La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2022 | LUXEMBOURG | N°47734C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 17 novembre 2022, 47734C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47734C ECLI:LU:CADM:2022: 47734 Inscrit le 22 juillet 2022

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 17 novembre 2022 Appel formé par la société anonyme (AG), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 juillet 2022 (n° 46998 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

-------------------

------------------------------------------------------------------------------------...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47734C ECLI:LU:CADM:2022: 47734 Inscrit le 22 juillet 2022

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 17 novembre 2022 Appel formé par la société anonyme (AG), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 juillet 2022 (n° 46998 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47734C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 juillet 2022 par Maître Pierre HURT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (AG), établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 7 juillet 2022 (n° 46998 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 janvier 2022, référencée sous le numéro …, de fournir des renseignements en vertu de l’article 3, paragraphe (3), de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 septembre 2022 ;

Vu l’avis de la Cour administrative du 26 septembre 2022 autorisant les parties, suite à la demande afférente de Maître Pierre HURT du 21 septembre 2022, à fournir un mémoire supplémentaire afin de prendre position par rapport aux faits nouveaux dans le dossier ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 17 octobre 2022 par Maître Pierre Hurt pour le compte de (AG) ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 20 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Géraldine MERSCH, en remplacement de Maître Pierre HURT, et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2022.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par courrier du 10 janvier 2022, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », adressa à la société anonyme (AG), ci-après la « société (AG) », une décision d’injonction, référencée sous le numéro …, en vertu de l’article 3, paragraphe (3), de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignement sur demande en matière fiscale, ci-après la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir, pour le 15 février 2022 au plus tard, différents renseignements et documents concernant la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021, ladite injonction étant libellée comme suit :

« (…) En date du 23 décembre 2021, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention, de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d'amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne morale visée par la demande est la société belge (CD), ayant une adresse au …, …, Belgique.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021, les renseignements et documents suivants pour le 15 février 2022 au plus tard.

- Veuillez indiquer pour la période visée quelles sont les activités de la société (AG) et en quoi elles consistent ;

- Veuillez indiquer la périodicité de ces activités ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si ces activités sont liées aux participations détenues par la société (AG) ;

- Veuillez indiquer pour la période visée s'il y a des activités qui sont liées aux participations détenues par la société (AG) et dans l'affirmative, veuillez préciser en quoi consistent ces activités et quelle est leur périodicité ;

- Concernant les questions précédentes, veuillez indiquer les modifications durant la période visée ;

- Veuillez indiquer pour la période visée qui est responsable de la direction quotidienne de la société (AG) (nom et coordonnées) et quelles sont les tâches de cette personne ;

- Veuillez indiquer si cette personne peut prendre tous les décisions de manière autonome ou lui faut-il l'autorisation d'un tiers pour certaines décisions? Dans l'affirmative, veuillez indiquer qui est ce tiers (nom et adresse) et pour quels types de décisions ;

- Concernant les questions précédentes, veuillez indiquer les modifications durant la période visée ;

- Veuillez fournir pour la période visée une copie des rapports des assemblées générales signés et les rapports des assemblées générales extraordinaire signés ;

- Veuillez fournir pour la période visée une copie des rapports du conseil d'administration signés et des autres documents en rapport avec des décisions de gestion ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) dispose de ses propres bureaux et dans l'affirmative, veuillez donner une description de ces bureaux ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si ces bureaux sont en propriété ou en location ;

- Veuillez fournir des photos de ces bureaux ;

- S'il y a eu un changement au niveau des bureaux de la société (AG) au cours d'une des années visées, veuillez indiquer quel changement et pour quelle période ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) dispose de son propre matériel/équipement de bureau et dans l'affirmative, veuillez donner un aperçu de ces moyens (par exemple, le nombre de postes de travail, si l'entreprise dispose du matériel nécessaire à ses activités - de quel matériel s'agit-il -, etc.) ;

- Veuillez indiquer pour la période visée s'il y a du matériel informatique et dans l'affirmative, veuillez donner un aperçu de ces moyens (par exemple le nombre d'ordinateurs, imprimantes, s'il y a des moyens de communications, etc.) ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) dispose de son propre numéro de téléphone et dans l'affirmative, veuillez donner une copie du répertoire téléphonique interne ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si le courrier et les appels téléphoniques sont transférés et si oui, vers qui ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) emploie du personnel et si oui, veuillez indiquer combien (en équivalents temps plein) et combien parmi ces personnes habitent en Belgique ;

- Veuillez indiquer pour la période visée quelle est la tâche de chaque personne ;

- Veuillez indiquer pour la période visée où les membres du personnel exercent leurs activités ;

- Veuillez indiquer pour la période visée qui s'occupe de la gestion des ressources humaines et de l'administration du personnel de la société (AG) ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) fait appel au personnel d'une autre entité et si oui, veuillez indiquer de quelle entité et de quelles personnes il s'agit. Veuillez indiquer quelle est la tâche de chaque personne ;

- Veuillez indiquer pour la période visée où l'administration et la comptabilité de la société (AG) sont tenues et veuillez indiquer qui s'occupe de l'administration et la comptabilité de la société ;

- Veuillez fournir pour la période visée un aperçu des comptes financiers de la société (AG) et veuillez indiquer qui sont les titulaires et les mandataires de ces comptes ;

- Veuillez indiquer pour la période visée auprès de quelles institutions financières ces comptes sont détenus ;

- Veuillez indiquer pour la période visée qui détient les actions de la société (AG) et veuillez indiquer le nom, le nombre d'actions, la valeur des actions, le type d'actions, le pourcentage de détention ainsi que les modifications éventuelles de ces éléments ;

- Veuillez fournir une copie du registre des actions ;

- Veuillez fournir pour la période visée les bilans détaillés, y compris tous les sous-comptes de la société (AG) ;

- Veuillez fournir pour la période visée les comptes de résultats détaillés, y compris tous les sous-comptes de la société (AG) ;

- Veuillez fournir pour la période visée le grand-livre des comptes, le grand-livre clients et le grand-livre fournisseurs de la société (AG) ;

- Veuillez fournir pour la période visée tous les journaux (achats, ventes, financier, divers, …), y compris le relevé de tous les coûts de la société (AG) ;

- Concernant toutes les immobilisations financières de la société (AG), veuillez indiquer pour la période visée si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu sont payés à d'autres personnes que les bénéficiaires de l'investissement ;

- Veuillez indiquer pour la période visée s'il existe un montant lié à l'investissement versé à l'investisseur et dans l'affirmative, veuillez spécifier ;

- Veuillez indiquer si le montant mentionné est un rendement de l'investissement et/ou un produit de vente (dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement d'investissement) et si des impôts ont été retenus (montant des impôts payés et la raison) ;

- Veuillez indiquer pour la période visée quelles participations détient la société (AG) et veuillez indiquer le nom de ces participations, le nombre d'actions, la valeur des actions, le pourcentage de détention ainsi que les modifications éventuelles de ces éléments ;

- Veuillez fournir pour la période visée un aperçu de la structure du groupe ;

- Concernant les dividendes reçus par la société (AG), veuillez fournir les informations suivantes par paiement:

o Débiteur: nom, adresse et personne de contact ;

o Un aperçu des dates de l'octroi et de paiement ;

o Les données suivantes concernant les dividendes reçus: le montant brut des dividendes, le montant du prélèvement du précompte mobilier, veuillez indiquer si une exemption ou réduction a été invoquée et si oui, quelle était la base légale pour cette exemption ou réduction ;

o Numéro de compte en banque sur lequel les dividendes ont été reçus ;

o Numéro de compte en banque du débiteur (ainsi que l'établissement financier et le pays), à partir duquel les dividendes ont été payées ;

o Copie des extraits de compte montrant que les dividendes ont été réellement reçus ;

- Veuillez indiquer pour la période visée si la société (AG) a distribué des dividendes et si oui, veuillez fournir les informations suivantes par paiement :

o Bénéficiaire: nom, adresse et personne de contact ;

o Un aperçu des dates de l'octroi et de paiement ;

o Les données suivantes concernant les dividendes octroyés: le montant brut des dividendes, le montant du prélèvement précompte mobilier et veuillez indiquer si une exemption ou réduction a été invoquée et si oui, quelle était la base légale pour cette exemption ou réduction ;

o Numéro de compte en banque utilisé pour payer les dividendes ;

o Numéro de compte en banque (y inclus établissement financier et pays) sur lequel les dividendes ont été payés ;

o Copie des extraits de compte montrant que les dividendes ont été réellement payés ;

- Veuillez indiquer pour la période visée qui prend la décision de payer des dividendes et combien ;

- Veuillez indiquer comment est déterminé si des dividendes doivent être payées et pour quel montant et veuillez indiquer où est prise la décision de payer des dividendes et pour quel montant. Est-ce qu'il y a des communications internes à ce sujet? Si oui, veuillez les fournir ;

- Veuillez indiquer quelle est la politique concernant le paiement des dividendes :

est-ce qu'il y a un système ou un calcul qui est utilisé chaque année? - Concernant les questions précédentes, veuillez indiquer les modifications durant la période visée ;

- Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents mentionnés dans la présente section. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 février 2022, la société (AG) fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision directoriale précitée du 7 janvier 2022.

Dans son jugement du 7 juillet 2022, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme et le déclara non justifié pour en débouter la société (AG), tout en condamnant cette dernière aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 22 juillet 2022, la société (AG) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 7 juillet 2022.

Le juge administratif n’étant pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter suivant un ordre différent, la Cour constate que l’appelante soulève tant le moyen du défaut de pertinence vraisemblable des renseignements sollicités qui relève de la légalité interne de la décision d’injonction attaquée que le moyen tiré du défaut de l’indication de la finalité fiscale dans ladite décision qui relève de sa légalité externe. Dans le respect d’une bonne logique juridique, il y a lieu en conséquence d’examiner en premier lieu le moyen relatif à la légalité externe avant celui visant la légalité interne de ladite décision.

Quant à la légalité externe de la décision d’injonction L’appelante estime que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 n’est pas conforme aux articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte ». Selon l’appelante, la loi du 25 novembre 2014 n’exigerait la communication de l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et de la finalité fiscale des renseignements demandés qu’au stade du mémoire en réponse de la partie étatique dans le cadre de la procédure contentieuse devant le tribunal administratif et non pas avant l’introduction du recours contentieux. L’appelante rappelle également qu’aux termes de l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014, le dépôt d’un mémoire en réplique par le détenteur des renseignements ne serait pas de droit, contrairement à la procédure administrative ordinaire, et que par conséquent, le détenteur des informations ne pourrait se défendre utilement qu’au stade d’un mémoire supplémentaire.

Partant, l’appelante fait valoir que pour que le recours puisse être qualifié d’équitable et conforme au principe d’économie procédurale, il faudrait que le destinataire de la décision d’injonction ait accès aux informations minimales avant l’introduction de son recours contentieux. Sur ce, elle demande à la Cour de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », une question préjudicielle formulée comme suit : « En cas d’application vérifiée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est-ce que les articles 47 et 52 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition légale d’un Etat membre consacrant l’accès à l’information minimale visée à l’article 20, §2 de la Directive 2011/16/UE, à savoir (i) l’identité du contribuable visée par le contrôle ou l’enquête et (ii) la finalité fiscale des informations demandées, seulement après l’introduction d’un recours contentieux, au stade du mémoire en réponse de la partie étatique auquel, en principe aucune réplique n’est possible ? ».

Le délégué du gouvernement fait valoir que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 serait conforme aux exigences des articles 47 et 52 de la Charte. La partie étatique se réfère à cet égard à l’arrêt de la Cour du 9 décembre 2021 (n° 46595C du rôle) et aux arrêts de la CJUE du 16 mai 2017 (Berlioz Investment Fund S.A. c. Directeur de l’Administration des Contributions Directes, C-682/15, EU:C:2017:373) et du 25 novembre 2021 (État luxembourgeois contre L, aff. C- 437/19, EU:C:2021:953). Selon la partie étatique, les droits de la défense seraient respectés et ce serait à bon droit que les premiers juges auraient retenu que le directeur des contributions aurait mis le détenteur des renseignements suffisamment en mesure de se conformer à ses obligations de communication.

En premier lieu, à l’instar du tribunal, la Cour constate que la demande d’échange de renseignements des autorités fiscales belges est notamment fondée sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après la « directive 2011/16 », que cette directive prime sur les conventions de non-double imposition convenues entre Etats membres et qu’il n’est pas allégué que l’une des conventions également invoquées comme fondement juridique de la demande d’échange de renseignements prévoirait un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16.

En l’espèce, le cadre légal de référence est donc constitué par la directive 2011/16, avec la loi ayant transposé son contenu en droit interne – c’est-à-dire la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après la « loi du 29 mars 2013 » –, ainsi que la loi du 25 novembre 2014 qui constitue la mesure législative de transposition de la directive 2011/16 au niveau procédural et sur laquelle est fondée la décision d’injonction du 7 janvier 2022.

Dans la mesure où l’exécution de la procédure d’échange de renseignements initiée par la demande des autorités belges du 23 décembre 2021 doit dès lors être considérée comme une mise en œuvre de la directive 2011/16 et partant du droit de l’Union européenne, les dispositions de la Charte trouvent application.

Il est vrai que dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a entériné le caractère secret de la demande d’informations, conformément à l’article 16 de la directive 2011/16 et qu’elle a en outre clairement distingué entre la phase administrative d’un échange de renseignements et la phase contentieuse découlant de l’introduction d’un recours juridictionnel en ce qui concerne le régime pour garantir cette confidentialité.

Ainsi, quant à la phase administrative, la CJUE a jugé que « le secret de la demande d’informations peut ainsi être opposé à toute personne dans le cadre d’une enquête » (point n° 95 de l’arrêt du 16 mai 2017), ce qui implique nécessairement que le secret peut également être opposé au détenteur de renseignements qui se voit notifier une décision d’injonction. Pour le surplus, dans cet arrêt du 16 mai 2017, la CJUE n’a pas reconnu au détenteur des renseignements un droit de se voir communiquer durant la phase administrative des informations sur la finalité de la demande d’échange de renseignements étrangère ayant conduit à la décision d’injonction lui adressée.

Quant à la phase contentieuse déclenchée par un recours dirigé par le détenteur de renseignements contre la décision d’injonction lui adressée, l’arrêt du 16 mai 2017 a maintenu le caractère secret de la demande d’échange de renseignements étrangère et a seulement reconnu un droit d’accès au juge compétent de l’Etat requis saisi du recours afin de lui permettre d’exercer son contrôle juridictionnel de manière conforme à l’article 47 de la Charte.

Par rapport au détenteur de renseignements même, la CJUE a par contre dit pour droit qu’il n’était pas nécessaire pour que l’administré fasse entendre sa cause de manière « équitable », au sujet de la condition de la pertinence vraisemblable, qu’il ait accès à l’ensemble de la demande d’échange de renseignements, mais qu’il suffisait qu’il ait accès, dans le cadre d’un recours contentieux, à l’information minimale visée à l’article 20, paragraphe 2, de la directive 2011/16, à savoir (i) l’identité du contribuable concerné et (ii) la finalité fiscale des informations demandées (point n° 100 de l’arrêt).

La Cour a déduit de manière répétée de ces réponses fournies par la CJUE dans son arrêt du 16 mai 2017 que le directeur ne saurait se voir imposer l’obligation d’insérer, dans la décision d’injonction même, des développements quant à ses démarches et à son analyse en relation avec le contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable, mais qu’il suffit que la partie publique fournisse dans le cadre du recours contentieux les informations concernant l’identité du contribuable et la finalité fiscale des renseignements demandés et qu’elle explicite les raisons pour lesquelles, déjà d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés (cf. Cour adm., 25 avril 2019, nos 42093C et 42118C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1378).

Or, l’appelante argue valablement que cette analyse de la CJUE a connu une évolution à travers son arrêt prévisé du 25 novembre 2021. En effet, après avoir réitéré son analyse des limites du contrôle à effectuer par le juge compétent de l’Etat membre requis et du régime de confidentialité de la demande d’échange de renseignements durant la procédure contentieuse en réaffirmant le droit d’accès du détenteur à la seule information minimale susvisée, la CJUE a formulé la précision suivante :

« 92. Il convient cependant de souligner, à cet égard, que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que le destinataire d’une décision prise à son égard par une autorité administrative puisse connaître les motifs sur lesquels celle-ci est fondée, soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de légalité de la décision nationale en cause (arrêt du 24 novembre 2020, Minister van Buitenlandse Zaken, C‑225/19 et C‑226/19, EU:C:2020:951, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

93. Ainsi, une décision d’injonction de communiquer des informations doit être non seulement fondée sur une demande d’informations valide eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 41 à 47 du présent arrêt, mais aussi dûment motivée, afin de permettre au destinataire de cette décision d’en saisir la portée et de lui permettre de décider ou non de s’y opposer par la voie judiciaire ».

Ainsi, alors que la CJUE n’avait pas encore reconnu au détenteur de renseignements un droit de communication de l’information minimale au cours de la phase administrative dans son arrêt du 16 mai 2017, elle a admis l’existence d’un tel droit en faveur du détenteur de renseignements dans l’arrêt du 25 novembre 2021 en justifiant cette solution par la nécessité de respecter la substance du droit à un recours effectif, qui implique que le détenteur soit mis en mesure de décider en connaissance de cause s’il reconnaît la validité de la décision d’injonction lui adressée ou s’il entend en contester la légalité.

Il s’ensuit que depuis cet arrêt de la CJUE du 25 novembre 2021, l’exclusion de la communication de l’information minimale relative à la finalité fiscale déjà dans la décision d’injonction, telle qu’elle pouvait être induite de l’arrêt de la CJUE du 16 mai 2017, ne saurait plus être maintenue et il faut admettre que l’information minimale relative à la finalité fiscale de la demande d’échange étrangère doit être fournie en tant que motivation dans la décision d’injonction même (Cour adm., 20 octobre 2022, n° 47770C).

Dans ces conditions, l’appelante met légitimement en avant que le directeur n’a pas respecté à l’époque cette exigence dans sa décision d’injonction du 7 janvier 2022 et qu’elle a dû introduire son recours contentieux sous examen afin de se voir communiquer la finalité fiscale de la demande des autorités belges à travers le mémoire en réponse du délégué du gouvernement en première instance.

L’argumentation de l’appelante, selon laquelle le défaut de motivation suffisante dans la décision d’injonction entraînerait qu’elle serait « illégale » et devrait donc encourir l’annulation, soulève la question des conséquences à tirer de ce défaut d’indication de la finalité fiscale par rapport à la validité d’une décision d’injonction.

Or, à cet égard, la Cour ne tire pas la même conclusion que l’appelante.

En effet, le droit de l’Union européenne n’exige pas qu’une violation des droits de la défense soit systématiquement sanctionnée par l’annulation de la décision litigieuse, mais admet que les conséquences de la méconnaissance des droits de la défense relèvent du droit national, pour autant que les mesures arrêtées en ce sens soient du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (CJUE 3 juillet 2014, Kamino International Logistics, aff. jointes C-129/13 et C-130/13).

L’omission par le directeur d’indiquer dans une décision d’injonction la finalité fiscale dans laquelle les renseignements y visés sont requis de la part d’un détenteur de renseignements conduit à une insuffisance de la motivation de cette décision.

Dans le cadre du droit administratif commun, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours, tandis que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois en phase contentieuse (cf. Cour adm.

20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas adm. 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90 et autres références y citées).

Il peut être ajouté que la même sanction est prévue en matière d’impôts directs par le § 246, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après l’« AO », au vœu duquel l’insertion de toutes les mentions requises par le § 211 AO constitue une formalité obligatoire pour l’émission d’un bulletin d’impôt, mais dont le non-respect constitue seulement un empêchement au cours du délai de recours sans que la validité du bulletin en soit nécessairement affectée (Cour adm., 25 février 2016, n° 36612C).

Cette sanction doit être considérée comme répondant aux exigences du droit de l’Union européenne découlant du principe d’effectivité, étant donné qu’un détenteur de renseignements s’étant vu notifier une décision d’injonction dépourvue d’une indication de la finalité fiscale au vu de laquelle le directeur lui enjoint de fournir des renseignements ne se voit soumis au choix soit d’accepter la décision et d’y donner suite, soit de la contester en justice dans le délai légal d’un mois, qu’à partir du moment où il s’est vu communiquer séparément la finalité fiscale de la demande d’échange de renseignements étrangère.

En l’absence d’une disposition expresse dans la loi du 25 novembre 2014 érigeant l’annulation d’une décision d’injonction en tant que sanction pour le défaut de l’indication de la finalité fiscale à sa base, il y a partant lieu de conclure que ce défaut n’entraîne pas l’annulation de la décision d’injonction, mais que le délai légal de recours d’un mois, prévu par l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014, ne commence à courir qu’à partir du moment où le détenteur de renseignements aura obtenu une communication suffisante de la finalité fiscale justifiant la demande d’échange étrangère et partant la décision d’injonction prise à sa suite.

Ce moyen d’annulation de l’appelante qui a trait à la légalité externe de la décision d’injonction du 7 janvier 2022 est partant à écarter comme étant non fondé, sans qu’il y ait encore lieu de faire droit à la demande de saisine de la CJUE.

Quant à la légalité interne de la décision de l’injonction L’appelante invoque la violation de l’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 pour défaut de toute pertinence vraisemblable des informations demandées. Selon elle, ce serait à tort que les premiers juges auraient considéré que toutes les informations demandées par les autorités belges seraient vraisemblablement pertinentes eu égard à la finalité fiscale poursuivie.

Selon l’appelante, les premiers juges n’auraient pas tenu compte du fait qu’il n’y a pas de lien de participation directe entre elle et la société (CD).

L’appelante estime que s’il s’avérait que la société (AB), dont elle est l’actionnaire, n’est pas à considérer comme une société relais, alors la question de savoir si l’appelante elle-

même était à qualifier comme société relais ou non ne serait plus d’aucune pertinence. Ainsi, selon l’appelante, il aurait appartenu aux autorités fiscales belges de démontrer dans un premier temps si la société (AB) est une société relais et seulement après, le cas échéant, remonter et procéder aux vérifications par rapport à l’appelante.

Ensuite, l’appelante soutient que si le raisonnement du tribunal était admis, alors l’autorité étrangère compétente pourrait demander toutes les informations sans aucune limite afin de vérifier la réalité d’une activité économique.

Or, selon l’appelante, les informations sur le processus de prise de décision en interne, le mode de détention de ses bureaux, l’étendue du matériel informatique, le répertoire téléphonique interne, le nombre de personnes employées habitant en Belgique ou la personne responsable des ressources humaines ne seraient pas pertinentes pour déterminer si l’appelante est une société relais.

Dans le même ordre d’idées, l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir retenu que les informations concernant d’autres personnes que le contribuable visé seraient pertinentes afin de suivre le flux financier des dividendes distribués par la société belge (CD) à l’appelante.

Plus particulièrement, les questions suivantes seraient, d’après l’appelante, à écarter :

 la question du rendement sur investissement dans des immobilisations financières, seul le sort des dividendes reçus de la part de la société (AB) pouvant faire l’objet de la demande d’information ;

 la question concernant les participations que détient l’appelante, seule la participation détenue dans la société (AB) pouvant être qualifiée de vraisemblablement pertinente à l’exclusion de toutes les autres ;

 la question concernant les dividendes reçus et distribués par l’appelante, seuls les dividendes reçus ou distribués entre l’appelante et (CD) étant pertinents.

L’appelante relève que contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, les informations demandées concernant les flux financiers ne se limiteraient pas à ceux provenant du territoire belge.

Enfin, dans son mémoire supplémentaire, la partie appelante se prévaut d’un argument nouveau. Elle s’appuie sur l’avis rectificatif émis par les autorités fiscales belges à l’égard de la société (CD) en date du 25 août 2022 afin d’arguer que cet avis prouverait que les informations demandées sont toutes privées de pertinence vraisemblable. En effet, selon la partie appelante, le fait que les autorités fiscales belges auraient réussi à émettre cet avis rectificatif, sur base des informations qui étaient déjà disponibles publiquement, démontrerait que toutes les autres informations que les autorités fiscales belges ont demandées ne seraient pas nécessaires pour émettre l’avis rectificatif.

La partie étatique, pour sa part, estime que c’est à tort que l’appelante remet en cause la pertinence vraisemblable des renseignements demandés. La partie étatique rappelle qu’il suffirait qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements se révèlent pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante.

En outre, selon l’Etat, l’appelante et la société (AB) font partie du même groupe. Dès lors, l’envoi simultané des demandes d’informations aux deux sociétés serait pleinement justifié.

Selon l’Etat, la CJUE aurait déjà clarifié l’étendue des informations qui pourraient être demandées lorsqu’il s’agit de vérifier la qualité de bénéficiaire effectif afin de s’assurer que les avantages fiscaux prévus par la directive 2011/96/EU du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents et de la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associés d’Etats membres différents sont bien accordés seulement à des bénéficiaires effectifs des espèces de revenus couvertes par ces deux directives. La partie étatique conclut qu’en application de cette jurisprudence au cas d’espèce, les informations demandées par les autorités belges seraient toutes à considérer comme vraisemblablement pertinentes.

De plus, la partie étatique se prévaut de la prise de position des autorités fiscales belges concernant l’avis rectificatif émis à l’encontre de la société (CD), qu’elle-même avait sollicité suite au mémoire supplémentaire de l’appelante. Ainsi, les autorités fiscales belges auraient précisé que l’avis rectificatif a été émis sur base de présomptions et notamment de celle qui consiste à considérer le trust de Jersey comme le bénéficiaire effectif des dividendes payés par la société (CD). Or, les informations demandées pourraient soit confirmer ces présomptions et indices, soit au contraire les infirmer. Dès lors, selon les autorités belges, suivies par la partie étatique, l’ensemble des informations demandées resteraient pertinentes.

En ce qui concerne la détermination du but fiscal poursuivi par l’autorité étrangère, la Cour tient à rappeler que cette condition s’apprécie dans le cadre de la vérification de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

Quant à la notion de pertinence vraisemblable, il échet de relever que l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 dispose comme suit : « [à] la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».

Il est vrai que l’exécution du contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante avant la prise d’une décision d’injonction s’analyse en une protection essentielle dont le non-respect affecte la validité de la décision d’injonction (cf. Cour adm. 26 octobre 2017, n° 36893a, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1399).

Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16, qui le définit comme suit : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

La CJUE a précisé dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017 (Berlioz Investment Fund, aff. C-682/15) que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM (2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 » (point n° 67).

Dans le même arrêt, la CJUE a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge » (point n° 85) et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie » (point n° 86). La CJUE a confirmé le champ de ce contrôle juridictionnel par un arrêt du 6 octobre 2020 (CJUE, 6 octobre 2020, État luxembourgeois c. B et al., aff. jointes, C-245/19 et C-246/19, point n°116).

Ainsi, la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique que la demande d’échange de renseignements porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce, eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.

En l’espèce, la demande de renseignements contient l’indication du contribuable visé et la finalité fiscale des informations demandées. Cette dernière consiste en la vérification (i) de la qualité du bénéficiaire effectif, et (ii) de la réalité des activités économiques de l’appelante, qui sont des conditions nécessaires pour bénéficier de l’exemption du prélèvement du précompte mobilier sur les dividendes distribués par la société (CD) à l’appelante.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que d’un point de vue formel, la demande de renseignements des autorités belges, contient les informations légalement requises.

La Cour constate qu’il n’y a effectivement pas de lien actionnarial direct entre l’appelante et le contribuable visé par l’enquête des autorités belges. Toutefois, ces dernières ont précisé dans la demande d’information que lors de leur audit fiscal de la société (CD), ils ont constaté que « (AB) utilise les dividendes reçus [de la part de la société (CD)] pour ensuite payer des dividendes à (AG) NATIE GROUP SA qui à son tour, les utilise pour payer des dividendes à son actionnaire (EF) (Trustee : STM Fiduciaire Trustees limited), situé à Jersey. (cf. comptes annuels en annexe page 6).

Cette demande (conjointement avec la demande FRD/Ro/001277 relative à (AB)), vise à obtenir des informations qui permettent de vérifier par qui, où et comment les décisions ont été prises, de payer des dividendes à (EF) (Trustee : STM Fiduciaire Trustees Limited), et à obtenir également des informations qui permettent de vérifier la réalité des activités économiques dans le chef de (AG) en rapport avec les participation(s) qu'elle détient et de vérifier qui est le bénéficiaire effectif du paiement des dividendes par (CD). (…) ».

Le but des autorités belges est donc de pouvoir retracer les flux financiers des paiements de dividendes et de déterminer si le bénéficiaire effectif des dividendes payés par la société (CD) était (EF). Or, les dividendes et donc les flux financiers partant de la Belgique passent à la fois par la société (AB) et par l’appelante. Par conséquent, dans un souci d’efficacité de la procédure d’échange d’information et du poids d’un doublement de la procédure administrative que cela implique pour l’Etat requérant et l’Etat requis, une demande d’information simultanée pour les deux sociétés est dès lors justifiée.

De plus, en ce qui concerne le contour des renseignements qui peuvent être considérés comme vraisemblablement pertinents par rapport à un but fiscal ainsi circonscrit, les premiers juges ont valablement fait référence aux arrêts de la CJUE du 26 février 2019 (N Luxembourg 1, X Denmark A/S, C Danmark I, Z Denmark ApS, aff. jointes C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16, EU:C:2019:134 ; Skatteministeriet c. T Danmark et Y Denmark Aps, aff. jointes C‑116/16 et C‑117/16, EU:C:2019:134) qui fournissent des clarifications concernant la notion de bénéficiaire effectif, les caractéristiques d’une société relais et les indications objectives d’abus de droit.

Comme cela a été rappelé par les premiers juges, la CJUE a en effet estimé dans ces arrêts que peut être qualifiée de montage artificiel une structure purement formelle et ayant pour principal objectif ou pour l’un de ses objectifs principaux l’obtention d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, tel étant le cas notamment lorsque, grâce à une entité relais insérée dans la structure du groupe entre la société qui verse des dividendes ou des intérêts et la société du groupe qui en est le bénéficiaire effectif, le paiement d’impôts sur les dividendes ou les intérêts est évité. Ainsi, selon la CJUE, constitue un indice de l’existence d’un montage visant à bénéficier indûment de l’exonération des dividendes ou intérêts le fait qu’ils sont reversés, en totalité ou quasi-totalité et dans un délai très bref suivant leur perception, par la société qui les a perçus à des entités qui ne répondent pas aux conditions d’application de la directive pertinente. La CJUE a encore tracé les contours de l’examen à effectuer afin de vérifier si une société bénéficiaire de dividendes ou d’intérêts agit comme société relais en considérant que cette circonstance « peut être établie lorsque celle-ci a pour unique activité la perception des dividendes et la transmission de ceux-ci au bénéficiaire effectif ou à d’autres sociétés relais. L’absence d’activité économique effective doit, à cet égard, à la lumière des spécificités caractérisant l’activité économique en question, être déduite d’une analyse de l’ensemble des éléments pertinents relatifs, notamment, à la gestion de la société, à son bilan comptable, à la structure de ses coûts et aux frais réellement exposés, au personnel qu’elle emploie ainsi qu’aux locaux et à l’équipement dont elle dispose ». Elle a de même admis comme « indices d’un montage artificiel les différents contrats existant entre les sociétés impliquées dans les opérations financières en cause, donnant lieu à des flux financiers intragroupes, les modalités de financement des opérations, l’évaluation des fonds propres des sociétés intermédiaires, ainsi que l’absence de pouvoir des sociétés relais de disposer économiquement des dividendes perçus » (arrêt du 26 février 2019, Skatteministeriet c. T Danmark et Y Denmark Aps, aff. jointes C‑116/16 et C‑117/16, EU:C:2019:134, considérants 100 à 105 ; les mêmes principes sont repris dans le second arrêt sous les considérants 127 à 132).

L’appelante reproche aux premiers juges d’avoir admis la pertinence vraisemblable des informations concernant son organisation interne et son infrastructure (et notamment ce qui a trait à la prise de décisions en interne, le mode de détention de ses bureaux, l’étendue du matériel informatique, le répertoire téléphonique interne, le nombre de personnes employées en Belgique ou la personne responsable des ressources humaines). Selon l’appelante, ces informations ne seraient aucunement pertinentes pour déterminer si elle est une société relais.

Toutefois, la Cour se rallie à l’appréciation des premiers juges qui ont conclu que ces informations paraissent vraisemblablement pertinentes afin de clarifier la question de savoir si l’appelante constitue une société relais, puisque ces questions tendent de manière générale à clarifier l’existence ou non d’une activité économique réelle au Luxembourg par référence à la fois aux locaux, à la gestion, à l’activité exercée et à la présence de salariés au Luxembourg.

Pareillement, comme le tribunal l’a reconnu à juste titre, les questions relatives aux flux financiers, qui recouvrent les informations sur les rendements sur les investissements dans des immobilisations financières, aux dividendes versés, aux revenus perçus de différents actifs, permettent de retracer les flux financiers sous forme de dividendes partant de la société (CD) vers le bénéficiaire effectif présumé ((EF)) en passant par la société de droit luxembourgeois (AB) et l’appelante, qui sont soupçonnées, par les autorités fiscales belges, d’être des sociétés sans activité réelle au Luxembourg.

Dès lors, si les renseignements demandés dans la décision d’injonction litigieuse visent certes de manière très poussée et détaillée l’appelante-même en ce qui concerne son établissement au Luxembourg, son actif, sa gestion et les opérations qu’elle a effectuées durant les années visées, les développements ci-avant repris dans les arrêts prévisés de la CJUE du 26 février 2019, concernant le champ des vérifications qu’une administration fiscale d’un Etat membre est autorisée à effectuer afin de s’assurer que les avantages d’ordre fiscal prévus par les directives 2011/96/EU et 2003/49/CE, précitées - en l’occurrence une exonération d’une retenue à la source devant en principe être prélevée par la société distributrice - sont accordés seulement à des bénéficiaires effectifs établis dans un autre Etat membre qui y ont droit et non à des montages purement artificiels, entraînent cependant que les différents postes de renseignements demandés par les autorités belges se rattachent à ces différents volets des vérifications admissibles par les autorités fiscales de l’Etat membre de source. Au vu du champ de contrôle limité à exercer par l’autorité compétente et, à sa suite, le juge compétent saisi dans l’Etat requis, ces renseignements ne sauraient se voir valablement dénier la qualification de la pertinence vraisemblable dans le cadre de l’enquête de l’autorité belge portant sur l’application ou non du précompte mobilier par la société (CD) aux paiements de dividendes en faveur de l’appelante.

Il y a dès lors lieu d’admettre que tous les renseignements sollicités par les autorités belges peuvent être considérés comme vraisemblablement pertinents dans le contexte de l’imposition de la société (CD), personne morale de droit belge, afin de savoir si celle-ci s’est abstenue à juste titre de prélever le précompte mobilier en Belgique sur les dividendes payés par elle ou si le bénéficiaire effectif de ces paiements a usé de plusieurs structures interposées dans le seul but de se voir octroyer cette exonération, et, dans l’affirmative, pour établir le montant des impôts éludés.

En ce qui concerne le moyen nouveau de l’appelante fondé sur l’avis rectificatif émis par les autorités fiscales belges à l’égard de la société (CD) en date du 25 août 2022, l’Etat se prévaut légitimement de la prise de position des autorités fiscales belges dont il se dégage clairement que cet avis ne constitue pas une décision d’imposition, mais seulement une information préalable au contribuable sur base des éléments d’information déjà rassemblés afin de lui permettre de prendre position et que les informations demandées pourraient soit confirmer ces présomptions, soit au contraire les infirmer. L’envoi de cet avis rectificatif à la société (CD) n’est partant pas de nature à affecter la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités de la part de l’appelante à travers la décision d’injonction déférée, antérieure en date.

Par voie de conséquence, la Cour rejoint le tribunal dans sa conclusion suivant laquelle la décision d’injonction du 7 janvier 2022 requiert de la part de l’appelante des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné, et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie, de manière que ladite décision suffit dans son intégralité au critère de la pertinence vraisemblable pour le cas d’imposition en cause. C’est partant à bon droit que le tribunal a reconnu que la décision d’injonction doit être considérée comme ayant été valablement émise à l’égard de l’appelante.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel sous examen laisse d’être justifié en en aucun de ses moyens, de manière que l’appelante en est à débouter et que le jugement a quo est à confirmer.

Quant à l’indemnité de procédure de 5.000 euros réclamée par l’appelante, il échet de relever que compte tenu de la confirmation intégrale du jugement entrepris par la Cour et partant de la validité de la décision d’injonction du 7 janvier 2022, il n’apparaît pas comme étant inéquitable de laisser à charge de l’appelante les frais irrépétibles non inclus dans les dépens, de sorte que sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 22 juillet 2022 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute la société anonyme (AG), partant, confirme le jugement entrepris du 7 juillet 2022, rejette la demande de la société anonyme (AG) en allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, condamne la société anonyme (AG) aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 17 novembre 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 novembre 2022 Le greffier de la Cour administrative 16



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 17/11/2022
Date de l'import : 23/11/2022

Numérotation
Numéro d'arrêt : 47734C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-11-17;47734c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award