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17/05/2022 | LUXEMBOURG | N°47233C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 17 mai 2022, 47233C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47233C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47233 Inscrit le 24 mars 2022 Audience publique du 17 mai 2022 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 24 février 2022 (n° 44926 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d'appel, inscrit sous le numéro 47233C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2022 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le …

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47233C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47233 Inscrit le 24 mars 2022 Audience publique du 17 mai 2022 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 24 février 2022 (n° 44926 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d'appel, inscrit sous le numéro 47233C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2022 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le … à … (Tanzanie), et être de nationalité tanzanienne, demeurant à L-…, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 24 février 2022 (n° 44926 du rôle) l’ayant déboutée de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 juillet 2020 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 mai 2022.

Le 12 mars 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 12 mars 2019, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Le 14 avril 2019, Madame (A) donna naissance au Luxembourg à son fils, dénommé Imraan (A), au nom et pour le compte duquel elle introduisit une demande de protection internationale le 24 avril 2019.

En date des 21 juin et 11 novembre 2019, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 31 juillet 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites le 12 mars 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Vous êtes accompagnée de votre enfant mineur (B), né le … au Luxembourg, de nationalité tanzanienne au nom et pour le compte duquel vous avez introduit une demande de protection internationale le 24 avril 2019.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 mars 2019, le rapport d'entretien « Dublin III » du 12 mars 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 21 juin 2019 et du 11 novembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Madame, il résulte du rapport de police que vous et votre époux (C) avez introduit une première demande de visa « Schengen » en date du 2 juillet 2018 avec comme but « Tourism » auprès des autorités allemandes en Tanzanie. Votre demande a été rejetée. Une deuxième demande de visa a été introduite le 23 janvier 2019 auprès des autorités italiennes en Tanzanie.

Cette fois-ci un visa avec une validité du 12 février au 5 mars 2019 vous a été accordée.

Le jour de l'introduction de votre demande de protection internationale vous avez indiqué sur votre fiche de motifs ainsi que lors de l'entretien avec la police que vous auriez pu vous enfuir de votre pays d'origine lorsque vous auriez été hospitalisée à cause de votre grossesse (fiche de motifs, rapport de police).

Madame, il ressort de votre récit que vous seriez née à (aa) … en Tanzanie et que vous y auriez vécu avec votre famille. En 2013 vous vous seriez mariée et auriez déménagé à (bb).

Après votre divorce en 2016, vous seriez retournée à (aa). Vous vous seriez remariée en 2016 et votre époux aurait loué un appartement à Pemba pour vous, tandis qu'il aurait vécu à (cc) avec sa première femme. Vous auriez été femme au foyer et votre époux aurait subvenu à vos besoins.

Vous évoquez qu'à partir de l'âge de dix ans, vous auriez fait l'objet d'attouchements sexuels de la part de votre tante. Vous évoquez qu'elle « picked me to her house, she started to do that thing and told me not to tell anyone. She gave me money, so I would not talk » (p.8/18 du rapport d'entretien). A l'âge de … ans, vous auriez eu une relation avec une dénommée (D) que vous auriez connue de l'école. Elle aurait été un « Tom-Boy » (p.10/18 du rapport d'entretien) et tout le monde aurait su qu'elle serait homosexuelle. Cette relation aurait duré jusqu'à votre premier mariage en 2013. A l'âge de … ans, votre famille vous aurait mariée sans votre consentement initial à un homme âgé d'une cinquantaine d'années. Vous n'auriez accepté ce mariage qu'après « They said I should get married because we are Muslim » (p.8/18 du rapport d'entretien). Votre époux aurait demandé le divorce en 2016 après qu'il soit tombé malade. Vous vous seriez remariée à un autre homme la même année. Pendant toute cette période, vous auriez continué « to live that life […] to do my things » (p.8/18 du rapport d'entretien), de 2013 à 2016 avec des prostituées et puis de 2016 à 2019 avec (D) qui aurait vécu dans le même bâtiment que vous. Un jour, des voisins vous auraient surprises en flagrant délit en regardant par la fenêtre. Vous auriez été frappée et ils auraient appelé la police. Des agents de police vous auraient emmenée au poste de police. Le lendemain, votre tante aurait payé votre caution, vous aurait donné de l'argent et aurait arrangé votre départ de la Tanzanie avec l'aide de « one Indian guy who made people travel » (p.9/18 du rapport d'entretien).

En ce qui concerne votre trajet, vous indiquez que vous auriez quitté la Tanzanie le 12 février 2019 en direction de l'Italie via … à bord d'un avion. En Italie, vous auriez pendant un mois vécu dans la maison d'une personne non autrement identifiée qui « did sex with me by force » (p.6/18 du rapport d'entretien). Vous seriez tombée malade, raison pour laquelle cet homme aurait acheté un billet de train en direction du Luxembourg pour vous.

Vous présentez les documents suivants à l'appui de votre demande:

-

Votre carte d'identité, -

Votre permis de conduire, -

Un mandat d'arrêt pour « act of lesbianism » du 5 mars 2019, -

Le journal « … » du 27 mars 2019 dans lequel votre photo est reproduite avec un article disant que vous seriez recherchée par la police, -

Une lettre manuscrite de votre sœur.

Relevons que vous avez consenti à la continuation de l'entretien en anglais bien que vos connaissances de la langue anglaise soient rudimentaires.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant tout progrès en cause, notons que les problèmes rencontrés en Italie ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'évaluation de votre demande de protection internationale. En effet, suivant l'article 2 de la Loi de 2015 sont pris en compte dans le cadre de l'examen d'une demande de protection internationale uniquement les faits qui se sont déroulés dans le pays d'origine du demandeur respectivement les craintes exprimées en relation avec le pays d'origine. Etant donné que vous êtes de nationalité tanzanienne, les faits qui se seraient déroulés en dehors de votre pays d'origine, c'est-à-dire la Tanzanie, ne sauraient pas être pris en considération dans l'évaluation de votre demande de protection internationale.

Madame, je tiens à vous informer que les faits ayant trait à votre prétendue homosexualité ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'analyse de votre demande de protection internationale alors que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes.

Premièrement il échet de relever qu'actuellement vous êtes mariée Madame, et ce clairement de votre propre gré. Vous avouez vous-même que « I accepted to marry him, but I never loved him » (p.8/18 du rapport d'entretien). A cela s'ajoute que vous avez eu l'intention de faire des vacances avec votre époux. La demande de visa « Schengen » que vous et votre époux (C) avez introduite ensemble en date du 2 juillet 2018 avec comme but « Tourism » auprès des autorités allemandes en Tanzanie démontre de manière indubitable que vous avez initialement l'intention de venir en Europe avec votre mari. Or une personne qui tenterait de fuir son époux pour vivre enfin la vie dont elle rêve ne demanderait pas un visa avec ce dernier dans le but de venir faire du tourisme.

Deuxièmement il convient de constater que malgré le fait que vous auriez entretenu une relation pendant plusieurs années avec (D), vous êtes manifestement dans l'incapacité de fournir des renseignements élémentaires concernant cette relation. En effet, vos phrases sont très vagues et évasives et vous êtes manifestement dans l'incapacité de donner des informations que toute personne ayant prétendument entretenu une relation secrète et interdite serait en mesure de donner. A la demande de l'agent ministériel de décrire (D), vous évoquez que « She is tall, thick, black. She has a good heart, she smiles every time, and she likes to talk ». Or une telle description vague, impersonnelle et dénuée de tout élément sentimental et qui correspond à la majorité des femmes ne correspond nullement à la description que l'on ferait de l'être aimé qui est à l'origine de votre départ du votre pays d'origine. A la demande de l'agent de mentionner une qualité particulière d'(D), vous vous contentez de dire: « When we were together in bed ». Or une nouvelle fois on ne saurait être convaincu de cette réponse qui démontre que vous n'avez nullement vécu cette prétendue histoire. A cela s'ajoute que votre réponse à la question « Did her parents know that she was lesbian » était « I do not know ». Or il s'agit en l'occurrence d'une information essentielle et il est parfaitement impossible que vous n'auriez jamais abordé cette thématique.

A cela s'ajoute que vous n'êtes pas en mesure de nous présenter une photo, un courriel, un SMS ou tout autre document qui permettrait d'établir que cette femme existe vraiment et que votre prétendue relation de plusieurs années avec (D) ne provient pas de votre imagination. Or ce genre d'éléments sont de nos jours faciles à apporter et il est aisé d'établir l'existence d'une relation de surcroit lorsqu'elle a existé pendant de nombreuses années comme vous le laissez entendre.

Notons en outre que, tout en sachant que « I feel that I love her. I love her, every time I want to see her », vous n'auriez pas jugé important de vous renseigner sur le sort de votre copine après avoir été appréhendée par la police. Ainsi vous mentionnez que « I do not know about her, all I know is about me » (p.14/18 du rapport d'entretien).

De plus, il n'est manifestement pas crédible que vous auriez tout simplement eu un rapport sexuel avec (D) avec la fenêtre ouverte dans un appartement au rez-de-chaussée avec « a lot of houses with neighbors around » (p.13/18 du rapport d'entretien). Interrogé pourquoi vous ne vous seriez pas rencontrées en secret ou auriez accroché un rideau devant la fenêtre, vous répondez que « There were curtains in the house, but in my country it is very hot, not like here » (p.13/18 du rapport d'entretien). Votre explication selon laquelle il aurait été trop chaud pour fermer les rideaux est ridicule.

Il convient de conclure que votre récit ayant trait à votre prétendue relation avec une dénommée (D) est inventé de toute pièce dans le seul d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

Troisièmement nous remettons en cause vos dires quant à votre prétendue orientation sexuelle de manière générale. Ce constat se base notamment sur le fait que durant l'ensemble de l'entretien, vous référez aux relations sexuelles comme « that thing ». Interrogé ce que vous voulez dire par « that thing » vous vous contentez de dire que « I love to be lesbian and I need to be in peace » (p.16/18 du rapport d'entretien), ce qui ne constitue aucunement une explication satisfaisante. En effet une personne homosexuelle n'utiliserait pas ce genre de terme et aurait une autre manière d'appréhender le sujet qui la fait souffrir depuis des années alors qu'être une personne homosexuelle dans un pays ouvertement homophobe a nécessairement un impact sur la psychologie de la personne qui n'a jamais pu vivre sa vie librement et ouvertement.

De plus, vous n'avez manifestement aucune connaissance du cadre légal concernant les personnes LGBTI dans votre pays d'origine ni des associations de défense des droits de personnes LGBTI actives en Tanzanie. Ceci est d'autant plus surprenant si on considère que vous auriez découvert votre prétendue homosexualité en 2011 à l'âge d'environ … ans. Dans ce contexte, il convient de soulever que « Entre 2008 et 2015, UHAI EASHRI a relevé une croissance exponentielle du nombre d'associations LGBT […] Pour la Tanzanie continentale, la plupart des organisations se concentrent sur la communauté LGBT en général, sur les gays ou les HSH. Il s'agit de Stay Awake Network Activities (SANA), Community Health Education Services & Advocacy (CHESA), Amka Empowerment (également actif à (cc)), Young Women Initiative Group (YWIG), LGBT Voice, Community of Hope and Support (CHS), Tanzania Community Empowerment Foundation (TACEF), Community Peer Support Services (CPSS), Wake Up and Step Forward Organization (WASO), Tanga AIDS Working Group (TAWG), Agape, Tanzania Service Foundation (TASEFO), SHI. Quelques organisations ciblent aussi, ou exclusivement, des personnes transgenres: House of Empowerment in Tanzania (HEAT), Tanzania Trans Initiative (TTI) et TAT. Une organisation s'occupe des enfants intersexes:

Children Education Society (CHESO). Pour Zanzibar, le rapport cite trois organisations ciblant la communauté LGBT: Zanzibar Youth Empowerment Association (ZAYEA), Youth Movement for Change (YMC), Youth Solidarity Association (YOSOA) ». Ce manque de connaissances venant d'une personne qui aurait découvert son homosexualité à l'âge d'environ … ans est impossible surtout quand on sait que vous êtes une personne manifestement éduquée et qui a les moyens de demander des visas et d'entreprendre des voyages vers l'Europe.

A cela s'ajoute que vous soulignez lors de votre entretien que vous n'auriez à aucun moment recherché à nouer des contacts avec la communauté LGBTI au Luxembourg, un constat qui soutient le constat que vous avez inventé votre homosexualité pour augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

Quatrièmement il convient de soulever que vous avez présenté deux récits différents quant à votre départ de votre pays d'origine. Lors de votre entretien avec la Police judiciaire vous indiquez que vous auriez pu vous enfuir quand vous auriez été hospitalisée à cause de votre grossesse. Or, lors de l'entretien avec l'agent ministériel, vous changez d'histoire et évoquez que votre tante aurait payé votre caution, vous aurait donné de l'argent et aurait arrangé votre départ de la Tanzanie. L'agent du Ministère vous a demandé des explications quant à cette incohérence flagrante et vous vous bornez à dire que « I was frustrated, I had stress I do not know what to do » (p.14/18 du rapport d'entretien). Or, une telle tentative de justification sans aucun fondement ne saurait convaincre.

Cinquièmement, il convient de mentionner que l'argumentaire ci-avant étayé est encore conforté par le fait qu'avant de quitter votre pays d'origine, vous seriez allée à (bb) et auriez introduit une demande en obtention d'un visa. Vous n'avez donc pas jugé primordial de quitter votre pays d'origine le plus vite possible, mais vous avez préféré rester à (bb) afin de lancer cette procédure de visa. Le fait que vous avez pris le temps de solliciter un visa montre clairement que vous n'êtes aucunement persécutée et recherchée par les autorités tanzaniennes.

Il convient dès lors de conclure que votre récit ayant trait à votre homosexualité n'est manifestement pas crédible.

Notons que l'authenticité du prétendu mandat d'arrêt du 5 mars 2019 que vous avez versé ne saurait être valablement établie en raison de défaut de matériel de comparaison. A cela s'ajoute que concernant cet article publié dans le journal « … » le 27 mars 2019 disant que vous seriez recherchée par la police, il ne peut nullement être établi que vous seriez recherchée pour des raisons d'homosexualité, raison pour laquelle aucun crédit ne saurait être accordé à cet article de presse. Nous sommes ainsi dès lors d'avis que ces pièces ne peuvent pas inverser les arguments qui précèdent, surtout si on considère que vous avez quitté la Tanzanie tout simplement en embarquant à bord d'un avion pour gagner l'Europe. Or, il convient de noter que si vous aviez réellement été recherchée par la police pour les raisons que vous avez mises en avant, il vous aurait été tout simplement impossible de quitter votre pays d'origine légalement par voie aérienne.

Ceci étant dit, notons que votre demande portera uniquement sur le rapport sexuel forcé par votre tante lors de votre enfance respectivement adolescence, et ce que par souci d'exhaustivité tout en sachant qu'aucune crainte concrète y relative n'a été évoquée.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, vous indiquez que votre tante vous aurait forcée à avoir des relations sexuelles avec elle pendant votre enfance et adolescence. Notons que ce fait daterait de 2005 et qu'il doit donc être considéré comme appartenant au passé et comme étant trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi du statut de réfugié en 2020.

A cela s'ajoute que ce fait ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'il ne répond à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

Quand bien même ce fait serait lié à l'un des critères énumérés par la Convention de Genève et d'une gravité suffisante, s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment cherché à obtenir une quelconque aide auprès des autorités de votre pays d'origine. Vous n'avez pas non plus dénoncé votre tante à vos parents, et ce en raison de « she [Rem. : la tante] said not to tell them […] I told you my family was poor and she [Rem. : la tante] gave me money. I used the money to buy things at school, like food » (p.10/18 du rapport d'entretien). Or, à défaut d'avoir parlé à vos parents et à défaut d'avoir mis les autorités en mesure d'accomplir leur mission on ne saurait leur reprocher une quelconque défaillance.

Notons dans ce contexte que la loi tanzanienne réprime les relations sexuelles avec des enfants mineurs. En effet, « The law provides that sexual intercourse with a child younger than 18 is rape unless within a legal marriage ».

A cela s'ajoute que « le SOSPA [Rem. : Sexual Offences Special Provisions Act] a créé l'article 138A relatif aux actes de « grossière indécence » « entre personnes » sans autre précision et qui pourrait donc aussi cibler des femmes, selon HRW. Cet article prévoit également des peines allant jusqu'à cinq ans de prison. Lorsque les pratiques en question concernent une personne mineure, donc de moins de dix-huit ans, la personne majeure est passible d'une peine de dix ans au minimum assortie de châtiments corporels: « Any person who, in public or private commits, or is a party to the commission of, or procures or attempts to procure the commission by any person of, any act of gross indecency with another person, is guilty of an offence and liable on conviction to imprisonment for a term not less than one year and not exceeding five years or to a fine not less than one hundred thousand and not exceeding three hundred thousand shillings; save that where the offence is committed by a person of eighteen years of age or more in respect of any person under eighteen years of age, a pupil of a primary school or a student of secondary school the offender shall be fiable on conviction to imprisonment for a term not less than ten years, with corporal punishment, and shall also be ordered to pay compensation of all amount determined by the court to the person in respect of whom the offence was committed for any injuries caused to that person ».

Ainsi il convient de conclure que vous et votre famille auriez aisément pu solliciter les autorités de votre pays d'origine pour dénoncer ces faits et chercher de l'aide.

Madame, il convient de rappeler que vous êtes aujourd'hui majeure et donc parfaitement capable de vivre indépendamment de votre tante en Tanzanie. En tenant compte du fait de votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées et du fait que vous auriez pu bénéficier d'une protection dans votre pays d'origine, il convient de constater qu'il n'existe aucun risque futur de persécution dans votre chef.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d'être persécutée respectivement que vous risquez d'être persécutée en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif que « Tanzania is all these places and they use one law » (p.16/18 du rapport d'entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.

Ainsi, vous auriez pu vous installer à (dd), le centre administratif et industriel d'une région productrice de café, de coton, de pyrèthre et de sisal au nord de la Tanzanie ou encore à (bb), le centre économique et la plus grande ville de la Tanzanie avec plus de cinq millions d'habitants. La ville est également la capitale industrielle du pays et concentre plus de 80 % de l'activité industrielle du pays. Cela représente 37 % des établissements industriels, 36 % des ouvriers et 50 % de la masse salariale. Les industries locales incluent les produits alimentaires, des métaux, des textiles, du ciment, et des produits pharmaceutiques. (bb) est en outre le principal port de la Tanzanie, donnant sur l'océan Indien. Y transitent les exportations de café, de coton et de sisal.

Tenant compte de votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous n'établissez pas de raisons suffisantes pour lesquelles vous n'auriez pas été en mesure de profiter d'une possibilité de fuite interne à (dd) ou à (bb). Vous ne soulevez par conséquent pas de raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Tanzanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2020, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 31 juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 24 février 2022, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2022, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Au titre des faits gisant à la base de sa demande de protection internationale, l’appelante réitère en substance son exposé antérieur des faits qui l’auraient amenée à quitter son pays d'origine. Elle dit craindre d’être exposée à des persécutions ou des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de son orientation sexuelle, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités. Elle précise être lesbienne depuis son plus jeune âge et qu’elle aurait été mariée de force à deux reprises et aurait trois enfants, dont le dernier serait né au Luxembourg. Comme ses deux époux auraient eu chacun une première épouse et qu’ils n’auraient pas vécu quotidiennement avec elle, elle aurait pu avoir une relation avec sa partenaire (D). Elle et la dénommée (D) auraient été surprises dans un moment d’intimité par les voisins. Elles auraient alors été battues, alors même que l’appelante aurait été enceinte de six mois. Les voisins auraient appelé la police qui les aurait emmenées et emprisonnées. Sa tante aurait payé la caution, ce qui lui aurait permis de sortir de prison. Elle aurait vendu toutes ses affaires pour avoir l’argent nécessaire pour voyager à (bb). Sa tante l’aurait mise en contact avec un passeur qui l’aurait aidée dans ses démarches en vue de l’obtention d’un visa et elle aurait finalement pu quitter la Tanzanie par avion, via …, pour rejoindre l’Italie. Un deuxième passeur en Italie l’aurait violée et finalement mise dans un train pour le Luxembourg.

En droit, elle reproche aux premiers juges d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant de réformer le refus ministériel de lui accorder une protection internationale.

Ce serait à tort que les premiers juges n’ont pas jugé son récit comme étant crédible.

Elle estime qu’ils auraient mal interprété ses déclarations « en les interprétant avec un regard occidental ». Elle souligne qu’elle aurait été mariée de force à deux reprises. Son premier mari aurait divorcé d’elle et gardé les deux enfants communs. Elle aurait été contrainte d’épouser son deuxième mari, parce qu’une femme musulmane divorcée ne pourrait pas rester célibataire en Tanzanie. Ses déclarations au sujet de son homosexualité et de sa relation avec (D) ne permettraient nullement de douter de sa crédibilité, alors qu’il ne serait pas habituel pour une femme musulmane de parler ouvertement de sa vie intime. Il serait également parfaitement légitime qu’elle n’aurait pas conservé de photos ou de sms ou courriels de sa copine (D), alors qu’il ne serait pas coutume dans son pays d'origine de se prendre en photo. Les premiers juges auraient négligé le fait qu’il s’agisse d’une relation interdite entre deux femmes musulmanes et qu’il était dangereux de garder des traces de leur relation.

Elle précise ensuite que l’homosexualité serait pénalement réprimée en Tanzanie et que le champ d’action des associations LGBTI y serait très restreint.

Quant aux divergences du récit de sa fuite soulevées par la partie étatique, l’appelante conteste avoir déclaré qu’elle se serait enfuie de l’hôpital. Elle estime par ailleurs que l’on ne pourrait pas lui reprocher d’avoir attendu la délivrance du visa, alors que ce serait sa tante qui se serait occupée d’organiser sa fuite.

Elle reproche ensuite aux premiers juges d’avoir partagé les doutes émis par le ministre au sujet des pièces qu’elle a produites, et notamment du mandat d’arrêt, alors qu’il serait clair que ce mandat aurait été émis pour « act of lesbianism » après le paiement d’une caution et sa remise en liberté, lorsque les autorités ne l’auraient retrouvée ni chez ses parents, ni chez sa tante. Ce document prouverait qu’elle risquerait d’être arrêtée, jugée et emprisonnée, en cas de retour dans son pays d'origine, voire d’être tuée par son époux ou sa famille. Quant à l’avis de recherche publié dans le journal …, jugé pas assez probant par les premiers juges en raison de l’absence d’indication du motif pour lequel elle serait prétendument recherchée, elle affirme que les avis de recherche publiés dans la presse en Tanzanie n’indiqueraient jamais les motifs.

Elle en conclut qu’il ne saurait être nié qu’elle soit recherchée par les autorités de police dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle. Quant à la lettre de sa sœur, elle soutient que le fait que sa sœur n’aurait pas joint une copie de sa carte d’identité, ni qu’elle n’aurait daté la lettre, ne permettraient pas de remettre en cause la véracité de ce qu’elle relate.

En guise de conclusion, elle estime que, de manière générale, son récit serait crédible, qu’elle se serait réellement efforcée d’étayer sa demande et qu’elle aurait livré tous les éléments dont elle disposait et que ses déclarations seraient cohérentes, de sorte qu’elle devrait se voir appliquer le bénéfice du doute.

Elle sollicite partant la reconnaissance du statut de réfugié ou, à défaut, celui conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a). b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que l’appelante n’a pas fait état de manière crédible qu’elle aurait des craintes fondées de persécution ou qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

L’appelante fonde sa demande de protection internationale en substance sur son orientation sexuelle, tandis que le ministre et les premiers juges ont retenu que les déclarations de l’intéressée n’avaient pas permis de tenir pour établies son orientation sexuelle et les persécutions qui en ont découlent.

A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à conclure que l’appelante n’a pas été en mesure de rendre crédible sa prétendue relation homosexuelle durant plusieurs années avec la dénommée (D), alors que ses déclarations sont restées essentiellement vagues et évasives.

Les explications et justifications fournies par l’appelante pour tenter de rétablir la crédibilité de son récit ne sont pas convaincantes. Elle se contente de critiquer l’appréciation portée par les premiers juges et tente de justifier la teneur inconsistante, inconstante ou incohérente de ses déclarations, en se prévalant de son statut de femme musulmane dans une société où l’homosexualité est pénalement réprimée. Ces justifications sont cependant insuffisantes pour apporter à son récit la crédibilité qui lui fait défaut.

Ainsi, les déclarations de l’appelante sur la dénommée (D) sont restées très vagues et évasives, alors qu’elle n’a pas su donner des détails de son amie, l’explication avancée que l’évocation de la sexualité serait taboue dans son pays d'origine n’est pas suffisante pour justifier ces déclarations générales. Le fait que l’appelante n’ait pas été en mesure d’apporter une quelconque trace, ne serait qu’une photo, de la dénommée (D) est pour le moins étonnant.

L’explication selon laquelle elle n’aurait pas voulu garder de preuve de sa relation interdite n’est guère convaincante.

De même, les circonstances dans lesquelles l’appelante et la dénommée (D) auraient été surprises dans un moment intime par des voisins, sont peu vraisemblables et inconsistantes. En plus, l’appelante a fait preuve de méconnaissances importantes au sujet de la situation des homosexuels dans son pays d’origine et a présenté des versions divergentes sur sa fuite de Tanzanie.

Quant aux circonstances de sa fuite, l’appelante a présente deux versions. Si, lors de son audition auprès du service de police judiciaire et dans sa fiche de motifs, elle a déclaré qu’elle aurait pu s’enfuir lors de son hospitalisation à cause de sa grossesse, elle a ensuite déclaré auprès de l’agent ministériel en charge de son audition que sa tante aurait payé sa caution, lui aurait donné de l’argent et aurait arrangé son départ de la Tanzanie. L’explication fournie par le litismandataire que cette déclaration serait « inexplicable et inexpliquée » et que sa mandante n’aurait pas fait cette déclaration et que de toute façon, il s’agirait d’une déclaration isolée ne convainc pas la Cour, dès lors que l’appelante a elle-même écrit dans la fiche de motifs : « they send me to hospital so in hospital I ran away ».

Enfin, la Cour rejoint les premiers juges en leur constat que les documents présentés par l’appelante ne revêtent qu’une force probante limitée, qui est insuffisante pour que ces documents rétablissent la crédibilité de son récit. Ainsi, le mandat d’arrêt n’a été produit qu’en simple copie et présente un contenu peu précis, le prénom de l’appelante étant écrit de manière erronée et ni sa date de naissance ni aucune autre donnée d’identification ne sont renseignées.

L’article de presse n’indique même pas le motif pour lequel l’appelante serait recherchée. Quant à la lettre de la sœur, elle émane d’une personne privée dont ni la qualité ni la sincérité ne peuvent être vérifiées, de sorte qu’elle ne peut se voir reconnaître qu’une force probante limitée.

En définitive, l’appelante ne produit aucun élément d’appréciation nouveau, objectif ou consistant pour pallier les insuffisances qui caractérisent son récit, et notamment convaincre de la réalité de son orientation sexuelle et des difficultés qu’elle aurait rencontrées pour cette raison.

Il découle de ce qui précède que l’appelante n’a pas fait état de manière crédible qu’elle a des raisons fondées de craindre d’être persécutée en cas de retour dans son pays d'origine ou qu’elle court un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, par rapport aux faits allégués.

Enfin, la Cour constate que l’appelante ne prétend pas que la situation qui prévaut actuellement en Tanzanie correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. Par ailleurs, ni les déclarations de l’appelante, ni les pièces du dossier administratif ne permettent de conclure à l’existence d’une telle situation.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale, prise en son double volet.

L’appelante sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de la protection internationale, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante – statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

En ordre subsidiaire, elle soutient que la décision litigieuse serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Ce moyen est à rejeter comme inopérant, étant donné qu’aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008, les dispositions de cette loi ne sont pas applicables aux demandeurs de protection internationale.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 24 février 2022 ;

donne acte à l’appelante de ce qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mai 2022 Le greffier de la Cour administrative 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47233C
Date de la décision : 17/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-05-17;47233c ?

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