La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2022 | LUXEMBOURG | N°111/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 07 juillet 2022, 111/22


N° 111 / 2022 du 07.07.2022 Numéro CAS-2021-00105 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, sept juillet deux mille vingt-deux.

Composition:

Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, président, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, John PETRY, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la sociét

é à responsabilité limitée L), déclarée en état de faillite suivant jugement du tribunal d’...

N° 111 / 2022 du 07.07.2022 Numéro CAS-2021-00105 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, sept juillet deux mille vingt-deux.

Composition:

Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, président, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, John PETRY, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limitée L), déclarée en état de faillite suivant jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 2 mai 2022, représentée par son curateur Maître Laurent BIZZOTTO, avocat à la Cour, demanderesse en cassation, comparant par Maître Laurent BIZZOTTO, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société de droit anglais V) Plc, défenderesse en cassation, comparant initialement par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, actuellement par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la société de droit bulgare C) AD, actuellement en faillite, défenderesse en cassation, comparant par Maître Marc KERGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) la société anonyme X) (LUXEMBOURG), en liquidation volontaire, 4) la société anonyme X) (LUXEMBOURG), en liquidation volontaire, prise en sa qualité d’ayant droit à titre universel de la société à responsabilité limitée dissoute Y), défenderesses en cassation, comparant initialement par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, actuellement par la société à responsabilité limitée M&S Law, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Joram MOYAL, avocat à la Cour, 5) la société à responsabilité limitée Z), défenderesse en cassation.

____________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 108/21 - VII, rendu le 7 juillet 2021 sous le numéro CAL-2021-00212 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant comme en matière de référés sur base de l’article 685-4 du Nouveau Code de procédure civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 13 septembre 2021 par la société à responsabilité limitée L) (ci-après « la société L)») à la société de droit bulgare C) AD (ci-après « la société C) »), à la société de droit anglais V) Plc (ci-après « la société V) »), à la société à responsabilité limitée Z) (ci-après « la société Z) »), à la société anonyme X) (LUXEMBOURG) et à la société à responsabilité limitée Y) (les deux ci-après « la société X) »), déposé le 14 septembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 10 novembre 2021 par la société V) à la société L), déposé le 11 novembre 2021 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 5 novembre 2021 par la société C) à la société L), déposé le 15 novembre 2021 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 12 novembre 2021 par la société X) à la société L), déposé le 15 novembre 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme en matière de référés, avait déclaré irrecevable la demande de la société L) tendant à voir refuser la reconnaissance, au sens des dispositions du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après « le règlement »), d’un jugement rendu par le tribunal de Sofia entre les sociétés C) et Z).

La Cour d’appel a confirmé cette ordonnance.

Sur les deux moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « tiré de la violation des articles 89 de la constitution et de l'article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, en ce que la Cour d'Appel a dit l'appel irrecevable pour défaut de qualité à agir dans le chef de la partie demanderesse en cassation sans avoir répondu à l'intégralité des conclusions formulées par elle et notamment au moyen tiré de la demande de renvoi préjudiciel formulée à la note de plaidoiries déposée par le mandataire soussigné de la demanderesse en cassation lors des plaidoiries d'appel, alors qu'en ignorant sa demande de poser une question préjudicielle quant à l'interprétation de l'article 45, 1. a) du règlement Bruxelles I bis, la Cour a omis de répondre aux conclusions de la demanderesse en cassation et a violé son obligation de motiver sa décision. ».

et le second, « tiré de la violation de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en ce que la Cour d'Appel a ignoré la demande de la société L) de poser une question préjudicielle à la CJUE quant à l'interprétation à donner à la notion de partie intéressée » au sens de l'article 45,1 du règlement UE No1215/2012, et de fait n'a pas donné de motivation à son refus de poser une question préjudicielle, alors qu'en ignorant sa demande de poser une question préjudicielle quant à l'interprétation de l'article 45, 1. a) du règlement Bruxelles I bis, la Cour a violé les exigences posées par l'article 6 § 1er de la CEHD relatif au procès équitable. ».

Réponse de la Cour Les juges d’appel, qui ont confirmé la décision de première instance au motif que la demanderesse en cassation ne pouvait pas se prévaloir d’un intérêt à agir né et actuel, n’avaient pas à se prononcer en outre sur la question de savoir si elle devait être considérée comme partie intéressée au sens des dispositions de l’article 45, paragraphe 1, du règlement et étaient, de ce fait, dispensés de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur la signification à donner à cette notion.

Il s’ensuit que les deux moyens sont inopérants.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge des sociétés V) et X) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chacune d’elles une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer aux défenderesses en cassation la société de droit anglais V) Plc et la société anonyme X) (LUXEMBOURG) une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Pol URBANY, de Maître Marc KERGER et de la société à responsabilité limitée M&S Law, sur leurs affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Serge THILL en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois L) contre la société de droit bulgare C) AD actuellement en faillite, la société de droit anglais V) PLC, la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois Z), la société anonyme de droit luxembourgeois X) prise en sa qualité d’ayant-droit à titre universel de la société Y) s.àr.l. actuellement dissoute Le pourvoi en cassation, introduit par la société à responsabilité limitée L) (ci-après «L) ») par un mémoire en cassation signifié le 13 septembre 2021 aux parties défenderesses en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 14 septembre 2021, est dirigé contre un arrêt n°108/21 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 7 juillet 2021 (n° CAL-2021-00212 du rôle). Cet arrêt a été signifié à la partie demanderesse en cassation en date du 14 juillet 2021.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse en cassation V) a signifié un mémoire en réponse le 10 novembre 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 11 novembre 2021.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

La partie défenderesse en cassation C) a signifié un mémoire en réponse le 5 novembre 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 15 novembre 2021.1 Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

La partie défenderesse en cassation X) a signifié un mémoire en réponse le 12 novembre 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 15 novembre 2021.

1 Le délai a expiré le 13 novembre 2021. Comme le dies ad quem était un samedi, ce délai a été prolongé de façon à englober le premier jour ouvrable qui suit, conformément à l’article 5 de la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle le 16 mai 1972 et approuvée au Luxembourg par une loi du 30 mai 1984 (Mémorial 1984, 923) Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

Par exploit d’huissier de justice du 20 avril 2020, la société L) a fait donner assignation à la société de droit bulgare C) AD (ci-après C)), la société de droit anglais V) PLC (ci-après V)C), la société à responsabilité limitée Z) s.à r.l. (ci-après Z)), la société anonyme X) (LUXEMBOURG) S.A. et la société à responsabilité limitée Y) s.à r.l. à comparaître devant le Président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme en matière de référés, pour voir constater que la reconnaissance, au sens des dispositions du Règlement (UE) n° 1215° du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après règlement Bruxelles I bis) du jugement rendu par le tribunal de Sofia, chambre de commerce en date du 3 décembre 2018 dans la cause entre C) et Z) (ci-après le jugement du tribunal de Sofia) est contraire à l’ordre public et, en application de l’article 45, 1. a) du règlement Bruxelles I bis, voir refuser la reconnaissance dudit jugement.

L) a demandé encore la condamnation de C) à lui payer une indemnité de procédure de 25.000 euros.

A l’appui de sa demande, L) a exposé être actionnaire indirect de Z), par le biais d’une participation de 43,3% du capital social qu’elle détenait dans la société V) S.C.A., qui détenait elle-même l’intégralité du capital social de Z).

Elle a exposé que le jugement du tribunal de Sofia, ayant condamné Z) à payer à C) la somme principale de 125.000.000 euros ainsi que les frais de justice, ferait partie d’un stratagème ayant conduit à des dommages subis par Z), résultant dans le transfert fictif et frauduleux de son actif, à savoir la détention de 100% dans le plus grand réseau de télécommunications en Bulgarie connu sous le nom de X), détenu à l’époque par Z), et transféré, à l’issue d’une sous-évaluation brute, lors d’une vente aux enchères fictive et frauduleuse, impliquant les sociétés V) et X).

L) a fait valoir que C), par la procédure ayant abouti au jugement du tribunal de Sofia, tenterait de s’approprier une partie du solde du produit de la prédite vente aux enchères fictive organisée par V) de sorte que L) aurait un intérêt, en qualité de tiers intéressé, à s’opposer à la reconnaissance dudit jugement au Grand-Duché de Luxembourg, en application de l’article 45, 1. a) du règlement Bruxelles I bis.

La demande de L) était basée sur l’article 685-4 du NCPC.

Les parties défenderesses ont soulevé en première instance le défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société L), en soutenant que la partie demanderesse ne justifiait pas d’un intérêt légitime, né et actuel, direct et personnel au moment où il a formé sa demande.

Elles ont également fait valoir que L) ne serait pas à considérer comme partie « intéressée » au sens de l’article 45,1. a) du Règlement Bruxelles I bis, L) n’ayant pas été partie à la procédure bulgare ayant donné lieu au jugement de Sofia.

Elles ont encore fait valoir que la créance consacrée par le jugement de Sofia au profit de C) serait éteinte suite à l’exécution du Third Party Debt Order (ci-après « TPDO ») délivré le 26 février 2020 par la High Court of justice, Queen’s Bench Division, de sorte que C) avait déclaré ne plus avoir de revendications à l’égard de Z).

Les débats ont été limités à la seule question de la recevabilité de la demande de L).

Par ordonnance du 25 novembre 2020, le Président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme en matière de référés, sur base de l’article 685-4 du NCPC a déclaré la demande irrecevable et a rejeté la demande en allocation d’une indemnité de procédure de L), la condamnant à payer à C), à V) PLC et à Z) la somme de 2.500 euros chacune à titre d’indemnité de procédure ainsi que la somme de 1.250 euros à X) et à la société Y).

L) a relevé appel de cette ordonnance par acte d’huissier de justice du 24 décembre 2020, saisissant la Cour siégeant comme en matière de référé en application des dispositions de l’article 685-4 du NCPC.

Par arrêt rendu en date du 7 juillet 2021, la Cour d’appel a dit l’appel recevable, mais non fondé et a confirmé l’ordonnance entreprise en condamnant la société L) à payer à C), à V), à Z) et à X) une indemnité de procédure de 2.500 euros chacune et en condamnant L) aux frais et dépens.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation:

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation des articles 89 de la Constitution et de l’article 249, alinéa 1er, du Nouveau code de procédure civile pour défaut de réponse à conclusions. Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir omis de répondre à la demande de renvoi préjudiciel formulée à la note de plaidoiries déposée par la partie demanderesse en cassation lors des plaidoiries en instance d’appel.

La demanderesse en cassation ne précise pas autrement ses conclusions prises en instance d’appel et elle ne cite pas les conclusions visées au moyen, de sorte que la formulation du moyen manque de précision.2 A la page 10 de la pièce n°4 soumise par la demanderesse en cassation à votre Cour, intitulée «Note de plaidoiries », figure une rubrique « 4.2 Exception préjudicielle sur la notion de partie intéressée », dans laquelle le mandataire de L) cite les deux premiers alinéas de l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après « TFUE ») :

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. » 2 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°77.231, page 423 La note poursuit : « La partie L) suggère vivement que la Cour saisisse la CJUE d’une question préjudicielle relative à l’interprétation des dispositions de l’article 45 du Règlement UE n° 1215/2012 et notamment de la notion de « toute partie intéressée » ».

A la page 11 de la note, 5e alinéa, il est répété qu’il s’agit d’une « suggestion ».

Il est de jurisprudence constante que les juges du fond ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation3, et ils ne sont sûrement pas tenus de fournir une réponse motivée à des suggestions qui ne sont pas formulées de manière claire et précise.

S’y ajoute que, pour les juridictions inférieures dont les décisions sont susceptibles de recours, la saisine de la CJUE ne constitue qu’une faculté (« peut »), tandis que pour les juridictions suprêmes dont les décisions ne susceptibles d’aucun recours, il s’agit d’une obligation. 4 S’agissant d’une faculté, les juridictions inférieures peuvent décider de manière discrétionnaire de ne pas saisir la CJUE.5 Le pouvoir discrétionnaire comporte pour le juge la dispense de motiver sa décision.6 Le moyen n’est pas fondé.

Subsidiairement :

La Cour d’appel a confirmé l’ordonnance entreprise pour les motifs suivants :

« La Cour fait siens les développements du juge de première instance suivant lesquels l’intérêt à agir doit être analysé au niveau de la recevabilité de l’action et non au regard du bien-fondé du droit allégué.

En effet, celui qui forme une demande en justice doit justifier d’un intérêt; si l’exercice d’une action n’est pas susceptible d’offrir une certaine utilité à celui qui en prend l’initiative, la demande doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le bien-fondé de la demande pour défaut d’intérêt à agir (SOLUS et R. PERROT Droit judiciaire privé Tome 1, Sirey,1961, p198).

La subordination de la recevabilité de l’action en justice à un intérêt à agir est l’instrument essentiel de lutte contre l’encombrement des juridictions et constitue aussi un instrument de protection des parties, notamment contre l’immixtion de tiers dans leurs affaires personnelles.

Si certains auteurs ont souligné que l’accès limité au recours contre l’exécution des décisions étrangères (réservé aux personnes contre lesquelles le jugement est exécuté) tranche avec le 3 ibidem, n°77.2014, page 421 4 Article 267, alinéa 3, TFUE : « Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. » 5 DALLOZ Etudiant- Actualité: Sur le renvoi préjudiciel devant la CJUE (29 septembre 2011) observations sur deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme du 20 septembre 2011 Ullens de Schooten et Rezabek c Belgique, n° 3989/07 et 3853/07 6 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°66.33, page 321 libéralisme de l’accès au recours contre leur reconnaissance, l’article 45 §1 du règlement Bruxelles I bis ouvrant la procédure de refus de reconnaissance de la décision étrangère à «toute partie intéressée » et en ont déduit qu’une action en contestation de reconnaissance semblerait devoir être ouverte aux tiers intéressés, créanciers ou détenteurs de fonds (cf Rev.crit. de droit international privé 2016.516. Gilles Cuniberti- Roger Tafotie), il n’en demeure pas moins que ces tiers intéressés doivent justifier d’un intérêt né et actuel, l’office du juge étant de trancher des litiges, autrement dit des conflits patents avérés et non de donner des consultations juridiques sur des questions abstraites ou d’énoncer des règles de droit en dehors de tout contentieux.

Dans ce contexte, le juge de première instance a relevé à juste titre - que le jugement de Sofia a déjà été exécuté contre Z), V) ayant payé suite au TPDO du 5 mai 2020 à C) le montant de 106.781.576,87 GBP, -qu’en sa qualité d’actionnaire indirect de Z), L) (qui ne détient que 43,3 % des parts de la SCA V qui détient elle-même 100 % des parts de Z)) ne saurait être directement affectée par l’exécution du jugement de Sofia sur Z), à supposer que C) entende exécuter le jugement de Sofia contre Z) au Luxembourg pour le solde de la créance de C) (ce que C) a contredit à l’audience).

En droit luxembourgeois l’amoindrissement du patrimoine social ne peut en effet constituer le préjudice subi par l’associé et le préjudice individuel réparable est celui qui affecte directement le patrimoine de l’actionnaire sans impliquer en même temps un appauvrissement du patrimoine de la société. L’actionnaire n’est donc pas en droit d’invoquer le préjudice par ricochet qu’il subit par suite d’une atteinte au patrimoine de la société dont il est actionnaire.

L’arrêt du 30 septembre 2010 van Heuckelom/Europol (F-43/09) cité par l’appelante, rendu dans le contexte totalement différent d’un agent qui contestait une décision du directeur d’Europol qui ne lui avait accordé qu’un avancement d’un échelon alors qu’il estimait en mériter deux, n’est d’aucune pertinence pour la présente espèce.

-que les actions en responsabilité contre certains membres du conseil d’administration de Z) et l’action en annulation du conseil de gérance de Z) du 11 mars 2020 invoquées par l’appelante ne peuvent en tout état de cause être prises en considération pour justifier un éventuel intérêt à agir de L), dans la mesure où elles sont postérieures à l’introduction de la demande en refus de reconnaissance, puisque l’intérêt à agir s’apprécie au jour de la demande en justice.

Il découle de l’ensemble de ces constatations que c’est à bon droit que le juge des référés a retenu que L) n’a pas justifié d’un intérêt né et actuel pour introduire une demande de refus de reconnaissance du jugement rendu par le tribunal de Sofia chambre de commerce en date du 3 décembre 2018 dans la cause entre C) et Z).

Le jugement entrepris est partant à confirmer en ce qu’il a dit la demande de L) irrecevable. » S’il est vrai que la Cour d’appel a relevé qu’en tant qu’actionnaire indirect de Z), L) ne saurait être directement affectée par l’exécution du jugement de Sofia, il ne s’agit que d’un élément parmi d’autres. Pour conclure à l’absence d’intérêt né et actuel, la Cour d’appel a encore relevé la circonstance que les actions en responsabilité et en annulation invoquées par L) ont été introduites postérieurement à la demande en refus de reconnaissance du jugement de Sofia, mais que l’intérêt à agir s’apprécie au jour de la demande en justice, et elle a encore relevé l’extinction de la créance découlant du jugement de Sofia moyennant l’exécution du TPDO du 5 mai 2020.

Il découle de cette motivation que la question de savoir si L), en tant qu’actionnaire indirect, pouvait être considéré comme « une partie intéressée » au sens de l’article 45,1. a) du règlement de Bruxelles I bis restait sans incidence sur la solution du litige.

Le moyen est inopérant.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris qu’en ignorant la demande de la société L) de poser une question préjudicielle à la CJUE quant à l’interprétation à donner à la notion de « partie intéressée » au sens de l’article 45,1. a) du règlement de Bruxelles I bis, les juges d’appel auraient privé L) de son droit à un procès équitable.

De nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « CEDH ») ont trait à absence de motivation du refus de renvoi préjudiciel en interprétation par une juridiction nationale.

La Cour a dégagé les principes dans l’arrêt Ullens de Schooten contre Belgique 7 qu’il est permis de considérer comme arrêt de principe.

Ces principes ont été repris dans la décision Vergauwen contre Belgique 8, ainsi que dans les rares arrêts constatant des violations, notamment Dhabi contre Italie9, Schipani contre Italie10, Baltic Master LTD contre Lituanie11 et Sanofi Pasteur contre France12.

Il découle de ces arrêts que, dans le cadre spécifique du troisième alinéa de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (l’actuel article 267 du TFUE), les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont tenues, lorsqu’elles refusent de saisir la CJUE à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation du droit de l’UE soulevée devant elles, de motiver leur refus au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la CJUE (les trois critères dégagés dans l’arrêt Cilfit).

Par contre, la jurisprudence de la CEDH n’impose pas d’obligation de motiver un tel refus lorsqu’il s’agit de décisions émanant d’une juridiction nationale dont les décisions sont susceptibles de recours.

Dans la décision John against Germany13, la Cour a jugé que, puisque la cour d’appel de Hambourg n’avait pas d’obligation au titre de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (l’actuel article 267 du TFUE) de référer une question à la CJUE, son refus ne pouvait soulever aucune question au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

7 CEDH 20/09/2011, n°3989/07 8 CEDH 10/04/2012, n°4832/04 (décision d’irrecevabilité- requête manifestement mal fondée) 9 CEDH 08/04/2014, n° 17120/09 10 CEDH 15/07/2015, n°38369/09 11 CEDH 16/04/2019, n° 55092/16 12 CEDH 13/02/2020, n° 25137/16 13 CEDH 13/02/2007, n° 15073/03 (decision d’irrecevabilité); cité dans : JT n° 6492-32/2012, Observations-

Renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne et droit à un procès équitable, page 675 Dans une décision Quintanel contre la France et 14 autres requêtes14, la CEDH a constaté, concernant les renvois préjudiciels refusés par les tribunaux administratifs et par les cours administratives d’appel, « que ces juridictions n’étaient pas tenues par une obligation de renvoi au titre de l’article 267 TFUE. L’article 6§1 de la Convention ne leur imposait donc pas de motiver leurs refus de renvoi. » En l’espèce, la Cour d’appel, dont les décisions sont susceptibles d’un pourvoi en cassation, avait la faculté de saisir la CJUE d’un renvoi préjudiciel conformément à l’alinéa 2 de l’article 267 TFUE.

En l’absence d’une obligation de renvoi pesant sur les juges d’appel, ils n’étaient pas tenus de motiver leur choix de ne pas ordonner de renvoi préjudiciel.

Le deuxième moyen n’est pas fondé.

Subsidiairement :

Tel qu’exposé dans le cadre du premier moyen, le moyen tiré du défaut de motivation concernant le refus de renvoi préjudiciel est inopérant.

La soussignée se permet de renvoyer à ses conclusions, qui sont censées réitérées dans le cadre du deuxième moyen.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 14 CEDH 17/06/2021, n° 12528/17 (decision d’irrecevabilité), n°89 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 111/22
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-07-07;111.22 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award