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28/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47346C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 juin 2022, 47346C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47346C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47346 Inscrit le 25 avril 2022 Audience publique du 28 juin 2022 Appel formé par Madame (C), …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 mars 2022 (n° 44257 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47346C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 25 avril 2022 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (C), née le … à … (Biélorussie), d

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47346C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47346 Inscrit le 25 avril 2022 Audience publique du 28 juin 2022 Appel formé par Madame (C), …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 mars 2022 (n° 44257 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47346C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 25 avril 2022 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (C), née le … à … (Biélorussie), de nationalité biélorusse, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 23 mars 2022 (n° 44257 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 février 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 20 mai 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 16 juin 2022.

Le 29 juillet 2019, Madame (C) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 Les déclarations de Madame (C) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, du même jour.

En date du 27 septembre 2019, Madame (C) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 7 février 2020, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (C) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 29 juillet 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 29 juillet 2019 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 27 septembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Madame, il ressort de vos dires que vous êtes ressortissante bélarusse, née le …à … et que vous y auriez vécu ensemble avec votre mère. Vous auriez fait des études en … et en … et vous seriez … d’une société.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Biélorussie, dans un camion, en date du 19, 20 ou 21 juillet 2019. Vous auriez dû quitter votre pays d’origine alors que vous auriez distribué des « Wahlzettel » lesquels auraient contenu un appel à ne plus voter pour l’actuel président. Vous auriez été en prison pendant 10 jours et après, vous auriez reçu une convocation pour le tribunal.

Vous affirmez qu’en date du 3 juillet 2019, à l’occasion de la journée d’indépendance, vous auriez été à ….. Il y aurait eu « ein grosses Fest. Ich habe mitgefeiert ». Vous y auriez rencontré une vieille connaissance de l’université, un dénommé (L) « falls ich mich nicht täusche ». Il vous aurait proposé de faire un peu d’argent en distribuant des flyers au sujet des élections en 2020.

Vous auriez été d’accord. Vous affirmez déjà avoir une fois distribué des flyers pour le compte de 2cette personne lorsque vous auriez été à l’université, mais l’université aurait interdit cela. A l’époque, la police vous aurait vus et aurait noté vos noms. Sinon, rien n’aurait été entrepris.

Le dénommé (L) serait membre du parti Hrmada. Vous pensez qu’il est un membre actif. Sa position vous serait inconnue « Das interessiert mich auch nicht ». Vous affirmez ne pas avoir su si vous aviez des conséquences à craindre en distribuant des flyers. Vous auriez pensé que cela ne prendrait pas beaucoup de temps. « Es hat sich einfach so ergeben ». Vous auriez immédiatement été payée et auriez distribué ces flyers directement sur la fête. Vous n’auriez pas vu d’autres distributeurs de flyers, mais vous affirmez pouvoir imaginer que de tels distributeurs auraient été dans toute la ville. Lorsque la police vous aurait vue « Auf einem Platz », elle vous aurait amenée directement au bureau de la milice à …., sans rien vous demander. Au bureau de police, vous auriez été questionnée. Vous estimez qu’ils auraient probablement pensé que vous seriez également membre de ce parti, ce qui ne serait néanmoins pas le cas. Vous auriez tout nié, mais vous auriez eu l’impression que l’on ne vous aurait pas crue. Vous ignorez pourquoi on ne vous aurait pas cru, mais vous pensez que les policiers auraient peut-être souhaité avoir des informations. Vous pensez que vous auriez attiré leur attention alors qu’ils vous auraient attrapée pour la deuxième fois en train de distribuer des flyers. Les policiers seraient devenus de plus en plus rudes. Après, un agent de police vous aurait violée. Il aurait également demandé le nom de la personne qui vous aurait donné les flyers. D’abord, vous n’auriez pas révélé le nom à la police, alors que « (L) dies nicht wollte ». Finalement, vous auriez dit le nom de cette personne alors que vous auriez été contrainte de le faire. Pendant que l’agent de police vous aurait violée, vous vous seriez défendue, raison pour laquelle il vous aurait assommée. Après, « ils » vous auraient ramenée dans une cellule où vous seriez restée pendant environ 10 jours. Vous pensez qu’« ils » vous auraient retenue aussi longtemps dans l’attente que vous blessures auraient guéri. Ils auraient gardé vos documents d’identité, mais vous en ignorez les raisons. Après, vous auriez été relâchée et vous seriez retournée à ….. Vous vous y seriez adressée à la police, alors que vous auriez voulu déposer une plainte. Néanmoins, votre plainte n’aurait pas été acceptée et la police vous aurait dit de vous rendre à …., alors que de toute façon, vos papiers s’y trouveraient. Vous seriez alors partie. Vous vous seriez également adressée à un médecin, alors que vous auriez voulu « dass die Ärzte sich vielleicht irgendwie mit der Polizei in Verbindung setzen », alors que vous auriez eu des hématomes, mais « dies hat auch nichts gebracht ». Vous affirmez penser que les médecins ne pourraient pas « gegen die Polizei vorgehen ». Votre mère vous aurait accompagnée chez un avocat qui aurait écouté votre problème, mais n’aurait pas voulu traiter votre affaire, alors que premièrement, cela serait arrivé à …., et deuxièmement, parce que ce serait une affaire politique. Il vous aurait également dit que ce serait de votre propre faute. Un ou deux jours après être retournée à …., vous auriez reçu une convocation policière à la maison vous invitant de vous présenter à ….. Vous auriez ignoré cette convocation. Vous n’auriez reçu que cette seule convocation. Un ou deux jours après que vous auriez été retournée à …., vous auriez reçu des appels téléphoniques vous menaçant de risquer d’être emprisonnée. Vous affirmez ignorer qui étaient les personnes qui vous auraient appelée. Elles auraient seulement dit d’appeler depuis le bureau de police de …. sans donner leurs noms. Ces personnes vous auraient menacée en vous disant que vous ne feriez qu’aggraver les choses, si vous ne vous présentiez pas et que dans ce cas, vous seriez accusée d’être contre la politique de l’Etat et que vous risqueriez une peine d’emprisonnement. Vous auriez reçu environ cinq appels, sur votre lieu de travail, sur le lieu de travail de votre mère et vous personnellement. Suite à ce qui vous serait arrivé, vous ne pourriez 3pas vous imaginer d’y retourner. Parfois, vous vous seriez soûlée, « deswegen ist das alles sehr verwischt ».

Tout cela se serait passé endéans quelques jours. Vous n’auriez pas hésité longtemps et la décision de partir serait tombée très rapidement. Vous auriez décidé [de] quitter votre pays d’origine deux jours avant la date de départ.

Vous auriez spécialement choisi de venir au Luxembourg, alors qu’une de vos connaissances aurait demandé l’asile au Luxembourg.

Vous n’auriez pas fait une plainte auprès d’une autre autorité, et ne vous seriez également pas adressée à une autre instance dans votre pays d’origine. Vous n’auriez également pas cherché à vous adresser à un autre avocat parce qu’on vous aurait dit que cela n’aurait pas de sens alors qu’il s’agirait d’une affaire politique. Vous affirmez ne pas pouvoir vous installer dans une autre région ou ville de votre pays d’origine, alors qu’on pourrait vous retrouver partout, ou que les choses pourraient s’empirer, vous ne le savez pas.

Vous n’avez remis aucun document à l’appui de vos dires.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons développées ci-dessous.

Ainsi, il ressort des recherches effectuées dans les réseaux sociaux que, si en date du 4 juillet 2019, vous aviez été à …., vous n’aviez visiblement pas été enfermée dans un bureau de police depuis le 3 juillet 2019, mais que vous aviez pris un bain soleil avec une copine, alors que vous avez posté des photos y relativement sur votre page Facebook. Or, sur ces photos, on n’aperçoit aucune trace de blessures quelconques, des hématomes ou autres, alors que vous avez quand-même affirmé avoir été la victime d’un viol en date du 3 juillet 2019. Par ailleurs, il y a lieu de noter, et dans la mesure où vous affirmez avoir été retenue par la police en date du 4 juillet 2019, il est peu vraisemblable, d’une part, que la police vous aurait laissé votre portable, et d’autre part, qu’en tant que victime d’un viol, enfermée dans une cellule et blessée, vous n’auriez pas d’autres soucis que de poster des photos de loisir et de bon amusement.

Il ressort encore de vos dires que vous auriez été retenue dans le bureau de police à ….

pendant 10 jours, soit jusqu’au 13 juillet 2019. Or, suivant les informations publiquement accessibles sur Facebook, vous étiez, en date du 9 juillet 2019, à …., de sorte à ce que vos affirmations ne correspondent manifestement pas à la réalité. Par ailleurs, dans ce même contexte, vous aviez affirmé qu’après avoir été relâchée par la police, vous seriez partie à ….. Or, la région de …. se trouve à plus de 100 km de …. et ne se trouve même pas sur la route directe pour aller de …. à …., de sorte que vos affirmations à cet égard sont également non crédibles. Il suit également de ces révélations que, dans la mesure où vous aviez prétendu avoir été retenue pendant 10 jours 4aux fins d’attendre que vos blessures résultant d’un prétendu viol et de violences corporelles de la part de la police ne soient plus visibles, que, d’une part, manifestement, vous n’aviez pas été enfermée pendant 10 jours, et d’autre part, sur les photos vous montrant à …., aucune blessure, hématome ou autre n’est visible, et que vous semblez par ailleurs être dans un état général impeccable.

Ensuite, il ressort également de vos publications sur Facebook, qu’en date du 14 juillet 2019, soit un jour après avoir été prétendument libérée par la police, vous étiez à nouveau à …., et non pas à …., tel que vous le prétendez, de sorte que vos affirmations en général tombent à faux.

Par ailleurs, après être arrivée au Luxembourg, outre que vous ne semblez pas vous trouver dans un état de grande détresse de femme violée, battue et recherchée par les autorités biélorusses, il est étonnant que vous n’éprouvez aucun problème de faire part, dès le jour de l’introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg, de votre lieu de séjour, en indiquant régulièrement même les endroits exacts de votre position, par exemple en date du 21 octobre 2019 à la cathédrale de Luxembourg, sinon en date du 15 août 2019 à la Brasserie de la place "Russian Cafe", de sorte à ce que manifestement vous ne cherchez pas à vous cacher devant les autorités biélorusses. Par ailleurs, vous ne suivez pas les instructions vous données par les autorités luxembourgeoises, alors que vous ne vous maintenez pas sur le territoire luxembourgeois, tel que cela est néanmoins clairement indiqué dans votre papier rose, mais vous faites des voyages, notamment en France, et ne vous gênez même pas de conduire une voiture, sans être en possession d’un permis de conduire valable.

Enfin, force est de constater que toutes vos déclarations restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, vous restez en défaut de verser à la date de la présente, soit plus de 6 mois après l’introduction de votre demande de protection internationale, la convocation policière, cette dernière étant néanmoins un élément essentiel à base de votre demande. Or, et dans la mesure où vous semblez manier parfaitement les outils modernes de télécommunication, il vous aurait aisément été possible, d’en faire une photo avant votre départ du pays d’origine. Il ressort par ailleurs des informations recueillies sur l’une de vos pages Facebook, que, si vous semblez, à l’occasion de votre fuite prétendument précipitée, pas pensé à ramener les documents pertinents à la base de votre demande, telle la convocation, sinon des preuves relatives à votre présence sur le bureau de police à …., ou encore des certificats médicaux ou des preuves de votre présence chez un avocat, vous avez visiblement quand -même pensé à ramener au Luxembourg votre maillot de bain.

Notons par ailleurs que nos recherches n’ont pas permis de trouver des traces de quelconques arrestations à …. le jour de l’indépendance, ni de traces d’activités politiques de l’opposition à cette même date, ni même de rapports sur d’éventuelles maltraitances policières ce jour-là, et ce contrairement à d’autres occasions, bien documentées par des ONG, articles de presse et rapports, tel par exemple une manifestation, de surcroît non-autorisée, de l’opposition en date du 25 mars 2019, et ayant donné lieu à des arrestations de quelques heures et de libération sans suites. Uniquement deux politiciens ont été arrêtés plus longtemps. Or, outre que, tel que relevé ci-dessus, votre récit n’est dans son ensemble pas crédible, il est encore peu probable que vous auriez été enfermée pendant 10 jours pour avoir prétendument uniquement distribué des flyers. Notons également à cet égard, que selon le politologue Dmitri Stratievski « sogar 5Flugblätter, auf denen steht „nieder mit Lukaschenko" könne man in …. heute verteilen, ohne festgenommen zu werden. „vor wenigen Jahren war des noch undenkbar" », de sorte que vos affirmations sont également à cet égard non crédibles.

Au vu du manque de crédibilité de vos déclarations, aucune protection internationale ne vous est accordée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2020, Madame (C) fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 7 février 2020.

Par jugement du 23 mars 2022, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en la condamnant aux frais de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal arriva à la conclusion que c’était à juste titre que le ministre a retenu que la crédibilité du récit de la demanderesse est ébranlée dans son ensemble et qu’elle ne saurait, dès lors, bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 25 avril 2022, Madame (C) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 23 mars 2022.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelante réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et elle soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

Ainsi, elle réexpose être de nationalité biélorusse et avoir vécu dans la ville de …. en Biélorussie où elle aurait travaillé comme « … de société ». Elle relate avoir rencontré des problèmes dans son pays d’origine après avoir distribué à …. le 3 juillet 2019, jour de la fête de l’indépendance en Biélorussie, des tracts en faveur du parti politique d’opposition « Hramada » dans le contexte des élections de 2020. L’appelante précise avoir été arrêtée à cette occasion et amenée au bureau de la milice à …. où elle aurait été questionnée. Suite à cet interrogatoire, elle aurait été violée par un policier et subi des actes de torture afin qu’elle dévoile le nom de la personne lui ayant remis les tracts et ensuite enfermée dans une cellule pendant une dizaine de jours. Elle expose encore qu’elle n’aurait pas pu porter plainte contre les miliciens et qu’aucun médecin ni avocat n’auraient voulu la soutenir. Par la suite, elle aurait reçu une convocation pour se rendre de nouveau auprès de la police à …. et elle aurait été menacée au téléphone par des personnes inconnues. Préférant ne pas donner suite à cette convocation, elle aurait quitté son pays d’origine pour rejoindre une connaissance résidant au Luxembourg.

Sur ce, l’appelante reproche au ministre de ne pas avoir procédé à un examen réel et sérieux de sa demande de protection internationale et ceci en violation de l’article 37, paragraphe (3), point a), de la loi du 18 décembre 2015, tout en renvoyant dans ce contexte à un article de l’organisation « Human Rights Watch », intitulé « Belarus – Events of 2019 », ainsi qu’à deux articles de l’organisation « Amnesty International » décrivant la situation dans son pays d’origine en 2020/2021. Elle reproche plus précisément à l’autorité ministérielle d’avoir méconnu l’histoire 6mouvementée et la situation en Biélorussie depuis 1994 et demande que soient retenues comme suffisantes ses déclarations et explications.

Or, la véracité de son récit une fois admise, il conviendrait de lui reconnaître une protection internationale en raison de la nature et de la gravité des faits subis par elle.

En résumé, elle estime courir le risque d’être soumise, en cas de retour en Biélorussie, à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et les articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, de même qu’elle estime que l’ordre de quitter le territoire violerait de manière autonome l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 ».

Le jugement a quo serait partant à réformer et le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire, devrait lui être accordé et l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois devrait à son tour être rapporté.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

7 Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite point à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant dit, la Cour, à l’instar des premiers juges, rappelle que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves (cf. Cour adm. 22 octobre 2019, n° 43386C du rôle, Pas adm. 2021, V° Etrangers, n° 138 et autres références y citées).

Cependant, dans le cas d’espèce, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que la crédibilité générale du récit de Madame (C), en relation avec sa crainte d’être persécutée et de faire l’objet de poursuites de la part des autorités biélorusses à cause du fait d’avoir distribué des tracts à l’occasion de la fête de l’indépendance en 2019 contre le régime en place, est fondamentalement affectée par un certain nombre d’incohérences et de contradictions patentes.

La Cour ne saurait par ailleurs point suivre l’appelante en ce qu’elle estime que ses explications données en instance d’appel renversent ce constat.

Dans ce contexte, il convient de relever en premier lieu que Madame (C) n’a à ce jour produit aucune pièce en relation avec son prétendu activisme politique en Biélorussie et sa prétendue convocation devant les autorités policières à …., malgré le fait qu’elle a déclaré à l’agent ministériel en charge de son entretien qu’elle essayerait de se faire envoyer ladite convocation par sa mère pour la verser au dossier. En effet, l’appelante, en instance d’appel, reste toujours en défaut de 8produire des documents susceptibles d’appuyer la véracité de ses dires respectivement de fournir des explications pourquoi il lui serait impossible de se procurer à l’heure actuelle des pièces documentant la réalité de son récit.

Pour le surplus, les déclarations de Madame (C) sont encore peu crédibles dans le contexte de son arrestation en date du 3 juillet 2019 et sa détention dans les bureaux de la milice pendant 10 jours à partir de cette date, période lors de laquelle elle aurait été violée et frappée par un agent de police.

En effet, tel que relevé par les premiers juges, cette affirmation est en contradiction flagrante avec la photographie publiée le 4 juillet 2019 sur sa page Facebook, la montrant avec une copine en train de prendre un bain de soleil à …. et aucune trace quelconque d’une agression physique, telle une blessure ou un hématome, n’est visible ni sur le visage, ni sur son corps et ce quand bien même qu’elle prétend avoir été violée et frappée par un policier la veille. Pour le surplus, une autre photographie publiée sur son compte Facebook le 9 juillet 2019 documente que l’appelante se serait trouvée dans la région de …. se trouvant à plus de 200 km de …., de sorte que l’affirmation suivant laquelle elle aurait été détenue au bureau de police à …. pendant dix jours depuis le 3 juillet 2019 est clairement contredite par les éléments du dossier. L’affirmation avancée en cours de procédure contentieuse qu’elle aurait demandé à son amie, présente lors de l’arrestation et ayant disposé des coordonnées de son compte Facebook, de publier ces photographies afin de ne pas inquiéter sa mère n’est guère crédible, étant donné qu’elle n’avait jamais auparavant fait état d’une copine qui l’aurait accompagnée le 3 juillet 2019 et cette explication peu convaincante et non autrement circonstanciée reste dès lors à l’état de pure allégation pour n’être corroborée par aucun élément de preuve tangible, telle par exemple une attestation testimoniale. Partant, ces incohérences concernant le motif essentiel expliquant sa fuite de son pays d’origine sont de nature à jeter un discrédit général sur la réalité du récit de l’appelante.

De même, la Cour partage encore les doutes de la partie étatique quant à l’affirmation de Madame (C) suivant laquelle elle serait partie à …. après avoir été relâchée par la police de …., étant donné que, d’un côté, il se dégage de la photographie publiée sur sa page Facebook que le 13 juillet 2019 elle s’est trouvée dans la région de …. qui se situe à plus de 100 km de …., et que, de l’autre côté, il ressort de la photographie publiée sur Facebook en date du 14 juillet 2019, qu’à cette date elle s’est toujours trouvée à ….. Or, tel que relevé par le tribunal, il est pour le moins surprenant que l’appelante se serait photographiée le lendemain de sa libération du bureau de police où elle affirme avoir été violée et subi des violences corporelles de la part des forces de l’ordre.

Il convient encore de noter que les recherches effectuées par l’autorité ministérielle n’ont pas permis de trouver des traces de quelconques arrestations à …. le jour de l’indépendance en 2019, ni d’activités politiques de l’opposition ou encore de maltraitances policières à l’encontre de manifestants à cette même date et l’appelante reste à ce jour en défaut de renverser ce constat par rapport aux prétendus événements s’étant déroulés à …. le 3 juillet 2019.

Finalement, à l’instar du tribunal, la Cour arrive à la conclusion que la crédibilité du récit de l’appelante est également remise en cause par son comportement affiché après son arrivée au Luxembourg. En effet, il ressort du dossier administratif qu’elle a régulièrement publié sur Facebook des photographies et ne semble pas manifester sur ces photographies un état de détresse ou un choc particulier en raison des prétendus événements vécus par elle en Biélorussie, alors qu’on peut légitimement attendre d’une personne qui prétend avoir été persécutée ou subi des atteintes graves dans son pays d’origine d’adopter un comportement discret afin de ne pas se faire 9localiser par lesdites autorités. Dans ce contexte, il convient par ailleurs de noter que l’appelante, d’après son compte Facebook, s’était rendue en date du 3 septembre 2019 en Lorraine et avait partant quitté le territoire du Luxembourg et ceci en violation de l’article 7, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 autorisant un demandeur de protection internationale à rester sur le territoire national et y circuler librement et non pas d’effectuer des déplacements à l’étranger.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le récit du vécu de l’appelante n’a pas été considéré comme étant crédible et, de la sorte, qu’il ne saurait suffire pour justifier l’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelante le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

En effet, comme il a été retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à Madame (C) l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Les développements ci-dessus ayant mené au constat que les craintes invoquées par l’appelante de subir des persécutions sinon des atteintes graves ne sont pas fondées, son renvoi vers la Biélorussie ne saurait logiquement emporter une atteinte au principe de non-refoulement, tel que notamment prévu par l’article 3 de la CEDH et les articles 1er et 3 de de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi qu’à l’article 129 de la loi du 29 août 2008.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 25 avril 2022 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 23 mars 2022 ;

10donne acte à l’appelante qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin 2022 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47346C
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-06-28;47346c ?

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