GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47699C ECLI:LU:CADM:2023:47699 Inscrit le 15 juillet 2022
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Audience publique du 9 mars 2023 Appel formé par Monsieur (B), … (France), contre un jugement du tribunal administratif du 15 juin 2022 (n° 45268 du rôle) en matière d’impôts
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47699C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2022 par la société à responsabilité limitée MAYER, Avocats à la Cour s.à r.l., inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2725 Luxembourg, 7, rue Nicolas Van Werveke, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 171043, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Juliette MAYER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (B), demeurant à F-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 15 juin 2022 (n° 45268 du rôle), par lequel le tribunal écarta des débats pour cause de tardivité le mémoire en réplique déposé par le demandeur en date du 18 mars 2021, déclara irrecevables les recours dirigés contre :
- le bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 émis le 13 novembre 2019 et - le décompte émis le 13 novembre 2019, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 13 novembre 2019, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, rejeta la demande en paiement d’une indemnité de procédure et condamna le demandeur aux frais et dépens de l’instance ;
Vu le mémoire en réponse de Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER déposé au greffe de la Cour administrative le 12 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 octobre 2022 par Maître Juliette MAYER pour compte de Monsieur (B) ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 24 novembre 2022.
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Il se dégage d’un extrait du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg contenu dans le dossier administratif que Monsieur (B) fut nommé administrateur de la société anonyme (CD), ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, ci-après désignée par la « société (CD) », à partir du 21 juillet 2015 jusqu’à l’issue de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes annuels de ladite société concernant l’exercice clos au 31 décembre 2019.
Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 20 mai 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 20 mai 2016 à disposition de Monsieur (B) un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2015.
Par une seconde déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 20 mai 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 20 mai 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er janvier au 31 mars 2016 dont … euros à Monsieur (B).
Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 30 juin 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 30 juin 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre des tantièmes pour la période du 1er janvier au 30 juin 2016 dont … euros à Monsieur (B).
Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 6 juillet 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 30 juin 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er janvier au 30 juin 2016 dont … euros à Monsieur (B).
Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 24 octobre 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 24 octobre 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre de tantièmes pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2016 dont … euros à Monsieur (B).
Par une déclaration initiale de la retenue d’impôt sur les tantièmes datée du 28 décembre 2016, la société (CD) indiqua avoir mis le 28 décembre 2016 à disposition de deux de ses administrateurs un montant brut total de … euros au titre des tantièmes pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2016 dont … euros à Monsieur (B).
Par courrier du 16 mai 2019 ayant pour objet « Votre activité en tant que membre du conseil d’administration et de surveillance » et comportant une note manuscrite « RAPPEL » en en-tête, le préposé du bureau d’imposition Luxembourg Y, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », contacta Monsieur (B) dans les termes suivants :
« (…) Selon information (relevé) reçue de la part du bureau d’imposition S2, vous avez touché en 2016 des rémunérations (tantièmes) brutes de … + … = … euros de la part de la société anonyme (CD).
Comme ce revenu constitue un revenu imposable par voie d’assiette au Grand-Duché de Luxembourg selon les dispositions des articles 152, 156 et 157 L.I.R., je vous prie de bien vouloir nous fournir pour au plus tard le [31/07/2019] le(s) document(s) renseignement(s) suivant(s) :
- retournez la déclaration ci-jointe dûment remplie. (…) ».
Le 13 novembre 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur (B), pour l’année 2016, (i) un bulletin de l’impôt sur le revenu indiquant un total de revenus nets composé exclusivement d’un bénéfice d’une profession libérale de … euros avec la précision que « L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants » et « REMARQUE : Faute de dépôt d’une déclaration d’impôt pour l’année 2016 malgr[é] plusieurs courriers, vous avez été taxé sur vos revenus indigènes », (ii) un bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016, (iii) ainsi qu’un décompte.
Par un courrier recommandé de son mandataire du 5 février 2020, réceptionné le 10 février 2020, Monsieur (B) fit introduire une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, le bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 ainsi que contre le décompte, tous émis en date du 13 novembre 2019, auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », en y joignant notamment la déclaration de retenue à la source sur les tantièmes couvrant la période du 1er octobre au 31 décembre 2015, les autres déclarations de retenue à la source sur les tantièmes couvrant la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi que les comptes annuels de la société (CD) pour la période du 21 mai au 31 décembre 2015 et pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.
A défaut de réponse du directeur, Monsieur (B) fit introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2020, un recours en réformation, sinon en annulation, contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, le bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 et le décompte, tous les trois émis le 13 novembre 2019.
Par jugement du 15 juin 2022 (n° 45268 du rôle), le tribunal écarta des débats pour cause de tardivité le mémoire en réplique déposé par le demandeur en date du 18 mars 2021, déclara irrecevables les recours dirigés contre :
- le bulletin de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 émis le 13 novembre 2019, et - le décompte émis le 13 novembre 2019, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 13 novembre 2019, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, rejeta la demande en paiement d’une indemnité de procédure et condamna le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2022, Monsieur (B) a fait régulièrement relever appel de ce jugement.
Devant la Cour, Monsieur (B) rappelle que le point litigieux entre les parties provient du paiement tardif d’avances de tantièmes et de jetons de présence convenu le 23 juillet 2015, mais dont le paiement effectif n’aurait été opéré en sa faveur que « début 2016 ». Ce retard de paiement s’expliquerait, selon lui, par des difficultés de trésorerie rencontrées par la société (CD), dont il était administrateur depuis le 21 juillet 2015.
Ces avances, constituées d’un montant de … euros au titre de tantièmes, pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2015, et de la somme de … euros pour jetons de présence, pour la période du 1er août au 31 décembre 2015, devraient selon l’appelant être allouées à l’année d’imposition 2015. Bien que ces avances, d’un montant total de … euros, eussent été versées « début 2016 », l’appelant soutient que leur paiement étant intervenu « peu de temps » après la fin de l’année 2015, c’est à cette dernière année qu’il conviendrait de rattacher ces sommes et non à l’année 2016 comme le soutiendrait erronément l’administration des Contributions directes. Partant, en raison du rattachement de ces … euros à l’année 2015, il estime qu’il n’aurait pas dû faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette. En effet, en tant qu’administrateur non résident, le total des tantièmes perçu en 2016 n’aurait pas excédé la limite annuelle de 100.000 euros brut, de sorte que la retenue d’impôt prélevée sur ses tantièmes devrait valoir imposition définitive dans son chef.
En droit, l’appelant critique la décision des premiers juges sur deux volets distincts affirmant, d’une part, qu’elle aurait méconnu l’obligation de consultation préalable posée par le § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et, d’autre part, qu’elle aurait été rendue en contrariété avec le principe prévu à l’article 108, alinéa (1), n° 1, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », permettant de rattacher, sous certaines conditions, une recette à l’année d’imposition avec laquelle elle présente un lien économique.
De son côté, la partie étatique demande la confirmation intégrale du jugement entrepris.
Quant à la méconnaissance alléguée du § 205, alinéa (3), AO Arguments des parties Selon l’appelant, l’administration des Contributions directes aurait manqué à son devoir d’information, à plusieurs égards, l’empêchant ainsi de soumettre ses observations préalablement à sa taxation d’office. A titre liminaire, il reproche au bureau d’imposition de ne pas l’avoir invité à déposer une déclaration d’impôt pour l’année 2016, affirmant ne pas avoir été notifié des courriers que le bureau d’imposition aurait prétendument envoyés en date du 16 mai 2019, y compris un courrier de rappel du 14 juin 2019. Il conteste en outre la remise à la poste desdits courriers par l’administration des Contributions directes et le fait qu’ils auraient été distribués par la poste tout comme il conteste a fortiori leur réception. En l’absence de réception desdits courriers, l’appelant reproche au bureau d’imposition de ne pas l’avoir informé qu’il entendait rattacher le montant de … euros à l’année d’imposition 2016. En outre, le bureau d’imposition n’aurait pas, selon lui, motivé les raisons l’ayant amené à retenir qu’il devait faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette. Par suite, en fixant une imposition divergente et plus lourde que celle initialement subie par lui, l’administration aurait méconnu son droit à être entendu préalablement à l’émission de son bulletin d’impôt en application du § 205, alinéa (3), AO.
La partie étatique soutient que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le bureau d’imposition n’était pas tenu d’appliquer le § 205, alinéa (3), AO au motif que l’appelant avait manqué à son obligation déclarative. En l’absence de déclaration d’impôt souscrite par l’appelant, il aurait été impossible pour l’administration de lui indiquer qu’elle entendait s’écarter d’une déclaration inexistante. Indépendamment de la question de l’applicabilité du § 205, alinéa (3), AO, le délégué du gouvernement souligne que, comme l’ont retenu les premiers juges, le bureau d’imposition avait envoyé en date du 16 mai 2019 un courrier à l’appelant l’invitant à remettre une déclaration d’impôt compte tenu des informations reçues de la part du bureau d’imposition Sociétés 2 au sujet du montant des tantièmes versés.
Analyse de la Cour Le § 205, alinéa (3), AO dispose que : „Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen“.
Cette disposition n’est autre que la consécration et une application particulière, au niveau de la procédure d’imposition, du principe général du contradictoire et du droit de participation de l’administré à l’élaboration des décisions administratives, encore généralement consacré en droit fiscal par le § 204, alinéa (1), AO (« Anspruch auf Gehör »).
Ledit paragraphe met à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission d’un bulletin d’impôt, une obligation de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration. Par contre, lorsque la divergence de vues mise en avant par le contribuable s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, le contribuable n'a pas droit à être entendu préalablement à l'établissement du bulletin d'imposition.
Cependant, l’obligation de consultation du contribuable pesant sur le bureau d’imposition n'a pas vocation à s'appliquer dans un cas où le contribuable a manqué à son obligation de déclarer ses revenus, étant donné que dans cette hypothèse, l'administration n'a pas pu s'écarter de la déclaration du contribuable.
En l’espèce, comme justement souligné par la partie étatique, l’appelant est resté en défaut de remettre une déclaration d’impôt pour l’année 2016.
Toutefois, les parties sont en désaccord sur la question de la réception des courriers par lesquels le bureau d’imposition aurait invité l’appelant à déposer une déclaration d’impôt pour l’année 2016.
Il échet de relever que l’accomplissement des obligations déclaratives incombant au contribuable ne saurait être limité à l’hypothèse d’une invitation individuelle du bureau d’imposition à remettre une déclaration d’impôt. En effet, conformément à l’article 116 LIR, « Les revenus et autres données nécessaires pour la fixation de l’impôt doivent être déclarés au préposé du bureau d’imposition d’après les modalités à fixer par règlement grand-ducal ».
En outre, tel que le prévoit l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 13 mars 1970 portant exécution de l’article 116 LIR, ci-après le « règlement grand-ducal du 13 mars 1970 », « [à] moins de bénéficier d’une des dispenses prévues […] tout contribuable est tenu de faire annuellement la déclaration de ses revenus ».
Dans la mesure où le système déclaratif de l’impôt sur le revenu des personnes physiques repose sur le principe de l’auto-déclaration, en ce sens qu’il incombe, en principe, à chaque contribuable de déclarer annuellement à l’administration des Contributions directes sa situation personnelle et de revenus pour l’année qui vient de s’écouler, c’est bien au contribuable qu’il appartient de s’assurer qu’il se trouve en conformité avec ses obligations déclaratives.
En vue précisément de se prémunir face au risque que les contribuables délaissent leurs obligations déclaratives sous le prétexte que l’administration ne les a pas a préalablement invités à déposer leur déclaration d’impôt, l’article 4 du règlement grand-ducal du 13 mars 1970 précité prévoit qu’« un contribuable ne peut se prévaloir du fait qu'une formule de déclaration ne lui aurait pas été remise par l'administration pour se soustraire à l'obligation de la déclaration. ».
Partant, la prétendue absence de notification des courriers du bureau d’imposition à l’adresse de l’appelant ne saurait exonérer ce dernier de la vérification et du respect des conditions de remise d’une déclaration d’impôt pour l’année concernée.
Par voie de conséquence, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le § 205, alinéa (3), AO était inapplicable en l’espèce faute pour l’appelant d’avoir remis une déclaration d’impôt pour l’année 2016.
Le moyen de l’appelant doit partant être rejeté.
Quant à la prétendue violation de l’article 108, alinéa (1), n° 1, LIR Arguments des parties Selon l’appelant, l’administration et les premiers juges méconnaîtraient la réalité et le lien économique des avances de tantièmes et de jetons de présence perçues en 2016, mais qui en réalité seraient à rattacher à l’année d’imposition 2015. Il soutient que ces avances ont été payées « au début de l’année 2016 » et que l’appartenance et le lien économique avec l’exercice 2015 seraient indiscutables. Enfin, quant à l’expression « peu de temps » reprise par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR, l’appelant rejette l’interprétation de cette expression issue des travaux parlementaires et défend l’idée que le législateur aurait laissé au juge la possibilité d’exercer son pouvoir d’appréciation en refusant de fixer une durée précise à l’expression « peu de temps ».
Selon la partie étatique, ce serait à bon droit que le bureau d’imposition a considéré que le paiement intervenu le 20 mai 2016 doit être rattaché à l’année 2016 en ce qu’il est intervenu au-delà de l’hypothèse prévue par l’expression « peu de temps » employée par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR. D’après le délégué du gouvernement, cette expression serait unanimement interprétée par les travaux parlementaires, la doctrine et la jurisprudence comme visant une période d’environ deux semaines. Dans la mesure où cette période serait largement dépassée dans le cas présent, il conviendrait de retenir le rattachement du paiement litigieux à l’année d’imposition 2016 et, plus loin, l’imposition par voie d’assiette de l’appelant conformément à l’article 152, titre 2, alinéa (19), LIR.
Analyse de la Cour Le litige résiduel entre les parties porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « peu de temps » employée par l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR. Selon elles, le sens à donner à cette expression déterminerait l’étendue des obligations fiscales de l’appelant et plus particulièrement s’il relève d’une imposition par voie d’assiette pour l’année 2016.
La Cour note que la date précise du paiement des avances litigieuses est absente de la requête d’appel. A en croire l’appelant, le paiement aurait eu lieu « début 2016 ». Ce n’est que dans le mémoire en réponse de la partie étatique que la date de paiement effective des avances est indiquée comme étant le 20 mai 2016, cette date n’étant pas contestée par l’appelant, car reprise par la suite dans son mémoire en réplique.
D’après l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR : « Les recettes et les frais d’obtention qui entrent en ligne de compte pour la détermination des revenus nets visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10, les dépenses spéciales visées à l’article 109, alinéa 1er, numéros 1, 1a, 2 et 3 et les charges extraordinaires visées aux articles 127 et 127bis sont à prendre en considération de la façon suivante :
1. Les recettes sont à attribuer à l’année d’imposition au cours de laquelle elles sont mises à la disposition du contribuable. Toutefois, lorsque des recettes à caractère périodique sont mises à la disposition du contribuable peu de temps avant le début ou peu de temps après la fin de l’année à laquelle elles se rapportent du point de vue économique, elles sont à attribuer à cette année. (…) ».
Tel que retenu à juste titre par les parties, l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR précité constitue une dérogation au principe selon lequel un revenu doit être imposé l’année durant laquelle il a été mis à la disposition du contribuable.
En effet, selon l’article 6 LIR, « l’impôt frappe le revenu imposable réalisé par le contribuable pendant l’année d’imposition », tandis que selon l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR, certaines recettes à caractère périodique peuvent être attribuées à l’année d’imposition précédant ou suivant l’année d’imposition durant laquelle elles ont été réellement mises à la disposition du contribuable.
Les recettes visées par l’article 108 LIR sont précisément délimitées, par son alinéa 1er, comme comprenant les « revenus nets visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10 » LIR.
Plus précisément, l’article 10 LIR dispose qu’« [e]ntrent seuls en ligne de compte pour la détermination du total des revenus nets au sens du second alinéa de l’article 7:
1. le bénéfice commercial, 2. le bénéfice agricole et forestier, 3. le bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale, 4. le revenu net provenant d’une occupation salariée, 5. le revenu net résultant de pensions ou de rentes, 6. le revenu net provenant de capitaux mobiliers, 7. le revenu net provenant de la location de biens, 8. les revenus nets divers spécifiés à l’article 99 ci-après. ».
La Cour constate que les revenus litigieux, à savoir les avances de tantièmes et de jetons de présence payées le 20 mai 2016, ont été versés à l’appelant en sa qualité d’administrateur de la société (CD).
Quant à la qualification de la rémunération des administrateurs de sociétés, il convient de relever que selon l’article 91, alinéa (1), n°2, LIR : « [e]st considéré comme bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale le revenu net provenant des activités ci-après désignées, lorsque ces activités sont exercées d’une façon indépendante: (…) 2. l’activité des administrateurs, des commissaires et des personnes exerçant des fonctions analogues auprès des sociétés par actions, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés coopératives ou d’autres collectivités au sens des dispositions régissant l’impôt sur le revenu des collectivités. La rémunération des administrateurs entre en ligne de compte dans la mesure seulement où elle n’est pas accordée en raison de la gestion journalière de la société ou collectivité. ».
En l’espèce, il n’apparaît aucunement dans le dossier que l’appelant aurait été en charge de la gestion journalière de la société (CD), de sorte que la rémunération de son activité d’administrateur est à qualifier de bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale au sens de l’article 91 LIR.
Eu égard à la qualification de revenu précitée, se pose la question de l’applicabilité de l’article 108 LIR au bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale.
Tel que l’a justement relevé le délégué du gouvernement, le champ d’application de l’article 108 LIR a été élargi par le règlement grand-ducal modifié du 3 décembre 1969 instituant un mode simplifié de détermination du bénéfice en exécution de l'article 18, alinéa (3), de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, ci-après le « règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 ».
D’après l’article 18, alinéa (1), LIR, « le bénéfice est constitué par la différence entre l’actif net investi à la fin et l’actif net investi au début de l’exercice, augmentée des prélèvements personnels effectués pendant l’exercice et diminuée des suppléments d’apport effectués pendant l’exercice ».
Or, une dérogation à ce principe a été prévue par l’article 18, alinéa (3), LIR prévoyant, dans certains cas, l’hypothèse du recours à un mode simplifié de détermination du bénéfice par comparaison des recettes et des dépenses d’exploitation. Les conditions et les modalités de ce mode simplifié ont été détaillées par le règlement grand-ducal du 3 décembre 1969.
Les conditions d’accès au mode simplifié de détermination du bénéfice sont réservées, d’après l’article 1er du règlement du 3 décembre 1969, aux contribuables qui réalisent un bénéfice, au sens des numéros 1 à 3, de l’article 10 de la LIR, soit un bénéfice commercial, un bénéfice agricole et forestier ou un bénéfice provenant de l'exercice d'une profession libérale.
En outre, l’article 1er, alinéa (1), du règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 subordonne la détermination simplifiée du bénéfice de ces contribuables au respect de trois conditions cumulées en prévoyant que « le contribuable peut déterminer le bénéfice commercial, le bénéfice agricole et forestier et le bénéfice provenant de l'exercice d'une profession libérale en déduisant les dépenses d'exploitation des recettes d'exploitation, lorsque les conditions suivantes sont simultanément réalisées :
1. le contribuable ne doit pas être obligé à la tenue d'une comptabilité régulière en vertu du paragraphe 161 de la loi générale des impôts et ne doit en outre pas tenir une comptabilité régulière;
2. à la fin des exercices le montant de l'actif net investi composé par les postes d'actif et de passif autres que les immobilisations et les comptes de trésorerie ne doit généralement pas varier de façon sensible par rapport au début de l'exercice;
3. l'actif net investi visé sub 2 ne doit généralement pas dépasser, à la fin de l'exercice, cent cinquante pour cent du bénéfice imposable. ».
En l’espèce, il échet de relever que pour les années d’imposition litigieuses, à savoir les années 2015 et 2016, l’appelant pouvait se prévaloir d’une tolérance administrative l’excluant du champ des contribuables visés par l’obligation de tenir une comptabilité régulière.
En effet, s’il résulte certes de la lecture combinée du § 161, alinéa (1), n° 1, AO et de l’article 91 LIR que les membres de professions libérales sont en principe tenus de tenir une comptabilité régulière, une circulaire LIR n° 30 du 15 mai 1970, fondée sur le § 161, alinéa (2), AO permet « aux titulaires de professions libérales qui sont obligés à la tenue d’une comptabilité régulière en vertu du paragraphe 161 de la loi générale mais qui en fait ont appliqué dans le passé le mode de détermination du bénéfice par comparaison des recettes et des dépenses prévu par le paragraphe 4, al. 3 de l’ancienne loi de l’impôt sur le revenu » de déterminer le bénéfice par comparaison des revenus et des dépenses. La circulaire précise encore que cette tolérance vaut même pour les titulaires de professions libérales tombant à l’avenir sous l’application du § 161 AO.
La première condition est partant remplie dans le chef de l’appelant.
En ce qui concerne les deux autres conditions relatives à la variation du montant de l’actif net, il y a lieu de les considérer comme étant remplies faute d’indice contraire se dégageant du dossier fiscal de l’appelant et en l’absence de toute contestation à cet égard de la part de l’Etat qui, au contraire, se prévaut de l’article 108, alinéa (1), n° 1, 2e phrase, LIR à l’égard de l’appelant.
Partant, ce dernier relève bien du champ d’application du règlement grand-ducal du 3 décembre 1969 et plus précisément de son article 2, qui prévoit que « [l]es dispositions de l'article 108 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu sont applicables par analogie », de sorte que la Cour est amenée à analyser si le paiement litigieux, en tant que recette à caractère périodique, est intervenu, au profit de l’appelant, peu de temps après la fin de l’année 2015 au sens de l’article 108, alinéa (1), n°1, 2e phrase, LIR.
Sur le sens de l’expression « peu de temps », il échet de relever un extrait des travaux parlementaires relatifs à la LIR portant sur l’actuel article 108 LIR et se prononçant plus particulièrement sur la période couverte par cette expression.
« En ce qui concerne les recettes et les dépenses périodiques, par contre, échéant peu de temps avant ou après la fin de l’année, il n’y a aucune difficulté à les attribuer à l’année qu’elles concernent économiquement ; aussi l’article 124 prévoit-il pour ces recettes et dépenses qu’elles seront attribuées à cette année. Il s’agit p.ex. des traitements payés pour la première période de paye de l’année ou pour la dernière. Par « peu de temps avant le début ou après la fin de l’année », il y a lieu d’entendre une période d’environ deux semaines » (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, commentaire des articles, ad art. 124, p. 226).
Dans la mesure où le législateur n’a pas fait le choix de retenir une disposition légale plus précise ou distincte par rapport à celle commentée par les travaux parlementaires, il convient d’interpréter l’article 108 LIR à la lumière des indications données par lesdits travaux parlementaires.
Partant, comme l’a justement retenu la partie étatique, l’expression « peu de temps » doit être interprétée comme équivalant à une période d’environ deux semaines.
En l’espèce, il est constant en cause que le versement litigieux est intervenu en date du 20 mai 2016, de sorte que le délai qui s’est écoulé depuis la fin de l’année d’imposition 2015 est de plusieurs mois, soit un laps de temps significativement supérieur à la période d’environ deux semaines requise pour l’interprétation de l’expression « peu de temps ».
Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les avances versées en date du 20 mai 2016, pour un montant de … euros, doivent être prises en compte au titre de l’année d’imposition 2016.
Dans la mesure où ces avances doivent être attribuées à l’année d’imposition 2016, elles s’ajoutent ainsi aux divers paiements de tantièmes également perçus par l’appelant en 2016. Par conséquent, le montant annuel brut de tantièmes perçu par l’appelant en 2016 est supérieur à 100.000 euros.
Du fait de sa qualité de contribuable non résident percevant exclusivement des tantièmes, dont le montant excède le montant total brut de 100.000 euros par an, l’appelant doit faire l’objet d’une imposition par voie d’assiette conformément à l’article 152, Titre 2, alinéa (19), LIR.
C’est donc à bon droit que l’appelant a été imposé par voie d’assiette au titre de l’année d’imposition 2016 bien que cette imposition résulte d’une taxation d’office au sens du § 217 AO.
Il convient en effet de confirmer cette taxation d’office faute pour l’appelant d’avoir fait état d’éléments qui établiraient le caractère erroné des bases d’imposition retenues dans son bulletin d’impôt de l’année 2016.
Il découle de ces développements que l’appel sous examen laisse d’être justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.
Quant à l’indemnité de procédure L’appelant sollicite une indemnité de procédure de 3.000 euros pour avoir dû recourir aux services rémunérés d’un avocat afin de faire valoir ses droits.
Cette demande est à rejeter eu égard à la solution au fond et au fait qu’il ne découle point des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de l’appelant les frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 15 juillet 2022 en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 15 juin 2022, rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 9 mars 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER en présence du greffier de la Cour ….
s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 mars 2023 Le greffier de la Cour administrative 11