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09/03/2023 | LUXEMBOURG | N°48001C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 mars 2023, 48001C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48001C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48001 Inscrit le 4 octobre 2022

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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par Monsieur (R) et son épouse, Madame (Q), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 septembre 2022 (n° 45210 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 48001C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 4 octobre 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48001C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48001 Inscrit le 4 octobre 2022

___________________________________________________________________________

Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par Monsieur (R) et son épouse, Madame (Q), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 septembre 2022 (n° 45210 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 48001C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 4 octobre 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (R), né le … à … (Iran), de nationalité afghane, et « pour autant que nécessaire », de son épouse, Madame (Q), née le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant ensemble à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 22 septembre 2022 (n° 45210 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, après avoir déclaré irrecevable le recours dans la mesure où il avait été introduit par Madame (Q), a débouté Monsieur (R) de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 octobre 2020 portant refus de faire droit à leurs demandes respectives de protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 31 octobre 2022;

Vu l’avis de la Cour administrative du 17 novembre 2022 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 décembre 2022;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 20 décembre 2022 au nom des appelants;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

1Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries à l’audience publique du 22 décembre 2022;

Vu le courriel et la pièce supplémentaire de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH du 2 février 2023, le courriel de réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER du 2 février 2023, ainsi que les courriels subséquents de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH des 2 et 6 février 2023.

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Le 31 décembre 2018, Madame (Q) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (Q) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 11 février 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 15 janvier 2020, l’époux de Madame (Q), Monsieur (R) introduisit, à son tour, auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 12 mars et 17 août 2020, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 octobre 2020, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 14 octobre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », informa Madame (Q) et Monsieur (R) que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme non fondées. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à leur égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites le 31 décembre 2018, Madame, respectivement le 15 janvier 2020 Monsieur sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Vous indiquez que vous vous seriez mariés en Turquie en 2018. Après votre mariage, vous auriez entamé plusieurs tentatives pour vous rendre en Europe. Après plusieurs tentatives échouées, vous auriez décidé de voyager séparément. Madame, vous indiquez que vous auriez réussi à vous rendre en Grèce et puis au Luxembourg avec l'aide d'un passeur. Monsieur, vous auriez rejoint Madame au Luxembourg dans le cadre des dispositions du « Règlement Dublin III ».

2 Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire des 31 décembre 2018 et 15 janvier 2020, et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 11 février 2019 pour Madame ainsi que des 12 mars 2020 et 17 août 2020 pour Monsieur, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous êtes né le … à … en Iran et que vous êtes de nationalité afghane. D'après vos dires, vo[u]s auriez quitté l'Iran à l'âge de 14 ans afin de vous rendre en Turquie pour étudier. Vous y seriez resté jusqu'en 2016, année que [sic] vous auriez quitté la Turquie pour vous rendre illégalement en Grèce. Toutefois, vous auriez été arrêté par les autorités grecques qui vous auraient renvoyé en Turquie. Vous indiquez que vous auriez été pour la première fois en Afghanistan en 2016 à l'âge de vingt ans, étant donné que vous auriez été rapatrié par les autorités turques en Afghanistan. Vous précisez qu'en total [sic] vous seriez resté deux mois dans votre pays d'origine, avant de repartir en Iran et puis en Turquie. Ainsi, vous auriez vécu pendant 24 ans à l'étranger et seulement durant deux mois en Afghanistan.

Monsieur, vous indiquez que vous n'auriez pas pu rester en Afghanistan, étant donné que vous seriez d'ethnie Hazâra et que vous ne seriez pas le bienvenu en Afghanistan. Vous précisez que les gens appartenant à la minorité Hazâra seraient systématiquement tués par les terroristes et les Talibans, à cause de leur confession musulmane chiite. Selon vos dires, vous auriez vous-même échappé à une mort certaine lorsque vous auriez voulu quitter l'Afghanistan illégalement, en parlant ouzbek à des insurgés talibans, qui auraient arrêté votre bus en cherchant des gens d'ethnie Hazâra, et en les convainquant ainsi que vous seriez d'origine ouzbèke.

De plus, Monsieur, vous indiquez que les Talibans seraient à votre recherche, étant donné que le fils de votre cousin, le dénommé (B) aurait tué le chef du village, le dénommé (D).

Vous expliquez qu'en arrivant en Afghanistan vous vous seriez rendu dans le village de votre cousin, où vous auriez appris que ce dernier aurait été emprisonné étant donné que (D) l'aurait faussement dénoncé aux autorités afghanes d'être un insurgé taliban. Vous prétendez toutefois, qu'en réalité ce serait (D) qui collaborerait avec les Talibans. Trois jours après votre arrivée, (B) aurait eu une altercation avec (D), lors de laquelle il aurait tué ce dernier. Le fils de (D) vous aurait alors accusé d'avoir incité (B) à tuer (D), et vous aurait emmené de force dans un bâtiment, où il vous aurait frappé et torturé avec l'aide d'autres villageois. Toutefois, vous auriez réussi à vous échapper dans un moment d'inadvertance des villageois, et vous auriez grimpé sur un camion qui transportait du charbon en vous cachant dans un sac de charbon.

Vous continuez vos dires en déclarant que durant le trajet, le camion aurait été contrôlé par des Talibans et ces derniers auraient informé le chauffeur de camion qu'ils seraient à la recherche de quelqu'un. Ils auraient donné votre description. Vous indiquez qu'heureusement vous seriez passé inaperçu et que vous seriez resté dans le camion sans qu'on ne vous aurait découvert jusqu'à ……. De là, vous vous seriez rendu à …….

3Finalement, Monsieur vous mentionnez encore, que durant les quelques jours que [sic] vous seriez resté à ……, vous auriez été témoin de plusieurs attaques kamikazes. Vous auriez alors décidé de quitter définitivement votre pays d'origine.

De votre côté, Madame, vous déclarez être née en Afghanistan, où vous auriez vécu durant dix ans, avant de partir vivre, avec votre oncle et un de vos frères, au Pakistan en 2006.

Vous continuez votre récit en indiquant qu'en 2015, vous seriez retournée vivre en Afghanistan, avec votre frère, étant donné que vous n'auriez jamais eu un titre de séjour au Pakistan. Vous déclarez que vous vous seriez installée dans le district de ……, mais qu'il n'y aurait pas eu de sécurité à cause des Talibans. En effet, vous expliquez qu'il y aurait eu constamment des combats entre les « Arbakis » et les Talibans et que les Talibans auraient fermé les routes pour entrer dans le district de ……. Ils contrôleraient et extorqueraient les personnes désireuses de passer.

Madame, vous indiquez qu'en 2017, vous auriez dû vous rendre à …… pour consulter un médecin. Votre frère Abas vous aurait accompagnée. Lors de votre retour à ……, vous, ainsi que d'autres personnes qui auraient voyagé avec vous, auriez été arrêtés par les Talibans et séparés en deux groupes. Madame, vous déclarez que votre frère et deux autres personnes auraient été tués par les Talibans tandis que vous auriez été détenue durant plusieurs jours, durant lesquelles [sic] vous auriez été frappée. Vous auriez finalement été libérée avec l'aide des barbes blanches du quartier.

Après cet incident, vous auriez quitté l'Afghanistan.

Vous présentez un acte de mariage avec traduction. Toutefois, l'Unité de Police à l'Aéroport indique qu'il est impossible d'aboutir à une conclusion définitive quant à l'authenticité de ce document, faute de documents de référence.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Monsieur, vous mentionnez que durant la courte période de trois jours que vous auriez passé en Afghanistan auprès de la famille de votre cousin, que vous n'auriez d'ailleurs jamais rencontré auparavant, vous auriez été accusé par le fils du chef du village, le dénommé (D), d'avoir incité (B) de [sic] tuer (D). Vous précisez en outre que le fils de (D) vous aurait séquestré et torturé. Vous indiquez également que vous auriez parvenu [sic] à vous échapper et à grimper sur un camion, qui vous aurait emmené jusqu'à …….

Vous indiquez encore que vous auriez été grièvement blessé et couvert de sang, « J'avais du sang partout. A la tête, au visage, j'étais blessé au pied et j'étais blessé partout. J'avais des doigts qui étaient déplacés. Je ne pouvais pas marcher pendant environ un mois ou un mois et demi. J'avais du sang partout. Mon visage était gonflé. Je ne ressemblais même plus à un être humain. J'avais également les dents cassées un tout petit peu » (p.12/18 de votre rapport d'entretien Monsieur).

4Avant tout progrès en cause, je tiens à souligner que ces faits ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'analyse de vos demandes alors qu'ils ne sont manifestement pas avérés.

En effet, il [est] parfaitement impossible que vous ayez après avoir prétendument été torturé et frappé durant des heures, et avoir subi de multiples blessures graves, réussi à sortir une brique du mur de la prison dans laquelle vous étiez retenu avec la force de vos seuls doigts blessés. A cela s'ajoute que vous tentez de faire croire que vous ayez [sic] réussi à sortir cette brique non pas en la poussant vers l'extérieur mais en la faisant sortir du mur du côté où vous vous trouviez et ce toujours encore avec des doigts endoloris et blessés. Vous auriez ensuite blessé le garde avec cette brique et vous vous seriez enfui en marchant pendant plusieurs heures depuis l'endroit où vous auriez été retenu, à travers les montagnes jusqu'à l'endroit où vous auriez trouvé ce camion.

Monsieur vous déclarez avoir été gravement blessé lors de votre prétendue arrestation de sorte qu'il est tout bonnement impossible et impensable que vous ayez réussi à marcher quelques heures portées [sic] par l'adrénaline et la peur et à vous rendre à …… et puis à …… sans aucune aide et aucun soin.

Soit votre écrit concernant vos blessures est inventé soit votre récit concernant votre fuite rocambolesque l'est voire même les deux. En effet il convient de constater que vous avez manifestement tenté d'étoffer votre vécu pour augmenter vos chances d'obtenir une protection en Europe.

A cela s'ajoute qu'il est surprenant de lire tout ce qui vous serait prétendument arrivé en l'espace de trois jours dans un pays où vous n'avez jamais mis les pieds auparavant.

Ceci étant dit, notons que l'analyse de votre demande ne portera pas sur ce motif.

De plus, le Ministre rappelle que suivant l'article 2 p) de la Loi de 2015, une demande de protection internationale est à analyser par rapport à votre pays d'origine, c'est-à-dire le pays dont vous possédez la nationalité, ce qui est dans votre cas, l'Afghanistan. Les faits qui se seraient déroulés au Pakistan, respectivement en Iran ne peuvent dès lors pas être pris en compte dans l'évaluation de votre demande de protection internationale.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

5L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, notons que vous invoquez la situation des gens d'ethnie Hazâra en Afghanistan. En effet, vous indiquez que les gens appartenant à la minorité Hazâra seraient systématiquement tués par les terroristes et les Talibans, à cause de leur confession musulmane chiite.

Force est de constater qu'en ce qui concerne le fait que vous craignez d'être tué en Afghanistan à cause de votre confession musulmane chiite ou de votre ethnie Hazâra, [celui-ci] relève du champ d'application de la Convention de Genève, alors que cette crainte est liée à votre ethnie respectivement à votre religion.

Notons néanmoins que la seule appartenance à une ethnie n'est pas de nature à constituer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, « Being a Hazara in itself would normally not lead to the level of risk required to establish well-founded fear of persecution ». Ajoutons dans ce contexte que « [s]ince the fall of the Taliban regime in 2001, Hazara have improved their position in society ».

Il y a lieu de remarquer néanmoins que vous ne faites état d'aucun fait concret et vous vous bornez à relater des considérations très générales et peu étayées. Vos dires, concernant l'incident durant le trajet de bus, auquel vous avez fait référence durant votre récit, et dont [sic] vous pensez avoir pu échapper à une mort certaine, du fait que vous auriez pu divulguer [sic : lire « dissimuler »] votre ethnie Hazâra, ne sont basé[s] sur aucune certitude mais plutôt sur un ressenti de votre part, voire une supposition. Ainsi, les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques. Or, une crainte hypothétique, qui n'est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Dans ce contexte, il ressort de nos informations qu' « observers stated discrimination against the Shia minority by the Sunni majority continued to decline » et que « the government continued to support the efforts of judicial, constitutional, and human rights commissions composed of members of different Islamic religious groups (Sunni and Shia) to promote Muslim intrafaith reconciliation ».

Ainsi, il convient de réitérer que « Since the overthrow of the Taliban in 2001, the situation of Hazaras in Afghanistan has improved considerably. Hazaras are one of the national ethnic minorities recognized in the new Afghan Constitution and have been given full right to Afghan citizenship. Only two Hazaras gained seats in President Hamid Karzai's initial cabinet, and the only representative of their main political party, Hizb-e Wahdat gained the position of vice president. But in the most recent parliamentary election Hazaras (who make up around 9 per cent of the population) gained 25 per cent of seats » et que la seule appartenance à une ethnie n'est pas de nature à constituer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, vous exprimez des craintes liées à la présence des Talibans dans votre province. Or, il y a lieu de noter que le seul fait concret dont vous faites état est le prétendu incident lors duquel vous, et votre frère, auriez été arrêtés et détenus par les Talibans sur la 6route entre …… et le district de ……. Vous déplorez que votre frère aurait été tué par les insurgés, mais [indiquez] que vous auriez été libérée quelques jours plus tard, après l'intervention des barbes blanches de votre village. Vous mentionnez que ces derniers auraient dû payer pour votre libération, mais que vous ne savez pas s'ils avaient payé en liquide ou s'ils avaient donné des animaux.

Toutefois, notons qu'il n'est pas établi que l'assassinat de votre frère ainsi que votre détention seraient liés à l'un des cinq motifs énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Selon les informations disponibles, et selon vos propres dires, vous auriez plutôt été arrêtés et détenus pour des raisons financières alors que les insurgés sont réputés pour détenir des citoyens pour obtenir le paiement de rançons. Ceci est confirmé par le fait que selon vos dires, les Talibans vous auraient laissée partir après l'intervention des barbes blanches du village, qui auraient payé les Talibans, que ce soit moyennant de l'argent ou d'animaux [sic].

Ainsi, il convient de conclure qu'il ne saurait être question de l'existence dans votre chef d'une quelconque crainte fondée de persécution dans ce contexte.

Finalement, Madame, Monsieur, en ce qui concerne la situation générale d'insécurité et de « guerre » en raison de la présence des Talibans et des kamikazes, force est de constater que vos propos sont très généraux et il ressort de vos dires que, personnellement, vous n'auriez été ni visés, ni touchés par aucun incident. Ainsi, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un sentiment général d'insécurité et ne constituent pas une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutés, que vous auriez pu craindre d'être persécutés respectivement que vous risquez d'être persécutés en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

7L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Notons dans ce contexte que vous ne faites pas état au cours de votre entretien de faits qui seraient à qualifier d'atteinte grave au sens des articles précités.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination d'Afghanistan ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2020, Madame (Q) et Monsieur (R) firent introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 12 octobre 2020 refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par décision du 29 avril 2022, notifiée le jour-même à Madame (Q), le ministre l’informa que le statut de réfugié lui était octroyé et que cette décision annulait et remplaçait la décision du 12 octobre 2020 ayant refusé sa demande de protection internationale.

Par jugement du 22 septembre 2022, le tribunal administratif déclara irrecevable le recours dans la mesure où il avait été introduit par Madame (Q), reçut en la forme le recours de Monsieur (R), le dit cependant non justifié et l’en débouta, le tout en condamnant les demandeurs aux frais de l’instance.

La décision d’irrecevabilité du recours de Madame (Q) est fondée sur le constat des premiers juges que l’intéressée s’était vu octroyer le statut de réfugié par la décision ministérielle prévisée du 29 avril 2022, de sorte qu’aux yeux des premiers juges, elle avait, au cours de la procédure contentieuse, obtenu satisfaction et ne justifierait plus, au moment où ils étaient appelés à statuer, d’un intérêt à agir à l’encontre de la décision entreprise, laquelle avait en outre perdu son objet.

Concernant le recours de Monsieur (R), les premiers juges considérèrent que le ministre avait, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient pas de lui octroyer le statut de réfugié ou une protection subsidiaire, de sorte que son recours n’était pas justifié et encourait le rejet. Ils rejetèrent en outre son recours introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire pour manquer de fondement.

8Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 4 octobre 2022, Monsieur (R) et « pour autant que nécessaire », son épouse, Madame (Q) ont régulièrement fait entreprendre le jugement du 22 septembre 2022.

Liminairement, d’une part, il y a lieu de rejeter, pour défaut d’objet, la demande de communication de l’ensemble du dossier administratif formulée au dispositif de la requête d’appel, étant donné qu’en première instance, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif et les actuels appelants ne font pas état d’éléments qui leur feraient défaut ou qui leur permettraient d’affirmer qu’ils n’auraient pas eu communication de l’intégralité du dossier administratif à la base du présent litige.

D’autre part, la Cour se doit encore de rejeter les pièces et informations communiquées par le litismandataire de l’appelant en annexe à ses courriels des 1er et 6 février 2023, étant donné qu’en vertu de l’article 41, paragraphe (5), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement devant les juridictions administratives, « toute pièce versée après que le magistrat-

rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par la Cour ».

Sur ce, concernant la portée de l’appel, la Cour se doit encore de pointer un regrettable manque de rigueur dans la rédaction des écrits des appelants. Ainsi, au lieu de faire référence aux « appelants » -l’emploi du pluriel étant la conséquence logique d’un appel interjeté par deux personnes-, les écrits ne font référence qu’à « l’appelant » ou à « la partie appelante ».

Certains passages sont rédigés du point de vue de Monsieur (R), présenté comme « l’appelant » ou « la partie appelante », et Madame (Q) y est alors désignée comme « son épouse », voire « son époux ». Dans d’autres passages, ils adoptent visiblement un autre point de vue, celui de Madame (Q) et il est alors question de « la partie appelante » et de « son époux ». Ces changements d’optique, intervenant d’ailleurs au sein d’une seule et même phrase, procèdent d’une logique qui échappe à la Cour et ils ont la fâcheuse conséquence de rendre non seulement désagréable, mais essentiellement difficile l’examen d’un dossier et de demandes dans une matière hautement sensible. - Par la suite, dans le présent arrêt, l’expression « les appelants » désignera ensemble Monsieur (R) et son épouse, tandis que « l’appelant » ne visera que Monsieur (R).

Ceci étant dit, de l’entendement de la Cour, l’appel porte tant sur le volet du jugement entrepris relatif à une irrecevabilité du recours dans le chef de Madame (Q), que sur le volet du jugement ayant rejeté le recours comme étant non fondé. Les questions de recevabilité du recours s’analysent en question de fond en appel, mais le respect de la bonne logique juridique implique qu’elles soient examinées avant le fond du litige. Il y a donc lieu de commencer par examiner le volet de l’appel portant sur la recevabilité du recours introduit devant le tribunal.

Les appelants estiment que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré irrecevable le recours de Madame (Q). Ils reconnaissent qu’au cours de la phase contentieuse, Madame (Q) a finalement obtenu le statut de réfugié, mais considèrent que le tribunal aurait tout au plus pu conclure que le recours de Madame (Q) était devenu sans objet, ce qu’ils contestent. Ils demandent à la Cour de dire, par réformation du jugement entrepris, que Madame (Q) « gardait un intérêt à agir pour préserver son recours en sa qualité d’épouse [de Monsieur (R)] » et au regard des conséquences du refus du statut de réfugié dans le chef de son mari.

L’Etat demande la confirmation du jugement entrepris.

9Les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont en substance dégagé du fait de l’octroi du statut de réfugié à l’intéressée par décision ministérielle du 29 avril 2022 qu’au moment où ils étaient appelés à statuer, Madame (Q) ne gardait plus d’intérêt personnel à remettre en question la légalité et le bien-fondé du refus ministériel antérieur la concernant, lequel avait tout simplement cessé d’exister, pour avoir été réformé et remplacé par la décision favorable subséquente la visant.

Elle ne fait pas non plus valoir un intérêt suffisant pour agir contre le refus ministériel de faire droit à la demande de protection internationale concernant son époux. En effet, c’est non seulement à tort qu’elle entend faire valoir une prétendue automaticité de reconnaissance du statut de réfugié à son mari du fait qu’elle s’est elle-même vu reconnaître ledit statut, mais cette considération reste de toute façon insuffisante pour lui conférer un intérêt personnel et direct pour agir contre le volet de la décision qui ne la concerne pas individuellement.

De même, ni l’unité familiale, ni une prétendue violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, encore avancées par elle, ne sont de nature à lui conférer pareil intérêt à agir, dès lors que l’examen de chaque demande de protection internationale et l’appréciation du bien-fondé des motifs invoqués à sa base, spécialement lorsque les faits et motifs de persécutions diffèrent sensiblement, est à faire individuellement et de manière séparée.

Concernant le bien-fondé de la décision ministérielle portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur (R), avec ordre de quitter le territoire conséquent, les appelants rappellent que Monsieur (R) serait de nationalité afghane, de confession musulmane chiite et d’ethnie hazara et ils expliquent maintenir les faits exposés par lui lors de son audition.

Sur ce, ils estiment que c’est à tort que les premiers juges ont considéré les motifs de persécution ainsi invoqués comme manquant de crédibilité. Sans détailler à nouveau tous ces faits, ils se concentrent sur un épisode clé, à savoir celui du conflit entre le cousin de Monsieur (R) et un chef local, conflit dans lequel l’appelant se serait retrouvé impliqué contre son gré et qui aurait conduit à son emprisonnement par des partisans de ce chef local lui-même sympathisant des Talibans, qui l’auraient menacé de mort et violemment maltraité, dont il garderait des séquelles visibles. Après avoir repris connaissance, il aurait réussi à s’enfuir, notamment parce que sa cellule aurait été constituée de briques assemblées de telle sorte qu’il lui aurait été aisé d’en retirer une, malgré son mauvais état physique. Les appelants contestent donc l’affirmation selon laquelle il serait impossible qu’en trois jours, Monsieur (R) ait pu rendre visite à sa famille, être au mauvais endroit au mauvais moment, puis être séquestré et torturé. Ils soulignent aussi que lors de ses entretiens ministériels, Monsieur (R) aurait fourni des réponses claires et précises, sans confusion du point de vue chronologique, et insistent sur son état de vulnérabilité, qui requerrait de le faire bénéficier du bénéfice du doute.

En droit, les appelants soutiennent que Monsieur (R) remplirait les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

Ils insistent à voir analyser leur situation personnelle eu égard à « un élément nouveau venant appuyer la présente demande de protection internationale », à savoir l’arrivée au pouvoir des Talibans au mois d’août 2021, élément qui affecterait de manière significative, en raison de son origine ethnique hazara, les risques que l’appelant encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

10Quant à ce changement de situation intervenu en Afghanistan, la Cour tient d’emblée à relever que la nécessité de sa prise en compte n’est ni contestée ni contestable. Le tribunal a d’ailleurs précisé qu’« [i]l ressort du dossier administratif qu’après avoir pris la décision déférée et en raison du changement de situation en Afghanistan, le ministre a requis du demandeur, par courrier du 5 novembre 2021, qu’il fournisse les nouveaux éléments ou pièces supplémentaires qui permettraient d’établir un risque personnel de persécution ou d’atteintes graves dans son chef ». Le reproche implicite des appelants quant à une absence de prise en compte de l’évolution de la situation en Afghanistan est donc non fondé.

De son côté, l’Etat conclut en substance à la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub f) et h), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions suivantes : les actes invoqués doivent être motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social ; ces actes doivent être d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et doivent émaner de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 – étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, celles-ci sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions – ; enfin, le demandeur doit ne pas pouvoir ou vouloir se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

La Cour note que le ministre et les premiers juges ont retenu – à juste titre – que la crainte de Monsieur (R) de subir des persécutions en tant qu’Hazara chiite, donc en raison de son ethnie et de sa religion, relève bien des motifs visés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015.

Cependant, pour refuser le statut de réfugié à Monsieur (R), le ministre a, en substance, remis en cause la crédibilité de son récit, affirmé que les Hazaras de confession chiite ne sont pas tous susceptibles d’être victimes de persécutions ou d’atteintes graves, qualifié d’hypothétique la crainte de Monsieur (R) de faire l’objet de persécutions et estimé que celui-

ci n’avait pas fait état de faits qui seraient à qualifier d’atteintes graves. Ainsi, dans sa décision du 12 octobre 2020, le ministre a opposé tant à Monsieur (R) qu’à Madame (Q) qu’il ressortirait de leurs dires qu’ils n’auraient pas été personnellement visés ni touchés par un incident, de sorte que leurs craintes exprimeraient uniquement un sentiment général d’insécurité, sans constituer « une crainte fondée de persécution ». Le délégué du gouvernement a ensuite réitéré cette position du ministre.

Quant aux premiers juges, ils ont rappelé à bon droit que lorsque, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015. Le tribunal a également souligné à juste titre que le principe du bénéfice du doute est d’une très grande importance dans la présente matière, puisqu’il est souvent impossible pour les demandeurs de protection internationale d’apporter, à l’appui de leur demande, des preuves formelles des faits justifiant leurs craintes de persécution ou 11d’atteintes graves. Les premiers juges ont ajouté qu’en l’espèce, ils partageaient les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité du récit de Monsieur (R) et que par conséquent, ils ne tiendraient pas compte du récit de son implication involontaire dans le conflit opposant son cousin à un chef local et des conséquences qui auraient découlé de cette implication. Ils ont alors conclu que Monsieur (R) restait « en défaut de fournir des éléments personnels qui permettraient de retenir qu’il aurait un profil plus à risque de subir des persécutions que les autres Hazaras ».

Or, contrairement au tribunal, la Cour ne saurait confirmer le constat ministériel d’un manque de crédibilité du récit de Monsieur (R). En effet, la Cour ne peut déceler des variations et incohérences qui seraient de nature à fondamentalement affecter la crédibilité générale du récit de Monsieur (R).

En effet, si les premiers juges ont considéré qu’il était peu vraisemblable « que Monsieur (R) ait, en l’espace de trois jours en Afghanistan, vécu tous les évènements relatés, à savoir :

se rendre chez la famille de son cousin (B) qu’il n’avait jamais rencontrée auparavant, être accusé par le fils du chef du village d’avoir incité (B) à tuer son père, puis avoir été, de ce fait, enlevé, séquestré et torturé par le fils du chef du village » et estimé que les circonstances de la fuite de Monsieur (R) étaient floues et douteuses, il se dégage des rapports sur les entretiens des 12 mars et 17 août 2020, que Monsieur (R) a expliqué être arrivé pour la première fois en Afghanistan en 2016, faute d’avoir disposé d’une autorisation de séjour lui permettant de demeurer en Turquie, et qu’après avoir séjourné deux jours à …… dans la famille d’amis qu’il avait connue en Turquie, il aurait décidé de se rendre dans le village d’où son père était originaire et où habiteraient encore des membres de sa propre famille, dont son cousin et (B), le fils adolescent de son cousin.

La Cour ne voit pas en quoi il serait invraisemblable qu’une personne allant pour la première fois dans son pays d’origine cherche à se loger auprès de membres de sa famille, quand bien même cette personne n’aurait jamais rencontré auparavant lesdits membres.

Monsieur (R) a également fait état d’un conflit opposant son cousin au chef de son village, conflit ayant pour objet des terres ayant appartenu au père et au grand-père de Monsieur (R) et qui semblent ensuite avoir été partiellement accaparées par le chef du village.

A nouveau, la Cour ne peut pas constater d’invraisemblance ou d’incohérence dans ces déclarations.

Par ailleurs, l’appelant a mentionné que quelques temps avant qu’il n’arrive dans ce village, le chef du village, qui bénéficierait du soutien des villageois, avait fait mettre le cousin de l’appelant en prison sous de fausses accusations – à savoir, que ce cousin aurait vendu des armes aux Talibans –, et avait ensuite marié de force la fille du cousin de l’appelant -la sœur de (B)- à son fils, qui en était amoureux. Ici encore, au vu des us et coutumes en vigueur dans certains pays, la Cour n’identifie pas d’élément particulièrement surprenant dans ce récit et constate simplement que ces circonstances étaient de nature à rendre la situation explosive au moment de l’arrivée de l’appelant dans son village.

Ensuite, l’appelant a relaté comment la situation au village avait rapidement dégénéré, ce qui l’aurait conduit au final à être faussement accusé d’avoir fomenté l’assassinat du chef du village, à être torturé, séquestré et menacé de mort en guise de représailles, et à s’évader et se réfugier à …….

12S’il est vrai qu’en nos contrées, pareil enchaînement de circonstances ne risque guère de se produire, tel n’appert cependant pas être le cas dans un pays comme l’Afghanistan, tristement célèbre pour certaines de ses pratiques barbares, où les chefs locaux possèdent un pouvoir important et où ce que l’on appelle communément la « mentalité de village » demeure très prégnante.

Ainsi, sur pareille toile de fond, une fois son identité découverte par le chef du village, Monsieur (R) a raisonnablement pu se trouver dans la ligne de mire de ce chef et de ses partisans.

Quant aux circonstances de sa fuite, Monsieur (R) n’appert ni verser dans l’incrédibilité en faisant état du caractère bien plus sommaire des constructions afghanes comparées à celles que nous connaissons, ni en exposant que mû par un fort instinct de survie, il aurait réussi à retirer quelques briques d’un mur, à en frapper son geôlier et tenté de se sauver en fuyant dans la montagne, enfin que par un heureux hasard, d’être parvenu à se dissimuler à l’arrière d’un camion dans un sac de charbon.

Par conséquent, puisque cette partie du récit de l’appelant ne paraît pas n’être que le fruit d’une imagination féconde et que Monsieur (R) ne s’est pas disqualifié aux yeux de la Cour en faisant un tel récit, la Cour ne voit pas de raison d’ignorer l’épisode où l’appelant, après avoir séjourné plusieurs semaines à …… et y avoir été le témoin d’attentats, a souhaité quitter l’Afghanistan en prenant le bus, mais a été arrêté en cours de route par des Talibans qui recherchaient des Hazaras et a réussi à poursuivre son voyage en les convainquant qu’il était « ouzbèque et Turcoman ». Contrairement à ce qu’a retenu le ministre, cet épisode d’intimidation dans le bus par les Talibans arrêtant des Hazaras constitue encore un incident concret personnellement vécu par Monsieur (R).

Comme relevé précédemment par la Cour, dans sa décision du 12 octobre 2020, le ministre a opposé tant à Monsieur (R) qu’à Madame (Q) qu’il ressortirait de leurs dires qu’ils n’auraient pas été personnellement visés ni touchés par un incident, de sorte que leurs craintes exprimeraient uniquement un sentiment général d’insécurité, sans constituer « une crainte fondée de persécution ». Or, par sa décision du 29 avril 2022, le ministre a accordé le statut de réfugié à Madame (Q).

Si l’octroi du statut de réfugié à un demandeur de protection internationale n’entraîne pas automatiquement l’octroi de ce statut au conjoint du réfugié, une extension du statut de réfugié au conjoint d’un réfugié n’étant requise ni par le droit européen, ni par le droit luxembourgeois, il n’en reste pas moins qu’il importe de tenir compte des menaces de persécution ou d’atteintes graves qui peuvent peser sur un membre de la famille d’un demandeur et d’examiner si un demandeur de protection internationale est, à cause de son lien familial avec ladite personne menacée, lui-même exposé à de telles menaces.

Or, en l’espèce, la partie publique, dans le cadre de l’examen de la situation personnelle de Monsieur (R), n’appert pas s’être penchée sur la question de savoir si en tant qu’époux d’une personne qui se trouve dans une situation qui a été jugée suffisamment critique pour justifier l’octroi du statut de réfugié, le délégué du gouvernement n’expliquant en tout cas ni les raisons qui ont conduit à l’octroi du statut de réfugié à Madame (Q), étant relevé qu’elle a fait état d’un épisode traumatisant -celui de l’assassinat de son frère et de sa propre détention par des Talibans- et soutenu craindre d’être persécutée en Afghanistan en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite, caractéristiques a priori partagées par Monsieur 13(R), de même qu’il n’explique pas en quoi les raisons qui ont conduit le ministre à octroyer le statut de réfugié à Madame (Q) ne pourraient pas justifier l’octroi d’un tel statut à son époux.

Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour arrive à la conclusion que tout comme son épouse, Monsieur (R) présente lui aussi un profil à risque et que tout comme elle il appert avoir personnellement vécu un incident ayant pu faire dans son chef une crainte justifiée d’être victime pour le moins de maltraitances du fait de son ethnie et de sa confession, de sorte qu’il y a lieu de réformer le jugement entrepris, de même que la décision ministérielle du 12 octobre 2020 et de reconnaître le statut de réfugié à Monsieur (R), avec annulation conséquente de l’ordre de quitter le territoire encore prononcé à son encontre.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

rejette la demande de communication du dossier administratif;

au fond, déclare l’appel partiellement justifié;

confirme le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré le recours de Madame (Q) irrecevable;

réformant, reconnaît le statut de réfugié à Monsieur (R) et annule l’ordre qui lui a été donné de quitter le territoire;

renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution;

condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 mars 2023 Le greffier de la Cour administrativ 14



Références :

Source

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Origine de la décision
Date de la décision : 09/03/2023
Date de l'import : 15/03/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 48001C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-03-09;48001c ?
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