jour férié s’imposeraient aux soumissionnaires, l'Etat rappelle que les règles prévues par le Code du travail et la convention collective applicable au secteur constitueraient un seuil minimum auquel un employeur ne pourrait pas déroger, ce qui ne l'empêcherait cependant pas de prendre des mesures plus favorables pour ses salariés et, par exemple, d'adopter une définition plus large de la notion de « travail de nuit » en faveur de ses salariés. Or, pareille mesure, « relevant de décisions internes propres à chaque opérateur, est dès lors susceptible d'influer la manière dont il comptabilise les heures commerciales en heures de nuit ou pas. Autrement dit, ceci explique pourquoi des différences de ventilations peuvent exister d'un soumissionnaire à l'autre ».

Il est encore ajouté que si l'Etat avait reporté à l'avance les heures commerciales dans chaque type de plages horaires sur base de la définition de « travail de nuit » issue du Code du travail, il aurait « indirectement défavorisé les offres des soumissionnaires qui ont souhaité justement instaurer des conditions salariales plus favorables pour leurs chauffeurs ».

Cela expliquerait pourquoi il n'était pas possible pour l'Etat de définir à l'avance les valeurs exactes par type de plage horaire, comme erronément soutenu par la partie appelante.

En tout état de cause, la comparabilité des offres ne serait pas affectée par une différence de ventilation entre soumissionnaires.

Il serait erroné de pointer une possibilité de mise en place d'un subterfuge par lequel un soumissionnaire chercherait à convertir des heures de nuit en heures de jour pour faire baisser le montant total de son offre, pareil subterfuge l’exposant à voir écarter son offre comme anormalement basse, d’une part, de même que le fait pour un soumissionnaire d'avoir reporté un nombre d'heures de nuit supérieur à celui de ses concurrents ne l'empêcherait pas de remettre une offre présentant un prix total plus compétitif que celui de ses concurrents, d’autre part.

L’Etat entend encore dégager de pièces additionnelles et d’une analyse comparative des offres, la preuve que les différences de ventilation n'auraient aucunement dénaturé les offres. Ces différences n’auraient pareillement eu d’incidence ni sur le caractère effectivement comparable des offres retenues, ni encore sur le résultat final de l'analyse des attributions.

Par ailleurs, le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires aurait été respecté tout au long de la procédure de passation, y compris lors de l'évaluation des offres et il ne saurait être question de ce que le pouvoir adjudicateur aurait fermé les yeux sur des irrégularités constatées dans les offres d'autres soumissionnaires. En effet, s’il y avait eu des différences de traitement, celles-ci seraient objectivement justifiées et ne contreviendraient pas au principe d'égalité de traitement des soumissionnaires.

Ainsi, l’on aurait pu constater, lors de l'évaluation des offres, de très légères différences au niveau du volume horaire total prévu par lot d'un soumissionnaire à l'autre, ces différences minimales, inférieures à une heure s’expliqueraient par les différentes méthodes d'arrondi. Or, si les différences constatées dans les offres de la partie appelante se seraient trouvées dans un même ordre de grandeur, l'Etat les aurait également considérées comme étant régulières, mais tel n’aurait pas été possible au regard de la disproportion flagrante caractérisant les offres de l’appelante.

Par ailleurs, il ne saurait être question d’irrégularité et de violation de l'article A.6.3 du dossier de soumission moyennant des positions non remplies ou « zéro », étant donné que l'Etat n'aurait jamais eu l'intention d'interdire aux soumissionnaires d'indiquer la valeur « zéro » dans les plages horaires auxquelles aucune heure commerciale ne correspondait.

Enfin, un redressement ou une régularisation de l’offre de la société appelante aurait été inconcevable.

A l’instar de la partie étatique, la société tierce intéressée (CD) conclut à son tour en substance à la confirmation du jugement entrepris.

En effet, les premiers juges auraient à juste titre conclu que la décision d'écarter l'offre de la société (AB) était justifiée, au motif que ses calculs concernant les prix horaires pour le personnel auraient été erronés dans la mesure où ils seraient basés sur un volume horaire différent de celui des heures commerciales à prester, telles qu'indiquées dans les fiches-lots fournies dans le dossier de soumission.

Elle est formelle à dire que pour sa part, les stipulations du cahier des charges, dans leur version finale, étaient claires et non équivoques, chaque soumissionnaire devant calculer ses prix unitaires pour les frais de personnel sur base du nombre d'heures commerciales indiqué dans les documents de soumission, une modification à un document du dossier de soumission étant interdite, partant une augmentation du nombre d'heures commerciales moyennant l’ajout des heures de battement impossible.

La partie tierce-intéressée (EF) se rallie à son tour aux arguments et moyens développés par la partie étatique et soutient que les clauses du cahier des charges auraient été claires et les mêmes pour tous les candidats et que la société (AB) les aurait méconnus en estimant pouvoir ou devoir ajouter aux « heures de service commercial » les « temps de battement », erreur qui n’aurait pas pu être redressée, de sorte que l’écartement de ses deux offres se serait imposé.

L’appel est recevable pour avoir été interjeté dans les délai et forme de la loi.

Concernant le cadrage légal pertinent de l’affaire sous analyse et les conditions de soumission sur laquelle repose la procédure d’appel d’offres litigieuse, lancée par le ministre, pour compte de l’Etat, en vue de l’exploitation de divers services de transports publics par route « RGTR », il convient de relever qu’il s’agit, suivant le cahier spécial des charges, point A du dossier de soumission, d’une procédure ouverte relevant du Livre III de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics (art. A.3.4), avec un marché qui est attribué sous la forme de lots distincts (32 en nombre), les candidats étant autorisés à soumettre une offre pour tous les lots, pour plusieurs lots ou pour un seul lot, avec certaines limitations d’attribution visant à assurer la continuité de l’exploitation du RGTR et la sécurité de l’approvisionnement en services du ministère (art. A.5.2).

Chaque candidat était appelé à remettre une offre séparée pour chaque lot qu’il convoitait, accompagnée des pièces requises (art. A.6.1).

Les variantes n’étaient pas admises (art. A.5.3).

Le marché était placé sous le régime de l’offre à prix unitaires (art. A.6.3), étant précisé que les prix unitaires offerts par chaque candidat dans son bordereau serviront à obtenir un montant total de son offre (le montant estimatif du contrat), d’une part, et, en cas d’adjudication, à déterminer le coût des situations de prestations mensuelles et annuelles, par application des quantités de services réellement exécutés, d’autre part.

Les critères d’attribution (art. A.7.1) prévoient que les offres sont évaluées par lot, selon le double critère 1) du prix total de l’offre demandé par le soumissionnaire pour la réalisation des services et 2) des aspects techniques et qualitatifs de l’offre.

Le choix de l’adjudicataire est fondé sur l'offre économiquement la plus avantageuse, en prenant en compte le critère financier – prix de la prestation (« Prix ») (à hauteur de 60%) et le critère technique et qualitatif (à hauteur de 40%), l’offre ayant totalisé, sur un total de 1000 points, la note la plus élevée, constituant l’offre économiquement la plus avantageuse.

L'article A.7.2 du dossier de soumission précise que le critère « Prix » est apprécié sur la base du prix total pour la réalisation du service pour la durée du marché prévue pour chacun des lots.

Ceci dit, le recours de la société (AB) visant deux décisions distinctes, à savoir, d’une part, la décision d’écartement de ses offres et, d’autre part, celle subséquente portant attribution des deux lots convoités par elle à deux de ses concurrents, la Cour analysera ci-après séparément et successivement par rapport à chacune d’elles les moyens d’annulation, respectivement de défense invoqués de part et d’autre.

Quant à la décision ministérielle du 31 mars 2021 écartant les différentes offres présentées par la société (AB) C’est à bon escient que pour examiner la question de savoir si les offres de la partie appelante étaient conformes aux stipulations du dossier de soumission, les premiers juges ont complété le cadre légal général ci-avant retracé par les dispositions suivantes :

L’article C.6.1.1 du dossier de soumission, qui précise que « la rémunération de l’exploitant est fixée dans le bordereau de soumission remis à l’appui de son offre et faisant partie intégrante du présent contrat » et que la rémunération des prestations offertes se compose plus particulièrement d’un prix kilométrique, d’un prix pour le personnel, subdivisé respectivement en prix horaire pour le personnel mobile et en prix horaire pour le personnel technique. D’après ledit article, il est indubitable que la rémunération de l’exploitant se fait « sur base des courses telles qu’indiquées dans les horaires et reprises dans les roulements. »;

L’article A.6.3, renvoyant à l’annexe D.08, intitulée « Bordereau de soumission », indiquant quelles considérations les soumissionnaires doivent prendre en compte en calculant leurs prix unitaires et totaux, à savoir que le bordereau doit indiquer « les composantes du prix » et comprendre « toutes les dépenses de l’opérateur économique en vue de réaliser la totalité des services prévus au lot, notamment tous impôts et taxes en vigueur au moment de la remise de l’offre ainsi que toutes dépenses accessoires »; et L’annexe D.0.8 relative au bordereau de soumission à remplir, à laquelle il est ainsi renvoyé, comporte une partie écrite dressant le tableau des considérations à prendre en compte pour remplir la partie chiffrée du bordereau de soumission et ainsi à établir les différentes composantes du prix de l’offre.

Au titre des consignes du pouvoir adjudicateur pour établir une offre, il est précisé, à la première page du bordereau de soumission, que « pour établir son offre, le soumissionnaire indique un prix unitaire comprenant toutes les ressources et tous les types de prestation requis tels que définis dans le présent marché.

L’exploitant se réfère au cahier technique des charges et les annexes y relatives (partie B du dossier de soumission) pour calculer son offre.

Il prend en compte les temps de parcours indiqués dans les heures horaires détaillés tels que présentés dans la fiche d’allotissement correspondant au lot (heures de pointe/heures creuses), les temps de battement et les catégories de véhicules à mettre en service pour les lignes du lot. ».

Dans le cadre des explications relatives aux composantes des prix (prix kilométrique pour le mode de consommation, prix kilométrique pour les autres consommables, prix kilométrique lié au matériel roulant, prix horaire pour le personnel mobile et prix horaire pour le personnel technique et administratif sédentaire), il est clairement précisé que « les prestations à vide (haut-le-pied) ne sont pas rémunérées séparément, ni en termes de kilomètres, ni en terme de conduite », mais que « les prix au kilomètre ainsi qu’à l’heure doivent tenir compte du coût des prestations effectuées à vide ».

L’annexe D.0.8 renseigne encore que « les prix horaires comprennent tous les éléments de rémunération résultant notamment de la Convention collective pour le personnel des exploitants d’autobus du 30 janvier 2020 » et au niveau des prix horaires pour le personnel mobile, il est précisé que « les prix horaires sont déterminés en calculant un prix unitaire par heure de conduite (tarif horaire) en fonction du temps de service commercial défini selon les horaires des lignes indiquées dans la fiche-lot (hors courses à vide/haut-le-pied et autres heures payées au conducteur en dehors du véhicule : pause, prise et fin de service) », d’une part, et que le multiplicateur à utiliser pour calculer les prix est « le nombre annuel d’heures de service commercial ».

Chaque bordereau comporte un tableau dans lequel les candidats sont appelés à indiquer, dans quatre colonnes séparées :

1.) les plages horaires en fonction des jours ouvrables, dimanches ou jours fériés, ainsi que des heures de nuit, etc., 2.) le tarif horaire, 3.) les « heures de service commercial par an » et 4.) le total par plage, à déterminer par la multiplication du tarif horaire avec les heures de service commercial.

Sur ce, la Cour rejoint les premiers juges en leurs constatations intermédiaires pertinentes que le volume horaire à prendre en compte comme multiplicateur des tarifs horaires en fonction des plages horaires correspond aux seules heures de service commercial, d’une part, et que les coûts et dépenses, même accessoires, sont à prendre en compte au niveau du tarif horaire, d’autre part.

Concernant ledit multiplicateur (« heures de service commercial par an »), la question décisive, au sujet de laquelle les visions des parties diffèrent, est de savoir s’il inclut les « heures de battement », tel que le soutient la partie appelante, étant précisé que par ladite notion est visée en substance la marge temporelle ménagée entre deux courses commerciales au titre de marge de sécurité pour garantir la planification continue du service.

Les premiers juges ont encore dégagé à bon droit des stipulations du dossier de soumission que s’il ne contient pas de définition explicite de la notion « heures de service commercial », il s’en dégage cependant que le temps de service commercial est « défini selon les horaires des lignes indiquées dans la fiche-lot » (cf. p. 4 de l’annexe D.0.8) et ce « hors course à vide/haut-le-pied et autres heures payées au conducteur en dehors du véhicule », telles que pauses, prises et fins de service. Cette corrélation entre les heures de service commercial et les horaires est confirmée par la définition de la notion d’horaire -

figurant à l’article D.2 du dossier de soumission comme étant le « tableau indiquant les horaires et endroits de départ, de passages et d’arrivées des courses d’autobus pour une ligne d’autobus. L’horaire ne comprend que les courses à charge (« commerciaux »), et n’inclut pas les courses à vide (haut-le-pied) » - et de celle de course, à savoir le trajet du point de départ jusqu’au point d’arrivée.

Il est partant patent que les heures de service commercial, visées au tableau à la page 5 du bordereau de soumission, dans sa version modifiée applicable, sont les courses à charge, c’est-à-dire les heures qui se dégagent des horaires tels qu’indiqués dans les différentes fiches-lots.

Cette donnée est à considérer comme une constante prédéfinie par le maître d’ouvrage, partant une donnée non modifiable, à laquelle les candidats ne pouvaient rien ajouter, notamment pas les temps de battement.

A l’instar des premiers juges, la Cour ne saurait entériner les considérations invoquées par la partie appelante, notamment sur base de certaines dispositions, instructions et consignes du dossier de soumission, pour dégager que les temps de battement étaient à ajouter aux heures se dégageant des horaires repris aux fiches-lots, étant donné que toutes ces considérations se heurtent aux vision et système de rémunération clairs du maître d’ouvrage, tels qu’ils transpercent des stipulations pertinentes décisives du dossier de soumission, comme explicité exhaustivement par les premiers juges, développements auxquels la Cour renvoie.

Cette vision des choses n’implique point que les temps de battement seraient à ignorer ou ne représenteraient pas un coût pour l’entreprise. En effet, ils étaient certes à prendre en considération au niveau de l’établissement des roulements, de même qu’ils constituent un facteur coût évident, à prendre en compte par les candidats, mais seul au niveau de la détermination de leurs tarifs horaires offerts et non pas au niveau du volume horaire du service commercial mis en compte par eux.

Sur base des considérations qui précèdent, force est de rejoindre les premiers juges en leurs constat et conclusion finaux, que dès lors que les heures à prendre en considération au niveau du volume horaire étaient exclusivement les heures de service commercial, comme elles se dégageaient des horaires figurant aux fiches-lots, et comme la partie appelante a ou plutôt déclare avoir ajouté à ces heures les heures de battement, elle a modifié le cadre posé par le cahier des charges et partant contrevenu aux stipulations et conditions impératives fixées par le dossier de soumission, moyennant modification de la base de calcul des prix unitaires par plage et par suite du prix global et de la sorte introduit pour le moins une variante non autorisée.

En d’autres termes, en incluant dans les heures de service commercial, des heures ne devant pas en relever, les deux offres de la partie appelante ont été et demeurent irrégulières puisqu'elles contreviennent directement aux stipulations impératives du cahier des charges. Ainsi, l’intégration des heures de battement dans les heures de service, c’est-à-dire dans les heures à facturer, se heurte à la consigne claire en sens contraire, les heures de battement n’étant pas rémunérées, d’une part, de même que l’utilisation d'un volume horaire significativement différent de celui défini par le dossier de soumission qui est en corrélation directe avec le prix total proposé par la partie appelante pour le poste du bordereau de soumission relatif au personnel de conduite rend incomparable ce montant avec celui offert par les autres soumissionnaires retenus, d’autre part.

La façon de faire de la partie appelante fausse donc évidemment la comparabilité des offres par le fait que celles-ci ne reposent plus sur les mêmes volumes horaires et elle est en outre créatrice d’une incertitude de nature à impacter la bonne exécution du marché, dès lors qu’elle fait surgir la question de savoir si la partie appelante entendait, à l’instar de son offre, se voir rémunérer les heures de battement au niveau des heures de service à réaliser effectivement.

C’est donc à juste titre que les offres de la partie appelante a été considérée comme non conforme et écartée comme telle, conformément à l’article 80, paragraphe (1), du règlement du 8 avril 2018, lequel impose, sans marge d’appréciation reconnue au pouvoir adjudicateur, le rejet d’une offre entachée d’une non-conformité patente aux conditions du cahier spécial des charges, le jugement n’étant pas critiquable sous ce premier rapport.

En effet, il ne saurait pas non plus être question de ce que le pouvoir adjudicateur aurait pu ou, a fortiori, dû reprendre et additionner les volumes horaires prévus par la fiche-lot correspondante et substituer ce total à celui indiqué par la partie appelante, étant donné que pareille vision est incompatible avec le principe de l'immutabilité des offres car impliquant que les offres soumises soient modifiées voire faussées.

Il est par ailleurs patent que, face à pareille irrégularité, la partie appelante ne saurait utilement faire valoir que le pouvoir adjudicateur aurait dû y passer outre ou la considérer engagée par les prix unitaires offerts, qu’elle entendait respecter même au regard de son erreur ou manquement, force étant de constater que ses offres sont et demeurent irrégulières, partant à écarter.

Quant aux décisions ministérielles portant attribution des lots 21 et 27 du marché pour l’exploitation de services de transports publics par route « RGTR » en faveur respectivement de la société (CD) et de la société (EF) en groupement avec la société (GH) C’est de prime abord à tort que la partie étatique fait valoir que l’argumentaire développé par la société (AB), en termes de réplique en instance d’appel, à l’encontre des deux décisions d’adjudication resterait nécessairement inopérant au niveau de la question centrale et seule pertinente de la présente affaire, à savoir celle de savoir si son offre a été écartée pour être viciée ou non par une non-conformité (inclusion des temps de battement dans le montant des heures de service) par rapport aux exigences du dossier de soumission, seule question à laquelle il aurait été statué par les premiers juges et dont la Cour se trouverait saisie par l’effet dévolutif de l’appel.

S’il est vrai que les premiers juges n’avaient pas à connaître de l’argumentaire essentiellement nouveau, tel que l’a développé la partie appelante à travers son mémoire en réplique en instance d’appel, il n’en reste pas moins que non seulement la partie appelante n’a fait que réagir à la communication par la partie étatique de pièces nouvelles et à des explicitations afférentes, mais encore et surtout que la faculté d’énoncer des moyens de nature à énerver l’argumentaire de l’autorité administrative, spécialement lorsqu’il est évolutif, est illimitée dans ce sens que, en phase contentieuse, un demandeur n’est en principe non seulement pas lié par les moyens invoqués en période précontentieuse, mais dispose de la faculté d’y rajouter tous moyens lui semblant opportuns en première instance devant le tribunal administratif, de même qu’en application de l’article 41, paragraphe (2), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif, à la différence des demandes nouvelles, les moyens et argumentaires nouveaux sont encore parfaitement recevables en instance d’appel.

Ensuite, la partie étatique entend encore dénier à la partie appelante un intérêt à agir contre les décisions d’adjudication, spécialement une fois qu’il est vérifié qu’elle a été écartée à juste titre de la procédure d’adjudication pour avoir soumis une offre non conforme.

Force est cependant de constater qu’au moment de l’introduction de son recours contentieux, la société (AB) présentait un intérêt de concurrence patent pour agir tant contre la décision l’écartant d’une procédure de soumission publique à laquelle elle avait participé que contre celles attribuant les deux lots convoités à des concurrents, chacune de ces décisions constituant une décision administrative individuelle qui affecte directement sa situation personnelle et est de nature à lui causer un préjudice individualisé.

Son intérêt perdure aussi par la suite même lorsque, comme en l’espèce, il s’avère que son offre a été écartée à juste titre comme étant non conforme, dès lors que la demanderesse initiale, actuelle partie appelante, ne sollicite pas seulement l’annulation des deux décisions d’adjudication comme la conséquence logique de l’annulation du rejet de son offre mieux-disante, mais qu’elle libelle à leur encontre des reproches propres, en soutenant que la même, voire une autre non-conformité affecterait aussi, entre autres, les offres ayant remporté les lots convoités, respectivement que la procédure d’adjudication serait autrement viciée.

Cet intérêt perdure même une fois que le contrat a été conclu, de sorte qu’une remise en adjudication qui, a priori, lui serait concrètement profitable en lui rouvrant une nouvelle chance, n’est plus envisageable, étant donné que l’intéressée garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité des deux décisions d’adjudication litigieuses à faire valoir dans le cadre de la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice qui a pu lui être causé, la Cour n’entrevoyant pas le début de commencement d’une entrave, par l’effet de cette conclusion, à l’un des « principes généraux supérieurs par essence » pointés par la partie étatique.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

Au fond, la partie étatique a, en substance, fait préciser que le critère financier, en l’occurrence le principal critère d'attribution du marché (60%), était fondé sur « le prix total de l'offre demandé par le soumissionnaire pour la réalisation des services » (art. A.7.1 du cahier spécial des charges), c’est-à-dire que ledit prix total était utilisé pour l’évaluation et la comparaison des offres des différents soumissionnaires.

Ainsi, si, selon la partie étatique, le « ministère attendait des soumissionnaires qu'ils ventilent le volume horaire annuel total correspondant à l'ensemble des courses commerciales du lot tel qu'il figure dans le premier onglet de chaque fiche-lot par plage horaire », étant rappelé que les horaires de chaque ligne d'autobus faisant l'objet de la procédure de soumission avaient été portés à la connaissance des soumissionnaires par le biais desdites fiches-lots préparées à cet effet par le pouvoir adjudicateur et intégrées dans le dossier de soumission, il n’en restait pas moins que « les soumissionnaires étaient libres - dans les limites du cadre de planification institué par le dossier de soumission -

de ventiler le volume horaire total du lot par plage horaire, l'Etat se contentant à cet égard de contrôler si le total des heures commerciales correspondait au volume horaire prévu par la fiche-lot correspondante ».

En d’autres termes, le pouvoir adjudicateur admet que pour ce qui concerne la conformité des offres des différents candidats au niveau de chaque lot, seul lui importait que chaque soumissionnaire respecte, dans son offre, le volume horaire total du lot, c’est-à-dire le total des heures de service commercial par an, tel que la partie étatique l’avait calculé et indiqué, dans le premier onglet, de chaque fiche-lot.

L’Etat considère partant le « temps total de service commercial » comme une durée prédéfinie et invariable, mais non pas ses différentes composantes.

Or, comme le temps total de service n’est que l’addition de ses différentes composantes, la liberté reconnue aux soumissionnaires sous ce rapport introduit nécessairement un caractère variable qui se répercute sur le temps total et implique une incertitude, ainsi que, comme le pointe à juste titre la partie appelante, une remise en question de la comparabilité des différentes offres.

Quant à ladite incertitude, il convient de constater que si la conception des notions « heure de nuit », « heure de dimanche » ou « heure de jour férié » etc. peut être une autre au niveau de chaque candidat et que les candidats ne sont pas liés par celle du pouvoir adjudicateur, il convient de se demander laquelle de ces conceptions sera déterminante au niveau de l’exécution du marché et de la facturation des heures effectivement prestées. - La réponse ne saurait évidemment être apportée, comme l’a envisagé le mandataire de la partie étatique en termes de plaidoiries, à travers des discussions à mener seulement au niveau de l’exécution du marché, pareille façon de faire se heurtant à l’essence même des marchés publics.

Quant à la comparabilité des offres, la partie étatique ne saurait pas non plus être suivie en ce qu’elle tend à justifier sa vision des choses en expliquant que la « seule » et « simple » raison pour laquelle elle n'avait pas pré-rempli les différentes catégories d’« heures de service commercial » à l'avance consistait en l’existence « de légères différences entre autocaristes concernant la façon dont une partie d'une course est comptabilisée, par exemple, en heure de « Nuit » ou pas. Les entreprises peuvent avoir une manière différente de faire les calculs de la rémunération de leurs conducteurs avec le switch entre les heures de jour et de nuit », ainsi que des heures au cours des jours fériés, étant donné qu’en se remettant à l’approche personnelle, partant subjective, de chaque soumissionnaire au niveau de la ventilation des heures entre les différentes plages horaires, le pouvoir adjudicateur a admis une entorse au caractère nécessairement invariable du temps de service commercial et, de la sorte, lui-même remis en question la comparabilité des différentes offres.

En effet, si au-delà du temps total de service commercial, ses différentes composantes ne correspondent pas à des données objectives et invariables pour tous les soumissionnaires, mais peuvent procéder de logiques économiques individuelles différentes, les montants totaux des offres proposées par chaque soumissionnaire, c’est-à-dire le produit procédant de la multiplication du volume des heures par plage avec les différents tarifs applicables pour chaque plage horaire, ne sont plus comparables.

Au-delà, en admettant ne pas avoir pris en considération la ventilation du temps total de service commercial, le pouvoir adjudicateur admet qu’il n’a pas vérifié si les montants indiqués respectent le nombre total des heures projetées à travers les fiches-lots et partant si les indications des candidats respectent ne serait-ce que les exigences légales.

En tout état de cause, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur se contente de demander un prix pour un volume global d'heures de conduite sans s'être assuré au préalable que les prix des soumissionnaires sont fondés sur le même volume d'heures de conduite ventilé par plage horaire. Sous ce rapport, la conception des choses par le maître d’ouvrage ne peut pas être fondamentalement différente de celle qui a valu l’exclusion de l’offre de la partie appelante.

Cette problématique n’est point seulement théorique, dès lors qu’il appert des éléments d’appréciation soumis en cause qu’il y a, en l’espèce, eu des écarts, parfois importants, au niveau des différentes offres en ce qui concerne l’indication du volume des heures par plage horaire.

En admettant des écarts par rapport aux heures de service découlant des horaires indiqués sur les fiches-lots, donnée devant nécessairement être conçue comme une donnée invariable tant au niveau du total général des heures de service que de celui de ses composantes, les heures totales par plage horaire, l’analyse des offres est viciée à sa base et la décision d’adjudication doit encourir l’annulation.

Il s’ensuit que dans cette mesure, le recours dirigé contre les décisions ministérielles d’attribution à la société (CD), d’une part, et au groupement formé par les sociétés (EF) et (GH), d’autre part, est fondé et le jugement entrepris à réformer en conséquence.

Les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par la partie appelante, d’une part, et par la partie étatique, d’autre part, sont à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties;

reçoit l’appel de la société (AB) contre le jugement du 31 août 2022 en la forme;

le déclare partiellement justifié;

confirmant, dit que c’est à juste titre que le recours dirigé par la société (AB) contre la décision ministérielle du 31 mars 2021 écartant les deux offres présentées par elle pour les lots 21 et 27 du marché pour l’exploitation de services de transports publics par route « RGTR » a été rejeté;

réformant, dit justifié le recours dirigé par la société (AB) contre les décisions ministérielles du 31 mars 2021 portant attribution desdits lots respectivement à la société (CD) et au groupement formé par les sociétés (EF) et (GH), partant annule ces décisions;

déboute la partie appelante et l’Etat intimé de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance et pour l’instance d’appel;

fait masse des frais des deux instances et les met pour moitié à charge de la société (AB) et pour moitié à charge de l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour … s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mars 2023 Le greffier de la Cour administrative 23


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48021C
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-03-09;48021c ?

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