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16/06/2022 | LUXEMBOURG | N°92/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 16 juin 2022, 92/22


N° 92 / 2022 du 16.06.2022 Numéro CAS-2021-00076 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Isabelle JUNG, avocat général, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre:

la société en commandite par actions SOC1)

, établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociét...

N° 92 / 2022 du 16.06.2022 Numéro CAS-2021-00076 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Isabelle JUNG, avocat général, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre:

la société en commandite par actions SOC1), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le gérant commandité, la société anonyme Soc11), établie et ayant son siège social à (…), elle-même représentée par le conseil d’administration, demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de la société en commandite simple Kleyr Grasso, établie et ayant son siège social à L-2361 Strassen, 7, rue des Primeurs, inscrite à la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par le gérant, la société à responsabilité limitée Kleyr Grasso GP, établie à la même adresse, elle-même représentée aux fins de la présente instance par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, demeurant à la même adresse, et:

1) la société anonyme SOC2), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d’administration, défenderesse en cassation, comparant par Maître Nicolas THIELTGEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la société anonyme SOC3), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 3) l’établissement public SOC4), établi et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le minier (…), représenté par le conseil d'administration, 4) la société anonyme SOC5), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 5) la société anonyme SOC6), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 6) la société coopérative SOC7), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 7) la société anonyme SOC8), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 8) la société anonyme SOC9), établie et ayant son siège à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par le conseil d'administration, 9) la société en commandite par actions SOC10), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par son administrateur provisoire, défendeurs en cassation.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 65/21 - VII - REF, rendu le 5 mai 2021 sous le numéro CAL-2020-00104 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière de saisie-arrêt ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 9 juillet 2021 par la société en commandite par actions SOC1) (ci-après « la société SOC1) ») à la société anonyme SOC2) (ci-après « la société SOC2) »), la société anonyme Soc3), l’établissement public autonome SOC4), la société anonyme SOC5), la société anonyme Soc6), la société coopérative SOC7), la société anonyme SOC8), la société anonyme Soc9) (ci-après « les sociétés tierces saisies ») et à la société en commandite par actions SOC10) déposé le 12 juillet 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 septembre 2021 par la société SOC2) à la société SOC1), aux sociétés tierces saisies et à la société SOC10) déposé le 8 septembre 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un magistrat du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme juge des saisies comme en matière des référés, avait rejeté la demande en rétractation d’une ordonnance présidentielle dudit tribunal ayant autorisé la société SOC2) à pratiquer à charge de la société SOC1) saisie - arrêt pour un certain montant entre les mains des défendeurs en cassation sub 2-9. La Cour d’appel, après avoir annulé l’ordonnance entreprise pour défaut de motivation, a dit la demande en rétractation recevable, mais non fondée.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la demande en rétractation de la société Soc1) non fondée et d’avoir condamné la société Soc1) aux frais et dépens de l’instance d’appel, en écartant, pour ce faire, le moyen d’Soc1) tiré du caractère contestable des conclusions auxquelles en était venu le tribunal d’arrondissement dans son jugement du 29 juillet 2020 de l’autorité de chose jugée duquel se prévalait Soc2), mais qui avait été frappé d’appel par Soc1) le 5 octobre 2020, aux motifs suivants :

de la société SOC2) contre la société SOC1) résultant de l’opération de promotion immobilière “Soc12)” menée en commun par les parties et de la cession des parts de la société Soc12) à un investisseur-tiers, fondée en son principe et a nommé un expert en vue de l’établir sur base des critères repris dans la motivation du jugement.

Même si le jugement du 29 juillet 2020 ne constitue pas un titre authentique, la société SOC2) a invoqué la force probante de cette décision de justice assortie de l’autorité de chose jugée pour justifier sa demande en autorisation de saisir-arrêter.

Il est en effet admis que le litige soumis à une juridiction n’a plus lieu d’être examiné par celle-ci, lorsqu’une décision de justice antérieure y a statué.

L’autorité de la chose jugée est envisagée par l’article 1351 du Code civil en tant qu’une des présomptions établies par la loi en vertu de l’article 1350 du Code civil pour valoir preuve dans les instances judiciaires. A ce titre la présomption de vérité qui s’attache à ce qui a été précédemment décidé au cours d’une instance joue positivement en faveur du demandeur au regard de la charge de la preuve, puisqu’il peut le cas échéant prendre appui sur cette présomption pour justifier sa demande ou son argumentation.

Elle joue négativement en sa défaveur si ce qui est décidé précédemment contredit sa position et que son adversaire peut l’invoquer pour contester sa demande. L’exception de l’autorité de chose jugée empêche que ce qui a été définitivement jugé antérieurement puisse à nouveau être soumis à l’appréciation d’un juge (Thierry HOSCHEIT le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg n°911 et suivants).

Tant au stade conservatoire qu’à celui de l’exécution, le juge des saisies est lié par l’autorité de chose jugée qui s’attache aux décisions de justice ; celles-ci ne peuvent être anéanties que sur les recours prévus par la loi. Ainsi le débiteur saisi ne peut invoquer le défaut de certitude, d’exigibilité ou de liquidité d’une créance alors que ces caractères sont reconnus par un jugement ; de telles contestations ne peuvent être articulées que par l’exercice régulier d’une voie de recours (G.DE LEVAL, traité des saisies Bruxelles, Bruylant éd. 1988 p 30).

Même la régularité de la décision n’est pas une condition de l’autorité de chose jugée.

Le jugement bénéficie de cette autorité tant qu’il n’a pas été annulé par l’exercice d’une voie de recours (cf Droit et Pratique de la procédure civile sous la direction de Serge Guinchard éd. Dalloz n°421.11).

La possibilité d’exercer une voie de recours n’a aucune incidence sur l’autorité de la chose jugée, même si le délai et le recours exercé sont suspensifs de l’exécution dans ce cas c’est la force exécutoire du jugement qui est suspendue mais non son autorité de chose jugée (ibidem n°421.32).

La Cour de Cassation française l’a réaffirmé de façon claire en précisant que le jugement frappé d’appel continue à avoir autorité de chose jugée aussi bien sous la forme négative d’une fin de non-recevoir s’opposant à toute nouvelle demande identique, que sous la forme positive d’un moyen de preuve que l’on s’efforce d’en tirer (civ.1ère, 11 juin 1991, n°88-18.130, Bull.civ.I, n°189 , RTD civ.1992.187, obs.

R.Perrot). Cet arrêt a confirmé qu’il ne faut pas confondre chose jugée et force exécutoire : si l’appel suspend la force exécutoire du jugement, il n’en suspend pas l’autorité de chose jugée. Cette dernière subsiste tant que la décision n’est pas réformée. (Rép. de procédure civile. Effet suspensif de l’appel et exécution du jugement Frédérique Ferrand mai 2018, actualisé mars 2021).

Si la force exécutoire participe à l’efficacité des décisions de justice en permettant leur transcription dans les faits, l’autorité de chose jugée assure la stabilité juridique des droits reconnus en justice.

Pour s’opposer à la remise de sommes d’argent dans le cadre de la phase conservatoire de la procédure de saisie-arrêt, le saisissant peut se baser sur des ordonnances de référé, des jugements rendus au fond au Luxembourg ou à l’étranger, susceptibles d’une voie de recours en en faisant l’objet. Ce principe, constant depuis de nombreuses années, n’a jamais été remis en cause (Cour d’appel 20 janvier 2020 no 35065 du rôle).

La décision de jurisprudence invoquée par l’appelant est dès lors à considérer comme une décision isolée.

Il est admis que la saisie-arrêt étant une mesure conservatoire et ne devenant un acte d’exécution que par l’effet du jugement de validité, peut être pratiquée en vertu d’un jugement, alors même que ce jugement ne serait pas exécutoire par provision (Dalloz, nouveau code de procédure civile, Des saisies-arrêts et oppositions, no 580).

Il est encore admis que l’existence d’une créance dont l’existence est certaine, mais dont le montant dépend du résultat d’un décompte à établir, peut servir de fondement à une saisie-arrêt, sauf pour les juges à surseoir à statuer sur la validité jusqu’à l’apurement du compte (Lux 30 avril 1958 P17.p 334).

Il découle de l’ensemble de ces développements que la société SOC2) peut valablement invoquer l’autorité de chose jugée attachée au jugement du 29 juillet 2020 pour établir sa créance », alors que, contrairement à ce qu’a jugé la Cour d’appel, il est de principe qu’aucune autorité positive de chose jugée ne revient à un jugement de première instance dès le moment où ce jugement a été frappé d’appel ; que l’appel suspend non seulement l’exécution mais également l’autorité de la chose jugée de la décision dont appel ;

que la solution contraire, suivie en l’espèce par la Cour d’appel, en vertu de laquelle l’effet suspensif de l’appel n’affecte pas l’autorité de la chose jugée qui n’est remise en cause que par la réformation effective de la décision, a été développée par la jurisprudence française en vertu d’une réforme du Code de procédure civile français, réforme que le législateur luxembourgeois n’a pas fait sienne et que la Cour d’appel a eu tort de consacrer comme faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois ; qu’il s’ensuit que c’est à tort que l’arrêt attaqué s’est estimé lié par l’autorité de la chose jugée du jugement, attaqué en appel, du 29 juillet 2020, et que la Cour d’appel aurait dû examiner les moyens d’Soc1) qui tendaient à montrer que la créance invoquée par son adversaire n’était pas certaine et exigible ;

qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a, première branche, violé l’article 1350, 3° et l’article 1351 du Code civil, textes qui ensemble définissent légalement l’autorité de la chose jugée ;

qu’elle a encore, deuxième branche, violé l’article 588 (alinéa 1er) du Nouveau Code de procédure civile, définissant l’effet suspensif de l’appel. ».

Réponse de la Cour Tout jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, a, dès son prononcé, autorité de chose jugée. L’exercice d’une voie de recours en suspend la force exécutoire, mais non l’autorité de chose jugée y attachée qui demeure tant que le jugement n’est pas réformé. Elle fait obstacle à soulever dans le cadre d’une autre demande entre parties une prétention dont le fondement est inconciliable avec ce qui a été jugé.

En statuant comme ils l’ont fait, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la demande en rétractation de la société Soc1) non fondée et d’avoir condamné la société Soc1) aux frais et dépens de l’instance d’appel, en écartant, pour ce faire, le moyen d’Soc1) tiré de l’absence de justification par Soc2) du risque de non-recouvrabilité de la créance du saisissant, aux motifs suivants :

arrêt ne serait pas justifiée en l’absence de tout risque d’irrécouvrabilité de la créance et verse des pièces de nature à établir sa solvabilité.

La saisie-arrêt régie par les articles 693 et suivants du NCPC n’est en effet pas soumise à la démonstration d’un risque d’insolvabilité du saisi ou d’une autre cause d’irrécouvrabilité de la créance du saisissant. Contrairement à la saisie-

conservatoire de l’article 550 du NCPC, le recours à la saisie-arrêt n’est pas conditionné par la loi à une nécessité de célérité. Dans le cadre des articles 693 et suivants du NCPC, le saisissant peut au contraire, sous le contrôle du juge sur le caractère suffisamment certain de la créance alléguée et sous la sanction le cas échéant de la responsabilité civile du saisissant engagée par le juge du fond, procéder à la saisie-arrêt sans devoir démontrer qu’il y a péril en la demeure, aux seules fins de mettre sous mains de justice les avoirs du saisi pour garantie de la créance alléguée.

Cet argument est partant à rejeter et il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en rétractation », alors que, puisqu’il s’agissait en l’espèce d’une saisie-arrêt qui devait être autorisée par le Président du Tribunal d’arrondissement conformément à l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile, il convenait d’appliquer ledit texte selon lequel ; que par l’emploi du mot " pourront", le texte fait apparaître qu’il n’institue pas une obligation, à charge de ce juge, de permettre la saisie-arrêt dès lors que les conditions de certitude et d’exigibilité de la créance sont remplies, mais qu’il laisse au juge un pouvoir d’appréciation en opportunité quant à sa décision de permettre de pratiquer saisie-arrêt ; que le président du tribunal d’arrondissement saisi de la demande en autorisation de la saisie-arrêt et, sur recours en rétractation de l’adversaire du saisissant, les juges saisis de ce recours doivent effectivement faire usage de ce pouvoir d’appréciation et ne peuvent se considérer comme liés du fait de la constatation (fût-ce sur le fondement de l’autorité de chose jugée qui reviendrait à un jugement invoqué par le saisissant) de la certitude et de l’exigibilité de la créance du saisissant ;

qu’à ce titre, l’absence de tout risque de non-recouvrabilité de la créance du saisissant est un élément que ces juges peuvent (et doivent) prendre en considération en prenant leur décision ; qu’en décidant, au contraire, que le contrôle du juge ne porte que , la Cour d’appel a violé l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile. ».

Réponse de la Cour Par la motivation telle que reprise au moyen, les juges d’appel ont fait l’exacte application de la loi.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la société SOC2) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la société anonyme SOC2) une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Nicolas THIELTGEN, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Isabelle JUNG et du greffier en chef Viviane PROBST.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation société en commandite par actions SOC1) c/ 1) société anonyme SOC2) 2) société anonyme SOC3) 3) établissement public SOC4) 4) société anonyme SOC5) 5) société anonyme SOC6) 6) société coopérative SOC7) 7) société anonyme SOC8) 8) société anonyme SOC9) 9) société en commandite par actions SOC10) (affaire n° CAS 2021-00076 du registre) Sur la recevabilité du pourvoi ……………………………………………………………………………………… 9 Sur les faits ……………………………………………………………………………………………………………… 10 Sur le premier moyen de cassation ……………………………………………………………………………… 10 L’autorité de chose jugée ………………………………………………………………………………………. 13 Le défaut de pertinence de l’argument tiré de la différence entre les droits français et luxembourgeois : l’autorité de chose jugée des décisions dès leur prononcé ………………… 17 La question pertinente : Est-ce que l’autorité de chose jugée des jugements dès leur prononcé est suspendue par l’exercice d’une voie de recours suspensive, tel un appel ? … 19 Une jurisprudence abandonnée en France et en Belgique ……………………………………….. 21 Une jurisprudence contestable…………………………………………………………………………….. 22 Conclusion …………………………………………………………………………………………………………… 23 Sur le second moyen de cassation ………………………………………………………………………………. 24 Conclusion ………………………………………………………………………………………………………………. 28 Le pourvoi de la demanderesse en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 12 juillet 2021, d’un mémoire en cassation, est dirigé contre un arrêt rendu en date du 5 mai 2021 sous le numéro CAL-2021-00104 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière de saisie-arrêt, signifié à la demanderesse en cassation en date du 12 mai 20211.

Sur la recevabilité du pourvoi 1 Pièce n° 9 annexée au mémoire en réponse de la société anonyme soc2).

Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai2 et la forme3.

Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le pourvoi est, partant, recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par la société en commandite par actions SOC1) d’une demande en rétractation d’une autorisation donnée par le magistrat remplaçant le Président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg à la société anonyme SOC2) de pratiquer saisie-arrêt à charge de la demanderesse entre les mains de différents tiers saisis, le magistrat remplaçant le Président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme juge des saisies comme en matière des référés, disait la demande non fondée. Sur appel de la demanderesse, la Cour d’appel annula l’ordonnance entreprise pour défaut de motivation et, statuant en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, dit la demande en rétractation recevable, mais non fondée.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation des articles 1350, 3° et 1351 du Code civil et 588, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a déclaré non fondée la demande en rétractation de l’autorisation de pratiquer saisie-arrêt aux motifs que le créancier saisissant, SOC2), a établi sa créance en invoquant un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 29 juillet 2020 rendu entre parties qui, bien que frappé d’appel, bénéficie, tant qu’il n’a pas été réformé par l’exercice d’une voie de recours, de l’autorité de la chose jugée, qui est à distinguer de la force exécutoire, alors que « contrairement à ce qu’a jugé la Cour d’appel, il est de principe qu’aucune autorité positive de chose jugée ne revient à un jugement de première instance dès le moment où ce jugement a été frappé d’appel ; que l’appel suspend non seulement l’exécution mais également l’autorité de la chose jugée de la décision dont appel ; que la solution contraire, suivie en l’espèce par la Cour d’appel, en vertu de laquelle l’effet suspensif de l’appel n’affecte pas l’autorité de la chose jugée qui n’est remise en cause que par la réformation effective de la décision, a été développée par la jurisprudence française en vertu d’une réforme du Code de procédure civile français, réforme que le législateur luxembourgeois n’a pas fait sienne et que la Cour d’appel a eu tort de consacrer comme faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois ; qu’il s’ensuit que c’est à tort que l’arrêt attaqué s’est estimé lié par l’autorité de la chose jugée du jugement, attaqué en appel, du 29 juillet 2020, et que la Cour d’appel aurait dû examiner les moyens d’SOC1) qui tendaient 2 L’arrêt attaqué a été signifié en date du 12 mai 2021 par la société soc2) à la demanderesse en cassation. Le pourvoi ayant été formé le 12 juillet 2021, le délai de deux mois, prévu par l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation applicable en cause, la demanderesse en cassation demeurant au Grand-Duché, a été respecté.

3 La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié aux défendeurs en cassation antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi précitée de 1885 ont été respectées.

à montrer que la créance invoquée par son adversaire n’était pas certaine et exigible ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a, première branche, violé l’article 1350, 3° et l’article 1351 du Code civil, textes qui ensemble définissent légalement l’autorité de la chose jugée ;

qu’elle a encore, deuxième branche, violé l’article 588 (alinéa 1er) du Nouveau Code de procédure civile, définissant l’effet suspensif de l’appel »4.

Le deuxième moyen vous saisit d’une question qui divise la Cour d’appel.

La question posée est celle de savoir si une décision d’une juridiction de première instance tranchant le bien-fondé d’une contestation jouit de l’autorité de chose jugée, donc interdit de réitérer la contestation tranchée dans le cadre d’une nouvelle procédure, tant bien même que la décision est frappée d’appel.

La Cour d’appel avait, dans un arrêt du 1er février 20125, qui a été invoqué en cause, décidé qu’une décision frappée d’appel ne saurait avoir autorité de chose jugée. Elle fondit cette solution sur le motif tiré de ce que « l’appel suspend non seulement l’exécution mais également l’autorité de la chose jugée de la décision entreprise »6. Elle ajouta que « [s]’il est vrai que la doctrine française récente admet que l’effet suspensif n’affecte pas l’autorité de la chose jugée […], il en est ainsi en vertu de l’article 480 du Nouveau Code de procédure civile français qui dispose que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, a dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche, disposition qui n’a pas son pareil en droit luxembourgeois »7.

En revanche, dans l’arrêt attaqué elle décida le contraire aux motifs suivants :

« L’autorité de la chose jugée est envisagée par l’article 1351 du Code civil en tant qu’une des présomptions établies par la loi en vertu de l’article 1350 du Code civil pour valoir preuve dans les instances judiciaires. A ce titre, la présomption de vérité qui s’attache à ce qui a été précédemment décidé au cours d’une instance joue positivement en faveur du demandeur au regard de la charge de la preuve, puisqu’il peut le cas échéant prendre appui sur cette présomption pour justifier sa demande ou son argumentation.

Elle joue négativement en sa défaveur si ce qui est décidé précédemment contredit sa position et que son adversaire peut l’invoquer pour contester sa demande. L’exception de l’autorité de chose jugée empêche que ce qui a été définitivement jugé antérieurement puisse à nouveau être soumis à l’appréciation d’un juge (Thierry HOSCHEIT le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg n°911 et suivants).

Tant au stade conservatoire qu’à celui de l’exécution, le juge des saisies est lié par l’autorité de chose jugée qui s’attache aux décisions de justice ; celles-ci ne peuvent être anéanties que sur les recours prévus par la loi. Ainsi le débiteur saisi ne peut invoquer le défaut de certitude, d’exigibilité ou de liquidité d’une créance alors que ces caractères sont reconnus par un jugement ; de telles contestations ne peuvent être 4 Mémoire en cassation, pages 6 et 7 (énoncé du premier moyen, passage qui suit « alors que »).

5 Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière d’appel de référé, 1er février 2012, n° 37646 du rôle, Pas.

35, page 751.

6 Pas. 35, page 753, colonne de droite, premier alinéa.

7 Idem et loc.cit.

articulées que par l’exercice régulier d’une voie de recours (G.DE LEVAL, traité des saisies Bruxelles, Bruylant ed. 1988 p 30).

Même la régularité de la décision n’est pas une condition de l’autorité de chose jugée.

Le jugement bénéficie de cette autorité tant qu’il n’a pas été annulé par l’exercice d’une voie de recours (cf. Droit et Pratique de la procédure civile sous la direction de Serge Guinchard éd. Dalloz n°421.11).

La possibilité d’exercer une voie de recours n’a aucune incidence sur l’autorité de la chose jugée, même si le délai et le recours exercé sont suspensifs de l’exécution : dans ce cas c’est la force exécutoire du jugement qui est suspendue mais non son autorité de chose jugée (ibidem n°421.32).

La Cour de Cassation française l’a réaffirmé de façon claire en précisant que le jugement frappé d’appel continue à avoir autorité de chose jugée aussi bien sous la forme négative d’une fin de non-recevoir s’opposant à toute nouvelle demande identique, que sous la forme positive d’un moyen de preuve que l’on s’efforce d’en tirer (Cass. civ.1ère, 11 juin 1991, n°88-18.130, Bull.civ.I, n°189, RTD civ.1992.187, obs.

R.Perrot). Cet arrêt a confirmé qu’il ne faut pas confondre chose jugée et force exécutoire : si l’appel suspend la force exécutoire du jugement, il n’en suspend pas l’autorité de chose jugée. Cette dernière subsiste tant que la décision n’est pas réformée (Rép.de procédure civile. Effet suspensif de l’appel et exécution du jugement Frédérique Ferrand mai 2018, actualisé mars 2021).

Si la force exécutoire participe à l’efficacité des décisions de justice en permettant leur transcription dans les faits, l’autorité de chose jugée assure la stabilité juridique des droits reconnus en justice.

Pour s’opposer à la remise de sommes d’argent dans le cadre de la phase conservatoire de la procédure de saisie-arrêt, le saisissant peut se baser sur des ordonnances de référé, des jugements rendus au fond au Luxembourg ou à l’étranger, susceptibles d’une voie de recours en en faisant l’objet. Ce principe, constant depuis de nombreuses années, n’a jamais été remis en cause (Cour d’appel 20 janvier 2010 no 35065 du rôle).

La décision de jurisprudence invoquée par l’appelant est dès lors à considérer comme une décision isolée.

[…] Il découle de l’ensemble de ces développements que la société SOC2) peut valablement invoquer l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 29 juillet 2020 pour établir sa créance. »8.

A l’appui de son moyen la demanderesse en cassation se prévaut de l’arrêt précité du 1er février 2012 pour soutenir que « il est de principe qu’aucune autorité positive de chose jugée ne revient à un jugement de première instance dès le moment où ce jugement a été frappé d’appel ; que l’appel suspend non seulement l’exécution mais également l’autorité de la chose jugée de la 8 Arrêt attaqué, page 9, avant-dernier alinéa, à page 11, cinquième alinéa.

décision dont appel »9 et « que la solution contraire, suivie en l’espèce par la Cour d’appel, en vertu de laquelle l’effet suspensif de l’appel n’affecte pas l’autorité de la chose jugée qui n’est remise en cause que par la réformation effective de la décision, a été développée par la jurisprudence française en vertu d’une réforme du Code de procédure civile français, réforme que le législateur luxembourgeois n’a pas fait sienne et que la Cour d’appel a eu tort de consacrer comme faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois »10.

Il vous appartient donc de prendre position sur cette controverse.

Celle-ci est relative à l’autorité de la chose jugée, qui a pu être décrite comme « une des questions les plus obscures du droit et l’objet d’incessantes controverses »11.

L’autorité de chose jugée L’autorité de chose jugée est classiquement considérée comme une « présomption de vérité qui s’attache à ce qui a été précédemment décidé au cours d’une instance »12. L’article 1350 du Code civil cite, en effet, dans son point 3°, « l’autorité que la loi attribue à la chose jugée » parmi les cas y énumérés de « présomption légale […] qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits ». Cet article figure dans le Livre III, Titre III, du Code civil au Chapitre VI, consacré à la preuve des obligations. Il est donc considéré par le Code comme une règle de preuve.

Cette définition classique a cependant fait l’objet de critiques. En effet, « [l]e procès civil n’est pas une mécanique tendue vers la conquête de la vérité »13. La chose jugée « n’est pas la vraie vérité »14, mais la vérité judiciaire, qui « se distingue de la « vérité scientifique » ou de la « vérité historique », [qui] peuvent être éternellement débattues au fil de l’avancement des connaissances, au contraire de la première, qui se doit, à un moment donné, de traduire un acte d’autorité »15.

En réalité, « [s]a fonction est technique et consiste à empêcher le recommencement des procès déjà jugés »16. Ainsi que vous l’avez récemment rappelé « [l]interdiction de remettre en cause l’autorité de la chose jugée […] a pour objectif d’empêcher l’insécurité juridique dans l’administration de la justice »17.

L’autorité de la chose jugée se distingue d’abord de la force de chose jugée, qui suppose que « les voies de recours ordinaires (opposition ou appel) sont épuisées ou que le délai pour les 9 Mémoire en cassation, page 6, avant-dernier alinéa.

10 Idem, même page, dernier alinéa.

11 Conclusions du Procureur général Paul LECLERCQ sous : Cour de cassation de Belgique, 4 mars 1930, Pas.

belge, I, page 143, voir page 149, cité par : P. MAHAUX, La chose jugée et le Code judiciaire, Journal des tribunaux, 1971, pages 581 à 594, voir page 581.

12 Thierry HOSCHEIT, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, Luxembourg, Editions Paul Bauler, 2ième édition, 2019, n° 1017, page 581.

13 Répertoire Dalloz Procédure civile, V° Chose jugée, par Cédric BOUTY, mars 2018, n° 304, citant D. TOMAIN, Essai sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, Paris, LGDJ, 1975, n° 329.

14 Idem, n° 305.

15 Idem et loc.cit.

16 Idem, n° 308.

17 Cour de cassation, 20 mai 2021, n° 86/2021, CAS-2020-00069 du registre (réponse à l’unique moyen de cassation).

former est expiré »18. Celle-ci décrit l’état d’«une décision qui ne peut plus être mise en cause par l’exercice d’une voie de recours »19, plus précisément par des voies de recours suspensives d’exécution20, donc par l’appel et l’opposition, à distinguer des voies de recours extraordinaires, donc non suspensives d’exécution, à savoir le pourvoi en cassation, la tierce opposition et la requête civile.

L’autorité de la chose jugée se distingue ensuite de la force exécutoire, qui « est la caractéristique propre à une décision de justice qui peut faire l’objet de voies d’exécution forcée, par lesquelles le débiteur du jugement peut être contraint par la force publique à le respecter et à l’exécuter »21. Sont revêtues de la force exécutoire, d’une part, toutes les décisions passées en force de chose jugée (donc, d’une part, les décisions contre lesquelles les voies de recours ordinaires ont été épuisées ou ne sont pas recevables et, d’autre part, les décisions qui ont fait l’objet d’une signification aux fins de faire courir les délais des voies de recours mais qui n’ont pas fait l’objet d’une voie de recours à l’expiration de ces délais22) et, d’autre part, « [t]outes les décisions rendues par les juridictions luxembourgeoises […] dès la signification de leur expédition, et ce aussi longtemps qu’aucune voie de recours n’a été exercée par le débiteur »23. En revanche, l’exercice d’une voie de recours ordinaire, donc suspensive d’exécution, à savoir l’appel ou l’opposition, suspend la force exécutoire, qui a pris naissance au moment de la signification de la décision24.

Cette spécificité de la force exécutoire a été précisée par la Cour de cassation de Belgique dès un arrêt du 29 novembre 1900 :

« Attendu que tout jugement est un acte de souveraineté, qui doit produire ses effets aussi longtemps qu’il n’a pas été annulé par les voies légales ;

Attendu, il est vrai, qu’aux termes de l’article 457 du code de procédure civile [correspondant à l’article 588, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile], l’appel des jugements définitifs est suspensif si le jugement ne prononce pas l’exécution provisoire dans les cas où elle est autorisée ;

Attendu qu’il suit de ce texte que l’appel interjeté dans le délai utile a pour effet de suspendre l’exécution du jugement […] »25.

La force exécutoire a donc un domaine plus large que celui de la force de chose jugée, en ce que toute décision est, dès sa signification et nonobstant le défaut d’expiration des délais des voies de recours, susceptible d’exécution. La force exécutoire est toutefois suspendue par l’exercice des voies de recours suspensives d’exécution.

L’autorité de la chose jugée se distingue enfin de l’irrévocabilité de la décision, qui n’est acquise que si celle-ci n’est plus susceptible de faire l’objet des voies de recours extraordinaires, 18 E. GLASSON, R. MOREL et A. TISSIER, Traité de procédure civile, Paris, Sirey, 3e édition, 1929, Tome III, n° 772, page 93.

19 HOSCHEIT, précité, n° 1290, page 700.

20 Répertoire Dalloz précité, n° 11.

21 HOSCHEIT, précité, n° 1292, page 700.

22 Idem, n° 1293, page 701.

23 Idem, n° 1294, page 701.

24 Idem et loc.cit.

25 Cour de cassation de Belgique, 29 novembre 1900, Pas. belge, 1901, I, page 61.

du recours en cassation de la tierce opposition et de la requête civile26. « Alors que l’autorité de la chose jugée s’oppose au recommencement du procès qui a déjà eu lieu, l’irrévocabilité de la chose jugée s’oppose à sa perpétuation par le biais des voies de recours »27.

L’autorité de chose jugée produit un double effet, négatif et positif.

L’effet négatif « permet de s’opposer au commencement des procès [donc] il s’agit d’empêcher, d’interdire, par le biais d’une fin de non-recevoir, que le bien-fondé d’une action soit à nouveau apprécié »28. L’autorité de la chose jugée « fait [donc] obstacle à la réitération de la demande »29.

L’effet positif « permet […] de s’appuyer sur ce qui a été déjà jugé à l’occasion d’un premier procès pour en tirer de nouvelles conséquences juridiques à l’occasion d’un second procès »30.

Il « s’agit de se fonder sur la chose précédemment jugée pour l’invoquer dans le cadre d’un nouveau litige qui n’est pas exactement le même que celui déjà jugé »31.

Dire que le litige ne doit pas être exactement le même signifie que « [l]a condition de triple identité [d’objet, de cause et de parties prévue par l’article 1351 du Code civil, définissant l’autorité de la chose jugée32] ne joue […] pas de manière complète dans le cadre de cet effet positif »33. « Il suffit qu’un point litigieux identique à celui qui a déjà été tranché soit soulevé dans le cadre d’une autre procédure et que la partie contre laquelle on veut opposer l’autorité de chose jugée ait déjà été partie à la procédure antérieure »34.

La dispense de la condition tirée de la triple identité de l’article 1351 du Code civil en matière d’effet positif de l’autorité de la chose jugée a été formulée par la Cour de cassation de Belgique dans les termes suivants : « De ce qu’il n’y a pas identité entre l’objet et la cause d’une action définitivement jugée et ceux d’une autre action ultérieurement exercée entre les mêmes parties, il ne se déduit pas nécessairement que pareille identité n’existe à l’égard d’aucune prétention ou contestation élevée par une partie dans l’une ou l’autre instance ni, partant, que le juge puisse accueillir une prétention dont le fondement est inconciliable avec la chose antérieurement jugée »35.

Cette solution a été confirmée par votre récent arrêt n° 86/2021, numéro CAS-2020-00069 du registre, du 20 mai 2021, dans lequel vous avez constaté que « [l]ïnterdiction de remettre en cause l’autorité de la chose jugée […] ne saurait être restreinte à la triple condition d’identité des parties, d’objet et de cause de l’article 1351 du Code civil ». Par ce motif vous avez rejeté un pourvoi qui avait été dirigé contre un arrêt qui avait débouté d’un recours en responsabilité civile dirigé contre l’Etat une personne qui soutenait que l’Etat avait engagé sa responsabilité 26 GLASSON, MOREL et TISSIER, précité, n° 772, page 93.

27 Répertoire Dalloz, précité, n° 12.

28 Idem, n° 567.

29 Georges DE LEVAL et Hakim BOULARBAH, Droit judiciaire, Tome 2 : Procédure civile, Volume 1 : Principes directeurs du procès civil, Bruxelles, Larcier, 2021, N° 8.57, page 978, citant l’article 25 du Code judiciaire belge.

30 Répertoire Dalloz, précité, n° 699.

31 Idem, n° 565.

32 Article 1351 du Code civil: « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ».

33 D. MOUGENOT, Principes de droit judiciaire, Répertoire notarial, Tome XIII, La procédure notariale, Livre 0, Bruxelles, Larcier, 2019, n° 324, page 235.

34 Idem et loc.cit.

35 Cour de cassation de Belgique, 4 décembre 2008, Journal des tribunaux, 2009, page 303.

civile en lui confisquant, par décision de justice, des armes aux motifs que « [le demandeur] a […] épuisé tous les recours du procès pénal intenté à son encontre et il ne saurait être admis que les juges civils, sous le couvert de la recherche de la responsabilité de l’Etat concernant le fonctionnement de sa justice pénale, s’érigent en juges de ces juges pénaux et réexaminent la légalité et le bien-fondé de leurs décisions […] »36.

Ainsi, « [p]our délimiter la portée probatoire de l’autorité de la chose jugée [donc l’effet positif de celle-ci] excipée par une des parties à l’occasion d’un autre procès, il ne s’agit pas tant de rechercher s’il y a identité totale et rigoureuse d’objet et de cause – car si tel était le cas, peu fréquent au demeurant, c’est l’action dans son ensemble qui, en vertu de l’effet négatif, se heurterait à la fin de non-recevoir – que de déterminer empiriquement si, compte tenu de la « contestation » nouée – nécessairement – dans le respect du contradictoire, le dictum judiciaire invoqué, ou remis en cause, dans le nouveau procès répondait bel et bien, dans le procès antérieur à la même « question litigieuse », au même « point litigieux », que celle (celui) qui, à nouveau, se pose »37.

Cette « fonction positive [de l’autorité de chose jugée] va au-delà de la simple règle de preuve.

C’est le caractère indiscutable de la vérification juridictionnelle déjà opérée qui empêche les parties d’apporter des éléments de preuve contraires ; et le juge est tenu de s’y conformer […] [de sorte que] lorsque l’autorité positive joue, les parties sont irrecevables à prouver le contraire de la décision. Il s’agit donc bien d’une cause d’irrecevabilité qui touche au droit d’agir en justice – en demande ou en défense – et non d’une règle de preuve. »38. En effet, « l’autorité de la chose jugée ne constitu[e] pas à proprement parler une preuve. [Elle] « est un principe d’ordre général qui conditionne l’existence même de l’administration de la justice.

Ce principe se fonde, techniquement, sur une présomption et cette présomption est établie par la loi. Mais on aperçoit immédiatement qu’il y a une différence essentielle entre ce principe, qui n’emprunte à la présomption que sa formation, et les présomptions qui conduisent à fournir aux parties une preuve pour la solution d’un procès. L’autorité de la chose jugée suppose un procès déjà résolu, et partant l’inutilité de cette preuve. Elle s’oppose simplement – et ce pour d’impérieuses raisons d’utilité sociale – à ce que le même procès soit recommencé. Cela ne signifie pas que la partie défenderesse dispose d’une « preuve » du bien-fondé de son droit pour repousser la prétention de son adversaire. La véritable preuve de ce droit a déjà été fournie et jugée suffisante. Il n’est plus question de preuve au sens normal du mot, mais d’un principe d’ordre social, qui se suffit à lui-même et où l’idée de preuve n’est plus qu’une explication forcée superfétatoire. » »39.

Si l’autorité de la chose jugée comporte donc un effet négatif et un effet positif, « [c]es effets […] sont les deux aspects opposés d’un même concept juridique qui sont indissociablement liés 36 L’article 1, paragraphe 1, de la loi modifiée du 1er septembre 1988 sur la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, sur base duquel la demande en responsabilité civile avait été introduite, dispose que « [l]`^Etat et les autres personnes morales de droit public répondent, chacun dans le cadre de ses missions de service public, de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services, tant administratifs que judiciaires, sous réserve de l’autorité de la chose jugée ».

37 Jean-François VAN DRODGHENBROECK et François BALOT, L’effet positif de la chose jugée, Journal des tribunaux, 2009, pages 297 à 300, voir point 10, troisième alinéa.

38 Répertoire Dalloz, précité, n° 702.

39 MAHAUX, précité, page 581, colonne du milieu, dernier alinéa, citant DE PAGE, Traité de droit civil belge, tome III, n° 941.

l’un à l’autre : c’est parce que les parties ne peuvent remettre en cause la demande déjà jugée qu’elles ne peuvent la réitérer et inversement »40.

Le défaut de pertinence de l’argument tiré de la différence entre les droits français et luxembourgeois : l’autorité de chose jugée des décisions dès leur prononcé En l’espèce, la défenderesse en cassation SOC2) avait invoqué l’autorité de la chose jugée d’un jugement frappé d’appel41. L’autorité alléguée avait pour objet un point litigieux tranché par la décision du tribunal, à savoir que la société SOC2) disposait à l’encontre de la demanderesse en cassation SOC1) d’un principe de créance42. Celle-ci soutenait que ce jugement, parce qu’il avait été frappé d’appel, ne bénéficierait plus de l’autorité de la chose jugée43.

La Cour d’appel rejeta ce moyen aux motifs cités ci-avant en se référant à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation française du 11 juin 1991, dans lequel celle-ci avait décidé que « si une décision frappée d’appel ne peut servir de base à une demande en justice tendant à la réalisation des effets qu’elle comporte, elle n’en subsiste pas moins et ne peut être remise en cause tant qu’elle n’a pas été réformée »44.

Cet arrêt avait admis l’autorité de la chose jugée d’un point litigieux tranché entre parties dans un précédent jugement, frappé d’appel, invoqué aux fins d’établir une nouvelle prétention45. Il implique que l’appel n’est pas de nature à remettre en cause l’effet positif de l’autorité de la chose jugée donc n’empêche pas « l’une des parties […] de puiser dans le jugement frappé d’appel un élément de preuve en faveur [d’une] nouvelle prétention »46, donc permet à « un gagnant devant le tribunal [d’]exploiter ses avantages avant que la cour n’ait [suite à l’appel] pris partie sur la question litigieuse »47.

Pour soutenir le défaut de pertinence de cet arrêt la demanderesse en cassation soutient que cette jurisprudence « a été développée […] en vertu d’une réforme du Code de procédure civile français, réforme que le législateur luxembourgeois n’a pas fait sienne et que la Cour d’appel a eu tort de consacrer comme faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois »48.

La réforme ainsi évoquée est le décret français n° 75-123 du 5 décembre 1975 instituant un Nouveau Code de procédure civile, qui introduisit dans ce Code nouveau un article 480, disposant que « [l]e jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il 40 Conclusions de l’avocat général J.M. GENICOT, sous : Cour de cassation de Belgique, 24 juin 2013, Pas. belge, 2013, n° 392, page 1450, voir page 1451, dernier alinéa.

41 Arrêt attaqué, page 9, quatrième alinéa.

42 Idem, même page, troisième alinéa.

43 Idem, page 5, sixième alinéa.

44 Cour de cassation française, première chambre civile, 11 juin 1991, 88-18.130, Bull. Civ. I, n° 189, page 124 ;

Revue trimestrielle de droit civil, 1992, page 187, observations Roger PERROT.

45 Un tribunal avait dans un jugement, frappé d’appel, rendu entre un assuré et son assureur, à l’occasion d’un sinistre, décidé que l’assureur devait prendre en charge une catégorie déterminée de sinistres. Dans un second litige, se rapportant à un autre sinistre, relevant de cette même catégorie de sinistres, qui devaient, sur base du jugement, être pris en charge par l’assureur, l’assuré s’était prévalu de l’autorité de la chose jugée du jugement, qui avait été rendu entre les mêmes parties, mais à l’occasion d’un litige différent.

46 PERROT, observations précitées.

47 Idem.

48 Mémoire en cassation, page 6, dernier alinéa.

tranche »49. Cet article avait déjà été introduit en droit français, sous une formulation identique, exception faire des termes « dès son prononcé », par le décret n° 72-788 du 28 août 1972 instituant une troisième série de dispositions à s’intégrer dans le Nouveau Code de procédure civile50.

La demanderesse en cassation a raison de souligner que le Nouveau Code de procédure civile luxembourgeois ne comporte pas de disposition similaire. Cette circonstance n’est cependant pas pertinente pour conclure que les jugements ne bénéficieraient pas en droit luxembourgeois de l’autorité de la chose jugée dès leur prononcé.

Il a été vu ci-avant que la Cour de cassation de Belgique a décidé dans son arrêt précité du 29 novembre 1900 que « tout jugement est un acte de souveraineté, qui doit produire ses effets aussi longtemps qu’il n’a pas été annulé par les voies légales ». La Cour de cassation française a admis une solution similaire dès un arrêt du 7 juillet 1890, se référant « à l’autorité qui s’attache légalement aux décisions judiciaires même susceptibles de recours »51. Vous avez dans un arrêt du 14 juin 1956, en réponse à un moyen tiré de ce qu’une décision judiciaire non signifiée serait à considérer comme nulle et inexistante, répondu « que le jugement existe et produit des effets sans signification, qu’il dessaisit le juge et qu’il y a chose jugée »52.

Cette solution avait été préconisée par POTHIER qui, se référant à l’article 5 du Titre XXVII de l’ordonnance civile d’avril 166753, exposait que les jugements « ont […] une espèce d’autorité de chose jugée qui donne à la partie en faveur de qui ils ont été rendus le droit d’en poursuivre l’exécution et forme une espèce de présomption juris et de jure qui exclut la partie contre qui ils ont été rendus de pouvoir rien proposer contre […] »54. L’autorité de la chose jugée des jugements dès leur prononcé avait été contredite par LAURENT, qui « paraît avoir été le seul à combattre cette opinion »55, aux motifs que « la chose jugée est fondée sur une présomption de vérité ; or, y a-t-il une vérité temporaire, une vérité qui peut être détruite d’un instant à l’autre ? La vérité est éternelle ou elle n’existe pas »56. Or, « [o]n voit de suite où est l’erreur dans cette argumentation. Que la vérité puisse être provisoire soit ; mais il en est tout autrement de la présomption de vérité, la seule chose qui soit attachée à ce qui est jugé : res judicata pro veritate habetur. Si cette présomption est renversée par une preuve contraire, et cette preuve est admissible devant le juge supérieur pour les jugements rendus seulement en premier ressort, elle se trouve anéantie ; elle n’a donc été que provisoire. Il suffit d’ailleurs 49 Journal officiel de la République française, n° 285, des 8 et 9 décembre 1975, page 12521, voir page 28 de l’Annexe, reproduisant le Nouveau Code de procédure civile. C’est nous qui soulignons.

50 Journal officiel de la République française, n° 202, du 30 août 1972, page 9300, voir Article 189.

51 Cour de cassation française, chambre civile, 7 juillet 1890, Dalloz périodique, 1890, page 301.

52 Cour de cassation, 14 juin 1956, Pas. 16, page 473. Vous avez ajouté dans cet arrêt que le jugement non signifié, qui a donc autorité de chose jugée, « n’est pas connu de la partie qui doit l’exécuter et qui peut l’attaquer, de sorte qu’une signification est nécessaire en ce qui concerne les délais de recours ainsi que l’exécution forcée ».

53 L’article 5 du titre XXVII de l’ordonnance de 1667 disposait que : « Les sentences et jugements qui doivent passer en force de chose jugée sont ceux rendus en dernier ressort, et dont il n’y a pas appel ou dont l’appel n’est pas recevable, soit que les parties y eussent formellement acquiescé, ou qu’elles n’en eussent interjeté appel dans le temps ou que l’appel eût été déclaré péri » (Article cité dans les conclusions du premier avocat général VAN SCHOOR sous : Cour de cassation de Belgique, 29 novembre 1900, précité, voir Pas. belge, 1901, I, page 63, colonne de gauche, avant-dernier alinéa).

54 Texte reproduit dans les conclusions du premier avocat général VAN SCHOOR sous : Cour de cassation de Belgique, 29 novembre 1900, précité, voir Pas. belge, 1901, I, page 63, colonne de gauche, dernier alinéa, citant POTHIER, Traité des obligations, n° 853.

55 Note sous : Cour de cassation française, chambre civile, 7 juillet 1890, précité, Dalloz périodique, 1890, page 301, colonne de droite.

56 François LAURENT, Principes de droit civil, Tome 20, 1876, n° 17, page 24.

qu’elle existe temporairement pour que, pendant sa durée, elle empêche la reproduction de la prétention condamnée sous une autre forme d’action. »57. Par voie de conséquence GARSONNET et CÉZAR-BRU ont enseigné au début du XXe siècle que « [u]n jugement a autorité de chose jugée dès qu’il est rendu et alors même qu’il n’est pas définitif »58.

L’autorité de la chose jugée des jugements dès leur prononcé, enseignée par la doctrine et admise par la jurisprudence dès le XIXe siècle et le début du XXe siècle, ne constitue donc pas une innovation des auteurs du Nouveau Code de procédure civile français de 1975.

Le droit belge a consacré cette même solution traditionnelle dans le Code judiciaire, adopté par une loi du 10 octobre 1967, ce Code disposant dans son article 24 que « [t]oute décision définitive a, dès son prononcé, autorité de chose jugée ». Il est admis en doctrine belge que le législateur en légiférant dans le Code judiciaire au sujet de l’autorité de la chose jugée a « entendu consacrer ou préciser les interprétations que la Cour [de cassation] a déjà données de l’article 1351 du Code civil [mais] n’a en revanche pas entendu « innover » »59.

Il en suit qu’il n’est pas pertinent de soutenir que le droit français se distingue du droit luxembourgeois en ce que l’article 480 du Code de procédure civile français, disposant que les jugements ont autorité de chose jugée dès leur prononcé, ne trouve pas de texte équivalent dans le Nouveau Code de procédure civile : l’autorité de chose jugée des jugements dès leur prononcé constitue une solution traditionnelle, admise par votre Cour dès 1956.

La question pertinente : Est-ce que l’autorité de chose jugée des jugements dès leur prononcé est suspendue par l’exercice d’une voie de recours suspensive, tel un appel ? Il a été vu ci-avant que la doctrine et la jurisprudence ont admis de façon constante que les jugements bénéficient de l’autorité de la chose jugée dès leur prononcé. Ce principe était cependant complété par un second, à savoir que l’autorité de chose jugée est suspendue par l’exercice d’une voie de recours suspensive, tel l’appel.

Les réflexions trouvèrent leur point de départ dans l’article 5 du Titre XXVII de l’ordonnance civile d’avril 1667, qui disposait que « [l]es sentences et jugements qui doivent passer en force de chose jugée sont ceux rendus en dernier ressort et dont il n’y a appel ou dont l’appel n’est pas recevable, soit que les parties y eussent formellement acquiescé, ou qu’elles n’en eussent interjeté appel dans le temps, ou que l’appel ait été déclaré péri »60.

POTHIER en déduisait que « [l]’ordonnance unit dans cet article aux jugements rendus en dernier ressort ceux dont il n’y a pas encore appel interjeté, parce que, tant qu’il n’y a pas encore d’appel, ils ont, de même que ceux rendus en dernier ressort, une espèce d’autorité de chose jugée qui donne à la partie en faveur de qui ils ont été rendus le droit d’en poursuivre l’exécution et forme une espèce de présomption juris et de jure qui exclut la partie contre qui 57 Note précitée sous : Cour de cassation française, chambre civile, 7 juillet 1890, précité, Dalloz périodique, 1890, page 301, colonne de droite.

58 E. GARSONNET et Ch. CÉZAR-BRU, Traité de procédure civile, 3e édition, 1913, tome III, page 408, premier alinéa.

59 MAHAUX, précité, page 582, colonne de gauche, deuxième alinéa.

60 Texte reproduit dans les conclusions précitées de VAN SCHOOR (c’est nous qui soulignons).

ils ont été rendus de pouvoir rien proposer contre tant qu’il n’y a pas d’appel interjeté ; mais cette autorité et la présomption qui en résulte ne sont que momentanée et sont détruites aussitôt qu’il y a un appel interjeté »61. Suivant cette lecture, la force exécutoire du jugement, donc « le droit d’en poursuivre l’exécution », est considéré comme l’équivalent de l’autorité de la chose jugée, décrite comme « une espèce de présomption juris et de jure qui exclut la partie contre qui ils ont été rendus de pouvoir rien proposer contre ». La suspension de la force exécutoire par suite de l’exercice d’une voie de recours suspensive, tel l’appel, implique dans cette lecture celle de l’autorité de la chose jugée.

Cette lecture a inspiré la jurisprudence.

Ainsi, la Cour de cassation française a, dans son arrêt précité du 7 juillet 1890, décidé que :

« Mais attendu que tant qu’un jugement en premier ressort n’est point attaqué par la voie de l’appel, celui contre qui il a été rendu n’est pas recevable à élever en justice une prétention contraire à ce qui a été jugé ; que s’il en était autrement, il serait porté atteinte à l’autorité qui s’attache légalement aux décisions judiciaires même susceptibles de recours, tant que le recours n’est pas formé »62.

La Cour de cassation de Belgique a adopté cette même lecture dans son arrêt précité du 29 novembre 1900 :

« Attendu que tout jugement est un acte de souveraineté, qui doit produire ses effets aussi longtemps qu’il n’a pas été annulé par les voies légales.

Attendu, il est vrai, qu’aux termes de l’article 457 du code de procédure civile, l’appel des jugements définitifs est suspensif si le jugement ne prononce pas l’exécution provisoires dans les cas où elle est autorisée ;

Attendu qu’il suit de ce texte que l’appel interjeté dans le délai utile a pour effet de suspendre l’exécution du jugement et, par voie de conséquence, de remettre en question l’autorité de ce qui a été jugé »63.

Cette lecture considère donc la force exécutoire, suspendue par l’exercice d’un appel, comme équivalente à l’autorité de la chose jugée, la seconde étant remise en question « par voie de conséquence » à la suite la suspension de la première.

61 Idem.

62 Cour de cassation française, chambre civile, 7 juillet 1890, précité (c’est nous qui soulignons).

63 Cour de cassation de Belgique, 29 novembre 1900, précité (c’est nous qui soulignons).

Elle a été réitérée à plusieurs reprises en France64. C’est à cette jurisprudence que se réfère la Cour d’appel dans son arrêt précité du 1er février 201265.

Cette jurisprudence soulève cependant deux difficultés : elle a été abandonnée en France dès avant l’introduction du Nouveau Code de procédure civile et, surtout, elle est contestable puisqu’elle procède d’une confusion entre autorité de chose jugée et force exécutoire des jugements.

Une jurisprudence abandonnée en France et en Belgique La jurisprudence française évoquée ci-avant, si elle postulait la suspension de l’autorité de la chose jugée par suite de l’appel formé contre le jugement, subordonnait cette solution à des conditions relativement complexes. Il était, en effet, admis que l’autorité de chose jugée n’était suspendue que dans la mesure où le jugement avait été frappé d’appel, donc selon que cet appel était général ou limité à des chefs limités du jugement entrepris, et que cette suspension ne s’appliquait qu’à l’égard des parties qui figuraient à l’instance d’appel, par opposition aux parties qui n’avaient pas formé appel66.

Cette jurisprudence, à laquelle la Cour d’appel s’est référée dans son arrêt précité du 1er février 2012, a cependant pris fin en 196167. Par un arrêt du 15 mai 1968, la Cour de cassation française, contredisant cette jurisprudence, cassa un arrêt qui avait dénié à un jugement de première instance frappé d’appel l’autorité de chose jugée, la cassation étant motivée par ce que le jugement « continuait à recevoir application tant qu’il n’y avait pas été statué sur l’appel contre lui et mettait obstacle à une nouvelle demande aux mêmes fins »68. Cette jurisprudence nouvelle, refusant d’admettre la suspension de l’autorité de la chose jugée en cas d’appel, a depuis lors été constante en France69.

64 Cour de cassation française, chambre civile, 17 juin 1922, Sirey, 1923, I, page 116 (« Attendu que, tant qu’un jugement en premier ressort n’est point attaqué par la voie de l’appel, celui contre qui il a été rendu n’est pas recevable à élever en justice une prétention contraire à ce qui a été jugé ») ; idem, chambre civile, 25 juillet 1927, Sirey, 1928, I, page 71 (« Attendu que l’autorité de la chose jugée s’attache légalement aux décisions judiciaires, même susceptibles de recours, tant que ce recours n’a pas été formé ») ; idem, première chambre civile, 16 octobre 1961, Bull. civ. I, n° 457, page 362 (« Attendu qu’aussi longtemps qu’un jugement n’est pas attaqué par la voie de l’appel, celui contre qui il a été rendu ne peut élever en justice au préjudice d’une autre partie à la même décision, une prétention contraire à ce qui a été jugé ».

65 Cet arrêt se réfère à ce titre à l’Encyclopédie Dalloz de Procédure civile éditée en 1955, V° Chose jugée, n° 46, page 507 (Pas. 35, page 753, colonne de droite, premier alinéa, sauf que l’arrêt se réfère par erreur au verbo « appel »).

66 Encyclopédie Dalloz précitée, n° 47 et n° 49, page 507. Dans le même sens : Jurisclasseur Procédure civile, Fasc. 900-30 : Autorité de la chose jugée, par Mélina DOUCHY-OUDOT, juillet 2018, n° 68.

67 Répertoire Dalloz, précité, n° 525 et n° 526, page 74. Le dernier arrêt associé à ce courant jurisprudentiel est l’arrêt précité du 16 octobre 1961.

68 Cour de cassation française, chambre commerciale, 15 mai 1968, Bull.com., n° 157.

69 Voir notamment : Cour de cassation française, chambre commerciale, 23 février 1970, 67-14.574, Bull.com., n° 68 ; idem, même chambre, 2 mars 1976, 74-15.101, Bull.com, n° 75 ; idem, première chambre civile, 21 février 1978, 76-10.562, Bull.civ. I, n° 67 (« Mais attendu que si une décision frappée d’appel ne peut servir de base à une demande tendant à la réalisation des effets qu’elle comporte, elle n’en subsiste pas moins et ne peut être remise en cause tant qu’elle n’a pas été réformée ») ; idem, deuxième chambre civile, 25 mars 1985, 83-14.701, Bull. civ. II, n° 74 ; idem, première chambre civile, 11 juin 1991, précité ; idem, deuxième chambre civile, 10 mars 2005, Procédures, mai 2005, n° 419 et note Roger PERROT ; idem, même chambre, 13 juillet 2005, Procédures, octobre 2005, n° 227 ; idem, chambre commerciale, 5 avril 2011, 10-14.080, Procédures, juillet 2011, note Roger PERROT, Revue trimestrielle de droit civil, 2011, page 174, observations Roger PERROT. Voir également sur cette jurisprudence : Répertoire Dalloz, précité, n° 526, page 74.

En Belgique, la Cour de cassation a dès 1931 cessé de faire un lien entre autorité de chose jugée et absence d’exercice de voies de recours70. Cette évolution s’est reflétée dans le Code judiciaire, adopté par loi du 10 octobre 1967, qui, comme rappelé ci-avant, a « entendu consacrer ou préciser les interprétations que la Cour [de cassation] a déjà données de l’article 1351 du Code civil [mais] n’a en revanche pas entendu « innover » »71. L’article 26 du Code judiciaire dispose dès lors que « [l]’autorité de chose jugée subsiste tant que la décision n’est pas infirmée ». Il est à cet effet noté dans les travaux préparatoires du Code judiciaire que :

« La possibilité d’un recours contre le jugement et l’exercice même de ce recours peuvent sans doute affecter l’autorité de la chose jugée de certains aléas. Cette autorité, tant que la décision n’est pas passée en force de chose jugée, c’est-à-dire tant qu’elle demeure susceptible d’opposition ou d’appel, est conditionnelle et restreinte. Elle est conditionnelle parce que l’éventualité d’exercice ou d’admission d’un recours n’anéantit pas l’existence de la sentence, mais soumet celles-ci à l’aléa de cet exercice ou d’une réformation qui en serait la suite. Elle est restreinte parce que si une voie de recours est formée, les conséquences qui s’attachent à la chose jugée pourront être amoindries. La demande ne pourra être réitérée, mais, en revanche, il n’est pas dérogé aux effets que la loi attache à l’exercice des voies de recours. »72.

Ces développements sont résumés par la formule, inspirant l’article 26 du Code judiciaire, que « l’exercice d’un recours n’anéantit pas l’autorité de la chose jugée, qui subsiste tant que la décision n’a pas été infirmée »73.

La jurisprudence, inspirée de la doctrine de POTHIER, a donc été abandonnée tant en France qu’en Belgique et remplacée par une solution différenciant de façon plus correcte et précise l’autorité de la chose jugée de la force exécutoire en retenant que « si une décision frappée d’appel ne peut servir de base à une demande tendant à la réalisation des effets qu’elle comporte, elle n’en subsiste pas moins et ne peut être remise en cause tant qu’elle n’a pas été réformée »74.

Une jurisprudence contestable L’article 5 du Titre XXVII de l’ordonnance civile d’avril 1667, cité ci-avant, précisa les conditions dans lesquelles un jugement réunissait les conditions pour acquérir « force de chose jugée », catégorie dans laquelle figure aussi le jugement susceptible d’appel mais non frappé d’appel. POTHIER en déduisit à juste titre que ces jugements donnent, jusqu’au moment où ils sont frappés d’appel et à supposer ce dernier recevable, « à la partie en faveur qui ils ont été rendus le droit d’en poursuivre l’exécution »75, donc qu’ils ont, pour rester dans la terminologie contemporaine, force exécutoire. Il s’entend que la force exécutoire est « détruite[…] aussitôt qu’il y a un appel interjeté ». L’auteur considère que l’« espèce de présomption juris et de jure 70 Cour de cassation de Belgique, 5 novembre 1931, Pas. belge, 1931, I, page 279, avec une note du Procureur général P. LECLERCQ ; idem, 27 mai 1955, Pas. belge, 1955, I, page 1066 ; idem, 26 mars 1958, Pas. belge, 1958, I, page 834 ; idem, 13 novembre 1968, Pas. belge, 1969, I, page 266. Ces références sont citées par MAHAUX, précité, page 582, notes de bas de page 19 à 21 et même page, colonne de droite, antépénultième alinéa et note de bas de page 28.

71 MAHAUX, précité, page 582, colonne de gauche, deuxième alinéa.

72 Rapport du commissaire royal à la réforme judiciaire, page 30, cité par MAHAUX, précité, page 583, colonne de gauche, quatrième alinéa (les passages soulignés sont mis en italique dans la version originale).

73 Rapport précité, page 30, cité par MAHAUX, précité, page 583, colonne de gauche, avant-dernier alinéa.

74 Cour de cassation française, première chambre civile, 21 février 1978, 76-10.562, précité.

75 POTHIER, précité.

qui exclut la partie contre qui [les jugements] ont été rendus de pouvoir rien proposer contre [ce qui a été décidé par les jugements] » « résulte » de cette « espèce d’autorité de chose jugée qui donne à la partie en faveur de qui [les jugements] ont été rendus le droit d’en poursuivre l’exécution ». Dans cette logique, l’autorité de chose jugée répond aux mêmes conditions que la force exécutoire. Or, ces deux notions ne se confondent pas.

C’est donc à juste titre qu’il a été relevé au sujet de la jurisprudence précitée inspirée de cette lecture que « [c]es solutions reposent sur une confusion entre l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Certes, les voies de recours ordinaires suspendent l’exécution de la décision de justice […], mais le jugement attaqué doit conserver son autorité de chose jugée jusqu’à la décision qui l’annule, l’infirme ou le casse. Ni le délai des recours, ni l’exercice des recours ne sauraient avoir d’incidence sur cette autorité. »76.

Il y a donc lieu de conclure avec DE PAGE que :

« On voit immédiatement par ce qui précède qu’autorité de chose jugée et force de chose jugée [ou dans notre contexte, de façon plus précise, la force exécutoire] sont deux choses ESSENTIELLEMENT différentes. Un jugement peut avoir l’autorité de la chose jugée, tant au point de vue du droit civil qu’au point de vue du droit de procédure, même s’il n’est pas coulé en force de chose jugée. Il est exécutoire comme tel, sauf l’exercice d’une voie de recours qui, seul, est suspensif, et qui paralyse l’autorité de la chose jugée, mais considérée seulement sous l’angle DE L’EXÉCUTION. Il importe, en effet, de remarquer que l’autorité de la chose jugée au sens du droit civil (exception de chose jugée) SUBSISTE, même en cas d’exercice d’une voie de recours. Elle empêche de recommencer le même procès. »77.

Conclusion Un jugement a dès son prononcé autorité de chose jugée. Celle-ci ne disparaît pas avec l’exercice d’une voie de recours suspensive d’exécution, tel que l’appel, qui a seulement pour effet, comme il est prévu par l’article 588, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, de suspendre l’exécution du jugement, donc de mettre en échec la force exécutoire du jugement, mais non de remettre en cause l’autorité de chose jugée de ce dernier, qui subsiste tant que le jugement n’a pas été réformé.

Cette autorité de chose jugée a un effet négatif, consistant à faire obstacle à la réitération de la demande, et un effet positif, consistant à faire obstacle à soulever dans le cadre d’une autre demande entre parties une prétention dont le fondement est inconciliable avec ce qui a été jugé.

Ces deux effets sont indissociablement liés.

C’est dès lors à juste titre que la Cour d’appel a retenu, en se référant à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation française du 11 juin 199178, que « le jugement frappé d’appel continue à avoir autorité de chose jugée aussi bien sous la forme négative d’une fin de 76 Jurisclasseur Procédure civile, précité, n° 70.

77 Henri DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Tome III, Bruxelles, Bruylant, 3e édition, 1967, pages 975-976 (les passages soulignés sont mis en italique dans le texte original).

78 Cour de cassation française, première chambre civile, 11 juin 1991, 88-18.130, précité.

non-recevoir s’opposant à toute nouvelle demande identique, que sous la forme positive d’un moyen de preuve que l’on s’efforce d’en tirer […] tant que la décision n’est pas réformée »79.

Il en suit que le deuxième moyen n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Le second moyen est tiré de la violation de l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a déclaré non fondée la demande en rétractation de l’autorisation de pratiquer la saisie-arrêt en rejetant notamment le moyen tiré de ce que la saisie-arrêt n’est pas justifiée en l’absence de toute preuve d’un risque d’irrécouvrabilité de la créance, aux motifs que la saisie-arrêt n’est pas soumise à la condition d’un risque d’insolvabilité du saisi ou d’une autre cause d’irrécouvrabilité de la créance puisqu’elle peut, contrairement à la saisie-

conservatoire, être pratiquée sans exigence d’une preuve d’un péril en la demeure et aux seules fins de mettre sous mains de justice les avoirs du saisi pour garantie de la créance, alors que « puisqu’il s’agissait en l’espèce d’une saisie-arrêt qui devait être autorisée par le Président du Tribunal d’arrondissement conformément à l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile, il convenait d’appliquer ledit texte selon lequel « s’il n’y a pas titre, le juge du domicile du débiteur et même celui du domicile du tiers-saisi pourront, sur requête, permettre la saisie-

arrêt et opposition » ; que par l’emploi du mot « pourront », le texte fait apparaître qu’il n’institue pas une obligation, à charge de ce juge, de permettre la saisie-arrêt dès lors que les conditions de certitude et d’exigibilité de la créance son remplies, mais qu’il laisse au juge un pouvoir d’appréciation en opportunité quant à sa décision de permettre de pratiquer saisie-

arrêt ; que le président du tribunal d’arrondissement saisi de la demande en autorisation de la saisie-arrêt et, sur recours en rétractation de l’adversaire du saisissant, les juges saisis de ce recours doivent effectivement faire usage de ce pouvoir d’appréciation et ne peuvent se considérer comme liés du fait de la constatation (fût-ce sur le fondement de l’autorité de chose jugée qui reviendrait à un jugement invoqué par le saisissant) de la certitude et de l’exigibilité de la créance du saisissant ; qu’à ce titre, l’absence de tout risque de non-récouvrabilité de la créance du saisissant est un élément que ces juges peuvent (et doivent) prendre en considération en prenant leur décision ; qu’en décidant, au contraire, que le contrôle du juge ne porte que sur le caractère suffisamment certain de la créance alléguée, la Cour d’appel a violé l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile »80.

En instance d’appel, la demanderesse en cassation SOC1) avait soutenu qu’il y avait lieu de retirer l’autorisation de saisir-arrêter au motif que « [l]’intimée [SOC2)] ne justifierait pas […] du risque de non-recouvrabilité de la créance du saisissant [tout en invoquant] à cet égard un arrêt de la Cour d’appel du 14 juin 2006, no 29759, BIJ 2006, p. 247) »81.

La Cour d’appel rejeta ce moyen aux motifs que :

« C’est en vain que la société SOC1) soutient que la mesure de saisie-arrêt ne serait pas justifiée en l’absence de tout risque d’irrécouvrabilité de la créance et verse des pièces de nature à établir sa solvabilité.

79 Arrêt attaqué, page 6, avant-dernier alinéa.

80 Mémoire en cassation, page 11 (énoncé du second moyen de cassation, passage qui suit « alors que »).

81 Arrêt attaqué, page 5, antépénultième et avant-dernier alinéas.

La saisie-arrêt régie par les articles 693 et suivants du NCPC n’est en effet pas soumise à la démonstration d’un risque d’insolvabilité du saisi ou d’une autre cause d’irrecouvrabilité de la créance du saisissant. Contrairement à la saisie-conservatoire de l’article 550 du NCPC, le recours à la saisie-arrêt n’est pas conditionné par la loi à une nécessité de célérité. Dans le cadre des articles 693 et suivants du NCPC, le saisissant peut au contraire, sous le contrôle du juge sur le caractère suffisamment certain de la créance alléguée et sous la sanction le cas échéant de la responsabilité civile du saisissant engagée par le juge du fond, procéder à la saisie-arrêt sans devoir démontrer qu’il y a péril en la demeure, aux seules fins de mettre sous mains de justice les avoirs du saisi pour garantie de la créance alléguée.

Cet argument est partant à rejeter et il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en rétractation. »82.

Dans son second moyen, la demanderesse en cassation critique cette réponse et affirme que celle-ci constituerait une violation de l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile, qui dispose que « [s]’il n’y a pas de titre, le juge du domicile du débiteur et même celui du domicile du tiers-saisie pourront, sur requête, permettre la saisie-arrêt et opposition ».

A l’appui de son moyen elle fait valoir que l’article invoqué, en utilisant le verbe « pouvoir », préciserait que le juge saisi d’une demande de saisir-arrêter dispose d’un pouvoir d’appréciation qui l’oblige à se prononcer sur l’opportunité de la saisie, qui supposerait une appréciation, outre de la certitude de la créance, du risque d’insolvabilité du débiteur. L’autorisation de saisie-arrêt ne pourrait donc pas être exclusivement basée sur la certitude de la créance.

A l’appui de cette thèse, elle s’est référée en instance d’appel à l’arrêt précité de la Cour d’appel du 14 juin 200683. Dans la discussion du moyen, elle invoque que, suivant la jurisprudence, le président du tribunal d’arrondissement saisi, sur base de l’article 66 du Nouveau Code de procédure civile, d’une demande en rétractation aurait pour obligation de se prononcer sur l’opportunité et la justification de la mesure provisoire ordonnée sur requête unilatérale84. Elle s’y réfère enfin par analogie à un arrêt de votre Cour du 19 décembre 201985.

Ces références jurisprudentielles ne sont pas de nature à supporter la thèse soutenue.

Dans son arrêt du 14 juin 2006, la Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur les conditions de la saisie-arrêt. Dans l’espèce considérée, une saisie-arrêt avait été, dans un premier temps, autorisée avant d’être rétractée au motif que la créance n’était pas certaine86. La Cour d’appel était saisie d’une demande en indemnisation formée par le débiteur pour saisie abusive. Ce dernier soutenait que la saisie, exercée par un prestataire de service avec lequel il avait rompu les liens après de nombreuses années de collaboration, avait en réalité, dans le cadre d’un détournement de procédure, pour finalité de se venger de lui en exerçant, pour un montant relativement modeste, une saisie-arrêt sur tous ses comptes bancaires, de façon à porter atteinte au déroulement normal de ses opérations financières courantes et à sa réputation auprès des 82 Idem, page 11, sixième au huitième alinéas.

83 Cour d’appel, deuxième chambre, 14 juin 2006, numéro 29759 du rôle.

84 Mémoire en cassation, page 12, premier alinéa, citant : Cour d’appel, 23 janvier 2002, septième chambre, numéro 25683 du rôle et idem, septième chambre, 5 juillet 2017, n° 120/17-VII-REF, numéro 44466 du rôle.

85 Idem, même page, deuxième alinéa, citant : Cour de cassation, 19 décembre 2019, n° 178/2019, numéro CAS-

2019-00005 du registre.

86 Arrêt précité du 14 juin 2006, page 3, antépénultième alinéa.

établissements de crédit. Dans cet ordre d’idées il mettait en exergue l’absence de toute menace de non-recouvrement eu égard au caractère modeste de la dette. La Cour d’appel admit que le créancier avait, par ses manœuvres vexatoires, commis une faute engageant sa responsabilité civile. Saisie d’une demande indemnitaire introduite à la suite d’une saisie-arrêt autorisée, puis rétractée (et ce d’ailleurs non pas pour un motif tiré d’un défaut de risque de non-recouvrement de la créance, mais eu égard au défaut de certitude de celle-ci), elle n’avait pas à se prononcer, et ne se prononça pas, sur les conditions dans lesquelles le président du tribunal d’arrondissement doit autoriser une saisie-arrêt. La circonstance qu’une saisie-arrêt peut, dans des circonstances exceptionnelles, se révéler ex post avoir été inspirée par des motifs vexatoires est étrangère aux conditions régissant l’autorisation de cette mesure. Il ne saurait donc être déduit de l’arrêt, qui est d’ailleurs resté isolé, que l’autorisation de saisir-arrêter est subordonnée à une condition tirée d’un risque de non-recouvrement de la créance.

S’agissant des arrêts invoqués par la demanderesse à l’appui de sa thèse que l’appréciation d’une demande en rétractation, comme celle de l’espèce, sur base de l’article 66 du Nouveau Code de procédure civile87, oblige à apprécier l’opportunité de la mesure dont la rétractation est demandée, il est à constater que si la Cour d’appel retient dans le premier des deux arrêts que cet article permet au président du tribunal d’arrondissement et à la Cour d’appel, en instance d’appel, de se prononcer « à la lumière d’exposés contradictoires, sur l’opportunité d’une mesure provisoire ordonnée sur requête unilatérale »88 et dans le second que « [l]e rôle du président du tribunal d’arrondissement saisi d’une telle demande consiste à se prononcer, à la lumière d’un débat contradictoire, sur la justification de la mesure ordonnée initialement sur requête unilatérale »89, il n’en résulte pas que l’appréciation de l’opportunité ou de la justification de la rétractation de la mesure autorisée s’effectue au regard de conditions différentes de celles régissant l’autorisation de la mesure. Il est à cet effet admis en matière de saisie-arrêt, ainsi que le rappelle à juste titre la défenderesse en cassation SOC2) HOLDING90, que « [l]e rôle du président du tribunal d’arrondissement saisi d’une […] demande [en rétractation sur base de l’article 66 du Nouveau Code de procédure civile d’une autorisation de saisir-arrêter] consiste à se prononcer, à la lumière d’un débat contradictoire, sur la justification de la mesure ordonnée initialement sur requête unilatérale [et que à cette fin] [i]l exerce les mêmes fonctions, détient les mêmes pouvoirs et doit orienter sa décision par rapport aux mêmes critères que ceux qui président à sa décision d’accorder ou non l’autorisation de saisir-arrêter lorsque celle-ci est sollicitée de façon unilatérale sur base de l’article 694 du NCPC »91. La circonstance que l’autorisation de saisir-arrêter fait l’objet d’un contrôle dans le cadre d’un recours en rétractation sur base de l’article 66 du Nouveau Code de procédure civile n’a donc pas pour effet de modifier les critères d’appréciation de cette autorisation.

L’arrêt de votre Cour 19 décembre 2019 cité par la demanderesse en cassation est relatif aux conditions d’application de l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile, qui confère au président du tribunal d’arrondissement le pouvoir de « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour 87 Article 66 du Nouveau Code de procédure civile : « Lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu’une mesure soit ordonnée à l’insu d’une partie, celle-ci dispose d’un recours approprié contre la décision qui lui fait grief ». La demande en rétractation de l’autorisation de saisir-arrêter tranchée en l’espèce par la Cour d’appel dans l’arrêt attaqué constitue une application de cette disposition.

88 Arrêt précité du 23 janvier 2002, page 4, deuxième alinéa.

89 Arrêt précité du 5 juillet 2017, page 16, quatrième alinéa.

90 Mémoire en réponse de PROMOBE FINANCE, point 3.2.2.4, page 23.

91 Cour d’appel, septième chambre, 22 juin 2016, n° 103/16 – VII – REF, numéro 43314 du rôle, page 6, dernier alinéa ; idem, même chambre, 5 juillet 2017, n° 120/17 – VII – REF, numéro 44466 du rôle, page 16, quatrième alinéa.

prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Vous y avez jugé que « [m]ême si cet article n’exige pas formellement l’absence de contestations sérieuses, l’examen des contestations soulevées en cause, qui s’impose, peut cependant conduire au constat que les conditions d’application de cette disposition légale ne sont pas établies de façon suffisamment évidente pour permettre au juge des référés de prendre la mesure sollicitée »92. Votre arrêt est donc spécifique aux conditions d’ouverture du référé conservatoire prévu par la disposition précitée. Le cas d’espèce concerne la question différente de l’application des critères régissant l’autorisation de saisir-arrêter, prévus par l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile. Il est donc dépourvu de pertinence pour déterminer ces critères et, plus particulièrement, résoudre le point de savoir si cette autorisation suppose la prise en considération d’un critère tiré d’un risque de non-recouvrement de la créance.

L’article 694 du Nouveau Code de procédure civile, qui reprend de façon inchangée l’article 558 du Code de procédure civile, confère compétence au juge y désigné, saisi par un créancier ne disposant pas de titre, de « permettre la saisie-arrêt », donc de l’autoriser. Il dispose que les juges compétents « pourront » émettre cette autorisation.

Il investit de ce point de vue le juge, selon les auteurs, « d’un pouvoir discrétionnaire »93, « d’un pouvoir à peu près discrétionnaire »94 ou, en tout cas, « d’un large pouvoir d’appréciation »95.

Si les juges compétents « pourront » donc autoriser la saisie-arrêt fondée sur une créance non constatée par un titre, ce pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé, donc la saisie-arrêt ne peut être autorisée, « qu’après avoir vérifié si l’on est bien dans les conditions exigées par la loi pour pratiquer une saisie-arrêt, notamment s’il s’agit bien d’une créance certaine et exigible »96. Parmi ces conditions ne figure pas celle invoquée, d’un risque de non-

recouvrement ou d’insolvabilité. Une telle condition n’est pas énoncée par la loi. Elle ne l’est par ailleurs ni par la doctrine97, ni par la jurisprudence, qui statue de façon constante que :

« Le juge des référés saisi d’une demande en rétractation d’une autorisation de saisie-

arrêt doit vérifier si le créancier saisissant peut se prévaloir à l’égard du débiteur saisi d’une créance certaine dans son principe. Le juge des référés, en l’absence de pouvoir pour trancher le fond, se contente d’une apparence de certitude atténuée pour admettre ou non la rétractation. »98.

92 Arrêt précité (réponse au premier moyen et à la deuxième branche du deuxième moyen).

93 Encyclopédie Dalloz Procédure civile, édition 1955, tome III, précitée, V° Saisie-arrêt, n° 77, page 730.

94 Nouveau Code de procédure civile annoté, Paris, Dalloz, 1913, Tome III, Article 558, n° 64, page 464.

95 E. GLASSON, R. MOREL et A. TISSIER, Traité de procédure civile, Paris, Sirey, 3e édition, 1932, Tome IV, n° 1094, page 201.

96 Idem et loc.cit.

97 Voir notamment: idem, n° 1089 et n° 1090, pages 190 et suivantes et Encyclopédie Dalloz, précité, V° Saisie-

arrêt, n° 11 à 90, pages 726-731.

98 Cour d’appel, septième chambre, 7 mai 2008, n° 33063 du rôle, page 4, premier alinéa. Dans le même sens, à titre d’illustration : idem, même chambre, 3 octobre 2018, n° 144/18 – VII – REF, numéro CAL-2018-00782 du rôle, page 4, troisième alinéa ; idem, même chambre, 10 octobre 2018, n° 146/18 – VII – REF, numéro CAL-2018-

00234 du rôle, page 4, avant-dernier alinéa ; idem, même chambre, 7 novembre 2018, n° 162/18 – VII – REF, numéro CAL-2018-00856, page 7, premier alinéa ; idem, même chambre, 23 janvier 2019, n° 9/19 – VII – REF, numéro CAL-2018-00522 du rôle, page 6, cinquième alinéa ; idem, neuvième chambre, 16 mai 2019, n° 64/19 – IX – CIV, numéro 44773 du rôle, page 5, dernier alinéa ; idem, septième chambre, 22 juillet 2020, n° 113/20 – VII – REF, numéro CAL-2020-00520 du rôle, page 4, antépénultième alinéa ; idem, même chambre, 21 avril 2021, n° 57/21 – VII – REF, numéro CAL-2021-00345, page 3, deuxième alinéa ; idem, même chambre, 27 octobre 2021, n° 146/21 – VII – CIV, numéro CAL-2021-01010 du rôle, page 3, deuxième alinéa ; idem, neuvième chambre, 12 janvier 2022, n° 02/22 – IX – CIV, numéro 44151 du rôle, page 16, quatrième alinéa.

C’est donc à juste titre que la Cour d’appel a, dans l’arrêt attaqué, dénié l’existence d’une telle condition, non prévue par la loi.

Ainsi qu’il a été vu ci-avant, l’article 694 du Nouveau Code de procédure civile confère au juge le pouvoir de refuser une autorisation de saisir-arrêter même lorsque les conditions légales de la saisie sont réunies. Ce pouvoir peut lui permettre notamment de refuser « de permettre la saisie-arrêt lorsqu’il lui paraît, à raison même de la solvabilité manifeste du saisi, qu’il s’agit d’une mesure vexatoire »99, donc « que le débiteur est si notoirement solvable que la saisie-

arrêt serait vexatoire »100. Un tel refus relève de son pouvoir discrétionnaire, ce qui implique qu’il est dispensé de motiver sa décision, donc qu’il n’a pas à justifier de l’exercice de son pouvoir par des motifs spéciaux101.

En l’espèce, la Cour d’appel a été saisie d’un moyen de droit tiré de ce que l’autorisation de saisir-arrêter suppose la preuve par le créancier d’un risque de non-recouvrement de la créance.

Elle a, par les motifs précités, rejeté ce moyen, qui n’est pas fondé en droit. Il ne résulte, en revanche, pas des pièces auxquelles vous pouvez avoir égard que la demanderesse en cassation a invoqué, outre ce moyen de droit, un moyen de fait de nature à justifier, au regard de circonstances particulières propres à l’espèce, que le juge fasse usage de son pouvoir discrétionnaire de refus ou de rétractation de l’autorisation tant bien même que celle-ci respecte les conditions légales, par exemple, en raison d’indices que la saisie-arrêt aurait été inspirée en l’espèce par de motifs purement vexatoires. A défaut d’avoir été saisie d’un tel moyen, il ne saurait être reproché à la Cour d’appel de ne pas y avoir répondu, donc de ne pas avoir justifié pour quels motifs elle n’entendait pas faire usage de son pouvoir discrétionnaire de rétracter une saisie-arrêt respectant par ailleurs les conditions légales. Il s’ajoute que même si les développements de la demanderesse en cassation relatifs à l’absence d’un risque de non-

recouvrement devraient être compris comme formulation d’un tel moyen de fait, la Cour d’appel était dispensée de motiver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Son refus de la demande de rétractation de l’autorisation de saisir-arrêter implique par ailleurs, implicitement mais nécessairement, le rejet d’un tel moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 99 GLASSON, MOREL et TISSIER, précité, n° 1094, page 201.

100 Encyclopédie Dalloz, précité, V° Saisie-arrêt, n° 79, page 730.

101 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 5e édition, 2015, n° 66.33, page 321.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 92/22
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-06-16;92.22 ?

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