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19/01/2023 | LUXEMBOURG | N°48195C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 janvier 2023, 48195C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48195C ECLI:LU:CADM:2023:48195 Inscrit le 21 novembre 2022 Audience publique du 19 janvier 2023 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 octobre 2022 (n° 45616 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48195C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 21 novembre 2022 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant ê

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48195C ECLI:LU:CADM:2023:48195 Inscrit le 21 novembre 2022 Audience publique du 19 janvier 2023 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 octobre 2022 (n° 45616 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48195C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 21 novembre 2022 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le (1) à … (Côté d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 19 octobre 2022 (n° 45616 du rôle) l’ayant déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 janvier 2021 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 janvier 2023.

Le 24 octobre 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

1Toujours le 24 octobre 2019, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Le 2 novembre 2019, elle a donné naissance à l’enfant (B).

En dates des 4 novembre et 18 décembre 2020, Madame (A) passa un entretien auprès du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 5 janvier 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Madame (A) comme étant non fondée sur la base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 et lui ordonna de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. Le ministre résuma les déclarations de Madame (A) auprès de la direction de l’Immigration comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 octobre 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 24 octobre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 4 novembre 2020 et du 18 décembre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que des copies de convocations à des rendez-vous médicaux au Centre Hospitalier ….

Madame, vous avez déclaré lors de l’entretien auprès de la police grand-ducale vous appeler (C) et être née le (2). Or, une photo de votre passeport ainsi qu’une photo de l’extrait du registre de l’état civil enregistrées sur votre téléphone portable ont permis d’infirmer vos déclarations alors que ces documents montrent que votre réelle identité est (A) et que vous êtes née le (3).

Madame, il résulte de vos déclarations que vous seriez d’ethnie Bété et de confession chrétienne. Vous seriez née à …, une ville du centre-ouest de la Côte d’Ivoire et vous auriez fréquenté l’école de 1994 jusqu’en 2005 avant d’arrêter en raison d’un manque de moyens financiers. Vous auriez ensuite travaillé dans un restaurant.

Vous déclarez avoir deux enfants (D) et (E) que vous auriez eus avec un homme qui serait décédé en 2015 des suites de la fièvre typhoïde et une enfant (B) que vous auriez eue avec un dénommé (F) dont vous déclarez ne pas connaître le nom de famille.

Quant à votre trajet, vous évoquez que vous auriez quitté la Côte d’Ivoire fin 2016 pour le Mali. Vous y auriez travaillé dans l’agriculture pendant deux ans et en raison « des troubles », vous auriez décidé de continuer votre chemin en direction de la Libye via le Niger.

En Libye, vous auriez travaillé en tant que femme de ménage pendant neuf mois avant de rejoindre l’Italie à bord d’un bateau. Après un séjour de trois semaines en Sicile, vous auriez quitté l’Italie parce que « J’ai suivi des amis que voyageaient vers la France et Belgique » (p.5/9 du rapport d’entretien Dublin III) et seriez allée en France où vous auriez séjourné pendant une semaine avant de rejoindre le Luxembourg le 23 octobre 2019. Vous indiquez ne pas avoir introduit une demande ni en Italie, ni en France et ce parce que « Je ne savais pas où aller pour demander l’asile » (p.6/9 du rapport d’entretien Dublin III).

2 Madame, vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine à cause des violences domestiques subies de la part de votre époux. Dans ce contexte vous expliquez qu’après le décès de votre père en 2010, votre oncle vous aurait mariée de force au frère de feu votre mari, à un dénommé (G) qui aurait été « très violent, très jaloux » (p.6/15 du rapport d’entretien) et qui vous aurait frappée régulièrement. Vous seriez tombée enceinte mais votre époux aurait refusé de payer pour des soins médicaux et il aurait continué à vous frapper, raison pour laquelle vous auriez fait une fausse couche en février 2016. Après un séjour d’une journée à l’hôpital, vous seriez retournée dans la maison de votre époux et deux semaines plus tard vous auriez commencé à « extraire un peu d’or dans les mines [pour] m’acheter des petits trucs pour manger » (p.9,10/15 du rapport d’entretien). Après avoir été violée par vote (sic) époux et accusée d’avoir brûlé ses parcelles, vous seriez allée demander une aide financière auprès de la police fin mars 2016 et vous auriez déposé une plainte contre votre époux qui « ne s’occupait ni des enfants, ni de moi. Il ne nous donnait pas d’argent pour subvenir à nos besoins » (p.10/15 du rapport d’entretien) mais les policiers vous auraient renvoyée. Vous n’auriez pas porté plainte pour les violences physiques dont vous auriez été victime, mais que contre le manque de soutien financier, parce que « c’était inutile de le faire car même si je l’avais fait je n’aurais pas obtenu gain de cause » (p.8/15 du rapport d’entretien). Après de nouvelles violences de votre époux à votre égard, vous auriez pris la décision de quitter votre village et votre époux. Vous seriez allée avec vos enfants chez votre sœur à Man. Après un séjour de quelques jours, vous auriez laissé vos enfants avec votre sœur et vous auriez accompagné une femme au Mali en novembre 2016. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2021, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 5 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 19 octobre 2022, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en la condamnant aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 21 novembre 2022, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle fait valoir en substance qu’elle serait de nationalité ivoirienne et qu’elle aurait quitté son pays d’origine fin 2016 en raison de graves violences conjugales dont elle aurait été victime de la part du frère de son époux décédé en 2015 à qui elle aurait été mariée de force par son oncle, qui aurait pris la place de son père décédé. Elle précise que les violences que son mari lui auraient infligées auraient non seulement mis sa vie en danger, mais également celle de son enfant qui aurait succombé à sa naissance à cause des coups portés sur elle.

Elle ajoute qu’elle n’aurait pas pu utilement se prévaloir de la protection des autorités ivoiriennes, la police à laquelle elle se serait adressée ne l’ayant pas prise au sérieux, de sorte qu’elle aurait décidé de quitter la Côte d’Ivoire.

En droit, l’appelante estime être victime de persécutions fondées sur le genre, dès lors qu’elle aurait été contrainte, après le décès de son époux, d’épouser un homme choisi par son oncle qu’elle n’aurait pas pu quitter, malgré son comportement violent, alors que la société 3environnante et les autorités en place ne protègeraient pas les femmes victimes de violences domestiques.

Elle se prévaut, à ce sujet, de divers rapports qui mettraient en exergue les problèmes quant au respect des droits des femmes en Côte d’Ivoire, et notamment l’impossibilité pour les femmes ivoiriennes de bénéficier de l’aide de la part de centres d’hébergement pour femmes en détresse et le fait que les violences et viols conjugaux ne sont pas érigés en infraction pénale dans ce pays.

L’appelante fait valoir qu’elle remplirait toutes les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié, alors qu’elle risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être à nouveau victime de persécutions de la part de son époux violent. Elle soutient qu’à cause de la persécution liée au genre dont elle aurait été victime, elle serait regardée par la population environnante comme appartenant à un certain groupe social, à savoir celui composé par les personnes qui refusent de suivre les règles coutumières de la société ivoirienne imposant à une femme veuve de se remarier aussitôt la période de deuil terminée.

Elle insiste sur le défaut de protection des autorités ivoiriennes, lesquelles ne protègeraient pas suffisamment les femmes victimes de violences domestiques et de mariage forcé, alors qu’elles considéreraient ces questions comme relevant du domaine de la vie privée et refuseraient très souvent d’intervenir. Elle ajoute qu’il n’existerait pas de centres d’hébergement susceptibles d’accueillir les femmes en détresse dans son pays d'origine. Elle estime dès lors que l’on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir formellement déposé une plainte contre son mari.

Elle conteste encore l’existence dans son chef de toute possibilité de fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 faute de moyens financiers nécessaires, tout en soulignant que la charge de la preuve quant à l’existence d’une telle possibilité reposerait sur la partie étatique qui devrait procéder à une appréciation in concreto. Elle ne pourrait pas non plus s’installer auprès de l’un de ses proches, alors que ceux-ci auraient été menacés par son oncle et son mari.

Elle sollicite encore l’application dans son chef de la présomption instituée par l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’il n’existerait aucune bonne raison de penser que les faits subis ne se reproduiront pas en cas de retour dans son pays d'origine.

En ordre subsidiaire, l’appelante sollicite le statut conféré par la protection subsidiaire dont elle estime remplir également les conditions d’octroi. Elle fait valoir que les menaces et violences qu’elle aurait subies seraient à assimiler à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015 et qu’elle ne pourrait pas compter sur la protection des autorités ivoiriennes.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

En ce qui concerne la demande du statut de réfugié, il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une 4gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Quant à l’octroi de la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

En l’espèce, l’appelante invoque en substance une crainte d’être persécutée sinon de subir des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d'origine, en raison des violences conjugales dont elle aurait été victime dans le cadre d’un mariage forcé.

Ceci dit, la Cour constate que l’auteur des violences que l’appelante déclare avoir subies, à savoir son époux, est une personne privée qui reste sans aucun lien apparent avec les autorités ivoiriennes. C’est partant à bon droit que les premiers juges ont retenu que cette personne ne saurait être qualifiée d’auteur de persécutions ou d’atteintes graves que si les autorités ivoiriennes ne sont pas capables ou disposées à protéger l’intéressée.

Or, il n’appert pas des éléments de la cause que les autorités ivoiriennes ne veulent pas ou ne peuvent pas fournir à l’appelante une protection effective contre les agissements dont elle fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou que l’appelante a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la 5protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.

En effet, l’essentiel est, en définitive, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit et c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la violence infligée.

Il est par ailleurs de jurisprudence constante que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée -ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves- cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

Or, à l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à constater que l’appelante n’a pas déposé plainte contre son époux du fait des violences qu’il lui aurait infligées. Il ressort en effet des déclarations de celle-ci, ainsi que cela a été relevé à bon escient par les premiers juges, qu’elle s’est certes adressée à la police ivoirienne fin mars 2016 afin de porter plainte contre son époux, mais non pas du chef de violences domestiques, mais du fait que son époux ne subviendrait pas à ses besoins et à ceux de ses enfants.

Si l’appelante continue en appel à soutenir que le système judiciaire et policier ivoirien ne protégerait pas suffisamment les femmes victimes de violences domestiques lorsque celles-ci sont perpétrées dans le cadre d’un mariage forcé, elle reste cependant en défaut d’apporter des éléments concrets qui pourraient permettre d’établir que dans son cas précis, il aurait été vain de s’adresser aux forces de l’ordre de son pays d’origine.

En effet, la seule affirmation suivant laquelle elle n’aurait pas eu gain de cause si elle avait déposé plainte contre son mari pour les violences subies ne saurait en tout état de cause suffire, à défaut d’éléments concrets tirés de son vécu personnel, pour pouvoir retenir que les autorités de son pays d’origine n’auraient pas pu ou pas voulu la protéger contre les agissements de son époux violent.

Quant aux rapports et articles internationaux dont l’appelante cite des extraits pour démontrer une absence, sinon une insuffisance de protection de la part des autorités ivoiriennes à l’égard des femmes victimes de violences conjugales et spécialement lorsque ces violences sont commises dans le cadre d’un mariage forcé, la Cour rejoint les premiers juges en leur constat que ces publications générales témoignent certes de violences envers les femmes, mais elles ne sont toutefois pas de nature à établir un défaut de protection de la part de l’Etat ivoirien contre de tels agissements, voire une incapacité des autorités en place à protéger les victimes de violences domestiques.

6En outre, il ressort des explications non utilement contredites, fournies en première instance par la partie étatique, que la Côte d’Ivoire a pris diverses mesures afin de contrer les violences conjugales en mettant en place deux types de services à destination des victimes de violences basées sur le genre, à savoir des « gender desks » et des « plates-formes VBG », de même qu’il existe un médiateur à laquelle l’appelante aurait pu s’adresser. A côté, il existe, d’après les explications de la partie étatique, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) en Côte d’Ivoire qui se battent contre les violences physiques dans le pays et qui ont pour objectifs notamment l’amélioration de la situation des femmes et la lutte contre la discrimination et les inégalités sociales et contre les violences en général et, en particulier, celles dirigées contre les femmes. Quant au rapport produit par l’appelante en appel intitulé « On va régler ci-après en famille – Les obstacles à une prise en charge effective des victimes sexuelles en Côte d’Ivoire » de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) de mars 2020, celui-ci ne permet pas d’invalider cette conclusion, étant donné qu’il est essentiellement axé sur le thème des violences sexuelles, alors que l’appelante se dit victime de violences physiques. Si ce rapport décrit certes une situation difficile pour les femmes ivoiriennes victimes de violences sexuelles, il précise toutefois que le viol entre autres est désormais érigé en infraction pénale et que des efforts sont entrepris par les autorités, même s’il reste encore du chemin à faire au vu des traditions prévalant dans ce pays avec une prévalence accordée aux règlements à l’amiable.

Par conséquent, et à défaut d’avoir concrètement recherché de l’aide auprès des forces de l’ordre ou une autre autorité de son pays d’origine, mettant ces dernières dans l’incapacité d’accomplir leurs missions, aucune défaillance ou inefficacité ne saurait leur être reprochée.

Il suit de ce qui précède que l’appelante reste toujours en défaut de démontrer à suffisance de droit un défaut de protection de la part de ses autorités nationales.

Par ailleurs, il n’existe aucune obligation apparente pourquoi l’appelante serait obligée de retourner vivre auprès de son époux en cas de retour dans son pays d'origine, d’autant plus qu’il ressort des explications du délégué du gouvernement fournies en première instance que la Côte d’Ivoire interdit et sanctionne le mariage forcé, de sorte qu’il lui serait possible de demander une annulation de son mariage.

Pour le surplus, la Cour est amenée à constater, à l’instar de l’autorité ministérielle, que l’appelante appert bénéficier d’une possibilité raisonnable de fuite interne, étant donné que ses craintes invoquées n’ont qu’un caractère local et qu’au vu de son âge, il lui est possible de se réinstaller dans une autre partie de la Côte d’Ivoire, le seul argument opposé par l’appelante relatif à un manque de moyens financiers rendant matériellement impossible une telle réinstallation n’étant guère convaincant au regard de sa fuite à l’étranger.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport.

L’appelante sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de la protection internationale, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante et que le refus dudit statut 7entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

Les développements ci-avant ayant mené au constat que les craintes invoquées par l’appelante de subir des persécutions sinon des atteintes graves dans son pays d'origine ne sont pas fondées, son renvoi ne saurait logiquement emporter une atteinte au principe de non-

refoulement.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute l’appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 19 octobre 2022, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 janvier 2023 Le greffier de la Cour administrative 8



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 19/01/2023
Date de l'import : 22/01/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 48195C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-01-19;48195c ?

Source

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