GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46755C ECLI:LU:CADM:2022:46755 Inscrit le 6 décembre 2021
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Audience publique du 24 novembre 2022 Appel formé par Monsieur (F), …, contre un jugement du tribunal administratif du 27 octobre 2021 (n° 45323 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46755C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 6 décembre 2021 par Maître Cécile HENLÉ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (F), demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 27 octobre 2021 (n° 45323 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 21 octobre 2020 (n° … du rôle) portant rejet de sa réclamation introduite en date du 5 août 2020 à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis à son égard par le bureau d'imposition Sociétés 4 en date du 18 mars 2020 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 5 janvier 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 février 2022 par Maître Cécile HENLÉ pour compte de Monsieur (F) ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Cécile HENLÉ et Annie ELFASSI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2022.
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Le 2 octobre 2019, le bureau d’imposition Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition », émit les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2016 à 2018 à l’égard de la société à responsabilité limitée (H) s.à r.l., ci-après la « société (H) ».
Par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 28 février 2020, intervenu suite à une déclaration d’aveu de cessation de paiements déposée par la société (H) en date du 12 décembre 2019, cette dernière fut déclarée en faillite.
Le 18 mars 2020, le bureau d’imposition émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur (F) en sa qualité de gérant B de la société (H), ledit bulletin déclarant Monsieur (F) débiteur d’un montant total de … euros, en principal et intérêts, dû au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune.
Ledit bulletin est libellé comme suit :
« (…) Il est dû à l’État du Grand-Duché de Luxembourg par la société (H) ayant son siège social à …, …, L-… …, immatriculée sous le dossier fiscal …, à titre de :
l’impôt sur le revenu des collectivités :
Année 2015 Principal … € Année 2015 Intérêts au 18.03.2020 … € Année 2016 Principal … € Année 2016 Intérêts au 18.03.2020 … € Année 2017 Principal …. € Année 2017 Intérêts au 18.03.2020 … € Année 2020 Avances …€ l’impôt commercial communal :
Année 2016 Principal € Année 2016 Intérêts au 18.03.2020 € Année 2017 Principal € Année 2017 Intérêts au 18.03.2020 € l’impôt sur la fortune :
Année 2018 Principal € Année 2018 Intérêts au 18.03.2020 € Année 2019 Principal € Année 2019 Intérêts au 18.03.2020 € Il résulte de l’acte de constitution du 14 mai 2014, déposé le 17 juin 2014 au Registre de commerce, et de l’assemblée générale extraordinaire du 22 septembre 2016, déposée le 30 septembre 2016, que vous avez été nommé gérant B de la société (H) s. à r.l..
En cette qualité vous avez disposé du pouvoir d’engager l’entreprise sous votre signature pour la période allant du 11 juin 2014 au 27 février 2020.
En votre qualité de gérant B vous avez été en charge de la gestion journalière de la société (H) s. à r.l..
Par conséquent, conformément aux termes du § 103 AO, vous avez été personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (H) s. à r.l., dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l’aide des fonds administrés.
Cette façon de procéder et le défaut de paiement des montants dus à titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune constituent manifestement une inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant légal de la société (H) s. à r.l..
Conformément au § 106 AO il vous incombait de prélever sur les fonds administrés les fonds nécessaires pour acquitter les impôts nés avant la mise en faillite de la société (H) s. à r.l. et d’assurer leur paiement.
Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu l’impôt légalement dû, d’un montant de … €.
Ce montant de ….. € se compose comme suit Année 2015 Principal … € Année 2015 Intérêts au 18/03/2020 … € Année 2016 Principal … € Année 2016 Intérêts au 18/03/2020 … € Année 2017 Principal … € Année 2017 Intérêts au 18/03/2020 … € Année 2018 Principal … € Année 2018 Intérêts au 18/03/2020 … € Année 2019 Principal ….. € Année 2019 Intérêts au 18/03/2020 …. € Année 2020 Principal ….. € En vertu du § 110 AO, votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.
Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société (H) s. à r.l..
Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.
Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôts d’un montant global de … €.
Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.
Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.
Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous étiez chargé de la gestion journalière de la société (H) s. à r.l., j’engage votre responsabilité, et l’appel en garantie s’élève au montant de ….. € sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs. (…) ».
Par courrier de son mandataire du 5 août 2020, Monsieur (F) fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », à l’encontre du bulletin d’appel en garantie précité.
Par décision du 21 octobre 2020, référencée sous le numéro ….. du rôle, le directeur refusa de faire droit à la réclamation introduite par Monsieur (F) sur base des motifs suivants :
« (…) Vu la requête introduite le 5 août 2020 par Me Cécile Henlé, au nom du sieur (F), demeurant professionnellement à L-… …, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition Sociétés 4 en date du 18 mars 2020 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu l’article 3, alinéa 3 de la loi du 12 mai 2020 portant adaptation de certains délais en matière fiscale, financière et budgétaire dans le contexte de l’état de crise, qui retient notamment que les délais relatifs à la réclamation, au sens du § 228 de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931 (AO), sont suspendus du 18 mars 2020 jusqu’au 30 juin 2020 ;
Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;
Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC), de l’impôt commercial communal (ICC) et de l’impôt sur la fortune (IF), y compris les intérêts accumulés depuis lors, des années 2015, 2016, 2017 et 2020 en ce qui concerne l’IRC, des années 2016 et 2017 en ce qui concerne l’ICC, ainsi que des années 2018 et 2019 en ce qui concerne l’IF, au motif qu’il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société à responsabilité limitée (H), en faillite, (ci-après « (H) ») commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune, et dont la société était (et est toujours) redevable ;
Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;
Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d’impôt de la société, conformément au § 109 AO ;
que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;
Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s’opposer à une poursuite au motif qu’elle n’a pas été engagée contre un autre, quod non en l’espèce, étant donné qu’un autre bulletin d’appel en garantie a été émis à l’encontre du sieur (A) ;
Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3) ; que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;
Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;
Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s’est présentée durant les années antérieures ;
Considérant encore qu’en ce qui concerne la notion de l’inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :
1) « Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.
(…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :
2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l’obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).
La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.
En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.
(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l’attitude que l’on peut attendre d’une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d’administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.
(…) (…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d’imposition et qu’il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;
3) « Concernant l’existence d’une faute, au sens du paragraphe 109 (1) AO, imputable à Monsieur (…) en tant que représentant de la société (…), la Cour constate qu’au-delà des reproches en relation avec le dépôt tardif des déclarations fiscales, le défaut de tenue d’une comptabilité en bonne et due forme et le défaut d’un provisionnement des impôts, l’administration des Contributions directes, d’après le dernier état de ses conclusions, réprimande fondamentalement le fait de Monsieur (…) d’avoir également procédé à des distributions cachées de bénéfice de la société (…).
(…) En effet, dès lors qu’en tant qu’administrateur-délégué et actionnaire de la société (…), il a déclaré des faits inexacts et occulté la réalité économique aux yeux de l’administration des Contributions directes pour réduire les recettes effectives de la société moyennant des distributions occultes de bénéfices à son profit personnel et des déductions de frais à caractère privé ou correspondant à des frais d’une autre société, son comportement doit être considéré comme fautif au sens du § 109 AO.
(…) Le second élément constitutif requis pour justifier l’appel en garantie d’un représentant d’une personne morale est constitué par l’existence d’un dommage pour l’Etat.
(…) Or, cette condition d’un dommage dans le chef de l’Etat se trouve évidemment vérifiée en cause. Il consiste en effet dans l’insuffisance patente de l’impôt effectivement perçu par rapport à celui légalement dû conformément aux bulletins d’impôt émis à l’égard de la société (…), ensemble les intérêts de retard y relatifs (…).
(…) En ce qui concerne la troisième condition qui doit être remplie, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre la faute du représentant d’une personne morale et le dommage subi par l’Etat, c’est-à-dire l’exigence que ce dommage par l’insuffisance d’impôt perçue soit la conséquence du comportement fautif du représentant de la personne morale, la Cour arrive encore à la conclusion qu’un tel lien causal est vérifié en cause.
Si Monsieur (…) n’avait pas essayé d’occulter la réalité économique des choses et vidé les caisses de la société (…), c’est-à-dire s’il avait affiché un comportement conforme aux lois et à ses obligations, le dommage ci-avant décrit ne serait point survenu, la société (…) ayant alors été en mesure de régler ses dettes fiscales. » (CA du 17 janvier 2019, n° 41583C) ;
Considérant, en ce qui concerne dès lors les points et critères qu’il échet d’analyser afin de juger du bien-fondé de l’appel en garantie d’un représentant au sens des §§ 103 et 109 AO des dettes d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune, qu’il doit être vérifié si un comportement fautif peut effectivement être admis dans le chef du représentant de la personne morale ;
Considérant que le réclamant a été gérant unique d’(H) du 14 mai 2014 au 11 juin 2014 et ensuite gérant B jusqu’à la décision déclarative de faillite d’(H) en date du 28 février 2020 et ainsi habilité à engager la société vis-à-vis de tiers par sa signature individuelle ; que les statuts coordonnés indiquent explicitement que « la société est engagée vis-à-vis des tiers en toutes circonstances par la signature du gérant unique, la signature d’un Gérant B ou la signature conjointe d’un Gérant A et d’un Gérant B » ;
Considérant que toutes les parts sociales d’(H) ont été détenues par la société à responsabilité limitée (J) (ci-après « (J) »), dont le réclamant est gérant B depuis la constitution de la société en date du 5 juin 2014 et ainsi habilité à engager ladite société vis-à-vis de tiers par sa signature individuelle ; qu’il faisait donc partie de cette structure d’entreprise dès le début ; que le réclamant pouvait donc agir en tant qu’administrateur d’(H) (à partir du 26 décembre 2016) tout comme également indirectement en tant qu’actionnaire en vertu de son rôle de gérant de l’associé unique d’(H);
Considérant ensuite que l’intégralité des parts sociales d’(J) ont été détenues par la société par actions simplifiée de droit français (K) (ci-après « (K) »), le plus grand client d’(H) et entretemps liquidée ;
Considérant que l’activité d’(H) « relève du domaine de l’acier, de la sidérurgie et, plus généralement de la métallurgie » ; qu’ « (H) exerce une activité de négoce et d’achat de ferrailles et d’alliages auprès de fournisseurs hors groupe, qu’elle revend ensuite aux différentes sociétés du groupe (L) , et particulier à (K) » ; qu’une attention particulière est donc à attribuer au fait que la relation commerciale se faisait en l’espèce entre deux ou plusieurs sociétés liées ;
Considérant que suite au redressement judiciaire de la société de droit français (L) en 2014, (H) avait acquis, en guise d’(K), un stock de produits contre le paiement d’un montant de … euros ; qu’avec effet de jouissance au même jour, (H) avait mis à disposition d’(K), société spécialisée dans le secteur d’activité de la sidérurgie, ce stock de produits pour ses besoins urgents ; que cette mise à disposition a été consignée dans un contrat nommé « Framework agreement in relation with the availibility and utilisation of ferrous metals, scrap, semi-finished metal products and in-process products », conclu entre (H) et (K) ; que dans ce contrat le stock, tel qu’il a été acquis pour … euros, a été valorisé par les deux sociétés à rien de moins que … euros ; que les contractants se sont basés sur une présumée balance d’(L) , établie au jour du jugement, jugement relatif au redressement judiciaire d’(L) , sur des ajustements comptables ainsi que sur des reclassifications faites après l’acquisition du stock par (H), affirmations d’ailleurs non corroborées par des pièces justificatives ;
Considérant que nonobstant le caractère d’urgence, (K) a utilisé l’intégralité de ce stock au cours de l’année civile 2015 alors que ou justement parce qu’elle était en difficultés financières sans, suivant les affirmations des gérants, prévenir (H) au préalable ; que la notice d’information ne fait d’ailleurs pas partie ni du dossier fiscal ni du dossier contentieux ;
qu’une des conditions fixées lors de l’émission d’obligations par (K) afin d’assembler des fonds était qu’(K) était en droit d’utiliser au plus 25 pour cent du stock par an, condition qui n’a pas été respectée dans le contrat « Framework agreement » et encore moins en réalité ;
qu’avant-même l’établissement de la facture du stock pour un montant de … euros, « montant établi sur base de deux rapports d’évaluation », (H) et (K) ont constaté qu’(K) n’était pas en mesure de payer cette facture immédiatement et ont, de ce fait, signé un contrat de crédit-vendeur prévoyant un échéancier de paiement et des intérêts débiteurs ;
Considérant que même si le contrat de mise à disposition du stock prévoit bien une procédure d’urgence sans information préalable, l’utilisation de la totalité du stock sans la moindre information au préalable pour une valeur de … euros semble néanmoins douteux ;
qu’un gérant moyennement diligent et consciencieux aurait dû faire tout le nécessaire pour surveiller constamment son seul stock d’une valeur non négligeable, sur lequel reposait toute son activité commerciale, et n’aurait pas été surpris par l’utilisation complète de ce stock endéans quelques mois, alors qu’il était initialement prévu à titre de simple stock d’urgence ;
que le réclamant explique qu’« au titre de son exercice clos au 31 mai 2015, (H) n’a pas constaté une quelconque consommation de ses stocks par (K), en l’absence de notice de régularisation émise par (K) » ; que les gérants en charge se sont donc contentés d’attendre la notice de régularisation d’(K) au lieu de procéder eux-mêmes au contrôle du stock, situation qui ne se serait pas présentée dans une relation commerciale entre deux sociétés indépendantes ; qu’un contrôle régulier des conditions de stock et de la quantité dudit stock aurait pu arrêter ou au moins ralentir l’utilisation intégrale du stock par (K), créancier ne pouvant vraisemblablement pas payer ses factures ; que par la vente du stock de produits à un client solvable, la société aurait été en mesure de régler ses dettes fiscales ;
Considérant ensuite que, malgré la situation financière d’(K) et le solde ouvert d’environ … envers (H), les gérants d’(H) ont continué à vendre des produits à leur client insolvable, situation difficilement concevable entre deux sociétés indépendantes, d’autant plus, à titre superfétatoire, que la marge bénéficiaire prise sur ces opérations ne justifie en rien le risque énorme pris, vu la situation financière du client ; qu’en fin de compte, (H) n’a pas seulement dû procéder à des écritures de dépréciation du prêt accordé à (K), mais également à des écritures de dépréciation de factures établies au cours de l’année 2017 à l’égard d’(K) (environ … d’euros) ; que la société avoue avoir voulu « participer activement au redressement du groupe (dont (H) bénéficiera indirectement) » ; qu’une société indépendante n’aurait néanmoins pas accepté de risquer de tomber en faillite dans le seul but de sauver une autre société, surtout quand elle a comme « ambition de devenir une société de trading de ferrailles et de métaux ferreux, et a vocation à devenir une bourse européenne des ferrailles et métaux ferreux » ;
Considérant qu’il y a lieu de constater que la société n’a ni acquis ni vendu des marchandises au cours des années d’imposition 2014 et 2015 (14/05/2014 — 31/05/2015) ;
qu’elle s’est contentée de facturer le service de mise à disposition du stock pour un montant de …euros alors que la société a expressément engagé un « ancien directeur des achats Ferrailles de (N) » à partir du 1er octobre 2014 ; qu’au cours des années subséquentes, les ventes ont augmenté sans pourtant atteindre le niveau présumé visé par la société lors de la constitution : « (H) va également acquérir d’importants stock de ferrailles, issus notamment de liquidations judiciaires de grandes entreprises individuelles, et générer immédiatement un important chiffre d’affaires (de l’ordre de … d’euros) et un bénéfice estimé de l’ordre de 50 % du chiffre d’affaires » ; que ceci ne s’est vraisemblablement pas réalisé ; que les gérants ne se sont concentrés que sur le redressement du groupe ;
Considérant qu’il est également plus qu’étonnant que, malgré les difficultés financières de leur plus grand client à partir de l’année 2015 et le risque y afférent, le salaire de leur employé « principal » a doublé en 2017 (année civile) pour atteindre environ … euros bruts ; que le réclamant a également bénéficié d’un doublement de son salaire (environ … euros bruts en 2017), en sus de son salaire principal reçu de la société anonyme (P), dont il est un des bénéficiaires économiques et à laquelle (H) a payé des honoraires ; que les gérants ont même engagé un troisième employé en 2016, débauché d’(N), qui n’est resté que 5 mois avant de repartir ; qu’un gérant moyennement prudent et consciencieux n’augmenterait pas le salaire de son employé à un tel niveau, encore moins son propre salaire, en étant confronté à une situation instable telle qu’elle s’est présentée au cours des années litigieuses ; qu’au plus tard après la liquidation de la société (K), les gérants auraient dû réduire au minimum tous les frais fixes, dont les salaires ; qu’ils ont néanmoins continué à verser les mêmes salaires et à ne procéder aux licenciements qu’en décembre 2018, soit 9 mois plus tard ; qu’ils ont attendu l’établissement des bulletins d’impôt ayant conduit aux soldes ouverts litigieux avant de déclarer la faillite due à l’insolvabilité de la société ;
Considérant que de vrais doutes surgissent quant à la structure de ce groupe dont fait partie (H) et quant à la faillite d’(H); qu’il est étrange qu’(H) achète un stock d’une valeur de … euros au prix de … euros et le met à disposition d’(K) alors que cette dernière aurait certainement pu payer le prix d’acquisition de … euros (montant minime par rapport à la prétendue vraie valeur du stock) et éviter tous les frais supplémentaires liés à la relation avec (H), à savoir le paiement d’une prestation de service pour la mise à disposition du stock, la plus-value facturée par (H) et les intérêts débiteurs courus sur le crédit-vendeur ; que par cette structure d’entreprises, (K) a pu déduire les factures établies par (H) ainsi que les intérêts débiteurs en tant que dépenses d’exploitation et ainsi réduire sa charge fiscale en France, alors qu’(H) a été imposée sur son bénéfice au Luxembourg, sans finalement payer sa dette fiscale suite à l’insolvabilité déclarée après la fixation de ladite dette fiscale ; qu’il a été même arrangé que les intérêts débiteurs correspondent au maximum déductible en France, les gérants de toutes les sociétés impliquées semblant soucieux de l’avantage fiscal que connaît (K) en France ;
Considérant que, dès sa création, les gérants d’(H) ont, par le biais de leur avocat, pris contact avec le bureau d’imposition afin de trouver des solutions fiscalement favorables au Luxembourg ; qu’ils ont souhaité revaloriser le stock, acquis par le biais du redressement judiciaire, au sein de leurs comptes annuels et ainsi réduire le bénéfice et donc la charge fiscale au Luxembourg, demande à laquelle le bureau d’imposition n’a pas donné une suite favorable ; qu’ils ont ensuite souhaité ventiler le produit de la vente de 2015 sur plusieurs années afin de ne pas être imposés en 2015 sur la totalité de la plus-value, demande à laquelle le bureau d’imposition n’a pas non plus donné une suite favorable ; qu’ils ont même envisagé d’introduire une demande de décision anticipée, demande qui n’est néanmoins jamais parvenue à l’administration ;
Considérant ensuite qu’au cours de l’année d’imposition 2017 (1er juin 2016 au 31 mai 2017), (H) a distribué un dividende de … euros en faveur de son associé unique (J) sans pourtant déclarer cette distribution au bureau d’imposition compétent ni publier cette décision au RCS ; qu’aucun transfert d’argent n’a eu lieu ; que dans les comptes comptables d’(H), la diminution des résultats reportés d’un montant de … euros a été compensée comptablement par la diminution de la créance ouverte d’(K) ; que, premièrement, cette décision, prise par les associés d’(H), donc par les gérants d’(J), dont notamment le réclamant, et exécutée par les gérants d’(H), dont à nouveau le réclamant, est plus que douteuse ; qu’en effet, tout associé et gérant moyennement diligent et prudent aurait opéré d’une façon indépendante et dans le seul intérêt de sa société et n’aurait, de ce fait, pas distribué un dividende à une époque d’incertitude financière telle que l’a connue (H) à partir de 2015 ; qu’au contraire, un tel associé ou gérant aurait gardé au sein de sa société les résultats reportés comme réserve tout en obligeant ses créanciers à respecter leurs contrats ;
que le réclamant aurait dû obliger (K) à payer le solde échu au 31 décembre 2016 (…euros plus intérêts dus), comme il l’aurait fait face à tout autre créancier tiers indépendant ; que le paiement de cette créance lui aurait permis de constituer une réserve d’argent non négligeable afin de payer la dette fiscale à son échéance ; qu’en provisionnant les dettes fiscales, le réclamant était bien conscient de l’échéance prochaine de la dette fiscale à venir ; que deuxièmement, malgré l’exonération de la retenue d’impôt sur capitaux non contestée de ce dividende grâce au régime mère fille, les gérants d’(H) auraient été dans l’obligation de déclarer régulièrement cette distribution, ce qu’ils n’ont néanmoins pas fait ; qu’ils se sont contentés de comptabiliser cette écriture sans avertir l’Administration des contributions directes ni par le biais d’une déclaration de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux ni par le biais de la déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des activités résidentes de l’année d’imposition 2017, ni par le biais des comptes annuels ou une quelconque publication au RCS ; que par cette manière de procéder ils ont dissimulé la distribution de dividende et n’ont respecté ni les obligations fiscales ni les obligations comptables qui incombent aux représentants d’une société ;
Considérant qu’il y a lieu de constater que diverses autres obligations incombant au réclamant n’ont pas été respectées, notamment la mise à jour du registre des bénéficiaires économiques d’(H) et d’(J) et la mise à jour du RCS ; qu’(K) figure toujours en tant qu’associé d’(J), et donc en tant qu’associé indirect d’(H), au RCS alors qu’(K) a été liquidée en 2018 ;
Considérant que le réclamant affirme avoir constitué une réserve de … euros sur un dépôt bancaire afin de faire face à la dette fiscale future ; qu’il a annexé à sa requête des extraits bancaires ; que ces extraits bancaires sont néanmoins incohérents et incomplets ;
qu’il est impossible de comprendre en faveur de quel bénéficiaire l’argent a été transféré ;
Considérant qu’en date du 22 novembre 2017 une procédure de redressement judiciaire au bénéfice d’(K) a été ouverte ; qu’en date du 29 janvier 2018, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a accepté la cession d’une partie des actifs d’(K) à une entité tierce ; que cette cession n’englobait néanmoins pas la cession de la participation dans la société liée (J), et donc indirectement celle dans la société (H); qu’après la vente intégrale du stock et face à une dette fiscale importante, les participations directes et indirectes qu’(K) détenait dans les sociétés luxembourgeoises ne représentaient plus aucune valeur pour un investisseur ou racheteur des actifs d’(K) ; que les gérants ont abandonné la société en ne se focalisant que sur (K) en tant que client, de sorte qu’(H) fut dorénavant livrée à elle-même ;
que suivant les documents annexés à sa requête, le réclamant n’a envoyé la déclaration de créance au passif d’(K) qu’en date du 1er février 2018, affirmation qui n’est d’ailleurs pas corroborée par des preuves de l’envoi ; qu’il est surprenant qu’(H) n’ait pas instantanément envoyé cette déclaration de créance, le solde ouvert n’étant pas négligeable voire même indispensable pour la survie de la société, et les relations avec (K) étant étroites et dépendantes ; que quelques semaines plus tard, la société (K) a été mise en liquidation judiciaire et (H) a dû procéder à des écritures de dépréciation de ces créances envers (K) ;
Considérant qu’en fin de compte, les opérations entreprises tout comme le manque d’arguments dans une direction contraire donnent l’impression d’une structure sans substance et ayant dès le départ été destinée à l’effondrement, à partir de la finalisation des opérations fiscalement favorables notamment ; que la société a été constituée afin de pouvoir acquérir le stock en cause et le vendre à une entreprise liée insolvable qui pouvait en bénéficier fiscalement ; qu’il ressort de tout ce qui précède que les gérants d’(H) n’ont vraisemblablement pas entretenu une relation commerciale telle qu’elle existerait entre tiers indépendants ; que si les gérants avaient agi comme des commerçants, empressés à faire du bénéfice à long terme tout en entretenant une relation commerciale saine et compétitive avec leurs clients, (H) aurait été en mesure de régler ses dettes fiscales et le dommage qu’a subi l’Etat ne serait point survenu ;
Considérant qu’il découle de tout ce qui précède qu’il est prouvé à suffisance qu’il existe un comportement fautif dans le chef du réclamant qui est en lien direct avec le dommage subi par l’Etat, à savoir la dette fiscale de plus de …. d’euros ; que c’est à tort que le réclamant, en sa qualité de représentant légal de la société à responsabilité limitée (H), en faillite, estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal, ainsi que de l’impôt sur la fortune, y compris les intérêts accumulés depuis lors, des années 2015, 2016, 2017 et 2020 en ce qui concerne l’IRC, des années 2016 et 2017 en ce qui concerne l’ICC et 2018 et 2019 en ce qui concerne l’IF, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2020, inscrite sous le numéro 45323 du rôle, Monsieur (F) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 21 octobre 2020.
Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 45324 du rôle, il fit encore introduire une demande tendant à ce qu’il « qu’il sera sursis à l’exécution de la Décision Litigieuse jusqu’au jour où le Tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond, sinon instaurer toute autre mesure provisoire appropriée pour préserver les intérêts du Requérant », demande qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 16 décembre 2020.
Dans son jugement du 27 octobre 2021, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme et, au fond, le déclara non justifié pour en débouter le demandeur. Il dit encore qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par le demandeur et condamna ce dernier aux frais et dépens.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 6 décembre 2021, Monsieur (F) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 27 octobre 2021.
Quant au respect de l’égalité devant la loi En premier lieu, tout en admettant que différents ordres d’arguments relatifs aux questions de compétence et de conformité avec des principes d’ordre supérieur ont déjà été écartés par la jurisprudence, il fait valoir que l'AO créerait une situation particulière et très privilégiée pour le seul Etat, non pas à l'égard de la société en faillite elle-même, mais à l'égard de ses dirigeants.
Se référant au principe de l'interdiction des poursuites individuelles qui serait interprété par les tribunaux judiciaires comme instituant au profit du curateur de faillite un monopole non seulement pour les actions à l'encontre du débiteur en faillite, mais aussi à l'encontre de toute personne qui, par sa faute, a aggravé le passif de la faillite ou en a diminué l'actif, dont les dirigeants de la société en faillite, il considère que le § 109 AO organiserait un recours direct par l'Etat contre les dirigeants sociaux. Or, la responsabilité du dirigeant à l'égard de la masse des créanciers, d'une part, et celle à l'égard du créancier particulier qu’est l'Etat au titre des impôts directs, d'autre part, seraient comparables, de sorte qu’il faudrait que la situation privilégiée faite à l'Etat se justifie réellement. L’appelant conteste l’existence d’une telle justification en relevant que l'ordre juridique luxembourgeois lui-même ne prévoirait pas ce type de situation très privilégiée pour le recouvrement des impôts indirects, des cotisations de sécurité sociale, voire encore les créances des salariés dans la mesure où elles sont super-privilégiées.
Il conteste l’analyse du tribunal suivant laquelle le non-respect de ses obligations d’ordre fiscal aurait entraîné un préjudice spécifique à l’administration des Contributions directes, laquelle n’a pas touché les impôts dus, qui serait étranger aux autres créanciers de la masse et soutient que si des actes de sa gestion avaient causé un préjudice à l'administration des Contributions directes, ces actes auraient nécessairement causé également un préjudice aux autres créanciers pour des raisons similaires.
L’appelant demande partant à la Cour de soumettre à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle quant à la conformité du § 109 AO à l’article 10bis de la Constitution.
Aux termes de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après la « loi du 27 juillet 1997 », la connaissance des questions de constitutionnalité des normes législatives appartient en principe exclusivement à la Cour constitutionnelle, et ce n’est que si une des exceptions prévues au second aliéna de l’article 6 est vérifiée, qu’une juridiction judiciaire ou administrative, devant laquelle une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution est soulevée, peut se dispenser de saisir la Cour constitutionnelle. Les trois exceptions ainsi prévues sont : a) la juridiction saisie estime qu’une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ; b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ; ou c) la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
Or, l’argumentation relative à une prétendue rupture de l’égalité devant la loi est dénuée de tout fondement, dès lors qu’elle repose sur la prémisse erronée selon laquelle les deux situations juridiques visées seraient comparables, ce qui n’est pas le cas.
En effet, il est vrai qu’à compter du jugement déclaratif de faillite, le failli est, en vertu de l’article 444 du Code de commerce, dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, laquelle est confiée à un curateur qui, agissant comme mandataire judiciaire, exerce dans l’intérêt tant de la masse des créanciers que du failli, les pouvoirs déterminés par la loi et qu’à ce dessaisissement du failli correspond un dessaisissement corrélatif dans le chef des créanciers, qui ne peuvent en principe plus agir individuellement contre les débiteurs du failli ou contre des tiers débiteurs de la masse, de sorte qu’il appartient à ce moment au seul curateur d’agir pour assurer les droits communs des créanciers notamment à l’encontre d’un tiers si celui-ci a causé un préjudice collectif à l’ensemble des créanciers du failli.
Néanmoins, comme les premiers juges l’ont souligné à juste titre, le monopole de poursuite du curateur en vue d’agir contre des tiers responsables vise à combler un préjudice collectif affectant le patrimoine du failli de façon à ce qu’un dommage ait été causé à la masse des biens et des droits formant le gage commun des créanciers, soit par l’aggravation du passif de la faillite ou par la diminution de l’actif. Par contre, lorsqu’une société omet de satisfaire à ses obligations d’ordre fiscal, dont celle de l’acquittement d’une dette d’impôt en employant ses fonds à d’autres fins, elle n’aggrave point son passif de son propre gré, puisque la dette d’impôt découle de la loi fiscale, mais gonfle illégalement son actif par le fait de ne pas régler ses dettes fiscales. Un tel non-respect de la législation fiscale ne saurait avoir comme conséquence de porter préjudice à la masse des créanciers de la société en faillite, étant donné qu’in fine, le patrimoine réel de la société ne s’en trouve pas affecté.
Il s’ensuit que l’action directe de l’Etat à l’encontre du dirigeant en raison de sa faute personnelle ayant conduit au défaut, par la société faillie, de se conformer à ses obligations d’ordre fiscal est étrangère de par sa cause au monopole d’action du curateur. L’Etat peut donc légitimement se prévaloir de son préjudice spécifique, consistant en le non-paiement des impôts dus par la société faillie, pour agir directement contre son dirigeant.
Par voie de conséquence, au vu de la nature juridique manifestement différente de l’action de l’Etat en tant que créancier d’impôts de la société faillie agissant sur le fondement du § 109 AO par rapport à l’action du curateur ayant trait au gage commun des créanciers, la situation du dirigeant poursuivi en justice par le curateur et celle du dirigeant appelé en garantie par l’administration des Contributions directes en application du § 109 AO ne sont pas comparables.
L’appelant critique par ailleurs le fait que l’Etat ne s’accorde le privilège d’une action en responsabilité directe contre les dirigeants de société qu’en matière d’impôts directs à l’exclusion des impôts indirects. Il y a cependant lieu de relever de prime abord le caractère partiellement erroné de cette argumentation, étant donné que la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée prévoit en ses articles 67-1 à 67-4 un régime de responsabilité des dirigeants de société similaire en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Pour le surplus, au vu de la nature différente de l’action directe de l’Etat créancier d’impôts à l’encontre des dirigeants de société par rapport aux actions pouvant être intentées par le curateur de la faillite de la société en question, la décision de l’Etat d’inclure dans le champ d’application du régime de son action directe tous les impôts étatiques ou seulement certains d’eux relève de sa discrétion et n’influe pas sur la différence de situation ci-avant retenue.
Il s’ensuit que la question d’inconstitutionnalité proposée par l’appelant est dénuée de tout fondement et qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle à cet égard.
Quant à la validité des dispositions pertinentes de l’AO En deuxième lieu, l’appelant fait valoir que le maintien en vigueur de l’AO par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, ci-après « l’arrêté du 26 octobre 1944 », serait vicié par le défaut d’une publication de ces dispositions au Luxembourg, que ce soit par l’occupant allemand ou en annexe de l’arrêté du 26 octobre 1944.
L’arrêté du 26 octobre 1944 dispose dans son article 1er que « par dérogation aux arrêtés grand-ducaux du 22 avril 1941 et du 13 juillet 1944, déterminant l’effet des mesures prises par l’ennemi, toutes les dispositions et mesures prises par l’ennemi avant le 10 septembre 1944 et relatives aux impôts, taxes, cotisations et droits mentionnés à l’article 2, sont tenues pour valables et continuent à être appliquées à partir du 10 septembre 1944 jusqu’à disposition ultérieure. ». L’article 2 énumère les impôts validés: « Einkommensteuer, Lohnsteuer, Körperschaftssteuer, Kapitalertragssteuer, Steuerabzug von Aufsichtsrats-
vergütungen, Umsatzsteuer, Vermögenssteuer, Gewerbesteuer, Grundsteuer, Kraftfahrzeug-steuer … ».
Ledit arrêté a ainsi maintenu provisoirement en vigueur les textes d’origine allemande prévisés. La Cour fait sienne l’analyse déjà opérée par le Comité du contentieux du Conseil d’Etat que cette validation s’étend aussi à l’Abgabenordnung, ainsi qu’à ses dispositions d’exécution et qu’elle les purge des vices éventuels liés au défaut de publication effective au Luxembourg (cf. C.E., 8 décembre 1948, Schwall, n° 4582 du rôle; C.E., 4 août 1962, Kieffer, n° 5750 du rôle), cette analyse ayant par ailleurs déjà été reprise par le tribunal administratif (trib. adm. 17 novembre 1997, n° 9788 du rôle, et 6 janvier 1999, n° 10599 du rôle, Pas. adm.
2021, V° Impôts, n° 1).
Il y a dès lors lieu de rejeter ce moyen.
En troisième lieu, l’appelant met en avant que les dispositions de l’AO relatives au régime de l’appel en garantie constitueraient des mesures de spoliation introduites sous l’occupation nazie, à l’instar des prescriptions exceptionnelles applicables aux Juifs, Polonais et Russes, et qu’elles devraient partant être considérées comme n’ayant pas été validées.
Le régime de l’appel en garantie ne constitue cependant en rien une mesure de spoliation de la propriété qui s’opérerait d’office en raison de l’origine ou des convictions de la personne visée ou qui serait autrement liée à l’idéologie nazie incompatible avec des conceptions élémentaires juridiques et sociales luxembourgeoises, mais un régime de responsabilité personnelle des dirigeants de société du fait de leur comportement fautif personnel ayant causé dans le chef de l’Etat le préjudice particulier découlant du défaut de perception d’impôts dus, parallèle à d’autres régimes de responsabilité personnelle de représentants d’autres personnes.
La Cour ne saurait partant accueillir ce moyen de l’appelant.
Quant à la question d’un juste équilibre Concernant les autres moyens au fond de l’appelant, la Cour constate que ce dernier décrit d’abord longuement l’origine de la création de la société (H) découlant de la reprise du groupe français (L), ainsi que le champ d’activité de la société (H) et l’évolution de la situation du groupe en général et de la société (H) en particulier. Or, ce récit des faits se trouve reproduit pour l’essentiel dans le jugement entrepris et la Cour y renvoie, sauf à tenir compte des précisions apportées par l’appelant en instance d’appel et à reproduire des volets de ce récit dans la mesure nécessaire à la motivation du présent arrêt.
Le juge administratif n’étant pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter suivant un ordre différent, la Cour constate que l’appelant soulève tant le moyen fondé sur l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », et tiré du défaut, par le bulletin d’appel en garantie déféré, de ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et de protection des droits fondamentaux de l’individu, que le moyen se basant sur le non-respect du critère de l’équité prévu par le § 2 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG ».
Par rapport à la première de ces dispositions, l’appelant fait valoir qu’elle serait interprétée en ce sens qu’elle imposerait à l’autorité publique de respecter un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi en tenant compte de la nature et de la gravité de l'infraction reprochée au requérant, du comportement de celui-ci et de la nature et de la sévérité des sanctions infligées. Il conteste l’analyse du tribunal suivant laquelle il lui aurait incombé d’établir l’existence d’autres moyens qui auraient permis à l’administration de parvenir au même objectif et considère qu’il aurait plutôt appartenu à l’administration de rechercher si d'autres moyens moins attentatoires de ses droits étaient disponibles. Il ajoute que le juste équilibre requis par l’article 1er du Protocole n° 1 à la CEDH serait réputé ne pas exister lorsque la personne concernée a dû supporter une charge individuelle excessive.
Il critique alors le tribunal pour avoir estimé en substance que cet équilibre a été respecté en l’espèce au vu du degré de la faute devant lui être imputée et considère, premièrement, que le tribunal ne s’est pas interrogé sur la question de savoir si le montant de la somme réclamée, au regard de la faible probabilité qu'elle soit repayée, était de nature à rendre l'ingérence disproportionnée et, deuxièmement, que le tribunal a omis de prendre en compte toutes les circonstances dans leur ensemble. Il épingle également le fait qu’au vu du refus sans raison valable de lui octroyer un délai de paiement et un sursis à exécution et en initiant des mesures de recouvrement avec une sommation à tiers détenteur, les procédés de l’administration pour mener à bien le recouvrement de la créance manqueraient manifestement de proportionnalité en l'espèce.
Par rapport au § 2 StAnpG, l’appelant fait valoir que la question du respect du critère de l’équité se poserait nécessairement en l'espèce, au motif que le montant colossal lui réclamé dans le cadre de l’appel en garantie serait sans commune mesure avec ses rémunérations et l'état de son patrimoine.
Il expose que le refus, par la jurisprudence jusqu’alors, de tenir compte du montant extraordinairement élevé serait motivé essentiellement par la répétition volontaire des actes fautifs par les dirigeants en cause ou leur prolongement dans le temps, mais que les circonstances de l'espèce seraient bien différentes. Ainsi, il aurait fait preuve d’un comportement diligent et prudent. En outre, les signaux portés à la connaissance des gérants de la société (H) d'une déconfiture de la situation de leur débiteur, la société (K), seraient survenus tardivement et soudainement. Finalement, la situation et les opérations effectuées par la société (H) auraient été portées à la connaissance du bureau d'imposition compétent qui aurait sans conteste accepté un échelonnement des paiements de l'impôt.
L’appelant en déduit que le montant de la dette resterait en l'espèce disproportionné par rapport à ses revenus et à son patrimoine, sans que cette situation ne puisse constituer une situation aggravante quant aux fautes lui reprochées.
Il ajoute encore la considération que son reproche du non-respect du critère d'opportunité par l'administration dans sa décision de l'appeler en garantie serait encore étayé par l'appel en garantie d'une troisième personne dans le dossier plus d'un an après que les procédures n’eurent été initiées à l'encontre de lui-même et de l’autre gérant en fonction au moment de la déclaration en état de faillite et ce alors même que cette personne aurait été l’un des gérants ayant co-signé le « Framework Agreement » et le contrat de crédit-vendeur.
Le délégué du gouvernement conteste par contre l’existence d’un déséquilibre manifeste entre les droits fondamentaux de l’appelant et l'intérêt général. Il argue que le juge de première instance aurait considéré à bon droit que l'un des éléments de l'appréciation du juste équilibre serait le point de savoir s'il existait d'autres mesures, moins lourdes, que les pouvoirs publics auraient raisonnablement pu mettre en œuvre au service de la cause d'utilité publique, mais que l’appelant resterait muet sur d'éventuelles autres mesures à disposition de l'administration des Contributions directes pour se voir rembourser, au moins partiellement, la dette fiscale de la société (H), dette ayant à son origine dans le comportement fautif de l’appelant. Il met en avant qu'afin d'apprécier le caractère proportionné d'une ingérence dans le droit de propriété par l'Etat, il serait possible de prendre en compte le degré de faute ou d'imprudence de la personne visée et qu’au vu de la faute caractérisée de l’appelant, lequel aurait fait preuve d'une négligence et d'un comportement non conforme à un dirigeant d'entreprise ne serait-ce que moyennement consciencieux et diligent et ce pendant de nombreux mois, l'appel en garantie dont il fait actuellement l'objet ne serait pas disproportionné.
Par rapport au § 2 StAnpG, le représentant étatique fait valoir que le moyen ainsi soulevé par l’appelant serait propre à une demande de remise gracieuse au sens du § 131 AO et resterait nécessairement inopérant dans le cadre d'un recours contre une décision du directeur sur réclamation contre un bulletin d'appel en garantie.
L’article 1er du Protocole n°1 à la CEDH dispose que : « 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
Il y a lieu de relever d’abord que la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après la « CourEDH », reconnaît d’une manière générale que l'imposition constitue en principe une ingérence dans le droit garanti par l'article 1er, premier alinéa, du Protocole n° 1 à la CEDH, puisqu'elle prive l'intéressé d'une possession, à savoir le montant d'argent qui doit être payé et que, plus particulièrement, une sentence pécuniaire rendue à l'encontre d'un contribuable dans le cadre de procédures de responsabilité personnelle des dirigeants peut constituer une « ingérence » dans ses biens (CourEDH, 29 avril 2008, Burden c. the United Kingdom [GC], n° 13378/05, pt. 59; CourEDH, 25 juillet 2013, Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, pt. 871).
La CourEDH exige que toute ingérence d'une autorité publique dans la jouissance paisible des biens soit prévue par une loi accessible aux personnes concernées, précise et prévisible dans son application. En outre, elle requiert qu’une mesure constituant une ingérence – y compris celle résultant d'une mesure visant à garantir le paiement des impôts – établisse un « juste équilibre » entre la protection de l'intérêt général de la communauté et celle des droits fondamentaux de l'individu. Néanmoins, eu égard au deuxième alinéa de l'article 1er du Protocole n° 1 à la CEDH, la CourEDH reconnaît aux États une large marge d'appréciation, lorsqu'ils élaborent et mettent en œuvre des politiques dans le domaine fiscal (CourEDH 25 juillet 2013, Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, pts. 869 et 870).
Si la CourEDH a déjà souligné que le « percement du voile corporatif » peut être une solution appropriée pour l’Etat afin de recouvrer auprès de dirigeants des impôts dus par la société gérée par eux qui est restée en défaut de les régler, notamment lorsqu'une société n'a été utilisée que comme une façade pour des actions frauduleuses de ses propriétaires ou de ses dirigeants (CourEDH 25 juillet 2013, Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, pt. 877) ou en cas d’évasion fiscale (CourEDH 6 octobre 2020, Agapov c. Russie, n° 52464/15, pt. 57), il n’en reste pas moins qu’il se dégage clairement de la jurisprudence de la CourEDH que l’exigence du « juste équilibre » doit être respectée dans tant la détermination des conditions et modalités générales d’un tel régime par la loi – lorsqu’un Etat use de sa marge d’appréciation en mettant en place un régime d’appel en garantie à l’égard de dirigeants de société – que son application dans un cas individuel.
Il y a partant lieu de conclure que l’article 1er du Protocole n°1 à la CEDH impose au juge saisi d’un recours contre un bulletin d’appel en garantie de vérifier si les motifs invoqués à l'appui de l’ingérence dans le droit de propriété sont pertinents et suffisants et si un juste équilibre a été ménagé entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu.
Des exigences semblables quant au contrôle que le juge est appelé à opérer découlent aussi du § 2 StAnpG, lu en combinaison avec les §§ 109 et 118 AO.
La mise en œuvre de la responsabilité personnelle d’un dirigeant est prévue par le § 109, alinéa (1) AO, qui dispose que « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 – 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 – 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».
Aux termes du § 103 AO, « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».
Au vœu de cette disposition légale, le représentant d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette société et notamment celle de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont celle-ci est redevable.
Le § 109 AO établit donc la règle que la responsabilité personnelle du dirigeant peut être engagée si trois conditions de fond sont réunies : premièrement, un manquement de la société à ses obligations fiscales imputable au comportement fautif de son dirigeant ;
deuxièmement, un dommage fiscal pour l’Etat ; et troisièmement, un lien de causalité entre ces deux premiers éléments.
Quant au § 118 AO, il soumet le caractère exécutoire de la responsabilité personnelle du dirigeant de société à travers l’obligation de réparer le dommage causé à la condition supplémentaire de la prise d’une décision administrative de l’autorité étatique compétente. Le § 118 AO confère, d’après ses termes exprès (« … ist befugt … »), à l’administration étatique le pouvoir mais non pas l’obligation de se prévaloir de la responsabilité personnelle du dirigeant afin de le constituer, à côté de la société, en débiteur des impôts restés en souffrance et cette disposition a dès l’origine été interprétée en ce sens qu’elle confère à l’administration le pouvoir d’apprécier s’il y a lieu ou non de mettre en œuvre le régime de l’appel en garantie à l’égard d’une personne déterminée dans le chef de laquelle les conditions légales se trouvent vérifiées (notamment RFH 8 novembre 1929, V A 229/29, RStBl. 1930, 125).
L’existence de ce pouvoir d’appréciation fait rentrer la décision d’appeler en garantie une personne visée par les §§ 103 à 108 AO sur base du § 118 AO dans la catégorie des décisions discrétionnaires visées par le § 2 StAnpG et rend ainsi applicables les exigences qui découlent de cette disposition.
Le § 2 StAnpG dispose que : « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht.
(2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmäßigkeit zu treffen ».
L’alinéa (1) impose à l’administration de respecter les limites posées par la loi à l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans la prise de ses décisions discrétionnaires.
Endéans ces limites extérieures mentionnées par l’alinéa (1), l’alinéa (2) soumet l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente au respect des principes de « Billigkeit und Zweckmäßigkeit ». Dans le cadre des procédures prévues en matière d’impôts directs, il établit ainsi le principe général, que chaque fois que l’administration se voit reconnaître un pouvoir discrétionnaire en vue de l’adoption d’une certaine décision, elle est tenue d’exercer son pouvoir de telle manière que sa décision soit conforme aux critères de la « Billigkeit » et de la « Zweckmäßigkeit », qui sont communément traduits par les termes d’équité et d’opportunité (cf. Cour adm. 13 juillet 2021, n° 45185C).
Le terme d’équité ou de « Billigkeit » vise d’une manière générale à vérifier le caractère approprié d’une décision par rapport à la situation concrète du destinataire de la décision et à l’incidence de cette dernière sur cette situation afin d’éviter de lui imposer une charge déraisonnable selon les circonstances concrètes. Ladite vérification doit être effectuée en fonction de la nature de la décision envisagée, notamment si elle est favorable au contribuable ou lui impose certaines obligations. Dans la mesure où l’intérêt de la collectivité publique à la prise de la décision doit également être pris en compte, le critère de la « Billigkeit » appelle dès lors en dernière analyse l’administration à respecter un certain équilibre entre les conséquences de la décision pour la situation personnelle du contribuable et l’intérêt public à la prise de la décision en question (HÜBSCHMANN, HEPP, SPITALER, RAO-Kommentar, § 2 StAnpG, Anm. 46 à 52, renvoyant notamment à BFH 29 avril 1965, IV 346/64, BStBl. III 1965, 466 ; KÜHN-KUTTER, RAO-Kommentar, StAnpG § 2, Anm. 4).
Par contre, le terme d’opportunité ou de « Zweckmäßigkeit » comporte, en premier lieu, une limite « extérieure » à l’action de l’administration en ce que la mesure envisagée doit être conforme au but de la loi et à l’intention du législateur, dont surtout l’application des lois fiscales en conformité avec le principe d’égalité, et, en deuxième lieu, à l’intérieur de cette limite, l’exigence que ladite mesure permette le mieux d’atteindre utilement le but recherché.
La décision de l’administration d’appeler en garantie un dirigeant de société doit répondre à ces deux critères cumulatifs. Dans ce contexte, le principe de proportionnalité – principe à valeur constitutionnelle (cf. Cour const. 19 mars 2021, n° 00146 du registre) – impose la recherche d’un juste équilibre entre la finalité fiscale légitime poursuivie par l’Etat et le nécessaire respect des droits des personnes, dont notamment la protection de leur droit de propriété.
Il ressort de ces développements que les exigences découlant de l'article 1er, premier alinéa, du Protocole n° 1 à la CEDH et du § 2 StAnpG convergent dans une large mesure, en ce sens que la validité d’un bulletin d’appel en garantie se trouve conditionnée par le respect d’un équilibre suffisant entre, d’un côté, les motifs pertinents relatifs à l’intérêt général à la prise de cette mesure et, de l’autre côté, l’incidence de la même mesure sur les droits fondamentaux et la situation personnelle de la personne appelée en garantie. Au-delà de la similitude des notions à la base de ces deux dispositions, la question essentielle est néanmoins celle de l’intensité du contrôle effectué sur leur base et de la marge d’appréciation reconnue à l’administration.
La Cour ne saurait partant se rallier à la thèse étatique suivant laquelle le moyen fondé sur l’obligation de respecter un certain équilibre entre les conséquences de sa décision d'appeler une personne en garantie sur la situation personnelle de cette dernière et l'intérêt public serait propre à une demande de remise gracieuse au sens du § 131 AO, et qu’un tel moyen resterait nécessairement inopérant dans le cadre d'un recours contre une décision du directeur sur réclamation contre un bulletin d'appel en garantie. Etant donné en effet que le contrôle de proportionnalité ci-avant délimité s’analyse en une condition de validité d’un bulletin d’appel en garantie, le bureau d'imposition doit procéder à ce contrôle lorsqu’il s’apprête à émettre un tel bulletin et, en cas de réclamation contre ce dernier, le directeur est tenu, dans le cadre de son réexamen intégral, de vérifier l’exécution correcte de ce contrôle par le bureau d'imposition.
En ce qui concerne en premier lieu les motifs pertinents relatifs à l’intérêt général à l’émission du bulletin d’appel en garantie litigieux, l’Etat invoque le préjudice subi par lui en raison des impôts redus par la société (H) mais non perçus suite à sa déclaration en état de faillite, ce préjudice s’élevant au montant de ….. euros suivant le bulletin d’appel en garantie du 18 mars 2020. L’Etat estime être en droit de réclamer à l’appelant la réparation de ce préjudice en raison d’un comportement fautif imputé à l’appelant qui aurait causé ce préjudice et justifierait en conséquence son appel en garantie.
En ce qui concerne l’existence d’une faute, il se dégage encore du § 109, alinéa (1), AO que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef d’un gérant de société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du § 109, alinéa (1), AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, mais que le législateur a posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.
D’une manière générale, la faute pour un dirigeant de société consiste partant dans le fait, soit de ne pas avoir accompli soi-même, soit de ne pas avoir veillé à l'accomplissement des obligations incombant à la personne morale représentée.
En l’espèce, il n’est pas contesté en cause pour résulter des propres déclarations de l’appelant ainsi que des pièces versées en cause, que celui-ci a été nommé gérant B de la société (H) à partir du 11 juin 2014 et ce pour une durée illimitée, l’appelant ayant rempli cette fonction jusqu’à la décision déclarative de faillite de la société (H) en date du 28 février 2020.
Il résulte également des pièces versées en cause, et notamment des statuts coordonnés de la société (H) au 22 septembre 2016, que celle-ci est « engagée vis-à-vis des tiers en toutes circonstances par la signature du gérant unique, la signature d’un Gérant B ou la signature conjointe d’un Gérant A et d’un Gérant B ».
Les premiers juges ont partant retenu à bon droit que l’appelant doit être considéré comme ayant été à partir du 11 juin 2014 et jusqu’au jour du jugement déclaratif de faillite officiellement en charge de la gestion de la société (H) et, conformément à l’article 441-9 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, comme ayant été jusqu’à cette date un des représentants légaux de ladite société à l’égard des tiers, la société (H) ayant été représentée à l’égard des tiers par son conseil de gérance. Par conséquent, en tant que personne ayant été de jure et de facto en charge de la gestion de la société (H), l’appelant, conformément au § 103 AO, était personnellement tenu, pendant l’exercice de cette fonction, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (H) pendant cette période.
En l’espèce, l’Etat impute concrètement à l’appelant plusieurs ordres de comportements fautifs.
En premier lieu, l’Etat lui reproche une mise à disposition risquée et périlleuse de son actif substantiel constitué par son stock de ferraille et de matières semi-finies par la société (H) à la société (K), soit une autre société appartenant au même groupe, sans la moindre garantie de paiement, tout en devant savoir que la dette en résultant ne serait jamais honorée vu la situation précaire dans laquelle la société (K) se serait trouvée déjà à ce moment-là. Alors même que la société (H) aurait déjà été débitrice envers l'administration des Contributions directes pour le montant repris dans le bulletin d'appel en garantie, elle se serait dessaisie de son actif substantiel au profit d'une société liée manifestement démunie qui en aurait profité pour céder le stock sans pour autant régler son propre prix d'acquisition. En outre, les dirigeants de la société (H) auraient manqué à leur devoir de surveiller l’utilisation dudit stock par la société (K). De la sorte, au vu de la mise à disposition d'une personne notoirement insolvable de l'ensemble de l’actif de la société (H), et ceci sans la moindre garantie de paiement, l’appelant n'aurait manifestement pas agi dans l'intérêt de la société (H) mais au profit de la société (K) qui se serait ainsi enrichie au détriment de son cocontractant.
Pour le surplus, l’Etat considère encore que l’appelant aurait manqué d’entamer des démarches et poursuites à l’encontre de la société (K) en vue du recouvrement des créances résultant de ses ventes à cette dernière.
L’Etat relève encore que les dirigeants de la société (H), dont l’appelant, auraient doublé les salaires de l’employé principal et du gérant de catégorie B en l’année 2017 malgré la situation fragile et que le paiement de ces salaires aurait été continué après l’arrêt des activités de la société (K) jusqu’en décembre 2018.
En outre, la société (H) aurait payé un dividende de … euros entre juin 2016 et mai 2017 par compensation avec sa créance sur la société (K) et sans avertir l’administration des Contributions directes, puisque cette dernière n’aurait pas reçu de déclaration de cette distribution. Une telle opération ne serait pas conforme au comportement d’un gérant diligent et prudent qui aurait gardé les réserves et insisté sur le paiement à l’échéance de la tranche de … euros pour les stocks utilisés.
L’Etat reproche finalement à l’appelant d’avoir participé à une structure arrangée comprenant une société luxembourgeoise en vue d’obtenir un maximum de déductions fiscales en France et qui aurait été destinée à l’effondrement après la finalisation des opérations fiscalement favorables avec acceptation du défaut de paiement des impôts dus au Luxembourg.
La Cour constate cependant que l’appelant a utilement corrigé l’allégation étatique suivant laquelle il aurait également été dirigeant de la société française (K), en précisant qu’il n’a jamais exercé de fonction au sein de cette société.
Par contre, l’appelant a participé à la conclusion des opérations déterminantes pour l’activité et l’actif de la société (H) et ayant généré l’essentiel des dettes d’impôt lui imputées mais non réglées.
Il a ainsi signé au nom de la société (H) l'acte de cession d'actifs de la société (L) au profit de la société (H), conclu en date du 25 juin 2014 et ayant opéré le transfert vers cette dernière des stocks ayant existé au niveau du groupe (L) au moment de son redressement judiciaire en mars 2014 et valorisés au montant forfaitaire de … euros malgré une valeur marchande évaluée à … d’euros. Il a pareillement signé le contrat de mise à disposition du 2 février 2015 (le « Framework Agreement ») conclu entre la société (H) et la société (K), censé régler l’utilisation progressive du stock de ferraille et de matières semi-finies détenu par la première. Finalement, l’appelant a signé au nom de la société (H) le contrat crédit-vendeur du 21 décembre 2015 conclu avec la société (K) à la suite d’un protocole de conciliation du 18 novembre 2015 qui constatait l’épuisement du stock et la créance afférente de … d’euros et qui stipulait que la société (K) payerait une première tranche de … d’euros en novembre 2015 et ensuite des tranches annuelles de … d’euros jusqu’au 31 décembre 2020.
Il s’ensuit que l’appelant peut a priori être considéré comme ayant participé en tant que gérant à la négociation de ces opérations et comme devant assumer une coresponsabilité en ce qui concerne leur contenu et leur incidence sur la situation économique et financière de la société (H).
Cependant, il se dégage clairement des éléments en cause que l’appelant n’avait en réalité qu’une emprise très réduite, voire nulle sur toutes ces opérations.
Ainsi, la décision de transférer les stocks ayant existé au niveau du groupe (L) au moment de son redressement judiciaire en mars 2014 vers une société différente, qui était également appelée à devenir la structure d'approvisionnement en matières premières du nouveau groupe industriel, avait déjà été prise au niveau de la restructuration dans le cadre de l’offre de reprise du groupe (L) par des nouveaux investisseurs. En outre, la valorisation du stock à céder au montant forfaitaire de … euros, malgré une valeur marchande évaluée à … d’euros, faisait pareillement partie de l’offre de reprise et a été validée par le Tribunal de commerce de Nanterre. L'acte de cession d'actifs de la société (L) au profit de la société (H), conclu en date du 25 juin 2014, ne constitue ainsi que la transposition de ce volet de l’offre de reprise. Or, il est constant en cause que l’essentiel des impôts litigieux étant restés impayés de la part de la société (H) résulte des plus-values importantes lui imputées, lesquelles découlaient de ses marges sur ses ventes au prix du marché des stocks de ferraille et de matières semi-
finies au regard d’un prix d’acquisition de … euros.
Pareillement, le contrat de mise à disposition du 2 février 2015 (le « Framework Agreement ») conclu entre la société (H) et la société (K), censé régler l’utilisation progressive du stock de ferraille et de matières semi-finies détenu par la première, constitue la suite logique de cette décision prise au niveau de l’offre de reprise de transférer les stocks ayant existé au niveau du groupe (L). De même, l’utilisation de la totalité de ce stock jusqu’à la fin de l’année 2015 par la société (K) a nécessairement été facilitée par le fait qu’il représentait un volume important réparti sur plusieurs sites en France de l’ancien groupe (L) repris par cette société et que le volume de ce stock rendait sa concentration sur un site au Luxembourg en vue de sa surveillance coûteuse voire illusoire.
Ensuite, le protocole de conciliation du 18 novembre 2015 a été conclu entre les sociétés (L) et (K) ainsi que les investisseurs en dehors de la participation de la société (H), alors même qu’il prévoyait comme l’une des annexes un contrat de crédit-vendeur à consentir par cette dernière par rapport à sa créance de ….. du chef du stock consommé. En plus, ce protocole, ensemble le contrat de crédit-vendeur y annexé, a été homologué par un jugement du Tribunal de grande instance de …(F) du 27 novembre 2015. Le contrat crédit-vendeur du 21 décembre 2015 conclu avec la société (K) et signé par l’appelant ne constituait que l’exécution de ce volet du protocole de conciliation.
Il se dégage de ces éléments que les opérations les plus importantes concernant la société (H) – en ce qu’elles ont eu une influence déterminante sur la naissance de l’essentiel des dettes d’impôt restées en souffrance de cette société au titre de l’exercice 2016 et sur sa situation financière découlant du paiement fractionné sur cinq ans de sa créance importante à partir de laquelle elle aurait dû assurer le paiement desdites dettes d’impôt - ont été décidées au niveau des dirigeants du groupe (L) et des investisseurs étrangers et homologuées par les juridictions françaises. L’appelant n’a en conséquence assumé qu’un rôle d’exécutant des décisions stratégiques prises à ce niveau et n’était donc nullement dans une position qui lui aurait permis d’influer sur ces opérations aux moments respectifs où elles ont été conclues.
Par voie de conséquence, l’assertion étatique suivant laquelle l’appelant aurait participé à une structure arrangée comprenant une société luxembourgeoise en vue d’obtenir un maximum de déductions fiscales en France et qui aurait été destinée à l’effondrement après la finalisation des opérations fiscalement favorables avec acceptation du défaut de paiement des impôts dus au Luxembourg est dénuée de fondement.
En dernière analyse, le seul reproche que l’on pourrait formuler à l’encontre du comportement de l’appelant en tant que gérant de la société (H) concernant la période allant jusqu’à l’année 2017 consisterait dans son acceptation de signer les différentes conventions prévisées et le défaut d’avoir démissionné de ses fonctions si des démarches de sa part en vue de la modification de ces arrangements dans un sens compatible avec les intérêts de la société (H) – à savoir dans le sens de recouvrer plus rapidement sa créance sur la société (K) du chef du stock consommé - avaient échoué. Ce reproche pourrait essentiellement être opposé à l’appelant si l’existence du risque du caractère irrécouvrable de la créance en question au vu de l’étalement de son paiement sur plusieurs années aurait dû être reconnu par lui eu égard de la situation économique du groupe. Or, si le protocole de conciliation du 18 novembre 2015 faisait certes état d’un projet de restructuration du groupe afin de redresser sa situation financière et indiquait certes une situation économique fragile du groupe, il n’en reste pas moins que les mesures convenues dans ce protocole ont été présentées comme pouvant assurer le redressement de la situation du groupe jusqu’en l’année 2017, de sorte que la nécessité pour l’appelant de tirer la conséquence de sa démission n’appert pas à suffisance des éléments en cause.
L’appelant explique également de manière pertinente que l’augmentation de rémunération en faveur de l’employé principal, convenue en décembre 2016, se justifie par la nécessité de lui assurer une rémunération nette antérieurement convenue. Concernant l’augmentation de sa propre rémunération à partir de septembre 2016, l’appelant la justifie également par l’augmentation de ses tâches administratives qui a entraîné une adaptation des heures prestées pour la société (H) et une réduction correspondante de sa tâche auprès de la société de services à partir de laquelle il avait été détaché.
Par rapport au paiement d’un dividende de … euros par la société (H) et sa remontée via la société (J) à la société (K), l’appelant souligne à bon escient que cette opération était déjà prévue par le contrat de crédit-vendeur annexé au protocole de conciliation du 18 novembre 2015 homologué par le Tribunal de grande instance de (F), dans le but d’un redéploiement des fonds au niveau du groupe afin de permettre de nouveaux investissements.
Au-delà d’un éventuel reproche en ce qui concerne son implication dans la conclusion des opérations ci-avant visées, c’est l’attitude adoptée par l’appelant après que la situation financière compromise de la société française (K) fut clairement apparue, c’est-à-dire, d’après l’exposé des faits de l’appelant même, à partir du troisième trimestre de l’année 2017 et au plus tard à partir de sa déclaration de cessation des paiements en date du 20 novembre 2017, qui pourrait essentiellement être qualifiée de fautive.
En effet, en premier lieu, il appert des différents documents comptables figurant au dossier administratif et soumis par l’appelant que la société (H) a subi une baisse spectaculaire de son chiffre d’affaires et de ses encaissements à partir de février 2018 et que l’activité paraît avoir été très réduite depuis lors, au vu de produits à hauteur de …euros enregistrés pour l’exercice allant du 1er juin 2018 au 31 mai 2019, voire quasi nulle, du moins à partir de juin 2019, au vu de l’absence de produits enregistrés. L’image qui s’en dégage est celle qu’après la perte de son client le plus important, la société (K), et d’un autre client du même groupe, et après le constat du caractère irrécouvrable de sa créance la plus importante, à savoir celle relative au stock de ferraille et de matières semi-finies utilisé par la société (K), la société (H) n’avait plus d’activité de négoce d’une envergure qui lui aurait permis d’envisager la génération de recettes et d’un bénéficie suffisant pour pouvoir espérer faire face à son obligation de paiement des impôts dont elle était pourtant redevable au titre des exercices 2016 et suivants. Si l’appelant fait certes valoir que les gérants ont licencié tout le personnel en novembre 2018 et dénoncé le bail en mai 2019, il n’en reste pas moins que les gérants de la société (H), dont l’appelant, ont attendu jusqu’au 12 décembre 2019 pour déposer la déclaration de cessation de paiements au nom de ladite société. Durant toute cette période allant de mi-2018 à décembre 2019, certains frais ont été nécessairement encourus malgré l’absence de produits et la situation économique de la société (H) s’est encore davantage détériorée. Or, l’appelant n’établit pas qu’il aurait entrepris des démarches afin d’écourter cette période en insistant sur la nécessité de faire l’aveu de la cessation de paiements plus tôt.
De même, l’Etat impute légitimement à l’appelant le défaut d’avoir entrepris des démarches auprès du bureau d'imposition compétent afin de l’informer de la situation irrémédiablement compromise de la société (H) et de provoquer l’émission des bulletins d’impôt pour les exercices non encore imposés afin de pouvoir régler les impôts ainsi fixés dans la mesure possible à partir des moyens financiers encore disponibles, dont la réserve spéciale constituée à partir des paiements partiels perçus en vertu du protocole de conciliation.
En effet, dans la mesure où le bureau d'imposition avait préalablement été informé par l’avocat mandaté par le groupe des opérations essentielles prévues, dont le protocole de conciliation du 18 novembre 2015, et où l’émission des bulletins d’impôt pour l’année 2016 – exercice auquel le produit de la facturation du stock de ferraille et de matières semi-finies devrait être imputé – avait apparemment été décalée, il aurait incombé aux gérants de la société (H), dont l’appelant, d’informer le bureau d'imposition du changement fondamental de sa situation suite à la mise en redressement de la société (K).
D’un autre côté, le caractère fautif du comportement de l’appelant est clairement atténué par le fait que même un comportement diligent et irréprochable des gérants de la société (H), dont l’appelant, n’aurait pas permis d’assurer le règlement de l’intégralité, ni de la majorité des dettes fiscales qui allaient être fixées. En effet, même en cas d’une information plus précoce du bureau d'imposition de l’évolution défavorable de la situation en vue de l’émission des bulletins d’impôt pour les exercices non encore imposés et de l’aveu plus précoce de la cessation de paiements intervenu dans la suite, le caractère irrécouvrable de la créance restante de … d’euros à l’égard de la société (K), du chef du stock de ferraille et de matières semi-finies consommé, et l’absence d’autres ressources financières significatives de la société (H) auraient entraîné en toute occurrence que cette dernière n’aurait pas été en mesure de régler plus qu’une partie mineure du total des impôts à fixer à son égard.
Il y a finalement lieu d’ajouter d’une manière plus générale que si le rôle de l’appelant ne peut certes pas être réduit à celui d’un « pantin manipulé par des commanditaires restant dans l’ombre, c’est-à-dire un « homme de paille » démuni de pouvoirs effectifs » (cf. Cour adm. 31 janvier 2019, n° 41872C), il se dégage pourtant globalement des éléments en cause que tout le groupe était dirigé par des personnages connus du secteur à partir de la France avec l’aval de certaines opérations par la justice française et que l’appelant n’a aucunement participé à cette direction, mais avait été engagé comme salarié en qualité de gérant suivant un contrat de travail conclu le 16 juin 2014 pour une tâche de 8 heures par semaine en contrepartie d’une rémunération brute mensuelle de … euros. La tâche et la rémunération ont été modifiées par amendement du 28 septembre 2016 afin de porter la durée du travail hebdomadaire à 10 heures. Pour le surplus, Monsieur (F) était employé d’une société d’expertise comptable et de domiciliation.
Il y a partant lieu de conclure, en ce qui concerne les motifs pertinents relatifs à l’intérêt général d’appeler Monsieur (F) en garantie, que l’Etat peut certes mettre en avant un préjudice important à hauteur du montant de ….. euros repris dans le bulletin d’appel en garantie litigieux, mais que cet intérêt général est invoqué à l’encontre d’une personne qui ne peut pas être considérée comme l’un des responsables principaux de la structure et de la direction du groupe en cause, son rôle ayant été limité à assurer la gestion administrative d’une sous-filiale du groupe.
En deuxième lieu, par rapport à l’incidence du bulletin d’appel en garantie litigieux sur les droits fondamentaux et la situation personnelle de l’appelant, le premier élément à prendre en compte réside de nouveau dans le fait qu’il n’a point participé à la direction du groupe, mais a été mis à la disposition de la société (H) par une société d’expertise comptable et de domiciliation pour laquelle il travaillait.
Au titre du deuxième élément à prendre en compte, la Cour se doit de constater que le montant de ….. euros constitue la somme la plus importante réclamée à un dirigeant de société et quant à laquelle le juge administratif a jusqu’alors été saisi. En outre, ce même montant dépasse de loin les capacités de remboursement, même sur une période prolongée, d’une personne dont la situation de revenus et de fortune correspond même à la classe moyenne supérieure. Une telle personne devrait en conséquence monnayer l’essentiel de son patrimoine, dont notamment tous ses biens immobiliers et en particulier son habitation personnelle, et vivre pour le restant de sa vie professionnelle, voire au-delà, avec un revenu minimal et en affectant le surplus au règlement de sa dette découlant de l’appel en garantie sans aucune perspective de pouvoir rembourser l’intégralité de la somme lui réclamée à un moment donné et de recouvrer alors son autonomie financière. Or, il ne se dégage d’aucun élément en cause que la situation personnelle de l’appelant lui permettrait de régler le montant lui réclamé par le bulletin d’appel en garantie litigieux sans être mis dans une telle situation.
Quant au respect d’un juste équilibre entre l’intérêt public à l’appel en garantie de l’appelant et son incidence sur les droits fondamentaux et la situation personnelle de ce dernier, la Cour estime que le fait d’imposer une charge financière aussi lourde à un dirigeant de société qui n’a ni participé à des actions frauduleuses ou à une évasion fiscale, ni provoqué par son inaction ou ses actes une accumulation d’importantes dettes fiscales ne ménage pas un équilibre suffisant entre les intérêts légitimes en cause. En effet, la perspective ci-avant décrite d’être mis dans une situation de pauvreté très longue voire définitive par l’effet du montant réclamé à travers le bulletin d’appel en garantie litigieux ne peut être considéré comme respectant un rapport de proportionnalité suffisant à l’égard de l’appelant auquel des comportements fautifs ne peuvent être imputés que de manière bien nuancée et qui a dû gérer une situation découlant d’événements s’étant situés en dehors de sa sphère d’action.
La conclusion s’impose partant que le bulletin d’appel en garantie entrepris du 18 mars 2020 ne respecte pas le critère de l’équité posé par le § 2, alinéa (2), StAnpG comme condition pour la validité de la décision discrétionnaire d’appeler l’appelant en garantie des dettes d’impôts non réglées par la société (H) et doit être qualifié d’illégal.
Il s’ensuit que l’appel sous examen est justifié et que, par réformation du jugement entrepris, la décision directoriale déférée du 21 octobre 2020 est à réformer en ce sens que le bulletin d’appel en garantie du 18 mars 2020 est annulé pour violation de la loi.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 6 décembre 2021 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 27 octobre 2021, la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 21 octobre 2020 (n° ….. du rôle) est réformée en ce sens que le bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d'imposition Sociétés 4 à l’égard de Monsieur (F) le 18 mars 2020 est annulé pour violation de la loi, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour exécution, condamne l’Etat aux dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 24 novembre 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour ….
s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 novembre 2022 Le greffier de la Cour administrative 26