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05/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47377C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 05 juillet 2022, 47377C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47377C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47377 Inscrit le 29 avril 2022 Audience publique du 5 juillet 2022 Appel formé par Madame (R), …, contre un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2022 (n° 44916 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 47377C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2022 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (R), née le … à … (Irak), d

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47377C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47377 Inscrit le 29 avril 2022 Audience publique du 5 juillet 2022 Appel formé par Madame (R), …, contre un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2022 (n° 44916 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 47377C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2022 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (R), née le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 28 mars 2022 (n° 44916 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 25 mai 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 28 juin 2022.

Le 23 octobre 2019, Madame (R) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 118 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (R) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 6 décembre 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 29 juillet 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (R) du rejet de sa demande de protection internationale sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 23 octobre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 octobre 2019 ainsi que le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 6 décembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … dans la région autonome du Kurdistan irakien, d’ethnie kurde et de confession musulmane sunnite.

Madame, vous indiquez que votre époux aurait été un Peshmerga et qu’il aurait combattu contre l’organisation terroriste dénommée « Etat islamique » sans néanmoins donner plus de détails concrets. Vous précisez uniquement que vous n’auriez plus eu de ses nouvelles depuis le 20 mai 2017, date à laquelle votre époux aurait disparu.

En février 2019, vous auriez fait la connaissance d’un homme avec lequel vous auriez entamé une relation. Le frère de votre mari, respectivement votre beau-frère, aurait appris que vous auriez fréquenté un autre homme et vous aurait menacée en avril ou mai 2019.

Ensuite, en mai 2019, vous auriez été convoquée au bureau de l’« … » [sic] à … et vous auriez été interrogée par un agent sur votre mari.

En juin 2019, vous auriez été convoquée une seconde fois et pendant cet interrogatoire, l’agent vous aurait informée que votre mari aurait volé de l’argent « aus einem 2Verwaltungsgebäude » [sic] lors des opérations militaires menées contre l’« Etat islamique » et qu’il aurait pris la fuite avec son butin. Vous ajoutez que les autorités de la région autonome du Kurdistan irakien penseraient que vous connaîtriez le lieu de séjour actuel de votre époux en cavale.

Vous mentionnez également que vous auriez été entendue à plusieurs reprises par le « kurdischen Geheimdienst » [sic] et que vous auriez été interrogée toutes les deux à trois semaines pendant les mois de juin et juillet 2019. Vous ajoutez que le « kurdischen Geheimdienst » [sic] se serait rendu à votre domicile plus ou moins sept ou huit jours avant votre départ de votre pays d’origine et vous avancez que les agents vous auraient menacée.

En date du 10 octobre 2019, l’épouse de votre beau-frère vous aurait appelée afin de vous avertir que son mari serait en route pour se rendre à votre domicile avec une arme. Vous auriez immédiatement quitté la maison avec vos enfants et vous vous seriez rendue chez votre sœur, seul proche qui aurait été au courant de votre relation amoureuse. Vous auriez laissé vos enfants chez elle et vous seriez immédiatement allée chez votre nouveau compagnon. Vous auriez tous les deux quitté l’Irak le jour même pour vous rendre en Turquie.

Vous précisez en outre que vos enfants seraient actuellement chez votre père en Irak et que votre copain serait resté en Turquie.

Madame, vous présentez une copie de votre passeport irakien et ceux de vos enfants ainsi qu’une copie de votre acte de mariage.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes 3soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, vous indiquez que vous craindriez des représailles de la part de votre beau-frère parce que vous auriez entretenu une relation qui n’aurait pas rencontré son assentiment alors que vous seriez encore officiellement mariée avec son frère. A cet égard, vous indiquez: « ich bin immer noch die Ehefrau seines Bruders. Gleichzeitig befinde ich mich in einer Liebesbeziehung zu einem anderen. Sie meinen, dass ich die Ehre ihrer Famille verletzt habe. Man wird in unseren Sitten dafür mit dem Tod bestraft, damit die Ehre wieder hergestellt werden kann. » [sic] (p.7/12 du rapport d’entretien).

Force est de constater que ce motif n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève car il ressort clairement de vos dires qu’il n’est pas lié à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

On ne saurait dès lors retenir dans votre chef l’existence d’une persécution respectivement d’une crainte de persécution alors qu’il s’agit en l’espèce d’un conflit privé et familial.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond, il y a lieu de souligner que vos craintes, à savoir le fait que vous auriez été menacée par votre beau-frère en avril ou mai 2019 et que son épouse vous aurait appelée le 10 octobre 2019 afin de vous informer que son mari aurait pris son pistolet et serait en train de se rendre chez vous alors que vous ne l’auriez même pas rencontré, sont exemptes d’une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution au sens des prédits textes.

Quand bien même ces faits seraient d’une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que vous n’auriez à aucun moment porté plainte auprès d’une quelconque autorité irakienne contre les prétendus agissements de votre beau-frère de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d’origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

4 De plus, il convient de préciser qu’il existe des refuges, respectivement foyers pour femmes en détresse dans chaque grande ville de la région autonome du Kurdistan irakien, y compris …, ainsi que des organisations civils (sic) comme par exemple « Shahrazad », qui militent pour les droits des femmes en Irak en partenariat avec « Iraqi Civil Society Solidarity Initiative » où vous auriez pu trouver de l’aide.

Vous déclarez également qu’à partir du mois de mai 2019 vous auriez été interrogée sur votre mari à plusieurs reprises par les autorités de votre pays d’origine dans le cadre d’une enquête diligentée contre lui pour des infractions qu’il aurait commises. Vous laissez entendre que les autorités irakiennes auraient ainsi exercé une certaine pression sur vous afin que vous les renseigniez sur le lieu de séjour de votre époux en cavale.

Madame, il ressort clairement de vos dires que vous auriez été interrogée par les autorités qui auraient été à la recherche de votre mari alors qu’il aurait volé de l’argent à l’Etat irakien de sorte qu’il ne saurait être question de l’existence dans votre chef d’une persécution respectivement d’une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques respectivement de votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

Quand bien même ces faits seraient liés à un des critères de fond, il convient de souligner que les agents se seraient limités à uniquement demander où se trouve votre époux et vous ne faites état d’aucun autre incident concret dans ce contexte.

A cela s’ajoute que concernant la prétendue menace que vous auriez reçue par les agents du « kurdischen Geheimdienst » [sic] quelques jours avant votre départ de l’Irak, vous concédez qu’ils auraient uniquement dit : « „Wir sind uns sicher, dass du weißt, wo er sich befindet." » [sic] (p.6/12 du rapport d’entretien). Ainsi, il y a lieu de constater que ces faits ne revêtent manifestement pas un caractère de gravité tels qu’ils puissent être assimilés à un acte de persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève.

Enfin, notons à toutes fins utiles que le fait que les autorités mènent une enquête visant votre mari est tout à fait légitime. Il ne saurait être question d’un quelconque abus dans le chef des autorités si ces dernières vous auraient convoquée respectivement interrogée comme vous laissez entendre alors qu’elles se borneraient à vérifier si vous êtes en contact avec votre époux qui aurait commis une infraction.

Il appert qu’aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef dans ce contexte.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d’être persécutée respectivement que vous risquez d’être persécutée en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire 5Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. Vous déclarez que vous auriez été menacée et que vous seriez dans le collimateur de votre beau-frère pour avoir entretenu une relation amoureuse extraconjugale.

Madame, force est de constater que votre vécu est certes regrettable, mais ces faits ne revêtent pas d’un degré de gravité tels qu’ils puissent être assimilés à un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 48b de la loi de 2015.

Rappelons également que vous n’auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d’origine, ainsi aucun reproche ne peut être fait aux forces de l’ordre irakiennes.

A cet égard, il est utile de rappeler que vous auriez pu vous adresser à un des refuges respectivement foyers pour femmes en détresse à … et à des organisations militant pour les droits des femmes en Irak.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

6Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2020, Madame (R) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par un jugement du 28 mars 2022, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en condamnant celle-ci aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2022, Madame (R) a régulièrement fait entreprendre ce jugement.

A l’appui de son appel, elle fait valoir qu’elle serait de nationalité irakienne, originaire de … en Irak, d’ethnie kurde et de confession musulmane sunnite. Elle serait mariée et mère de deux fils nés en 2006 et 2007. Elle dit craindre, d’une part, des représailles de la part des membres de la famille de son mari pour avoir entamé une relation avec un autre homme après la disparition de son époux et, d’autre part, d’être incarcérée par les services de sécurité kurdes à … qui rechercheraient son mari pour un vol d’argent. Elle affirme que le frère de son mari aurait menacé de la tuer si elle avait une relation avec un autre homme. En mai 2019, elle aurait été convoquée par les services de sécurité kurdes et questionnée sur son époux. Elle aurait indiqué être sans nouvelles de son mari et aurait ensuite été convoquée en juin et en juillet 2019 toutes les deux à trois semaines dans les bureaux des services de sécurité. Elle aurait alors appris que son mari aurait volé de l’argent pendant des opérations militaires menées contre l’organisation Etat islamique (EI) et elle aurait subi des pressions pour qu’elle révèle l’endroit où se trouve son mari. Sept à dix jours avant son départ pour la Turquie, elle aurait reçu la visite d’agents des services de sécurité à son domicile qui auraient menacé de l’incarcérer ou de lui retirer ses enfants. Dans la nuit du 9 au 10 octobre 2019, sa belle-sœur l’aurait prévenue par téléphone que son beau-frère était en route pour se rendre chez elle pour la tuer. Elle aurait alors amené ses enfants chez sa sœur et aurait continué sa route avec son ami pour rejoindre la Turquie et ensuite le Luxembourg.

En droit, l’appelante reproche aux premiers juges une appréciation erronée des circonstances de fait à la base de sa demande et soutient remplir les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

Elle soutient que ce serait à tort que le tribunal a retenu que ses auditions par les services de sécurité kurdes, qui rechercheraient son mari, sont légitimes. Elle souligne avoir reçu des menaces répétées pour des faits qui ne lui seraient pas imputables et conclut que le traitement dont elle aurait fait l’objet ne serait guère légitime, mais contraire à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après « la CEDH ».

Elle reproche également aux premiers juges d’avoir retenu que sa crainte de faire l’objet d’un crime d’honneur pour avoir eu une relation extraconjugale ne serait que purement 7hypothétique. Elle fait valoir que dans la région du Kurdistan irakien, les femmes seraient soumises à un code moral très strict et fréquemment victimes de crimes d’honneur. La législation du Kurdistan irakien prévoirait certes la protection des femmes contre la violence, mais les crimes d’honneur ne seraient que peu réprimés. Elle précise s’être rendue après la première visite de son beau-frère auprès d’une association d’aide aux femmes qui n’aurait pas pu lui apporter du soutien.

Craignant pour sa vie, elle aurait immédiatement quitté l’Irak sans alerter la police.

Elle conclut, contrairement aux premiers juges, que sa crainte afférente relèverait bien du champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », en ce qu’elle serait motivée par son genre et que les actes auxquels elle risquerait d’être exposée seraient suffisamment graves puisque sa vie serait en danger et qu’ils émaneraient de personnes qualifiées comme auteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Elle reproche ensuite aux premiers juges de ne pas avoir vérifié si les faits invoqués constituent une atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 justifiant l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. Elle fait valoir que l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015 devrait être interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’article 3 de la CEDH qui aurait érigé une prohibition absolue de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Sur ce, elle sollicite la reconnaissance du statut de réfugié ou, à défaut, l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

En substance, l’appelante invoque une crainte de persécution du fait des membres de sa belle-famille pour avoir eu une relation extraconjugale, d’une part, et du fait des services de sécurité kurdes qui rechercheraient son époux pour un vol d’argent, d’autre part.

8S’agissant tout d’abord de sa crainte de faire l’objet d’un crime d’honneur de la part des membres de la famille de son mari et, plus particulièrement, de son beau-frère, même à supposer que les femmes du Kurdistan irakien ayant une liaison extraconjugale puissent être considérées comme constituant un groupe social au sens des dispositions de la Convention de Genève et de l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 en ce qu’elles risquent de subir des violences au nom de l’honneur de la famille, la Cour rejoint toutefois les premiers juges en leur analyse que l’appelante n’a pas démontré qu’elle a une crainte fondée de subir des persécutions de ce fait.

En effet, d’après les déclarations de l’appelante, elle aurait reçu une seule menace de mort de la part de son beau-frère en avril ou mai 2019 et aurait été prévenue le 9 octobre 2019 par sa belle-sœur que son beau-frère serait en route pour se rendre chez elle pour la tuer. Or, à défaut d’autres éléments plus concrets, les craintes de l’appelante ne peuvent être analysées que comme traduisant l’expression d’un sentiment général d’insécurité et non pas comme une crainte fondée de persécution susceptible de lui valoir la reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les craintes exprimées par l’appelante en relation avec les convocations régulières à des interrogatoires ainsi que les menaces reçues de la part des services de sécurité kurdes irakiens en raison des agissements de son époux qui aurait disparu avec un butin dérobé pendant des opérations militaires menées contre l’EI, elles ne relèvent pas du champ d’application de la Convention de Genève, étant donné que ces faits ne sont pas rattachables à l’un des critères repris dans la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.

Quant au certificat médical produit en appel et délivré le 19 mai 2022 par le médecin généraliste N. W., qui atteste que l’appelante souffre de « cervicalgies chroniques » et d’« un syndrome dépressif aigu et d’anxiété généralisée avec d’importantes insomnies traitées par des antidépresseurs » et que son « état de santé fragile » « nécessite une aide psychothérapeutique et psychiatrique », la Cour constate que la seule force probante de cette attestation toute récente porte sur la constatation de souffrances psychiques dans le chef de l’appelante, mais qu’aucun élément de cette attestation ne permet de retenir que les problèmes de santé constatés résultent des événements sur lesquels l’appelante fonde sa demande de protection internationale, de sorte que sa force probante pour établir le bien-fondé des craintes invoquées n’est que limitée.

C’est partant à juste titre que le ministre, puis les premiers juges ont rejeté la demande de reconnaissance du statut de réfugié de l’appelante.

Quant à la demande du statut conféré par la protection subsidiaire, les premiers juges ont valablement retenu que son octroi est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par la demanderesse, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

9 L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit comme atteintes graves sous ses points a), b) et c) : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

S’agissant des atteintes graves visées à l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, la Cour constate que l’appelante fonde sa demande du statut de protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux invoqués à la base de sa demande du statut de réfugié.

A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou motifs, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, l’appelante courrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

En effet, les éléments d’appréciation soumis à la Cour ne sont pas suffisants pour retenir dans le chef de l’appelante un risque réel de subir des atteintes graves en raison de l’enquête diligentée par les autorités kurdes irakiennes en relation avec les agissements de son mari qui aurait disparu avec un butin dérobé pendant des opérations militaires menées contre l’EI. Les convocations régulières à des interrogatoires ainsi que les pressions subies de la part des agents des services de sécurité ne suffisent pas, à elles seules, pour pouvoir être qualifiées d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Quant au mandat d’arrêt daté du 18 octobre 2019 produit pour la première fois en instance d’appel, il convient de relever que le motif de l’enquête prétendument ouverte contre l’appelante n’y est pas indiqué, de sorte que la Cour ne saurait accorder qu’une force probante limitée à ce document, de surcroît produit sur le tard, et en tout cas insuffisante pour corroborer la crainte de l’appelante. Il ne ressort par ailleurs pas à suffisance des éléments du dossier que quand bien même l’appelante risquerait des poursuites du fait du vol commis par son mari, elle n’aurait pas droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la CEDH.

Il ne ressort pas non plus des éléments du dossier que l’appelante aurait été ou pourrait être condamnée à la peine de mort ou exécutée au sens de l’article 48, point a), de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, au vu des éléments du dossier, il y a lieu de conclure que l’appelante reste en défaut de faire état de motifs sérieux et avérés de croire que si elle était renvoyée en Irak, elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, la Cour constate que l’appelante ne prétend pas que la situation qui prévaut actuellement en Irak correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. Par ailleurs, ni les déclarations de l’appelante, ni les pièces du dossier administratif ne permettent de conclure à l’existence d’une telle situation.

10Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies dans le chef de l’appelante.

Finalement, l’appelante conteste la validité de l’ordre de quitter le territoire en soutenant que la décision afférente encourrait l’annulation au motif qu’elle violerait l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », et que compte tenu de ses antécédents et de la situation actuelle des femmes au Kurdistan irakien, elle risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, tout en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle l’éloignement du territoire serait proscrit lorsqu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain et dégradant.

Ce moyen est à rejeter comme inopérant, étant donné qu’aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, les dispositions de cette loi ne sont pas applicables aux demandeurs de protection internationale. A titre superfétatoire, il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté le recours tendant à l’octroi de la protection internationale, dont plus particulièrement le volet de la protection subsidiaire dans le cadre duquel l’aspect d’un risque éventuel pour l’appelante de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, auquel l’article 129 de la loi du 29 août 2008 renvoie, a été examiné et abjugé, de sorte que l’argument tiré de ce qu’un prétendu risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de ladite convention en cas de retour en Irak rendrait illégal l’ordre de quitter le territoire tombe à faux.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 28 mars 2022 ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

11 Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47377C
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-07-05;47377c ?

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