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09/03/2023 | LUXEMBOURG | N°47844C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 mars 2023, 47844C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47844C ECLI:LU:CADM:2023:47844 Inscrit le 22 août 2022

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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par Monsieur (A), … (France), contre un jugement du tribunal administratif du 13 juillet 2022 (n° 44447 du rôle) en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous

le numéro 47844C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 août 2022 pa...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47844C ECLI:LU:CADM:2023:47844 Inscrit le 22 août 2022

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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par Monsieur (A), … (France), contre un jugement du tribunal administratif du 13 juillet 2022 (n° 44447 du rôle) en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47844C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 août 2022 par la société à responsabilité limitée MAYER, Avocats à la Cour s.à r.l., inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2725 Luxembourg, 7, rue Nicolas Van Werveke, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 171043, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Juliette MAYER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à F-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 13 juillet 2022 (n° 44447 du rôle), par lequel le tribunal déclara irrecevables les recours dirigés contre :

- le décompte émis le 24 juillet 2019, - la « notification de l’Administration des Contributions directes datée du 3 septembre 2019 faisant état de l’inscription d’une hypothèque légale », et - la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 juillet 2019, intervenue sur réclamation du 5 juillet 2019, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu et du bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016, émis le 24 juillet 2019, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre lesdits bulletins, rejeta la demande en paiement d’une indemnité de procédure et condamna le demandeur aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2022 par Maître Juliette MAYER pour compte de Monsieur (A) ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 15 décembre 2022.

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Il se dégage d’un extrait du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg contenu dans le dossier fiscal que Monsieur (A) fut nommé administrateur et président du conseil d’administration de la société anonyme (CD), ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, ci-après la « société (CD) », à partir du 10 juin 2016 « jusqu’à l’assemblée générale qui se tiendra en l’année 2020 ».

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 25 janvier 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le même jour à disposition de Monsieur (A) un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2015.

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 20 mai 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le même jour à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er janvier au 31 mars 2016, dont … euros à Monsieur (A).

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 30 juin 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le même jour à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre des tantièmes pour la période du 1er janvier au 30 juin 2016, dont … euros à Monsieur (A).

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 6 juillet 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 30 juin 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er janvier au 30 juin 2016, dont … euros à Monsieur (A).

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 24 octobre 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le même jour à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2016, dont … euros à Monsieur (A).

Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 28 décembre 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le même jour à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre des tantièmes pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2016, dont … euros à Monsieur (A).

Par courrier du 16 mai 2019 ayant pour objet « Votre activité en tant que membre du conseil d’administration et de surveillance » et comportant une note manuscrite « Suspens » en en-tête, le préposé du bureau d’imposition Luxembourg Y, ci-après le « bureau d’imposition », s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants :

« (…) Selon information (relevé) reçue de la part du bureau d’imposition S2, vous avez touché en 2016 une rémunération (tantième) brute de … euros de la part de la société anonyme (CD).

Comme ce revenu constitue un revenu imposable par voie d’assiette au Grand-Duché de Luxembourg selon les dispositions des articles 152, 156 et 157 L.I.R., je vous prie de bien vouloir nous fournir pour au plus tard le 30 juin 2019 le(s) document(s) et renseignement(s) suivant(s) :

- retournez la déclaration ci-jointe dûment remplie. (…) ».

Par un courrier recommandé avec accusé de réception de son mandataire du 11 juin 2019, réceptionné le lendemain, Monsieur (A) demanda au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », de l’exempter du dépôt d’une déclaration de revenus pour l’année 2016, au motif que le montant brut des avances sur tantièmes et jetons lequel lui aurait été mis à disposition pour l’année d’imposition en question serait en-dessous du seuil de 100.000 euros fixé par l’article 152, paragraphe (19), de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », demande à laquelle le préposé du bureau d’imposition refusa de faire droit par un courrier du 14 juin 2019 en se basant sur les articles 91, paragraphe (1), n° 1, 93, paragraphe (1), et 108, paragraphe (3), LIR, ainsi que sur l’article 2, paragraphe (1), du règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 instituant un mode simplifié du bénéfice en exécution de l’article 18, paragraphe (3) LIR.

Par un courrier recommandé avec accusé de réception de son mandataire du 5 juillet 2019, réceptionné le 9 juillet 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du directeur une réclamation contre les courriers précités du préposé du bureau d’imposition des 16 mai et 14 juin 2019, laquelle fut déclarée sans objet par une décision du directeur du 26 juillet 2019, référencée sous le numéro … du rôle, à défaut pour lesdits courriers d’être qualifiés de décisions exécutoires susceptibles de faire l’objet d’une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO ».

Le 24 juillet 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur (A), pour l’année 2016, (i) un bulletin de l’impôt sur le revenu indiquant un total de revenus nets composé exclusivement d’un bénéfice d’une profession libérale de … euros avec la précision que « L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants […] Déduction […] d’un forfait de …,- EUR à titre de dépenses d’exploitation » et « A défaut de déclaration d’impôt les revenus ont été taxés en vertu du § 217 AO », ainsi qu’(ii) un bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016. Le bureau de recette de l’administration de Contributions directes émit le même jour un décompte.

Par un courrier recommandé avec accusé de réception de son mandataire du 10 septembre 2019, réceptionné le 12 septembre 2019, Monsieur (A) fit introduire auprès du directeur une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016, tous les deux émis le 24 juillet 2019, contre le décompte du bureau de recette du 24 juillet 2019, ainsi que contre « la notification de l’Administration des Contributions Directes datée du 3 septembre 2019 faisant état de l’inscription d’une hypothèque légale », ensemble les courriers précités du préposé du bureau d’imposition des 16 mai et 14 juin 2019, en y joignant notamment la déclaration de retenue à la source sur les tantièmes déposée le 25 janvier 2016 couvrant la période du 1er octobre au 31 décembre 2015, les comptes annuels de la société (CD) pour la période du 21 mai au 31 décembre 2015 et pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, ainsi que les déclarations de retenue à la source sur les tantièmes déposées les 20 mai, 30 juin, 4 juillet, 21 octobre et 28 décembre 2016 couvrant ensemble la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016.

A défaut de réponse du directeur, Monsieur (A) fit introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2020, un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016, ainsi que du décompte, tous les trois émis le 24 juillet 2019.

Par jugement du 13 juillet 2022 (n° 44447 du rôle), le tribunal déclara irrecevables les recours dirigés contre :

- le décompte émis le 24 juillet 2019, - la « notification de l’Administration des Contributions directes datée du 3 septembre 2019 faisant état de l’inscription d’une hypothèque légale », et - la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 juillet 2019, intervenue sur réclamation du 5 juillet 2019, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu et du bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016, émis le 24 juillet 2019, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre lesdits bulletins, rejeta la demande en paiement d’une indemnité de procédure et condamna le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 22 août 2022, Monsieur (A) a fait régulièrement relever appel de ce jugement.

Devant la Cour, Monsieur (A) rappelle que le point litigieux entre les parties provient du paiement tardif d’avances de tantièmes et de jetons de présence convenu le 23 juillet 2015, mais dont le paiement effectif n’a été opéré en sa faveur qu’en date du 25 janvier 2016. Ce retard de paiement s’expliquerait, selon lui, par des difficultés de trésorerie rencontrées par la société (CD), dont il est administrateur depuis le 18 juin 2015.

Ces avances, constituées d’un montant de … euros au titre de tantièmes, pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2015, et de la somme de … euros pour jetons de présence, pour la période du 1er août au 31 décembre 2015, devraient selon l’appelant être allouées à l’année d’imposition 2015. Bien que ces avances, d’un montant total de … euros, eussent été versées le 25 janvier 2016, l’appelant soutient que leur paiement étant intervenu « peu de temps » après la fin de l’année 2015, c’est à cette dernière année qu’il conviendrait de rattacher ces sommes et non à l’année 2016 comme le soutiendrait erronément l’administration des Contributions directes. Partant, en raison du rattachement de ces … euros à l’année 2015, il estime qu’il n’aurait pas dû faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette. En effet, en tant qu’administrateur non résident, le total des tantièmes perçu en 2016 n’aurait pas excédé la limite annuelle de 100.000 euros brut, de sorte que la retenue d’impôt prélevée sur ses tantièmes devrait valoir imposition définitive dans son chef.

En droit, l’appelant critique la décision des premiers juges sur deux volets distincts affirmant, d’une part, qu’elle aurait méconnu l’obligation de consultation préalable posée par le § 205, alinéa (3), AO et, d’autre part, qu’elle aurait été rendue en contrariété avec le principe prévu à l’article 108, alinéa (1), n° 1, LIR permettant de rattacher, sous certaines conditions, une recette à l’année d’imposition avec laquelle elle présente un lien économique.

De son côté, la partie étatique demande la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Quant à la méconnaissance alléguée du § 205, alinéa (3), AO Arguments des parties Selon l’appelant, l’administration des Contributions directes aurait manqué à son devoir d’information, à plusieurs égards, l’empêchant ainsi de soumettre ses observations préalablement à sa taxation d’office. Premièrement, elle serait restée en défaut de l’informer qu’elle entendait allouer le montant de … euros à l’année d’imposition 2016. Deuxièmement, elle n’aurait pas motivé les raisons l’ayant amenée à retenir que l’appelant devait faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette. Par suite, en fixant une imposition divergente et plus lourde que celle initialement subie par l’appelant, l’administration aurait méconnu son droit à être entendu préalablement à l’émission de son bulletin d’impôt en application du § 205, alinéa (3), AO.

La partie étatique soutient que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’obligation de consultation du contribuable ne trouvait pas s’appliquer en l’espèce, au motif que l’appelant a manqué à son obligation déclarative. En l’absence de déclaration d’impôt souscrite par Monsieur (A), il aurait été impossible pour l’administration de lui indiquer qu’elle entendait s’écarter d’une déclaration inexistante. Le délégué du gouvernement souligne enfin que contrairement à ses déclarations, l’appelant a pu faire état de sa position devant l’administration des Contributions directes et que ses observations ont été prises en compte aussi bien par le préposé de son bureau d’imposition que par le directeur, tous deux ayant répondu aux contestations formulées par l’appelant.

Analyse de la Cour Le § 205, alinéa (3), AO dispose que : „Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen“.

Cette disposition n’est autre que la consécration et une application particulière, au niveau de la procédure d’imposition, du principe général du contradictoire et du droit de participation de l’administré à l’élaboration des décisions administratives, encore généralement consacré en droit fiscal par le § 204, alinéa (1), AO (« Anspruch auf Gehör »).

Ledit paragraphe met à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission d’un bulletin d’impôt, une obligation de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration. Par contre, lorsque la divergence de vues mise en avant par le contribuable s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, le contribuable n'a pas droit à être entendu préalablement à l'établissement du bulletin d'imposition.

Cependant, l’obligation de consultation du contribuable pesant sur le bureau d’imposition n'a pas vocation à s'appliquer dans un cas où le contribuable a manqué à son obligation de déclarer ses revenus, étant donné que dans cette hypothèse, l'administration n'a pas pu s'écarter de la déclaration du contribuable.

En l’espèce, comme justement souligné par la partie étatique, l’appelant est resté en défaut de remettre sa déclaration fiscale, y compris après y avoir été formellement invité par le préposé du bureau d’imposition compétent à travers son courrier du 16 mai 2019. Or, conformément au § 167, alinéa (2), AO et à l’article 3 du règlement grand-ducal modifié du 13 mars 1970 portant exécution de l’article 116 LIR, tout contribuable est tenu de remettre une déclaration fiscale dès lors qu’il y a été personnellement invité par son bureau d’imposition. Ainsi, bien que convaincu de ne pas devoir être soumis à une imposition par voie d’assiette, il appartenait à l’appelant de se conformer à l’invitation du bureau d’imposition, ce dernier étant seul compétent pour apprécier l’existence d’une obligation déclarative dans le chef du contribuable.

En se soustrayant de la sorte à son obligation déclarative, y compris après avoir été invité à remettre sa déclaration d’impôt par son bureau d’imposition, l’appelant est réputé avoir renoncé au droit d’être entendu préalablement à l’émission de son bulletin d’impôt. Il s’est en effet placé de ce fait dans une situation où il était susceptible de faire l’objet d’une taxation d’office du bureau d’imposition, à défaut pour ce dernier d’avoir été mis en capacité d’établir avec précision les bases d’imposition du contribuable.

Par rapport à l’argument de l’appelant qu’il ignorait les raisons de son imposition par voie d’assiette, il convient d’ajouter que le courrier du préposé du 16 mai 2019, par lequel l’appelant a été invité à remettre sa déclaration d’impôt, indiquait sans ambiguïté les raisons selon lesquelles le bureau d’imposition a estimé que l’appelant devait remettre une déclaration fiscale, dispositions légales à l’appui, à savoir le fait que le bureau d’imposition a été informé qu’il aurait perçu la somme de … euros pour l’année 2016 et qu’elle constituait, dans son chef, un revenu imposable par voie d’assiette. L’appelant est partant mal fondé à invoquer son incompréhension quant aux raisons ayant conduit le bureau d’imposition à l’inviter à remettre une déclaration d’impôt.

La Cour relève enfin que, contrairement à ses affirmations, l’appelant a tout de même été entendu par l’administration des Contributions directes préalablement à sa taxation d’office dans la mesure où sa demande d’être exempté de son obligation déclarative a fait l’objet d’une réponse personnalisée de la part du préposé de son bureau d’imposition.

Par voie de conséquence, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le § 205, alinéa (3), AO était inapplicable en l’espèce et qu’au vu des faits, Monsieur (A) a néanmoins pu faire valoir ses observations préalablement à l’émission des bulletins d’impôt du 24 juillet 2019.

Le moyen de l’appelant doit partant être rejeté.

Quant à la prétendue violation de l’article 108, alinéa (1), n° 1, LIR Arguments des parties Selon l’appelant, l’administration et les premiers juges méconnaîtraient la réalité et le lien économique des avances de tantièmes et de jetons de présence perçues en 2016, mais qui en réalité seraient à rattacher à l’année d’imposition 2015. Il soutient que ces avances ont été payées peu de temps après la fin de l’année 2015 et que l’appartenance et le lien économique avec l’exercice 2015 seraient indiscutables. Enfin, quant à l’expression « peu de temps » reprise par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR, l’appelant rejette l’interprétation de cette expression issue des travaux parlementaires et défend l’idée que le législateur aurait laissé au juge la possibilité d’exercer son pouvoir d’appréciation en refusant de fixer une durée précise à l’expression « peu de temps ».

Selon la partie étatique, ce serait à bon droit que le bureau d’imposition a considéré que le paiement intervenu le 25 janvier 2016 doit être rattaché à l’année 2016 en ce qu’il est intervenu au-delà de l’hypothèse prévue par l’expression « peu de temps » employée par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR. D’après le délégué du gouvernement, cette expression serait unanimement interprétée par les travaux parlementaires, la doctrine et la jurisprudence comme visant une période d’environ deux semaines. Dans la mesure où cette période serait largement dépassée dans le cas présent, il conviendrait de retenir le rattachement du paiement litigieux à l’année d’imposition 2016 et, plus loin, l’imposition par voie d’assiette de l’appelant conformément à l’article 152, titre 2, alinéa (19), LIR.

Analyse de la Cour Le litige résiduel entre les parties porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « peu de temps » employée par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR. Selon elles, le sens à donner à cette expression déterminerait l’étendue des obligations fiscales de l’appelant et plus particulièrement s’il relève d’une imposition par voie d’assiette pour l’année 2016.

D’après l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR : « Les recettes et les frais d’obtention qui entrent en ligne de compte pour la détermination des revenus nets visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10, les dépenses spéciales visées à l’article 109, alinéa 1er, numéros 1, 1a, 2 et 3 et les charges extraordinaires visées aux articles 127 et 127bis sont à prendre en considération de la façon suivante :

1. Les recettes sont à attribuer à l’année d’imposition au cours de laquelle elles sont mises à la disposition du contribuable. Toutefois, lorsque des recettes à caractère périodique sont mises à la disposition du contribuable peu de temps avant le début ou peu de temps après la fin de l’année à laquelle elles se rapportent du point de vue économique, elles sont à attribuer à cette année. (…) ».

Tel que retenu à juste titre par les parties, l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR précité constitue une dérogation au principe selon lequel un revenu doit être imposé l’année durant laquelle il a été mis à la disposition du contribuable.

En effet, selon l’article 6 LIR, « l’impôt frappe le revenu imposable réalisé par le contribuable pendant l’année d’imposition », tandis que selon l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR, certaines recettes à caractère périodique peuvent être attribuées à l’année d’imposition précédant ou suivant l’année d’imposition durant laquelle elles ont été réellement mises à la disposition du contribuable.

Les recettes visées par l’article 108 LIR sont précisément délimitées, par son alinéa 1er, comme comprenant les « revenus nets visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10 » LIR.

Plus précisément, l’article 10 LIR dispose qu’« [e]ntrent seuls en ligne de compte pour la détermination du total des revenus nets au sens du second alinéa de l’article 7:

1. le bénéfice commercial, 2. le bénéfice agricole et forestier, 3. le bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale, 4. le revenu net provenant d’une occupation salariée, 5. le revenu net résultant de pensions ou de rentes, 6. le revenu net provenant de capitaux mobiliers, 7. le revenu net provenant de la location de biens, 8. les revenus nets divers spécifiés à l’article 99 ci-après ».

La Cour constate que les revenus litigieux, à savoir les avances de tantièmes et de jetons de présence payées le 26 janvier 2016, ont été versés à l’appelant en sa qualité d’administrateur de la société (CD).

Quant à la qualification de la rémunération des administrateurs de sociétés, il convient de relever que selon l’article 91, alinéa (1), n°2, LIR : « [e]st considéré comme bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale le revenu net provenant des activités ci-après désignées, lorsque ces activités sont exercées d’une façon indépendante: (…) 2. l’activité des administrateurs, des commissaires et des personnes exerçant des fonctions analogues auprès des sociétés par actions, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés coopératives ou d’autres collectivités au sens des dispositions régissant l’impôt sur le revenu des collectivités. La rémunération des administrateurs entre en ligne de compte dans la mesure seulement où elle n’est pas accordée en raison de la gestion journalière de la société ou collectivité. ».

En l’espèce, il n’apparaît aucunement dans le dossier que l’appelant aurait été en charge de la gestion journalière de la société (CD), de sorte que la rémunération de son activité d’administrateur est à qualifier de bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale au sens de l’article 91 LIR.

Eu égard à la qualification de revenu précitée, se pose la question de l’applicabilité de l’article 108 LIR au bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale.

Tel que l’a justement relevé le délégué du gouvernement, le champ d’application de l’article 108 LIR a été élargi par le règlement grand-ducal modifié du 3 décembre 1969 instituant un mode simplifié de détermination du bénéfice en exécution de l'article 18, alinéa (3), de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, ci-après le règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 ».

D’après l’article 18, alinéa (1), LIR, « le bénéfice est constitué par la différence entre l’actif net investi à la fin et l’actif net investi au début de l’exercice, augmentée des prélèvements personnels effectués pendant l’exercice et diminuée des suppléments d’apport effectués pendant l’exercice ».

Or, une dérogation à ce principe a été prévue par l’article 18, alinéa (3), LIR prévoyant, dans certains cas, l’hypothèse du recours à un mode simplifié de détermination du bénéfice par comparaison des recettes et des dépenses d’exploitation. Les conditions et les modalités de ce mode simplifié ont été détaillées par le règlement grand-ducal du 3 décembre 1969.

Les conditions d’accès au mode simplifié de détermination du bénéfice sont réservées, d’après l’article 1er du règlement du 3 décembre 1969, aux contribuables qui réalisent un bénéfice, au sens des numéros 1 à 3, de l’article 10 de la LIR, soit un bénéfice commercial, un bénéfice agricole et forestier ou un bénéfice provenant de l'exercice d'une profession libérale.

En outre, l’article 1er, alinéa (1), du règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 subordonne la détermination simplifiée du bénéfice de ces contribuables au respect de trois conditions cumulées en prévoyant que « le contribuable peut déterminer le bénéfice commercial, le bénéfice agricole et forestier et le bénéfice provenant de l'exercice d'une profession libérale en déduisant les dépenses d'exploitation des recettes d'exploitation, lorsque les conditions suivantes sont simultanément réalisées :

1. le contribuable ne doit pas être obligé à la tenue d'une comptabilité régulière en vertu du paragraphe 161 de la loi générale des impôts et ne doit en outre pas tenir une comptabilité régulière;

2. à la fin des exercices le montant de l'actif net investi composé par les postes d'actif et de passif autres que les immobilisations et les comptes de trésorerie ne doit généralement pas varier de façon sensible par rapport au début de l'exercice;

3. l'actif net investi visé sub 2 ne doit généralement pas dépasser, à la fin de l'exercice, cent cinquante pour cent du bénéfice imposable. ».

En l’espèce, il échet de relever que pour les années d’imposition litigieuses, à savoir les années 2015 et 2016, l’appelant pouvait se prévaloir d’une tolérance administrative l’excluant du champ des contribuables visés par l’obligation de tenir une comptabilité régulière.

En effet, s’il résulte certes de la lecture combinée du § 161, alinéa (1), n° 1, AO et de l’article 91 LIR que les membres de professions libérales sont en principe tenus de tenir une comptabilité régulière, une circulaire LIR n° 30 du 15 mai 1970, fondée sur le § 161, alinéa (2), AO permet « aux titulaires de professions libérales qui sont obligés à la tenue d’une comptabilité régulière en vertu du paragraphe 161 de la loi générale mais qui en fait ont appliqué dans le passé le mode de détermination du bénéfice par comparaison des recettes et des dépenses prévu par le paragraphe 4, al. 3 de l’ancienne loi de l’impôt sur le revenu » de déterminer le bénéfice par comparaison des revenus et des dépenses. La circulaire précise encore que cette tolérance vaut même pour les titulaires de professions libérales tombant à l’avenir sous l’application du § 161 AO.

La première condition est partant remplie dans le chef de l’appelant.

En ce qui concerne les deux autres conditions relatives à la variation du montant de l’actif net, il y a lieu de les considérer comme étant remplies faute d’indice contraire se dégageant du dossier fiscal de l’appelant et en l’absence de toute contestation à cet égard de la part de l’Etat qui, au contraire, se prévaut de l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR à l’égard de l’appelant.

Partant, ce dernier relève bien du champ d’application du règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 et plus précisément de son article 2, qui prévoit que « [l]es dispositions de l'article 108 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu sont applicables par analogie », de sorte que la Cour est amenée à analyser si le paiement litigieux, en tant que recette à caractère périodique, est intervenu, au profit de l’appelant, peu de temps après la fin de l’année 2015 au sens de l’article 108, alinéa (1), n°1, 2e phrase, LIR.

Sur le sens de l’expression « peu de temps », il échet de relever un extrait des travaux parlementaires relatifs à la LIR portant sur l’actuel article 108 LIR et se prononçant plus particulièrement sur la période couverte par cette expression.

« En ce qui concerne les recettes et les dépenses périodiques, par contre, échéant peu de temps avant ou après la fin de l’année, il n’y a aucune difficulté à les attribuer à l’année qu’elles concernent économiquement ; aussi l’article 124 prévoit-il pour ces recettes et dépenses qu’elles seront attribuées à cette année. Il s’agit p.ex. des traitements payés pour la première période de paye de l’année ou pour la dernière. Par « peu de temps avant le début ou après la fin de l’année », il y a lieu d’entendre une période d’environ deux semaines » (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, commentaire des articles, ad art. 124, p. 226).

Dans la mesure où le législateur n’a pas fait le choix de retenir une disposition légale plus précise ou distincte par rapport à celle commentée par les travaux parlementaires, il convient d’interpréter l’article 108 LIR à la lumière des indications données par lesdits travaux parlementaires.

Partant, comme l’a justement retenu la partie étatique, l’expression « peu de temps » doit être interprétée comme équivalant à une période d’environ deux semaines.

En l’espèce, il est constant en cause que le versement litigieux est intervenu en date du 26 janvier 2016, de sorte que le délai qui s’est écoulé depuis la fin de l’année d’imposition 2015 est de plus de trois semaines, soit un laps de temps supérieur à la période d’environ deux semaines requise pour l’interprétation de l’expression « peu de temps ».

Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les avances versées en date du 26 janvier 2016, pour un montant de … euros, doivent être prises en compte au titre de l’année d’imposition 2016.

Dans la mesure où ces avances doivent être attribuées à l’année d’imposition 2016, elles s’ajoutent ainsi aux divers paiements de tantièmes également perçus par l’appelant en 2016. Par conséquent, le montant annuel brut de tantièmes perçu par l’appelant en 2016 est de … euros.

Du fait de sa qualité de contribuable non résident percevant exclusivement des tantièmes, dont le montant excède le montant total brut de 100.000 euros par an, l’appelant doit faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette conformément à l’article 152, Titre 2, alinéa (19), LIR.

C’est donc à bon droit que l’appelant a été imposé par voie d’assiette au titre de l’année d’imposition 2016 bien que cette imposition résulte d’une taxation d’office au sens du § 217 AO.

Il convient en effet de confirmer cette taxation d’office faute pour l’appelant d’avoir fait état d’éléments qui établiraient le caractère erroné des bases d’imposition retenues dans son bulletin d’impôt de l’année 2016.

Il découle de ces développements que l’appel sous examen laisse d’être justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

Quant à l’indemnité de procédure L’appelant sollicite une indemnité de procédure de 3.000 euros pour avoir dû recourir aux services rémunérés d’un avocat afin de faire valoir ses droits.

Cette demande est à rejeter eu égard à la solution au fond et au fait qu’il ne découle point des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de l’appelant les frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 22 août 2022 en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 13 juillet 2022, rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 9 mars 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 mars 2023 Le greffier de la Cour administrative 11



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 09/03/2023
Date de l'import : 27/03/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 47844C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-03-09;47844c ?

Source

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