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30/06/2022 | LUXEMBOURG | N°100/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 juin 2022, 100/22


N° 100 /2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00106 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

L), demandeur en cassation, comparant par Maîtr

e Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

O),...

N° 100 /2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00106 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

L), demandeur en cassation, comparant par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

O), défenderesse en cassation, comparant par Maître Karine BICARD, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 159/19 - I - DIV (aff.fam.), rendu le 12 juillet 2019 sous le numéro CAL-2019-00304 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 10 septembre 2021 par L) à O), déposé le 14 septembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 14 octobre 2021 par O) à L), déposé le 22 octobre 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur la recevabilité du pourvoi La défenderesse en cassation conclut à l’irrecevabilité du pourvoi déposé le 14 septembre 2021 au motif que l’arrêt attaqué a été signifié au domicile du demandeur en cassation le 1er août 2019.

L’article 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose en ses alinéas 2, 3 et 4 :

« Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal.

Il en est de même lorsque l’arrêt ou le jugement rendu en dernier ressort qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure met fin à l’instance.

Si le pourvoi en cassation est rejeté, déclaré irrecevable ou si la déchéance a été prononcée, la partie qui a formé le pourvoi n’est plus recevable à en former un nouveau contre le même arrêt ou jugement, sauf si le premier pourvoi a été prématuré au sens des alinéas 2 et 3. ».

L’arrêt attaqué a fait l’objet d’un pourvoi en cassation déclaré irrecevable par un arrêt du 22 octobre 2020 en application de l’article 3, alinéas 2 et 3, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

L’arrêt du 31 mars 2021 toisant la demande en allocation d’un secours alimentaire après divorce et celui du 16 juin 2021 toisant la demande introduite sur base de l’article 252 du Code civil ont été signifiés au domicile du demandeur en cassation le 14 juillet 2021.

Le délai pour introduire un nouveau pourvoi en cassation contre l’arrêt attaqué a dès lors commencé à courir, en application de l’article 3, alinéa 4, de la loi précitée du 18 février 1885, à partir de cette date de sorte que le pourvoi, signifié le 10 septembre 2021 et déposé le 14 septembre 2021 au greffe de la Cour, l’a été dans le délai légal.

Le pourvoi, introduit pour le surplus dans les formes de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le juge aux affaires familiales du tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait prononcé le divorce des époux L) et O) et dit qu’il sera procédé à la liquidation et au partage de la communauté de biens ayant existé entre parties. La Cour d’appel a dit l’appel relevé par O) partiellement fondé, dit les demandes de O), formées en instance d’appel, tendant à la fixation de mesures provisoires pendant l’instance en divorce et à l’allocation de dommages et intérêts irrecevables et recevables celles en allocation d’un secours alimentaire à titre personnel après divorce et en fixation d’une créance liée aux droits de pension et sursis à statuer sur ces demandes.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 592 du nouveau code de procédure civile qui dispose que :

qu'il ne s'agisse de compensation, ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale. Pourront aussi les parties demander des intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis le jugement de première instance, et les dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis ledit jugement » ;

En ce que la Cour d'appel a dit les demandes de O) en allocation d'une pension alimentaire à titre personnel après divorce et en fixation de sa créance liée aux droits de pension, conformément à l'article 252 du code civil luxembourgeois, recevables pour ne pas constituer de demandes nouvelles s'agissant de demandes accessoires au divorce avec lequel elles ont lien nécessaires ;

Alors que les demandes en pension alimentaire et fixation de créance liée à un droit à pension de O) ont été présentées par elle pour la première fois en instance d'appel, que le demandeur originaire est L) et qu'il n'avait qu'introduit une demande en divorce avec liquidation et partage de la communauté en première instance de sorte que les demandes de O) ne constituent pas une défense au fond, ou ayant un lien nécessaire avec la demande en divorce originaire dont elle n'est pas et ne peut pas être un accessoire ; que la Cour d'appel aurait dû dire ces demandes irrecevables pour être des demandes nouvelles et sans liens avec la demande en divorce de L);

qu'en les considérant comme recevables, l'arrêt attaqué a violé l'article 592 du nouveau code de procédure civile. ».

Réponse de la Cour En déclarant recevables les demandes nouvelles de la défenderesse en cassation tendant à l’allocation d’un secours alimentaire à titre personnel après divorce et à la fixation d’une créance liée aux droits de pension qui constituent des mesures accessoires au divorce, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Karine BICARD, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation L) contre O) (CAS-2021-00106) Le pourvoi en cassation, introduit par L) (ci-après L)) par un mémoire en cassation signifié le 10 septembre 2021 à la défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 14 septembre 2021, est dirigé contre un arrêt n° 159/19 rendu par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 12 juillet 2019 (n° CAL-2019-00304 du rôle). Cet arrêt a été signifié au demandeur en cassation en date du 1er août 2019.

La partie défenderesse en cassation a signifié un mémoire en réponse le 14 octobre 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 22 octobre 2021.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

En date du 28 novembre 2018, L) a déposé une requête tendant au prononcé du divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales entre lui-même et O) (ci-après O)), à la désignation d’un notaire pour procéder aux opérations de liquidation et de partage du régime de la communauté légale luxembourgeoise, à la licitation de l'immeuble commun au report des effets du jugement de divorce au 9 octobre 2016, à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euro et à la condamnation de la défenderesse aux frais et dépens.

Par jugement réputé contradictoire du 8 février 2019, le juge aux affaires familiales a dit la demande en divorce recevable et fondée, a prononcé le divorce entre L) et O) pour rupture irrémédiable des relations conjugales, a dit qu'il sera procédé à la liquidation et au partage de la communauté de biens ayant existé entre parties, ainsi qu'à la liquidation de leurs reprises éventuelles, a ordonné, pour autant que de besoin, la licitation de l'immeuble commun, a donné acte à L) que les parties entendent préalablement tenter de réaliser une vente de gré à gré, a commis un notaire, a fait remonter entre parties les effets du divorce quant à leurs biens au 9 octobre 2016, a dit non fondée la demande d'L) en allocation d'une indemnité de procédure et a condamné O) aux frais et dépens de l'instance.

De ce jugement, signifié le 18 février 2019, O) a régulièrement relevé appel par requête déposée au greffe de la Cour le 28 mars 2019 et signifiée à L) par exploit d’huissier de justice du 23 avril 2019.

L’appelante demande, par réformation, à faire annuler le jugement entrepris pour violation de ses droits de la défense, et à voir appliquer la loi belge au divorce entre parties.

Elle a conclu à voir prononcer le divorce, principalement, sur base de l'article 229 paragraphe 1 du Code civil belge, subsidiairement, sur base de l'article 232 du Code civil luxembourgeois, à voir ordonner la liquidation et le partage de la communauté, à voir ordonner le report des effets du jugement de divorce au jour de la demande en divorce, à se voir autoriser, durant l'instance, à résider séparée de son époux au domicile conjugal à titre gratuit, avec défense pour L) de venir l'y troubler, à entendre condamner L) à lui payer pendant l’instance en divorce un secours alimentaire à titre personnel de 4.000 euros par mois et une pension alimentaire mensuelle de 1.000 euros par enfant pour les trois enfants majeurs, ainsi que la moitié des frais extraordinaires engagés dans l’intérêt desdits enfants, et l'ensemble des frais médicaux pour les trois enfants, à entendre condamner L) à lui payer une pension alimentaire personnelle après divorce de 3.000 euros par mois sur une durée de 30 ans, à verser en capital, à se voir admettre au bénéfice de l'article 252 du Code civil et de l'article 174 du Code de la sécurité sociale luxembourgeois et à voir entendre condamner L) au paiement de la somme à déterminer entre ses mains, à entendre condamner L) à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts, et, finalement, à entendre condamner L) à lui payer une indemnité de procédure de 2.000 euros ainsi que les frais et dépens de l’instance d’appel.

L) a conclu à la nullité de la requête d’appel pour non-respect des dispositions de l’article 1007-43, points (3) et (4) du Nouveau Code de procédure civile. L’intimé soulève encore l’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de l’appelante qui ne critiquerait pas le jugement déféré quant au divorce, mais qui se bornerait à formuler des demandes nouvelles en instance d’appel pourtant prohibées en vertu des dispositions de l’article 592 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile. Ces demandes le priveraient de son droit au double degré de juridiction et devraient être déclarées irrecevables.

Sur le fond, L) a demandé la confirmation du jugement entrepris en ce que le juge aux affaires familiales a refusé d’accorder une deuxième remise de l’affaire à O) et en ce que la loi luxembourgeoise a été appliquée au divorce, à la liquidation du régime matrimonial et à la question du report des effets du divorce entre parties.

Au titre des mesures accessoires au divorce requises par l’appelante pour la première fois en instance d’appel, l’intimé a conclu, à titre subsidiaire, au rejet de la demande de O) en allocation d’un secours alimentaire à titre personnel après divorce, ainsi que de celle liée aux droits de pension introduite sur base de l’article 252 du Code civil.

En date du 12 juillet 2019, la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :

« reçoit l’appel en la forme, dit l’appel partiellement fondé ;

réformant, ordonne la licitation de l’immeuble commun situé au Portugal […] dit que les effets du divorce entre époux en ce qui concerne leurs biens remontent au 26 janvier 2017 ;

confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

dit irrecevables les demandes de O) formulées en instance d’appel et tendant à la fixation de mesures provisoires pendant l’instance en divorce et à l’allocation de dommages et intérêts, reçoit les autres demandes de O) formulées en instance d’appel ;

dit irrecevable la demande de L) en communication forcée de pièces par O) ;

sursoit à statuer au sujet de la demande de O) en allocation d’un secours alimentaire à titre personnel après divorce dans l’attente :

- de la prise de position circonstanciée des parties par rapport aux critères légaux définis aux articles 246 et 247 du Code civil ;

- de la production d’un descriptif détaillé et actuel des situations financières des parties respectives tant en revenus provenant d’activités rémunérées qu’en capitaux, ainsi qu’en dépenses mensuelles incompressibles ;

sursoit à statuer au sujet de la demande de O) en reconnaissance d’une créance relative aux droits de pension dans l’attente :

- des pièces et informations visées par l’article 252 du Code civil ;

- des explications de O) par rapport au courrier du 27 juillet 2017 émanant du Centre Commun de la Sécurité Sociale ;

- de la prise de position circonstanciée de L);

réserve les frais et dépens des deux instances et la demande de O) en allocation d’une indemnité de procédure ;

refixe l’affaire à l’audience publique du […] pour continuation des débats. » Contre cet arrêt, signifié le 1er août 2019, L) a introduit un pourvoi en cassation par mémoire en cassation signifié le 27 septembre 2019 et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 30 septembre 2019.

Votre Cour a, par arrêt n°133/2020 rendu en date du 22 octobre 20201, déclaré le pourvoi irrecevable au motif que « le pourvoi est dirigé non contre le dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’il a tranché une partie du principal, mais contre le dispositif de l’arrêt en ce qu’il a sursis à statuer sur une demande de la défenderesse en cassation ».

Entre-temps, la Cour d’appel a statué en continuation de l’arrêt du 12 juillet 2019 par un arrêt n° 88/21 rendu en date du 31 mars 2021 et par un arrêt n° 146 /21 rendu en date du 16 juin 20212. Le premier de ces arrêts, rendu en date du 31 mars 2021, est attaqué par un pourvoi séparé.3 Le présent pourvoi est de nouveau dirigé contre l’arrêt interlocutoire du 12 juillet 2019.

Sur la recevabilité du pourvoi :

L’article 3, alinéa 3, de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose que la voie du recours en cassation en cas de jugement ou d’arrêt rendu en dernier ressort, ayant statué sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure, mais sans mettre fin au litige, n’est ouverte qu’après le jugement ou l’arrêt rendu en dernier ressort et dans les conditions visées aux articles 1 et 2 de ce même article.

Le pourvoi en cassation introduit contre l’arrêt du 12 juillet 2019, ensemble avec le pourvoi valablement introduit contre l’arrêt sur le fond du 31 mars 2021, est partant également recevable.

Sur l’unique moyen de cassation :

L’unique moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 592 du Nouveau code de procédure civile qui dispose :

« Il ne sera formé, en cause d'appel, aucune nouvelle demande, à moins qu'il ne s'agisse de compensation, ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale.

Pourront aussi les parties demander des intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis le jugement de première instance, et les dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis ledit jugement. » 1 n° CAS-2019-00152 du registre 2 n° CAL-2019-00304 du rôle 3 n° CAS-2021-00107 du rôle Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir déclaré recevables en appel les demandes en allocation d’une pension alimentaire à titre personnel après divorce et en fixation de la créance liée aux droits de pension sur base de l’article 252 du Code civil au lieu de décider que ces demandes constituent des demandes nouvelles irrecevables en appel.

Le demandeur en cassation relève qu’il est le demandeur originaire et qu’il a seulement introduit une demande en divorce avec partage et liquidation de la communauté, et que la défenderesse a présenté ces demandes pour la première fois en instance d’appel. Il estime qu’il ne s’agit pas de défenses au fond ou de demandes présentant un lien nécessaire avec la demande en divorce originaire. Il ne s’agirait pas non plus d’un accessoire de celle-ci.

La réforme de la procédure du divorce par la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales (ci-après « la loi du 27 juin 2018 ») est marquée par une volonté de simplification et d’accélération des procédures, en prévoyant notamment une saisine du tribunal par requête unilatérale ou conjointe (article 1107-24 du Nouveau code de procédure civile), l’obligation de convoquer les parties endéans un délai de 15 jours, un délai de comparution de 8 jours, et l’obligation de fixer les requêtes à une audience endéans le délai d’un mois (article 1007-25 du même code). Dans un souci d’efficacité, l’article 1007-24, paragraphes 2 et 3, indique les mentions que la requête doit contenir, ainsi que les pièces à joindre. Il en est de même de l’article 1007-43, paragraphe 3, pour l’instance d’appel. En appel, les délais de fixation à l’audience et les délais pour conclure sont très courts et le nombre de conclusions est en principe limité à deux corps de conclusions (article 1007-43 du même code).

L’objectif de la réforme était autant que faire se peut de permettre aux parties de résoudre, en une seule procédure, l’ensemble des différends les opposant, afin d’éviter tant des pertes de temps que d’argent. Il s’agit de concilier le principe d’économie de procédure et celui du respect des droits de la défense.

Cette volonté s’exprime très clairement dans l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 27 juin 2018 :

« La rédaction de la procédure applicable aux juges aux affaires familiales a été guidée par le souci d'une simplification des procédures actuelles tout en respectant les droits de chacune des parties. »4 « Une autre particularité de la procédure devant le juge aux affaires familiales est que la fixation des affaires est encadrée dans des délais restreints. Le Gouvernement entend par ce moyen garantir que les litiges dont est saisi le juge aux affaires familiales sont exposés et toisés dans les plus brefs délais. Le contentieux du droit familial concerne par essence des situations familiales très difficiles et le Gouvernement estime qu'il est 4 Doc.parl. 6996, exposé des motifs, page 51 dans l'intérêt des familles et surtout des enfants d'avoir des réponses judiciaires rapides aux litiges qui se posent au sein des familles. »5 « La procédure devant le juge aux affaires familiales est enfermée dans des délais stricts. L'objectif est d'assurer que les dossiers soient traités rapidement, afin d'éviter que les conflits ne s'enlisent et que des situations de fait ne s'installent. Ainsi, la première audience doit être fixée au plus tard sept semaines après l'introduction de la demande de divorce, outre les délais de distance s'il y a lieu. De même, tout au long de la procédure des délais précis sont prévus pour l'accomplissement des diverses étapes. »6 Ce souci d’efficacité et de célérité peut évidemment conduire à des situations où une partie aura du mal à organiser sa défense et à faire valoir ses prétentions dans les délais imposés.

Or, cela risque d’être très lourd de conséquences, puisque notamment l’article 252 du Code civil impose au conjoint qui entend faire valoir sa créance liée aux droits de pension, de présenter sa demande avant le jugement de divorce.

En l’espèce, la défenderesse en cassation n’avait présenté aucune demande en première instance, mais elle a interjeté appel contre le jugement de première instance et a présenté en appel une demande en pension alimentaire à titre personnel et une demande en fixation de sa créance de droits de pension.

En ce qui concerne la créance liée aux droits de pension, l’article 252, paragraphe (2) dispose :

« (2) Aux fins de l’achat rétroactif auprès du régime général d’assurance pension, le conjoint qui a abandonné ou réduit son activité dispose d’une créance envers l’autre conjoint à hauteur de cinquante pourcent du montant de référence visé au paragraphe 1er, considéré dans les limites de l’actif constitué des biens communs ou indivis disponible après règlement du passif. » Il s’agit partant d’une créance dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre des opérations de liquidation et de partage.

La Cour de cassation française considère «qu’en matière de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif de telle sorte que toute demande doit être considérée comme une défense à la prétention adverse».7 5 ibidem 6 ibidem. page 56 7 Cass. 2e civ., 29 mai 1996, n°94-17.482, publié au bulletin : «Attendu que pour ne pas accueillir en cause d’appel de Mme Y… tendant à l’allocation d’une indemnité d’occupation du château indivis, é la charge de Z…., l’arrêt énonce qu’il s’agit d’une demande nouvelle formulée pour la première fois en appel et comme telle irrecevable ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé» La jurisprudence luxembourgeoise a suivi la même approche en matière de partage:

« En matière de liquidation et de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses. Il s’ensuit que les demandes produites en appel seulement doivent toujours être considérées comme des défenses élevées contre les prétentions des copartageants et ne peuvent, dès lors, être écartées comme demandes nouvelles. »8 C’est partant à juste titre que la demande en fixation de la créance liée aux droits de pension a été déclarée recevable dans le cadre du partage et de la liquidation de la communauté.9 En ce qui concerne la pension alimentaire à titre personnel, la défenderesse en cassation cite un arrêt de la Cour de cassation française du 10 juillet 201310, qui a cassé un arrêt d’appel pour avoir déclaré irrecevable une demande formée en cause d’appel « sans rechercher si cette demande n’était pas l’accessoire, le complément ou la conséquence de la demande initiale ».

En France, cette formule est depuis le 1er janvier 1976 inscrite dans l’article 566 du code de procédure civile11, qui a été modifié par un décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (article 11), de sorte que l’actuel article 566 du code de procédure civile dispose :

« Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. » La Cour de cassation française exige que la cour d’appel doit « rechercher, même d’office, si ces demandes ne constituaient pas l’accessoire, la conséquence ou le complément de celles formées par M.X…en première instance ».12 Au Luxembourg, le Nouveau code de procédure civile ne contient pas de disposition similaire.

8 CA 10 mai 1901, Pas. 4, p.458 9 Le partage et la liquidation de la communauté ont été ordonnés par le jugement de première instance et ont été demandés par les deux parties en instance d’appel 10 Cass. 3e civ., 10 juillet 2013, n° 12-16.698, inédit 11 Article 566 (version du 1er janvier 1976 au 1er septembre 2017) : «Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément ».

12 Cass. 2e civ., 17 septembre 2020, n° 19-17.449 La Cour de cassation française a toujours considéré que les demandes de prestation compensatoire13 présentées pour la première fois en instance d’appel étaient recevables.14 Certains arrêts ont précisé que la demande était recevable lorsqu’elle a été présentée par l’époux qui a interjeté un « appel général » ou un « appel non limité » du jugement prononçant le divorce, dès lors que la décision de divorce n’est pas passée en force de chose jugée.15 Dans un arrêt rendu en date du 14 mars 201816, la première chambre civile a encore une fois rappelé « que la demande en prestation compensatoire , accessoire à la demande en divorce, peut être présentée pour la première fois en appel tant que la décision, en ce qu’elle prononce le divorce, n’a pas acquis force de chose jugée .

Elle a fourni une précision importante en ce qui concerne la partie qui peut formuler cette demande :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’un jugement a rejeté la demande en divorce de M.Y… ;

que sur appel de celui-ci, son épouse, Mme X…. a conclu à la confirmation du jugement et subsidiairement, demandé une prestation compensatoire ; que la cour d’appel a prononcé le divorce ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable, comme nouvelle, la demande en prestation compensatoire, l’arrêt retient qu’une partie n’est pas recevable à présenter pour la première fois devant la cour d’appel des prétentions qui seraient le prolongement ou l’accessoire de celles formées en première instance par une autre partie et que, Mme X… n’ayant formulé aucune demande en divorce en première instance, sa demande en prestation compensatoire ne se rattache à aucune prétention originelle ;

Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes susvisés».

Pour la Cour de cassation française, une demande présentée pour la première fois en appel est partant recevable si elle constitue l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge, mais il n’est pas nécessaire que ces prétentions soumises en première instance émanent de la même partie que celle qui formule pour la première fois une demande devant la Cour d’appel.

13 Les articles 1075-1 et 1076-1 du code de procédure civile français ne prévoient plus de pension alimentaire à titre personnel en cas de divorce, mais seulement l’allocation d’une prestation compensatoire « destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. » 14 Cass. 2e civ., 9 janvier 1991, n° 89-15.585, publié au bulletin ;

Cass. 2e civ., 26 juin 1996, n°94-15.564, publié au bulletin ;

Cass., 2e civ., 3 juillet 1997, n° 95-457 et 95.17.772, publié au bulletin ;

15 Cass. 2e civ., 22 octobre 1997, n°95-16.846, publié au bulletin ;

Cass., 2e civ., 11 février 1998, n° 96-12.917, publié au bulletin ;

Cass., 2e civ., 14 juin 2005, n° 04-12.373, publié au bulletin ;

16 Cass., 1e civ., 14 mars 2018, n° 17-14.874, publié au bulletin En Belgique, la question de l’admissibilité des demandes incidentes en degré d’appel a beaucoup évolué avec l’adoption du Code judiciaire. Avant l’adoption du Code judicaire prévalait le principe de l’immutabilité du litige visant à « assurer la sécurité juridique en cours d’instance et de faciliter l’organisation de la défense ».17 Le dogme de l’immutabilité du litige a souvent été critiqué, car il induit à une paralysie des éléments du procès18.

Concrètement, le demandeur ne pouvait compléter sa demande originaire que par des demandes additionnelles, sauf à obtenir l’accord de son adversaire, lequel ne pouvait formuler une demande reconventionnelle qu’à la condition qu’il s’agisse d’une défense ou qu’elle soit unie à la demande principale par un lien de connexité.19 Ainsi, même avant l’adoption du Code judicaire, l’immutabilité du litige n’empêchait pas rigoureusement toute demande nouvelle en instance d’appel.

Au Luxembourg, la réforme de la procédure du divorce a eu comme objectif de permettre aux parties de régler l’ensemble des différends les opposant en une seule procédure. Dans cette optique, la voie de l’appel ne se conçoit plus uniquement comme une voie de réformation du jugement de première instance, mais également comme une voie d’achèvement du litige.

L’objectif en question ne peut être atteint que si l’immutabilité du litige n’est pas soumise à un formalisme trop rigoureux. Aussi l’article 592, paragraphe 2, du Nouveau code de procédure civile20 prévoit la recevabilité en appel des demandes additionnelles, qui portent sur des éléments déjà en germes dans la demande originaire, autrement dit qui y étaient déjà virtuellement compris.21 La recevabilité en appel des demandes additionnelles laisse entrevoir que l’ « immutabilité du litige » constitue plutôt une mutabilité tempérée, soumise à conditions.

Certains auteurs belges ont eu recours à la notion de « demande virtuellement comprise dans la demande originaire. » Selon M. Marchandise, «est virtuellement comprise dans la demande introduite initialement, toute demande fondée sur le complexe de faits initialement invoqué, et dont l’objet entretient avec celui de la demande principale une relation si étroite et évidente que le défendeur devait immanquablement s’attendre, à la lecture de l’acte introductif, à ce qu’elle soit ultérieurement formulée ».22 17 A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Liège, Faculté de droit, 19787, p.83, n°64 18 Antoine Gillet, Annales de Droit de Louvain, vol.76, 2016, n°2, p. 249 n°11 19 ibidem, pages 83 et 85, n°64 et 66 20 Article 592, paragraphe 2 : «Pourront aussi les parties demander des intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis le jugement de première instance, et les dommages et intérêts pour préjudice souffert depuis ledit jugement. » 21 Journal des Tribunaux 2012, Les étranges nouveautés de la demande nouvelle, p. 250, n°6 22 M. Marchandise, Traité de droit civil belge, t.VI, La prescription-Principes généraux et prescription libératoire, coll. De Page, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.211, n°153 Ne seraient ainsi recevables que les demandes auxquelles une partie pouvait s’attendre à la lecture de l’acte introductif d’instance, de sorte qu’elle ne peut pas se dire surprise lorsqu’elles sont effectivement formulées. Evidemment la partie contre laquelle la demande reconventionnelle est dirigée doit pouvoir présenter ses observations afin que le principe du contradictoire soit respecté.

Par contre, il n’existe aucun droit absolu au double degré de juridiction. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme que le principe du double degré de juridiction est garanti par le seul article 2 du Protocole 7 à la Convention, qui ne s’applique qu’en matière pénale.23 De même, votre Cour a retenu dans un arrêt rendu en date du 19 octobre 200624 que « l’article 6, 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales n’institue pas le droit à un double degré de juridiction ».

En l’espèce, les demandes présentées en instance d’appel par la défenderesse en cassation constituent des demandes reconventionnelles25 (c’est-à-dire des demandes incidentes émanant du défendeur et tendant à faire prononcer une condamnation à charge du demandeur) et, dans la mesure où elles sont basées sur des dispositions applicables au divorce, elles présentent incontestablement un lien de connexité avec la demande en divorce présentée en première instance par le demandeur en cassation.

Si l’appelante n’avait pas interjeté appel et n’avait pas présenté ces demandes en instance d’appel, elle n’aurait pas pu introduire par voie séparée une demande principale afin de formuler ses prétentions devant une juridiction de première instance.26 Si la Cour d’appel avait déclaré les demandes irrecevables afin de garantir au demandeur en cassation un double degré de juridiction concernant ces prétentions, elle aurait définitivement privé la demanderesse en cassation de toute possibilité de faire valoir ses droits dans le cadre de l’instance en divorce.

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel, l’appelante, qui était partie défenderesse en première instance, a interjeté un appel général et elle a présenté en instance d’appel sa demande en paiement d’une pension alimentaire à titre personnel et une demande en fixation de sa créance liée aux droits de pension. Il s’agit de demandes régulièrement présentées en tant que demandes reconventionnelles dans le cadre de demandes en divorce.

Ces demandes n’ont partant pas pu surprendre le demandeur originaire et elles présentent un lien de connexité avec la demande en divorce. Les mesures régissant les rapports personnels et patrimoniaux entre époux et à l’égard des enfants, contenues dans le jugement de divorce, sont d’ailleurs traditionnellement appelées «mesures accessoires » du 23 CEDH arrêt Igual Coll c. Espagne du 10 mars 2009, n°44 24 Cass. n°48/06 du 19 octobre 2006, n° 2310 du registre 25 L’article 64 du NCPC français définit la demande reconventionnelle comme celle « par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire » 26 Cf. article 252 du Code civil : « avant le jugement de divorce » divorce.27 Il s’agit dès lors bien de demandes connexes ou accessoires à la demande en divorce.

En déclarant recevables les deux demandes présentées en instance d’appel par la défenderesse en cassation, l’arrêt attaqué n’a pas violé l’article 592 du Nouveau code de procédure civile.

Le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 27 JurisClasseur, Procédures Formulaire, V° Divorce, Fasc.90 : Divorce-Mesures accessoires 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 100/22
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-06-30;100.22 ?

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