N° 161 / 2022 du 22.12.2022 Numéro CAS-2021-00114 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux décembre deux mille vingt-deux.
Composition:
MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT6.), premier avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.
Entre:
1) Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-
ADRESSE1.), agissant en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant eu son siège social à L-
ADRESSE2.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B229098, déclarée en état de faillite suivant jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 3 septembre 2021, 2) la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant eu son siège social à L-ADRESSE2.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B229098, déclarée en état de faillite suivant jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 3 septembre 2021, demandeurs en cassation, comparant par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:
la société à responsabilité limitée SOCIETE2.), anciennement dénommée SOCIETE3.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE3.), représentée par le collège de gérance, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B117833, défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme SOCIETE4.), inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître AVOCAT3.), avocat à la Cour.
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Vu le jugement attaqué, numéro 2021TALCH14/00114, rendu le 12 juillet 2021 sous le numéro TAL-2021-04656 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail à loyer et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 17 septembre 2021 par Maître AVOCAT1.), agissant en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) ») et par la société SOCIETE1.) à la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) (ci-après « la société SOCIETE2.)»), déposé le 17 septembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 10 novembre 2021 par la société SOCIETE2.) à Maître AVOCAT1.) et à la société SOCIETE1.), déposé le 12 novembre 2021 au greffe de la Cour ;
Vu le « mémoire en cassation sur la recevabilité » signifié le 4 mai 2022 par Maître AVOCAT1.) et par la société SOCIETE1.) à la société SOCIETE2.), déposé le 11 mai 2022 en ce qu’il répond aux fins de non-recevoir opposées par la société SOCIETE2.) au pourvoi; écartant le mémoire pour le surplus en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;
Sur les conclusions du premier avocat général MAGISTRAT6.).
Sur les faits Selon le jugement attaqué, le juge de paix de Luxembourg, siégeant en matière de bail à loyer, saisi par la société SOCIETE2.) de plusieurs demandes en paiement et en résiliation du contrat de bail la liant à la société SOCIETE1.), avait prononcé la résiliation du contrat de bail et condamné la locataire au déguerpissement des lieux loués ainsi qu’au paiement de certains montants du chef d’indemnité d’occupation sans droit ni titre et d’indemnité conventionnelle pour résiliation du contrat de bail aux torts de la locataire. Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a confirmé le jugement, sauf à reporter le délai de déguerpissement, et condamné la locataire à payer le solde de l’indemnité conventionnelle redue.
Sur la recevabilité du pourvoi La défenderesse en cassation conclut à l’irrecevabilité du pourvoi en cassation en ce qu’en ayant fait procéder au déguerpissement des sous-locataires des lieux loués, le curateur de la faillite de la société SOCIETE1.) (ci-après « le curateur ») aurait acquiescé au jugement.
L’acquiescement est un acte juridique comportant renonciation au droit d’exercer un recours contre une décision et acceptation de l’exécution de celle-ci.
Le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif en matière civile, l’exécution, même sans réserves, d’une décision ne vaut acquiescement que s’il résulte des circonstances dans lesquelles elle a eu lieu que celui qui s’est exécuté a, sans équivoque, manifesté sa volonté d’acquiescer.
Dès lors qu’il ressort d’un courrier adressé le 2 août 2021 par le curateur à la défenderesse en cassation qu’il se réservait toute voie de droit à introduire contre le jugement dont pourvoi, le moyen tiré de la fin de non-recevoir n’est pas fondé.
La défenderesse en cassation fait encore valoir le défaut d’intérêt à agir dans le chef du curateur au motif que les sous-locataires de la société SOCIETE1.) auraient déguerpi des lieux loués de sorte que le pourvoi portant sur la résiliation du contrat de bail et le déguerpissement prononcés serait devenu sans objet.
En ce que le jugement ayant prononcé la résiliation du contrat de bail et le déguerpissement des lieux loués a fait grief à la société SOCIETE1.), elle a intérêt à se pourvoir en cassation.
La fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir est à rejeter.
Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir dit l’appel non-fondé et confirmé le jugement de première instance ayant prononcé la résiliation judiciaire du bail, condamné la locataire au déguerpissement, au paiement d’une indemnité stipulée à l’art. 21 du contrat de bail en cas de résiliation judiciaire et d’une indemnité d’occupation sans droit ni titre, le tout en ne donnant aucun effet et en refusant de tenir compte de la procédure d’insolvabilité (restructuration et suspension) ouverte en Belgique, aux motifs adoptés que :
- Au regard de la lecture conjointe des articles 20 et 11 (1) du Règlement (UE 2015/848 du 20 mai 2015), le contrat de bail conclu entre les parties ainsi que toutes les conséquences liées à ce contrat de bail continuent à relever du droit luxembourgeois » (jugement de première instance, p. 11), - L’obligation ou non pour le Tribunal d’interpréter la législation par rapport aux dispositions de la Directive (UE 2019/1023), dont le délai de transposition n’a par ailleurs pas encore expiré, est sans pertinence en l’espèce, étant donné qu’il est de jurisprudence constante au Grand-duché de Luxembourg que le juge apprécie toujours la gravité des fautes commises par le locataire et dès lors prend également en compte les circonstances dans lesquelles les fautes ont été commises et les conséquences des décisions à intervenir » (jugement de première instance, p. 11), Alors que :
première branche, l’article 11 (1) du Règlement UE 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité suivant lequel : Les effets de la procédure d’insolvabilité sur un contrat donnant le droit d’acquérir un bien immobilier ou d’en jouir sont régis exclusivement par la loi de l’État membre sur le territoire duquel ce bien est situé » ne signifie pas que la procédure d’insolvabilité serait dénuée de tout effet sur le contrat de bail se rapportant à un bien immobilier sis dans un autre État membre, mais que ces effets, en l’occurrence la restructuration et la suspension ordonnées par le juge belge, sont régis par la loi de cet État ; que l’article 20 du Règlement 2015/848 est sans pertinence à cet égard, sauf à confondre la procédure d’insolvabilité primaire ouverte par le juge belge (régie par l’article 20 (1) dudit Règlement) avec une procédure d’insolvabilité secondaire (régie par l’article 20 (2) dudit Règlement) ;
qu’en confirmant le jugement de première instance ayant prononcé la résiliation du bail, en interprétant le droit interne sans tenir aucun compte de la procédure d’insolvabilité ouverte en Belgique ni lui donner aucun effet, en prononçant au contraire la résiliation d’un contrat essentiel dont dépendait la survie économique de la locataire, et en compromettant ainsi définitivement la procédure de restructuration ordonnée par le juge belge, le jugement attaqué a violé par fausse interprétation, sinon refus d’application, les articles 11 (1) et 20 du Règlement UE 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité ; et alors que, seconde branche, spécialement, l’article 1184 et l’article 1762-2 du Code civil, rendus applicables par l’article 11 (1) du Règlement UE 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, et dont il résulte que la clause résolutoire même expresse est toujours soumise à l’appréciation du juge compétent, doivent être interprétée conformément à la Directive UE 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 (directive sur la restructuration et l’insolvabilité), même non encore transposée, et spécialement à son article 6 (1) suivant lequel Les États membres veillent à ce que les débiteurs puissent bénéficier d’une suspension des poursuites individuelles pour permettre le bon déroulement des négociations relatives à un plan de restructuration dans un cadre de restructuration préventive » ; et à son article 7 (4) disposant que Les États membres prévoient des règles qui empêchent les créanciers auxquels la suspension s’applique de suspendre l’exécution de contrats à exécuter essentiels ou de le résilier, d’exécuter de manière anticipée ou, d’une quelconque autre façon, de modifier de tels contrats au détriment du débiteur, pour des dettes nées avant la suspension des poursuites individuelles, uniquement en raison du fait qu’elles n’ont pas été payées par le débiteur. Les contrats à exécuter essentiels sont entendus comme des contrats à exécuter nécessaires à la poursuite de la gestion courante de l’entreprise, y compris les livraisons dont la suspension conduirait à une paralysie des activités du débiteur. » qu’en prononçant la résiliation d’un contrat essentiel dont dépendait la survie économique de la locataire, et en compromettant ainsi définitivement la restructuration ordonnée par le juge belge, le jugement entrepris a violé par refus d’application, sinon fausse interprétation, l’article 1184 et l’article 1762-2 du Code civil rendus applicables par l’article 11 (1) du Règlement UE 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, et interprétés conformément aux articles 6 (1) et 7 (4) de la Directive UE 2019/1023 du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité. ».
Réponse de la Cour Il ressort des pièces et actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que la demanderesse en cassation avait invoqué devant le juge de paix de Luxembourg les dispositions tant du Règlement UE 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (ci-après « le Règlement ») que de la Directive UE 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes (ci-après « la Directive ») qu’il conviendrait d’appliquer compte tenu du jugement du 18 novembre 2020 du Tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles qui avait déclaré ouverte la procédure de réorganisation judiciaire par convention collective (ci-après « la procédure de réorganisation ») de la demanderesse en cassation. Ce jugement avait accordé à la société SOCIETE1.) une suspension des poursuites individuelles jusqu’au 12 mai 2021, prorogée par jugement du 10 mai 2021 jusqu’au 29 septembre 2021.
Les principes d’autonomie du droit européen et d’obligation de coopération loyale des Etats membres constituant des principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union européenne, les juges des Etats membres sont tenus de les inclure dans l’ordre public.
Ce moyen d’ordre public relevant du droit de l’Union européenne soumis au tribunal de première instance se trouvait dans les débats de sorte qu’il appartenait aux juges d’appel, au besoin d’office, de s’en saisir.
Sur la première branche Il est fait grief aux juges d’appel d’avoir, en interprétant le droit interne sans tenir compte de la procédure de réorganisation ouverte en Belgique ni lui donner aucun effet, en prononçant au contraire la résiliation d’un contrat essentiel dont dépendait la survie économique de la locataire, et en compromettant ainsi définitivement la procédure de réorganisation, violé les articles 11 et 20 du Règlement.
Aux termes de l’article 20, paragraphe 1, du Règlement « La décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité visée à l’article 3, paragraphe 1, produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre État membre les mêmes effets que ceux prévus par la loi de l’État d’ouverture, sauf disposition contraire du présent règlement et aussi longtemps qu’aucune procédure visée à l’article 3, paragraphe 2, n’est ouverte dans cet autre État membre. ».
Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du Règlement « Les effets de la procédure d’insolvabilité sur un contrat donnant le droit d’acquérir un bien immobilier ou d’en jouir sont régis exclusivement par la loi de l’État membre sur le territoire duquel ce bien est situé. ».
En ce que l’article 11, paragraphe 1, du Règlement constitue une disposition contraire à l’article 20 quant à la loi applicable, il en découle que les effets de la procédure d’insolvabilité sur le contrat de bail entre parties portant sur un immeuble situé à Luxembourg sont régis par les dispositions afférentes du droit luxembourgeois.
Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit, sous peine d’irrecevabilité, préciser ce en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué.
La demanderesse en cassation ne précise pas les dispositions de droit luxembourgeois régissant les effets de la procédure d’insolvabilité qui auraient été violées.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, est irrecevable.
Sur la seconde branche Il est fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les articles 1184 et 1762-2 du Code civil en ne les interprétant pas à la lumière des articles 6 (1) et 7 (4) de la Directive.
L’article 6 (1) de la Directive dispose « Les États membres veillent à ce que les débiteurs puissent bénéficier d’une suspension des poursuites individuelles pour permettre le bon déroulement des négociations relatives à un plan de restructuration dans un cadre de restructuration préventive.
Les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires ou administratives peuvent refuser d’accorder une suspension des poursuites individuelles lorsque cette suspension n’est pas nécessaire ou lorsqu’elle ne remplirait pas l’objectif énoncé au premier alinéa. ».
L’article 7 (4) de la Directive dispose « Les États membres prévoient des règles qui empêchent les créanciers auxquels la suspension s’applique de suspendre l’exécution de contrats à exécuter essentiels ou de les résilier, d’exécuter de manière anticipée ou, d’une quelconque autre façon, de modifier de tels contrats au détriment du débiteur, pour des dettes nées avant la suspension des poursuites individuelles, uniquement en raison du fait qu’elles n’ont pas été payées par le débiteur. Les contrats à exécuter essentiels sont entendus comme des contrats à exécuter nécessaires à la poursuite de la gestion courante de l’entreprise, y compris les livraisons dont la suspension conduirait à une paralysie des activités du débiteur.
Le premier alinéa n’empêche pas les États membres d’offrir à ces créanciers des garanties appropriées afin d’éviter qu’ils ne soient injustement lésés du fait de l’application dudit alinéa.
Les États membres peuvent prévoir que le présent paragraphe s’applique aussi aux contrats à exécuter qui ne sont pas essentiels. ».
La Directive dispose en son article 34, paragraphe 1, que les Etats membres adoptent et publient, au plus tard le 17 juillet 2021, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci et les appliquent à partir de la même date.
Le jugement dont pourvoi a été rendu le 12 juillet 2021, partant avant l’expiration du délai de transposition.
Dans l’hypothèse de la transposition tardive dans l’ordre juridique de l’État membre concerné d’une directive ainsi que de l’absence d’effet direct des dispositions pertinentes de celle-ci, les juridictions nationales sont tenues, dans toute la mesure du possible, d’interpréter le droit interne, à partir de l’expiration du délai de transposition, à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause aux fins d’atteindre les résultats poursuivis par cette dernière (e.a. CJUE arrêt Dominguez-
Cicoa, 24 janvier 2012, C-282/10, points 24, 33 ; CJUE arrêt Pfeiffer e.a., C-397/01-
C-403/01, point 114).
Dans le cas de figure de l’espèce, à savoir lorsque le délai de transposition de la directive n’est pas encore expiré, la CJUE décide que dès la date à laquelle une directive est entrée en vigueur, en l’espèce le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, les juridictions des Etats membres doivent s’abstenir dans la mesure du possible d’interpréter le droit interne d’une manière qui risquerait de compromettre sérieusement, après l’expiration du délai de transposition, la réalisation de l’objectif poursuivi par cette dernière (CJUE arrêt Adeneler-Elog, 6 juillet 2006, C-212/04, point 123).
La Directive a pour finalité d’harmoniser les législations et procédures nationales en matière de restructuration préventive, d’insolvabilité, de remise de dettes et de déchéances.
L’article 6 (1) de la Directive, lu à la lumière de ses considérants 32 à 42, prévoit la possibilité pour les Etats membres de faire bénéficier, de plein droit ou par décision judiciaire ou administrative, le débiteur de la suspension des poursuites individuelles des créanciers dirigées contre celui-ci en vue de permettre le bon déroulement des négociations relatives à un plan de restructuration dans un cadre de restructuration préventive. La Directive s’attache cependant non seulement à protéger les droits du débiteur, mais également ceux de ses créanciers dont les droits, du fait de la suspension ordonnée, risquent de se trouver compromis.
Dans le cadre de la demande en résiliation du contrat de bail, les juges d’appel ont constaté l’inexécution par la demanderesse en cassation des obligations contractuelles découlant dudit contrat pour ensuite en apprécier la gravité et en déduire que les inexécutions contractuelles « sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de bail ». Ils ont justifié en fait la résiliation en raison de ce que la locataire avait « constamment payé le loyer avec un retard considérable », « que la bailleresse a fait appel à plusieurs reprises aux différentes garanties bancaires pour pallier les défauts de paiement des loyers et avances sur charges » et que nonobstant promesses faites par la locataire « au jour des plaidoiries en instance d’appel, la garantie n’a toujours pas été reconstituée. ». Ils ont ainsi appliqué, dans les limites de leur pouvoir d’appréciation, le droit national régissant la relation contractuelle entre parties.
En mettant en balance les intérêts de la demanderesse en cassation à voir aboutir la procédure de restructuration et les intérêts de la défenderesse en cassation à voir garantir le paiement de ses créances périodiques, les juges d’appel n’ont pas interprété les dispositions visées au moyen de manière à compromettre sérieusement, après l’expiration du délai de transposition de la Directive, la réalisation des objectifs poursuivis par celle-ci.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir dit l’appel non-fondé et confirmé le jugement de première instance ayant prononcé la résiliation judiciaire du bail pour des fautes graves du locataire consistant en des retards de paiement des loyers et un défaut de reconstitution d’une garantie bancaire, condamné la locataire au déguerpissement, au paiement d’une indemnité stipulée à l’article 21 du contrat de bail en cas de résiliation judiciaire et d’une indemnité d’occupation sans droit ni titre, Aux motifs que :
- Le juge de première instance a rejeté le moyen tiré de l’abus de droit dans le chef de la bailleresse au motif que la locataire n’a pas formulé de demande en réduction du loyer et n’a pas justifié de la fermeture de son commerce et ceci d’autant plus que l’activité de sous-location de bureaux n’a jamais fait l’objet d’une fermeture administrative » (p. 17), - a seulement marqué son accord pour permettre à sa locataire de mettre à la seule disposition de ses sous-locataires un "espace restaurant" et un fitness. Le fait que [pendant la crise liée au Covid 19], la société appelante n’a dès lors pas pu exploiter un restaurant respectivement un fitness à cause de la pandémie, ne porte dès lors pas à conséquence car ces activités étaient seulement tolérées par le bailleur pour permettre à sa locataire d’augmenter l’attractivité des locaux pour ses sous-locataires » (p. 19), - même si [pendant la crise liée au Covid 19], de nombreuses entreprises ont décidé d’imposer le télétravail à leur personnel et que par conséquent l’activité de sous-location de bureau s’est avérée plus difficile, ces faits ne sont pas opposables à la bailleresse : il n’appartient pas en effet à la bailleresse de supporter les risques liés à l’entreprise de sa locataire » (p. 19), -
peut pas se retrancher derrière la pandémie liée au Covid faute pour elle de démontrer la fermeture de son commerce par les mesures sanitaires ordonnées par le Gouvernement pour lutter contre la propagation de la pandémie. Même si l’exploitation de l’activité de la société appelante a été rendue beaucoup plus difficile à cause de la pandémie, il convient de relever que la bailleresse n’a pas à supporter les risques liés à l’entreprise de sa locataire » (p. 22), - (…) le premier juge a suffisamment pris en considération tous les éléments ainsi que les griefs formulés par la bailleresse pour apprécier la gravité des fautes commises » (p. 22), - il est constant en cause que, depuis la conclusion du contrat de bail, le locataire a constamment payé le loyer avec un retard considérable. (…) C’est également à bon droit que le premier juge a relevé que la bailleresse n’a pas accepté le retard répété et important dans le paiement des loyers car elle a mis sa locataire de très nombreuses fois en demeure de payer le loyer aux échéances convenues. Le retard de paiement a été si important que la bailleresse a fait appel à plusieurs reprises aux différentes garanties bancaires pour pallier les défauts de paiement des loyers et avances sur charges. Toutes les garanties bancaires sont tirées pour l’intégralité des montants garantis, même celle de l’associé unique de sa locataire » (p. 22), - il est également constant en cause que la garantie à première demande à hauteur de 700.209,90. Euros, à laquelle il a été fait intégralement appel, n’a (…) toujours pas été reconstituée » (p. 23), - la multitude des fautes susmentionnées commises par (SOCIETE1.)) sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de bail », - à l’audience des plaidoiries de première instance, la société SOCIETE3.) a renoncé à sa demande en condamnation au titre d’arriérés de loyers et d’avance sur charge, dans la mesure où SOCIETE1.) aurait payé tous les loyers et avance sur charge depuis le dépôt de la requête » (p. 16) ; en appel, SOCIETE3.) confirme par courriel du 8 juillet 2021 avoir reçu le (montant de EUR 107.994,83) » (p. 20), Alors que, première branche, la prohibition de l’abus de droit disposée à l’article 6-1 du Code civil, ensemble l’exécution de bonne foi des conventions consacrée à l’article 1134 du Code civil, interdisent au cocontractant d’user de ses droits contractuels d’une manière qui dépasse les limites de l’exercice normal de ces droits par une personne normalement prudente et diligente, et notamment d’en user dans son seul intérêt, en en retirant un avantage disproportionné à la charge corrélative de l’autre partie ; dans des circonstances exceptionnelle telles que la crise du Covid 19, la prohibition de l’abus de droit et l’exécution de bonne foi peuvent aller jusqu’à imposer au créancier de faire preuve de modération dans l’exigence du respect de ses droits, qu’en confirmant le jugement de première instance qui avait rejeté le moyen tiré de l’abus de droit de la bailleresse alors qu’il résultait des propres constatations des juges d’appel que :
- [pendant la crise liée au Covid 19] l’activité de sous-location de bureau s’était avérée beaucoup plus difficile » (p. 22), et qu’il y avait bien eu fermeture administrative partielle du restaurant et du fitness, exploités par la locataire avec l’accord de la bailleresse (p. 19), que - malgré ces difficultés extraordinaires, la locataire avait tenté d’exécuter ses obligations en procédant à des paiements importants soldant la totalité (en première instance) ou la plus grande partie (en appel) des loyers exigibles, ce dont acte avait été donné dans les décisions ; qu’en première instance, la locataire n’avait même pas cherché à obtenir une réduction de loyer, ce qui ne faisait que confirmer sa résolution à exécuter le contrat dans toute la mesure du possible, et que - malgré les difficultés exceptionnelles rencontrées par son co-contractant, la bailleresse avait aveuglément cherché à obtenir un paiement total et immédiat des loyers et des charges, en appelant itérativement et en intégralité toutes les garanties bancaires, et, finalement, en agissant en résiliation du bail en pleine pandémie, le Tribunal d’arrondissement qui, dans ce contexte exceptionnel, avait constaté tous les éléments constitutifs d’un abus de droit traduisant un exercice anormal de ses droits contractuels par la bailleresse, respectivement d’un manquement à son obligation d’exécuter les conventions de bonne foi, a omis de tirer les conséquence légales de ses propres constatations et violé par refus d’application l’article 6-1 et l’article 1134 du Code civil, et Alors que, deuxième branche, si l’article 1184 du Code civil autorise le bailleur à demander la résiliation judiciaire du bail, la résiliation n’est possible qu’en cas d’inexécution grave de ses obligations contractuelles par le locataire, qu’en confirmant le jugement de première instance qui avait prononcé la résiliation judiciaire du bail en refusant de tenir compte de ses propres constatations suivant lesquelles :
- [pendant la crise liée au Covid 19] l’activité de sous-location de bureau s’est avérée beaucoup plus difficile car de nombreuses entreprises avait décidé d’imposer le télétravail à leur personnel, et qu’il y a bien eu fermeture administrative partielle pour le restaurant et le fitness, exploités par la locataire avec l’accord de la bailleresse, que - malgré ce contexte économique très difficile, la locataire avait tenté de satisfaire à ses obligations en procédant à des paiements importants en première instance et en appel, et que - malgré les difficultés exceptionnelles rencontrées par son co-contractant, la bailleresse a aveuglément cherché à obtenir un paiement total et immédiat des loyers et des charges, appelé itérativement et en intégralité les garanties bancaires, et agi en résiliation judiciaire du bail en pleine pandémie, le Tribunal d’arrondissement, faute d’avoir tenu compte de l’abus de droit de la bailleresse résultant de ses propres constatations, n’a pas caractérisé une inexécution contractuelle grave de la locataire justifiant la résiliation judiciaire et n’a, partant, pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1184 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Il est fait grief aux juges d’appel, après avoir constaté tous les éléments constitutifs d’un abus de droit traduisant un exercice anormal, par la bailleresse, de ses droits contractuels, respectivement d’un manquement à son obligation d’exécuter les conventions de bonne foi, d’avoir omis de tirer les conséquences légales de leurs constatations.
En ce que le moyen tiré de la violation des articles y visés tend à voir retenir un abus de droit dans le chef de la bailleresse, respectivement une violation de l’obligation d’exécution de bonne foi, moyen débattu devant le juge de paix, mais non réitéré par la demanderesse en cassation en instance d’appel, il est nouveau.
Le moyen, en ce qu’il prend appui sur les articles y visés, n’est pas d’ordre public et n’ayant pas été débattu devant les juges d’appel, ces derniers n’étaient pas tenus d’y statuer.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.
Sur la seconde branche du moyen Sous le couvert du grief tiré du défaut de base légale de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier qui les ont amenés à retenir dans le chef de la locataire une violation grave de ses obligations contractuelles, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir dit l’appel non-fondé et confirmé le jugement de première instance ayant prononcé la résiliation judiciaire du bail pour des fautes graves du locataire consistant en des retards de paiement des loyers et un défaut de reconstitution d’une garantie bancaire, condamné la locataire au déguerpissement, au paiement d’une indemnité stipulée à l’article 21 du contrat de bail en cas de résiliation judiciaire et d’une indemnité d’occupation sans droit ni titre, Aux motifs que :
-
obligation contractuelle d’une somme d’argent inexécutée ne peut (…) s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. fr., 16 septembre 2014, n° 13- 23 106 ; TAL, 8 décembre 2020 numéro TAL 2020 03617) » (p. 20), -
force majeure, l’insolvabilité n’a pas pour effet de libérer le débiteur de son obligation de paiement (Cf. Cass. belge, 28 juin 2018, RG numéro c 17. 07. 0 1N cité dans "Le bail dans tous ses états", collection jeune barreau de Namur, éd. Anthémis page 30) » (p. 20), - (…) le locataire ne peut invoquer la force majeure dans la mesure où l’obligation de payer les loyers ne peut être rendue impossible par la force majeure » (p. 20), - Il convient de rajouter que les mesures gouvernementales ordonnées dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID-19 sont de nature temporaire. En cas d’incapacité financière, l’impossibilité de payer n’est également que temporaire » (p. 20), Alors que, par application des articles 1147 et 1148 du Code civil, la force majeure est exonératoire ; l’irrésistibilité de la force majeure est donnée dès lors que l’événement rend catégoriquement impossible l’exécution à échéance de son obligation de payer par le débiteur et que les fautes reprochées au débiteur ont elles-
mêmes un caractère temporaire ;
que, première branche, en excluant la force majeure, après avoir relevé que la pandémie avait rendu l’activité du locataire « beaucoup plus difficile » (p. 22), sans rechercher si cet événement, manifestement extérieur et imprévisible, n’avait pas eu des répercussions sur la trésorerie du locataire rendant catégoriquement impossible le paiement des loyers à l’échéance et la reconstitution de la garantie bancaire, le Tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1147 et 1148 du Code civil, et que, seconde branche, pour autant qu’il s’est fondé sur le caractère temporaire des mesures gouvernementales pour exclure la force majeure, alors que les fautes imputées au locataire présentent elles-mêmes un caractère temporaire puisqu’elles consistaient en des retards de paiement et une impossibilité temporaire de reconstituer la garantie bancaire, le jugement attaqué a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comprend pas et partant violé, par fausse interprétation, sinon refus d’application, les articles 1147 et 1148 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen En retenant que le débiteur d’une obligation contractuelle d’une somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, en ce que cette impossibilité n’est pas irrésistible, les juges d’appel ont suffisamment motivé leur décision.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.
Sur la seconde branche du moyen Les juges d’appel qui, après avoir d’ores et déjà retenu que la locataire ne s’exonérait pas par un cas de force majeure de son obligation de paiement, ont, en caractérisant de temporaire l’impossibilité alléguée, statué par un motif surabondant, partant non nécessaire au soutien de la décision attaquée.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, est inopérant.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
reçoit le pourvoi ;
le rejette ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
fixe la créance de la défenderesse en cassation à l’égard de la demanderesse en cassation du chef d’une indemnité de procédure à 2.500 euros ;
renvoie la défenderesse en cassation devant qui de droit aux fins d’admission de sa créance au passif de la faillite de la demanderesse en cassation ;
met les dépens de l’instance en cassation à charge de la demanderesse en cassation, avec distraction au profit de la société anonyme SOCIETE4.), sur ses affirmations de droit, et renvoie cette dernière devant qui de droit aux fins d’admission de sa créance au passif de la faillite de la demanderesse en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président MAGISTRAT1.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT6.) et du greffier GREFFIER1.).
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Maître AVOCAT1.) , en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) contre la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) (anciennement dénommée SOCIETE3.)) Le pourvoi en cassation, introduit par le curateur de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) par un mémoire en cassation signifié le 17 septembre 2021 à la défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le même jour, est dirigé contre un jugement n°2021TALCH14/00114 rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail à loyer et en instance d’appel, statuant contradictoirement, en date du 12 juillet 2021 (n° TAL-2021-04656 du rôle). Ce jugement ne semble pas avoir été signifié à la partie demanderesse en cassation.
Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
La partie défenderesse en cassation a signifié un mémoire en réponse le 10 novembre 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 12 novembre 2021.
Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.
Sur les faits et antécédents :
Suivant contrat de bail du 26 octobre 2018, ayant pris effet le 1er février 2019, la société SOCIETE3.) ( ci-après « la société SOCIETE3.) », actuellement la société à responsabilité limitée SOCIETE2.)) a donné en location à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-
après « la société SOCIETE1.) ») un immeuble de bureaux moyennant un loyer annuel initial de 1.400.423,31 euros TTC, indexé et payable trimestriellement, ainsi qu’une avance sur charges mensuelle d’un montant de 12.861,81 euros TTC.
Par requête déposée le 30 avril 2020, la société SOCIETE3.) a fait convoquer la société SOCIETE1.) devant le tribunal de paix de Luxembourg pour l’entendre condamner, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, à lui payer la somme de 408.760,15 euros à titre d’arriérés de loyers et d’avances sur charges pour le deuxième trimestre de l’année 2020, la somme de 714.625,82 euros à titre de l’indemnisation prévue à l’article 21 du contrat de bail, et la somme de 10.000.- euros à titre de dommages et intérêts pour frais d’avocats encourus, outre les intérêts.
Elle a encore demandé la résiliation judiciaire du contrat de bail et la condamnation de la société SOCIETE1.) au déguerpissement des lieux loués.
Dans l’hypothèse où le contrat de bail ne serait pas résilié, elle a demandé la condamnation de la société SOCIETE1.) à reconstituer la garantie locative d’un montant de 714.625,82 euros, sous peine d’astreinte.
Elle a également demandé la condamnation de la société SOCIETE1.) au paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’au déguerpissement effectif et au paiement d’une indemnité de procédure.
Lors des plaidoiries de première instance, la société SOCIETE3.) a renoncé à sa demande en condamnation au titre d’arriérés de loyers et d’avances sur charges, étant donné que la société SOCIETE1.) avait payé tous les loyers et avances sur charges depuis le dépôt de la requête.
Par contre, la société SOCIETE3.) a maintenu sa demande en résiliation du contrat de bail pour paiement irrégulier des loyers et avances sur charges, ainsi que pour non-reconstitution de la garantie bancaire.
La société SOCIETE1.) a demandé le rejet des demandes de la société SOCIETE3.) en résiliation du contrat de bail et en déguerpissement. Elle a sollicité un délai d’un an pour reconstituer la garantie bancaire.
Par jugement du 2 avril 2021, le tribunal de paix de Luxembourg a déclaré recevables les demandes de la société SOCIETE3.), donné acte à la société SOCIETE3.) qu’elle renonce à sa demande au titre d’arriérés de loyers et d’avances sur charges, prononcé la résiliation du contrat de bail conclu entre les parties pour faute grave dans le chef de la société SOCIETE1.) et ordonné le déguerpissement, dit fondée la demande en fixation d’une indemnité d’occupation sans droit ni titre mensuelle pour un montant de 131.966,12 euros, dit fondée la demande en indemnisation de la société SOCIETE3.) pour un montant de 714.625,82 euros, dit fondée la demande de la société SOCIETE3.) en obtention d’une indemnité de procédure, dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du jugement, et condamné la société SOCIETE1.) aux frais et dépens de l’instance.
De ce jugement, la société SOCIETE1.) a relevé appel par acte d’huissier du 14 mai 2021.
Le tribunal d’arrondissement a statué sur cet appel par un jugement rendu en date du 12 juillet 2021, dont le dispositif est libellé comme suit :
« rejette le moyen d’irrecevabilité, rejette le moyen tiré du libellé obscur, confirme le jugement entrepris, sauf à reporter le délai de déguerpissement à trois mois à partir de la signification du présent jugement, condamne la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) s.àr.l. à payer à la société à responsabilité limitée SOCIETE3.) s.àr.l. la somme de 21.712,63 euros avec les intérêts au taux légal à partir du 21 juin 2021 jusqu’à solde, dit fondée la demande de la société à responsabilité limitée SOCIETE3.) s.àr.l. en obtention d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, à concurrence de 1.000.- euros, condamne la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) s.àr.l. à payer à la société à responsabilité limitée SOCIETE3.) s.àr.l. une indemnité de procédure de 1.000.- euros pour l’instance d’appel, condamne la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) s.àr.l. aux frais et dépens de l’instance d’appel. » Ce jugement fait l’objet du présent pourvoi.
Sur le premier moyen de cassation :
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation des articles 20 et 11(1) du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité Le moyen est articulé en deux branches dont la première vise l’interprétation des articles 20 et 11(1) du prédit Règlement (UE) 2015/848, tandis que la seconde se rapporte à l’obligation d’interpréter le droit interne rendu applicable par l’article 11(1) de ce même règlement.
Il ressort de la lecture de l’acte d’appel et du jugement attaqué que les dispositions légales visées au moyen n’ont pas été invoquées en instance d’appel et que les juges d’appel n’ont pas appliqué lesdites dispositions.
Le moyen ne comporte pas les précisions exigées sous peine d’irrecevabilité par l’article 10 loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et il n’indique pas quelle serait la partie critiquée de la décision d’appel. Il ressort d’ailleurs du libellé du premier moyen que les motifs cités au moyen figuraient dans le jugement de première instance.
Le moyen vise des dispositions légales qui n’ont pas été appliquées par la décision dont pourvoi et il ne précise pas la partie attaquée de la décision entreprise.
Le moyen est irrecevable dans ses deux branches.
Le moyen est encore irrecevable en ce qu’il est mélangé de fait et de droit et qu’il n’a pas été soutenu en instance d’appel.1 Sur le deuxième moyen de cassation:
Le deuxième moyen est articulé en deux branches ayant trait à l’abus de droit.
1 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°82.67 Sur la première branche :
La première branche est tirée de la violation des articles 6-1 et 1134 du Code civil par refus d’application. Il est fait grief à la décision attaquée d’avoir constaté tous les éléments d’un abus de droit, mais d’avoir omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations.
Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.
Le moyen articule la violation de l’article 6-1 du Code civil relatif à l’abus de droit et la violation de l’article 1134, alinéa 1, du Code civil qui porte sur la force obligatoire des conventions, partant des cas d’ouverture distincts.
Il en suit que le moyen est irrecevable.
Cette branche est encore irrecevable en ce qu’elle est mélangée de fait et de droit et que le moyen n’a pas été soutenu en instance d’appel.2 Si la décision attaquée évoque l’abus de droit, ce n’est qu’à la page 17, dans l’énoncé des « faits et rétroactes », mais un moyen tiré de l’article 6-1 du Code civil n’a été ni invoqué dans l’acte d’appel ni discuté en instance d’appel.
Plus subsidiairement :
La première branche procède d’une lecture erronée de la décision attaquée dans la mesure où les juges d’appel n’ont nullement constaté l’existence d’un abus de droit, dont ils n’auraient pourtant pas tiré les conséquences légales.
La première branche ne saurait être accueillie.
Sur la seconde branche :
La seconde branche est tirée du défaut de base légale au regard de l’article 1184 du Code civil au motif que la juridiction d’appel aurait omis de caractériser une inexécution contractuelle grave du locataire justifiant la résiliation judiciaire du contrat de bail, faute d’avoir tenu compte de l’abus de droit de la bailleresse.
Tel que relevé dans le cadre de la première branche, un moyen tiré de l’abus de droit n’a pas été soutenu en instance d’appel, de sorte que cette branche, mélangée de fait et de droit est irrecevable en cassation.
Subsidiairement :
Les juges d’appel n’ont nullement constaté l’existence d’un abus de droit, de sorte que la seconde branche procède d’une lecture erronée de la décision attaquée. La seconde branche du deuxième moyen manque en fait.
2 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°82.67 Plus subsidiairement :
Le défaut de base légale se définit comme « l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit ». 3 Il suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis qui ne permettent pas à votre Cour d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi et il suppose donc la « prise en considération des conditions légales d’application de la règle de droit » »4.
La décision attaquée comporte les motifs suivants concernant la gravité de l’inexécution contractuelle justifiant la résiliation judiciaire du contrat de bail :
« Il appartient cependant toujours au juge d’apprécier, en fonction des éléments de l’espèce, si le manquement présente un caractère de gravité suffisant pour justifier la résiliation.
Contrairement à la position soutenue par la partie appelante, les travaux de transformation et de rénovation, - dont il n’est pas établi qu’ils ont été nécessaires et dont le coût résulte d’un document comptable sans autre précision -, ne peuvent être considérés comme étant une substitution provisoire à la garantie à première demande.
Suivant stipulation contractuelle, la société appelante s’est formellement engagée à reconstituer la garantie à première demande en cas de tirage. Par conséquent, elle ne peut pas imposer à sa bailleresse d’accepter que les travaux réalisés à la demande et selon les souhaits de la locataire, soient provisoirement considérés comme étant une substitution à la garantie.
Il ressort des développements antérieurs que la société appelante ne peut pas se retrancher derrière la pandémie liée au Covid-19, faute pour elle de démontrer la fermeture de son commerce par les mesures sanitaires ordonnées par le Gouvernement pour lutter contre la propagation de la pandémie. Même si l’exploitation de l’activité de la société appelante a été rendue beaucoup plus difficile à cause de la pandémie, il convient de relever que la bailleresse n’a pas à supporter les risques liés à l’entreprise de sa locataire.
Par adoption des motifs, c’est à bon droit que le premier juge a retenu que les problèmes d’organisation internes ainsi que le comportement déloyal d’un collaborateur invoqués par la société appelante pour expliquer le retard de paiement, ne sont pas opposables à la bailleresse. Lesdits problèmes, - pour autant qu’ils ont été méconnus par la locataire –, ne peuvent la décharger de son obligation de payer les loyers et les avances sur charges aux termes convenus.
Contrairement aux moyens avancés par l’appelante, en statuant ainsi, le premier juge a suffisamment pris en considération tous les éléments ainsi que les griefs formulés par la bailleresse pour apprécier la gravité des fautes commises.
3 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°78.21 4 ibidem, n° 78.73 Il est constant en cause que depuis la conclusion du contrat de bail, la locataire a constamment payé le loyer avec un retard considérable.
Tel que relevé à juste titre par le premier juge, seul le loyer du mois d’avril 2021 a été payé à l’échéance convenue.
C’est également à bon droit que le premier juge a relevé que la bailleresse n’a pas accepté le retard répété et important dans le paiement des loyers car elle a mis sa locataire de très nombreuses fois en demeure de payer le loyer aux échéances convenues.
Le retard de paiement a été si important que la bailleresse a fait appel à plusieurs reprises aux différentes garanties bancaires pour pallier les défauts de paiement des loyers et avances sur charges.
Toutes les garanties bancaires sont tirées pour l’intégralité des montants garantis, même celle de l’associé unique de sa locataire.
La locataire a aussi accusé des arriérés de loyers à hauteur de 129.707,46 euros au jour des plaidoiries en instance d’appel.
En cours de délibéré, un paiement partiel est seulement intervenu, laissant subsister un arriéré de loyers de 21.712,63 euros.
Il est également constant en cause que la garantie à première demande à hauteur de 700.209,90 euros, à laquelle il a été fait intégralement appel, n’a pas été reconstituée endéans le délai de quinze jours tel que convenu à l’article 7 du contrat de bail.
Il est constant en cause qu’au jour des plaidoiries en instance d’appel, la garantie n’a toujours pas été reconstituée.
Au contraire, la partie appelante a fait croire lors des plaidoiries en première instance de l’avoir reconstituée à hauteur de 500.000.- euros.
Lors de l’audience des plaidoiries en instance d’appel, la partie appelante reconnaît cependant ne pas avoir été en mesure de reconstituer la garantie à première demande.
Elle demande à être autorisée à la reconstituer endéans un délai de dix-huit mois.
Contrairement à la position de l’appelante, la multitude de fautes susmentionnées commises par elle sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de bail, par adoption des motifs énoncés par le premier juge. » Les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, constaté l’existence d’une inexécution grave par le locataire de ses obligations contractuelles.
La seconde branche du deuxième moyen n’est pas fondée.
Sur le troisième moyen de cassation:
Le troisième moyen de cassation invoque l’effet exonératoire de la force majeure par application des articles 1147 et 1148 du Code civil.
L’article 1147 du Code civil dispose :
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. » L’article 1148 du même code dispose :
« Il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. » Le moyen est articulé en deux branches.
Sur la première branche :
La première branche est tirée d’un défaut de base légale au regard des articles 1147 et 1148 du Code civil. Il est fait grief à la décision attaquée d’avoir exclu la force majeure sans avoir recherché si la pandémie liée au COVID-19 n’avait pas rendu catégoriquement impossible l’exécution par le locataire de son obligation de payer.
Sous le couvert de la violation des articles 1147 et 1148 du Code civil, la demanderesse en cassation entend remettre en discussion l’appréciation par les juges d’appel du caractère irrésistible de la force majeure invoquée. Or, il s’agit d’une question qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
La première branche du moyen ne saurait être accueillie.
Subsidiairement :
Le défaut de base légale se définit comme « l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit ». 5 Il suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis qui ne permettent pas à votre Cour d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi et il suppose donc la « prise en considération des conditions légales d’application de la règle de droit » »6.
La décision attaquée comporte les motifs suivants concernant la force majeure invoquée par la société SOCIETE1.) pour s’opposer au paiement du loyer :
« La force majeure peut être définie comme un événement survenu postérieurement à la conclusion du contrat et qui a pour effet de rendre impossible l’exécution de son obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, indépendamment d’une faute du débiteur dans la genèse, la survenance et les conséquences de l’événement. La force majeure a pour effet de 5 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°78.21 6 ibidem, n° 78.73 libérer le débiteur de son obligation pour autant qu’elle rende son exécution définitivement impossible.
La force majeure implique l’existence d’un obstacle insurmontable qui empêche l’exécution de l’obligation, de sorte qu’elle ne trouve à s’appliquer si l’exécution est simplement plus difficile ou plus onéreuse. Pour valoir exonération, il est nécessaire que la force majeure remplisse les caractères d’extériorité, d’irrésistibilité et d’imprévisibilité.
Dès lors que le débiteur peut exécuter le contrat, le débiteur y est tenu, même si cette exécution doit être pour lui très onéreuse : il n’existe pas de force majeure financière, de sorte que les difficultés financières ne peuvent jamais constituer une force majeure (cf. A.
BENABENT, Droit civil : les obligations, Montchrestien, 7e éd., n° 334).
En raison du caractère fongible de l’argent, le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut, en effet, s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (cf. Cass. fr., 16 septembre 2014, n° 13-20.306 ; TAL, 8 décembre 2020, n° TAL-2020-03617).
Même s’il résulte de circonstances extérieures constituant pour lui une force majeure, l’insolvabilité n’a pas pour effet de libérer le débiteur de son obligation de paiement (cf.
Cass. belge, 28 juin 2018, R.G. n° C. 17.07.01 N cité dans « Le bail dans tous ses états », collection Jeune barreau de Namur, éd. Anthemis, p. 30).
Contrairement à la position soutenue par l’appelante, le locataire ne peut invoquer la force majeure, dans la mesure où l’obligation de payer les loyers ne peut être rendue impossible par la force majeure.
Il convient de rajouter que les mesures gouvernementales ordonnées dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid-19 sont de nature temporaire. En cas d’incapacité financière, l’impossibilité de payer n’est également que temporaire.
Il ressort de l’ensemble des considérations précédentes, que la société SOCIETE1.) ne peut pas invoquer la force majeure pour être déchargée de son obligation de payer les loyers.
La société SOCIETE1.) n’avance aucun autre moyen justifiant le non-paiement des montants réclamés. »7 Les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, constaté que la force majeure invoquée par la demanderesse en cassation n’avait pas rendu impossible le paiement du loyer et que notamment le caractère d’irrésistibilité faisait défaut.
La première branche du moyen n’est pas fondée.
Sur la seconde branche :
La seconde branche du troisième moyen est tirée d’une violation des articles 1147 et 1148 du Code civil par fausse interprétation, sinon refus d’application. Il est fait grief à la décision attaquée qu’en se fondant sur le caractère temporaire des mesures gouvernementales liées à la 7 Page 20 du jugement du 12 juillet 2021 pandémie pour exclure la force majeure, elle aurait ajouté à la loi une condition qu’elle ne comprend pas.
Après avoir déjà conclu que le locataire ne pouvait pas invoquer la force majeure pour être déchargé du paiement des loyers8, les juges d’appel ont ajouté l’alinéa suivant :
« Il convient de rajouter que les mesures gouvernementales ordonnées dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid-19 sont de nature temporaire. En cas d’incapacité financière, l’impossibilité de payer n’est également que temporaire. » Le refus des juges d’appel de décharger le locataire du paiement du loyer n’était pas fondé sur ce motif, de sorte qu’il s’agit d’un motif surabondant, qui n’était pas indispensable au soutien de la décision attaquée.9 La seconde branche du troisième moyen ne saurait être accueillie.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général MAGISTRAT6.) 8 cf. motifs cites dans le cadre de la première branche (page 20 du jugement du 12 juillet 2021) 9 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°83.30 et 83.41 22