N° 118 / 2022 du 13.10.2022 Numéro CAS-2021-00121 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, treize octobre deux mille vingt-deux.
Composition:
MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT6.), premier avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.
Entre:
1) PERSONNE1.), 2) PERSONNE2.), 3) PERSONNE3.), les trois demeurant à F-ADRESSE1.), demanderesses en cassation, comparant par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:
PERSONNE4.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant initialement par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour, actuellement par Maître AVOCAT3.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, demeurant à Luxembourg.
Vu l’arrêt attaqué, numéro 142/21-II-CIV, rendu le 7 juillet 2021 sous le numéro 29865 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 27 octobre 2021 par PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) (ci-après « les consorts GROUPE1.) ») à PERSONNE4.), déposé le 28 octobre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 16 décembre 2021 par PERSONNE4.) aux consorts SCHIOCCHET, déposé le 21 décembre 2021 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général MAGISTRAT7.).
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la Cour d’appel, statuant en continuation d’un arrêt précédent ayant institué une mesure d’instruction par expertise aux fins de déterminer la valeur d’un immeuble au jour de la vente sous seing privé appartenant au défendeur en cassation, après avoir donné acte aux consorts GROUPE1.) qu’ils renoncent au moyen de la compensation judiciaire entre le supplément de prix à payer par eux et la créance dont ils se prévalent au titre de l’astreinte ayant couru depuis le jugement du 8 mars 2001 et qu’ils se réservent le droit d’opposer le moyen de la compensation légale entre les prédites créances, et après avoir constaté qu’ils ont, par conclusions du 15 janvier 2010, fait le choix de garder l’immeuble sis à ADRESSE3.) en offrant de payer le supplément du juste prix sous la déduction du dixième du prix total, offre que PERSONNE4.) a acceptée par conclusions du 12 avril 2012, ont institué une nouvelle mesure d’instruction aux fins de déterminer la valeur de l’immeuble au jour du paiement du supplément du prix à payer par les demanderesses en cassation.
Sur la recevabilité du pourvoi L’article 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose en ses alinéas 2 et 3, « Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal.
Il en est de même lorsque l’arrêt ou le jugement rendu en dernier ressort qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure met fin à l’instance. ».
En donnant, d’une part, acte aux consorts GROUPE1.) qu’ils renoncent au moyen de la compensation judiciaire entre le supplément de prix à payer par eux et la créance dont ils se prévalent au titre de l’astreinte ayant couru depuis le jugement du 8 mars 2001 et qu’ils se réservent le droit d’opposer le moyen de la compensation légale entre les prédites créances, et après avoir constaté qu’ils ont, par conclusions du 15 janvier 2010, fait le choix de garder l’immeuble sis à ADRESSE3.) en offrant de payer le supplément du juste prix sous la déduction du dixième du prix total, offre que PERSONNE4.) a acceptée par conclusions du 12 avril 2012, et, d’autre part, institué une nouvelle mesure d’instruction aux fins de déterminer la valeur de l’immeuble au jour du paiement du supplément du prix à payer par les demanderesses en cassation, la Cour d’appel n’a ni tranché, dans le dispositif de l’arrêt attaqué, tout le principal ou une partie du principal, ni rendu une décision qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure, a mis fin à l’instance.
Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Les demanderesses en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leur demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
déclare le pourvoi irrecevable ;
condamne les demanderesses en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître AVOCAT3.), avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller MAGISTRAT2.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT6.) et du greffier GREFFIER1.).
Monsieur le Président MAGISTRAT1.), qui a participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.
Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre 1. PERSONNE1.) 2. PERSONNE2.) 3. PERSONNE3.) et PERSONNE4.) (n° CAS-2021-00121 du registre) Par mémoire signifié le 27 octobre 2021 à PERSONNE4.) et déposé le 28 octobre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, agissant pour le compte de PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) (ci-après les « consorts GROUPE1.) »), a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt n° 142/21 rendu contradictoirement le 7 juillet 2021 par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous le numéro 29865 du rôle.
Sur la recevabilité du pourvoi :
L’article 3, alinéa 2 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation est libellé comme suit :
« Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal. » L’alinéa 3 y rajoute que :
« Il en est de même lorsque l’arrêt ou le jugement rendu en dernier ressort qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure met fin à l’instance. » Ces dispositions ont été introduites dans la loi du 18 février 1885 par une loi modificative du 25 juin 2004. L’objectif de la loi modificative était de reprendre pour la recevabilité du pourvoi en cassation les mêmes règles que celles éditées à l’article 579 du Nouveau code de procédure civile1 pour la recevabilité de l’appel et d’uniformiser ainsi les deux régimes sur ce point2.
Les dispositions de l’article 3, alinéas 2 et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 traduisent le principe que le pourvoi en cassation n’est ouvert que contre une décision de justice qui contient une disposition définitive. Il faut ainsi que la décision rendue en dernier ressort contre laquelle le pourvoir est dirigé, soit tranche dans son dispositif tout ou, au moins, une partie du principal, soit mette fin à l’instance par l’admission d’une exception de procédure, d’une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure.
Une décision qui ne suffit pas à ces critères est qualifiée de décision avant dire droit contre laquelle le pourvoi est différé : il n’est ouvert qu’en même temps que le pourvoi contre la décision rendue sur le fond3.
Pour déterminer si la décision est définitive, l’article 3, alinéa 2 précité invite les parties à se référer au seul dispositif de cette décision. En effet, depuis la réforme du Code de procédure civile entreprise par le règlement grand-ducal du 22 août 19854 ayant introduit dans ce code les dispositions de l’actuel article 579 du Nouveau code de procédure civile, les motifs décisoires caractérisant les jugements interlocutoires ne sont plus admis. Seul compte désormais le fond du litige qui a fait l’objet dans le dispositif d’une décision formelle et explicite5. Il en est de même en France où toutes les chambres de la Cour de cassation se sont nettement prononcées en faveur d’un strict respect du dispositif pour fixer l’étendue de la chose jugée et l’assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé cette décision6. Désormais, les motifs 1 L’article 579 du Nouveau code de procédure civile dispose comme suit : « Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance. » 2 Doc. parl. n° 5213, p. 8 et 9.
3 BORE, La cassation en matière civile, 5ème édition 2015/2016, n°s 34.04 et 34.92.
4 Mémorial A n° 40 du 29 août 1985.
5 Cass. 26 février 1998, Pas. 30, p. 417.
6 BORE, précité, n°s 31.55 et 34.12.
décisoires ne peuvent plus contenir la décision, mais se bornent à éclairer l’étendue de la chose jugée par le dispositif7.
En l’espèce, dans le dispositif de l’arrêt entrepris est libellé comme suit :
« PAR CES MOTIFS la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement et en continuation des arrêts des 10 mai 2006 et 14 octobre 2009, vu l’article 2 de la loi du 19 décembre 2020, donne acte à PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.), agissant tant en leur nom personnel qu’en tant qu’héritiers ayant repris l’instance introduite par leur frère PERSONNE5.), décédé, qu’ils renoncent au moyen de la compensation judiciaire entre le supplément de prix à payer par eux et la créance dont ils se prévalent au titre de l’astreinte ayant couru depuis le jugement du 8 mars 2001 et qu’ils se réservent le droit d’opposer le moyen de la compensation légale entre les prédites créances, constate que les acquéreurs PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.), agissant tant en leur nom personnel qu’en tant qu’héritiers ayant repris l’instance introduite par leur frère PERSONNE5.), décédé, ont, par conclusions du 15 janvier 2010, fait le choix de garder l’immeuble sis à ADRESSE3.) en offrant de payer le supplément du juste prix sous la déduction du dixième du prix total, offre que PERSONNE4.) a acceptée par conclusions du 12 avril 2012, avant tout autre progrès en cause, renvoie le dossier devant un collège d’experts composé de EXPERT1.), EXPERT2.) et EXPERT3.) avec la mission de concilier si faire se peut, sinon dans un rapport commun complémentaire, écrit et motivé, formulant un seul avis à la pluralité de voix, de déterminer la valeur actuelle de l’immeuble cédé suivant compromis de vente du 10 décembre 1999 et évalué à cette date au montant de 3.500.000 LUF, soit 86.762,73 euros, cette actualisation étant à faire à une date aussi proche que possible du 15 juillet 2021, ordonne à PERSONNE4.) de payer dans le mois du prononcé de l’arrêt à chaque expert une provision de 500 euros à valoir sur la rémunération de l’expert et d’en justifier au greffe de la Cour, sous peine de poursuite de l’instance selon les dispositions de l’article 468 du nouveau code de procédure civile, 7 Idem, n° 34.12.
dit que les experts devront déposer leur rapport au greffe de la Cour d’appel pour le 1er novembre 2021 au plus tard, réserve la demande de PERSONNE4.) en remboursement des frais d’avocat exposés et les demandes respectives des parties en octroi d’une indemnité de procédure, de même que les frais et dépens. » Il en découle que dans son dispositif, l’arrêt entrepris s’est limité, d’une part, à donner acte aux consorts GROUPE1.) qu’ils renoncent au moyen de la compensation judiciaire et qu’ils choisissent, en application de l’article 1681 du Code civil, de garder l’immeuble en offrant de payer le supplément du juste prix, et, d’autre part, en rapport avec la demande de PERSONNE4.) de voir réactualiser le supplément de prix, à ordonner une mesure d’instruction ayant pour objet de déterminer la valeur actuelle de l’immeuble cédé.
Il est relevé que les jugements de donné-acte ne sont pas attaquables par la voie du recours en cassation8. Ces jugements en effet contiennent une simple constatation et non point de décision consacrant la reconnaissance d’un droit au profit de l’une et à l’encontre de l’autre partie, de sorte que l’accord constaté dans un jugement de donné-
acte n’est pas mis à néant par l’annulation du jugement9.
Reste la mesure d’instruction ordonnée par l’arrêt entrepris. Or, aux termes de l’article 3, alinéa 2 de la loi modifiée du 18 février 1885 précité, un arrêt ordonnant une mesure d’instruction ne peut être déféré devant la Cour de cassation que dans la mesure où il tranche en même temps une partie du principal.
En l’espèce, l’arrêt entrepris ne tranche rien au principal dans son dispositif.
De même, l’arrêt n° 144/21 du 7 juillet 2021 rendu par la Cour d’appel entre les mêmes parties dans le cadre du même litige et entrepris par le pourvoi n° CAS-2021-
00121 ne toise pas non plus au fond la demande de PERSONNE4.) de voir réactualiser le supplément de prix à payer par les consorts GROUPE1.).
Il en suit que le pourvoi formé par les consorts SCHIOCCHET est irrecevable pour être prématuré.
8 BORE, précité, n° 31.71.
9 Idem.
Conclusion Le pourvoi est irrecevable.
Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, MAGISTRAT7.) 8