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12/05/2022 | LUXEMBOURG | N°47215C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 mai 2022, 47215C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47215C ECLI:LU:CADM:2022:47215 Inscrit le 22 mars 2022

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Audience publique du 12 mai 2022 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 mars 2022 (n° 41202 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47215C ECLI:LU:CADM:2022:47215 Inscrit le 22 mars 2022

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Audience publique du 12 mai 2022 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 mars 2022 (n° 41202 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47215C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 mars 2022 par la société à responsabilité limitée NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Bertholet, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 189905, inscrite à la liste V de l’Ordre des avocats de Luxembourg, représentée par Maître Antoine LANIEZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés au Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 7 mars 2022 (n° 41202 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision d’injonction du 8 mars 2018 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Antoine LANIEZ et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARUCCIA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 avril 2022.

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Par courrier du 8 mars 2018, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », enjoignit à la société (AB), anciennement (BC), ci-après la « société (AB) », de lui fournir, pour le 13 avril 2018 au plus tard, certains renseignements concernant la « société (AB), établie auprès de la (DE), … à F-… », ladite injonction étant libellée comme suit :

« (…) En date du 8 mai 2017, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013 ainsi que de la convention fiscale entre le Luxembourg et la France du 1er avril 1958, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres relatif à ladite convention.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne morale concernée par la demande est la société (AB), établie auprès de la (DE), … à F-….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 mai 2017, les renseignements et documents suivants pour le 13 avril 2018 au plus tard.

 Veuillez fournir le détail sur l'évolution de l'actionnariat de la société (AB) au 31.12.2012, au 31.12.2013, au 31.12.2014, au 31.12.2015, au 31.12.2016 et au 31.12.2017, avec pièces à l'appui : noms, et adresses des actionnaires, pourcentage de détention, acquisition et cession de parts, etc. ;

 Veuillez fournir le détail sur les participations détenues par la société (AB) au 31.12.2012, au 31.12.2013, au 31.12.2014, au 31.12.2015, au 31.12.2016, au 31.12.2017, avec pièces à l'appui : noms et adresses des filiales, pourcentage de participation, acquisitions et cessions de parts, etc. ;

 Veuillez fournir des précisions sur la société (FG) (adresse, localisation des documents de trust, nom et adresse de l'administrateur du trust, nom et adresse du constituant du trust, contenu du pacte de trust).

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Conformément à l'article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, aucun recours ne peut être introduit à l'encontre de la présente décision d'injonction. (…) ».

Par courrier du 11 mai 2018, le directeur s’adressa au mandataire de la société (AB) dans les termes suivants :

« Nous accusons bonne réception de votre lettre du 10 avril 2018 suite à notre décision d'injonction du 8 mars 2018 enjoignant la société (AB) de nous fournir des renseignements dans le cadre d'une demande administrative française.

Tout d'abord, je vous confirme que l'absence manifeste de pertinence vraisemblable de la demande a été exclue par l'autorité compétente luxembourgeoise.

Conformément à l'article 3 (4) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l'échange de renseignements sur demande en matière fiscale, notre décision d'injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d'identifier les renseignements demandés. Dans son arrêt C-682/15 (§ 100), la Cour de justice de l'Union européenne ne reconnaît l'accès à l'information minimale, dont la finalité fiscale des informations demandées à l'administré concernée que dans le cadre d'un recours devant les juridictions administratives.

Nous marquons notre assentiment avec votre demande de reconsidérer le délai de réponse contenu dans notre lettre et de le prolonger jusqu'au 28 mai 2018 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 mai 2018, la société (AB) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de ladite décision du 8 mars 2018 prise par le directeur et, « pour autant que de besoin », du courrier subséquent du directeur du 11 mai 2018.

Dans son jugement du 7 mars 2022, le tribunal administratif déclara irrecevables les recours principaux en réformation et subsidiaire en annulation pour autant qu’ils étaient dirigés contre le courrier du directeur du 11 mai 2018. Il déclara pareillement irrecevables les deux recours dans la mesure où ils étaient dirigés contre la décision d’injonction du 8 mars 2018.

Le tribunal condamna finalement la société (AB) aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 22 mars 2022, la société (AB) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 7 mars 2022.

Moyens des parties En premier lieu, la société appelante invoque le droit au recours effectif garanti par le droit de l’Union européenne, notamment sur le fondement de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte ». Elle estime qu’en vertu des dispositions de la Charte, applicables en l’espèce, elle a un droit à un recours effectif, en tant que détenteur d’information, contre la décision d’injonction qu’elle a reçue du directeur.

Ensuite, la société appelante cite l’arrêt rendu par la CJUE le 16 mai 2017 (CJUE, Berlioz Investment Fund, aff. C-682/15, ECLI:EU:C:2017:373). D’après elle, en vertu de cet arrêt, l’administré pourrait contester la légalité d’une décision d’injonction et l’éventuelle sanction administrative devant un juge national. L’appelante souligne que c’est suite à cet arrêt que la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après respectivement la « loi du 1er mars 2019 » et la « loi du 25 novembre 2014 », a été adoptée, modifiant l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dans le sens d’ouvrir un droit de recours direct au détenteur d’informations. Elle estime que la qualité de contribuable concerné ne pourrait pas faire obstacle au droit de recours du détenteur d’informations, car la loi susmentionnée ne ferait pas cette distinction.

La société appelante poursuit son raisonnement en citant l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 (CJUE, aff. C-245/19, ECLI:EU:C:2020:795) dans lequel ladite juridiction distinguerait entre la situation d’un contribuable et celle d’un tiers détenteur d’informations dans le cadre d’une décision d’injonction. Dans cet arrêt, la CJUE aurait précisé que seul le recours du tiers détenteur d’informations contre une décision d’injonction devrait être admissible. L’appelante soulève que l’arrêt de la CJUE ne traiterait toutefois pas du cas où, comme en l’espèce, le détenteur des informations est aussi le contribuable concerné par la demande d’informations. La société appelante affirme que quand bien même il y aurait en l’espèce un cumul dans son chef de la qualité du contribuable concerné et de celle du détenteur des informations, il faudrait apprécier l’effectivité du recours en fonction de la qualité pour laquelle elle est sollicitée. Comme en l’espèce l’appelante est saisie en sa qualité de détenteur d’informations, à qui la décision d’injonction est adressée et à qui cette décision peut faire grief, elle aurait le droit de faire un recours. D’après la société appelante, le recours dont dispose le détenteur d’informations est donc indépendant des autres considérations et notamment de celle de savoir si en sa qualité de contribuable elle dispose d’un recours dans le cadre d’une enquête fiscale par laquelle elle serait visée.

La société appelante ajoute, tout en réfutant qu’elle a la qualité de contribuable, qu’il n’y aurait pas de procédure de contrôle fiscal en cours engagée contre elle en France. Par conséquent, même si elle avait eu la qualité de contribuable et en l’absence de contrôle fiscal en cours, aucun recours ne lui serait ouvert auprès des juridictions de l’Etat requérant. La société appelante conclut qu’elle n’aurait pas de recours, ni en sa qualité supposée de contribuable concerné dans la juridiction de l’Etat requérant ne faisant pas l’objet d’une procédure fiscale ouverte, ni en tant que détenteur des informations dans la juridiction de l’Etat requis, ce qui violerait son droit au recours effectif.

De son côté, la partie étatique réitère les arguments soulevés en première instance, à savoir que le recours de la société n’est pas recevable puisqu’elle est le contribuable visé par la demande d’informations. En revanche, selon la partie étatique, un recours en tant que contribuable lui serait en principe ouvert en France, cette voie de recours suffisant à l’exigence de respecter le droit à un recours effectif au sens de l’article 47 de la Charte.

Analyse de la Cour En premier lieu, la Cour tient à rejoindre le constat des premiers juges selon lequel la demande d’échange de renseignements des autorités françaises est basée sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par la « directive 2011/16 », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après la « loi du 29 mars 2013 », et sur la convention préventive de double imposition conclue entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, modifiée par la suite, ci-après désignée par la « Convention », tandis que la décision d’injonction du 8 mars 2018, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Alors même que la Convention et la directive 2011/16 représentent deux ensembles de dispositions ayant des champs d’application distincts en ce qui concerne tant les Etats liés que les personnes et les impôts visés, de manière qu’elles sont susceptibles de s’appliquer parallèlement à une situation donnée, la directive 2011/16, ensemble la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constituent le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction du 8 mars 2018. La directive 2011/16 prime en effet dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne sur les conventions préventives des doubles impositions conclues par deux d’entre eux, non pas en tant que disposition postérieure, mais en tant que disposition du droit de l’Union hiérarchiquement supérieure et la Convention devient essentiellement pertinente si elle prévoit, sous un certain aspect, un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16 qui admet elle-même, au vœu de son article 1er, alinéa 3, « l’exécution de toute obligation des États membres quant à une coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux » (dans le même sens déjà, Cour de Justice de l’Union européenne, 11 octobre 2007, ELISA, aff. 451/05, EU:C:2007:594).

Or, dans la mesure où la Convention ne prévoit pas de manière vérifiée un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que c’est sous l’empire de la directive précitée que le recours sous examen doit être analysé.

Le tribunal a relevé correctement que la décision d’injonction date du 8 mars 2018, soit d’avant l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 2019, et reste dès lors sous l’empire de la loi du 25 novembre 2014 dans sa teneur initiale.

Ensuite, la Cour rejoint l’analyse du tribunal selon laquelle, en l’espèce, la situation de l’appelante est particulière puisque cette dernière a la double qualité de contribuable visé par l’enquête en cours dans l’Etat requérant et de détenteur des informations dans l’Etat requis.

Le tribunal a rappelé de façon exacte le contenu de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 dans lequel cette dernière a effectivement distingué entre le recours exercé par le tiers détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, le contribuable visé et un tiers intéressé. La CJUE a reconnu que l’exclusion de tout recours contre la décision d’injonction se heurte à l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 de la Charte, et à l’article 51, paragraphe (1), de la Charte, en ce que pareille exclusion vise la personne détentrice des informations à laquelle la décision d’injonction est adressée, mais ne s’y heurte pas en ce qu’elle concerne le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction, voire les tiers intéressés par les informations. Effectivement, la CJUE a estimé que le contribuable visé, faute d’un recours direct contre la décision d’injonction dans l’Etat requis, dispose devant les différentes juridictions nationales compétentes de l’Etat requérant membre de l’Union européenne d’un recours contre une éventuelle décision de rectification ou de redressement et qu’il peut invoquer dans le cadre d’une telle voie de recours son droit à un contrôle incident du recours à l’échange de renseignements par les autorités de l’Etat requérant. Ainsi, dans le cadre d’un recours contre une décision de rectification, le contribuable visé pourra soumettre au juge la demande de vérification des preuves sur lesquelles se fonde cet acte et notamment la décision d’injonction afin de vérifier si ces preuves n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis au contribuable par le droit de l’Union européenne.

Le contribuable visé dispose donc d’un droit à un contrôle juridictionnel a posteriori de la décision des autorités de l’Etat requérant de recourir à un échange de renseignements assurant le respect des droits et libertés que le droit de l’Union européenne lui garantit, sans devoir s’exposer à cette fin au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de cette décision d’injonction. La CJUE a conclu ainsi que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 doit être considéré comme ne portant pas atteinte au contenu essentiel du droit à un recours effectif garanti au contribuable visé, ni ne restreint son accès aux voies de recours prévues par la réglementation de l’Union européenne concernent la protection des données à caractère personnel.

Cependant, même si la Cour rejoint l’analyse par le tribunal de l’arrêt de la CJUE précité, elle ne peut confirmer les déductions en tirées par le tribunal par rapport au cas d’espèce.

En effet, le tribunal conclut qu’en vertu de l’arrêt précité de la CJUE, le refus au droit d’un recours direct garanti au contribuable visé n’est pas en violation du droit à un recours effectif, au motif qu’il pourrait faire valoir son droit à un recours effectif dans une étape ultérieure, à savoir à l’occasion de son imposition dans le cadre de laquelle les informations sollicitées auront été employées. Selon le tribunal, le contribuable dispose a priori d’une voie de recours par voie incidente dans l’Etat requérant, dans le cadre d’un éventuel recours exercé contre la décision de rectification ou de redressement, qui, suivant les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, constituerait justement l’acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif.

Néanmoins, la CJUE a analysé la question du droit de recours contre la décision d’injonction dans le chef d’un contribuable visé tout en précisant, au point 80 de l’arrêt prévisé, que la situation de ce dernier est différente de celle du détenteur de l’information. Le contribuable visé n’est en effet pas le destinataire direct de la décision d’injonction et n’est soumis à aucune obligation légale par cette décision. La CJUE précise en outre que le contribuable visé ne risque pas de recevoir une amende en cas de non-exécution de la décision d’injonction et n’est pas contraint d’adopter un comportement illicite pour pouvoir exercer son droit à un recours effectif puisqu’il n’est pas le destinataire de l’injonction.

La CJUE n’a par contre pas examiné plus particulièrement la situation d’un contribuable visé qui est en même temps le détenteur des informations requises par l’Etat requérant. Comme le soulève à juste titre l’appelante, une personne revêtant cette double qualité est la destinatrice directe de la décision d’injonction émise par l’autorité compétente de l’Etat requis qui lui impose l’obligation légale de fournir certains renseignements et dont le non-respect l’expose au risque de voir fixer une amende substantielle à son encontre. Le refus à cette personne d’un droit à un recours direct contre la décision d’injonction dans l’Etat requis du fait de sa qualité de contribuable visé résultera, en cas de contestation de la validité de ladite décision, précisément de la nécessité pour elle de se mettre dans l’illégalité en s’abstenant de donner suite à une telle décision et de s’exposer au risque d’une amende pécuniaire substantielle. Or, la CJUE a clairement retenu dans son arrêt du 6 octobre 2020 qu’un destinataire d’une décision d’injonction ne saurait être contraint de se placer dans l’illégalité pour pouvoir exercer son droit à un recours effectif, sous peine de ne pas voir respecter le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte (points 66 et 80).

En outre, il faut douter si la juridiction compétente de l’Etat requérant va se déclarer compétente pour analyser la validité de la décision d’injonction émise par l’autorité compétente de l’Etat requis à l’égard du contribuable visé dans le cadre de son recours contre un éventuel redressement fiscal.

La Cour estime donc, contrairement aux premiers juges, que même si l’appelante revêt également la qualité de contribuable visé par une éventuelle enquête dans l’Etat requérant, l’élément déterminant en l’espèce doit être sa qualité de destinataire de la décision d’injonction dans l’Etat requis qui lui impose directement des obligations sous peine de sanction. La privation de l’appelante du bénéfice d’un recours direct contre cette décision d’injonction dont elle est le destinataire est partant contraire à l’article 47 de la Charte et elle doit se voir reconnaître une voie de recours directe contre la décision d’injonction, peu importe sa qualité de contribuable visé par ailleurs.

Il y a lieu de rappeler à cet égard que conformément au principe de la primauté du droit de l’Union, les dispositions des traités de l’Union européenne et des actes des institutions de l’Union directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit toute disposition contraire de la législation nationale existante (CJUE 15 juillet 1964, Flaminio Costa, aff. C-6/64). Par voie de conséquence, le juge administratif luxembourgeois, en sa qualité de « juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure » (CJUE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. C-106/77). Il lui incombe également « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l’effet direct des dispositions du droit communautaire » (CJUE 19 juin 1990, Factortame, aff. C-231/89).

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la Cour est tenue de faire abstraction de la disposition de l’article 6, paragraphe (1), de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originale applicable en l’espèce, qui disposait qu’« aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3 », par rapport à la situation de l’appelante correspondant à celle d’un détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction sur base d’une procédure d’échange de renseignements régie par la directive 2011/16 et d’assurer à l’appelante le plein exercice de son droit d’accéder à un recours juridictionnel effectif lui garanti par l’article 47 de la Charte à l’égard de la décision d’injonction litigieuse.

La conclusion s’impose dès lors que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré le recours subsidiaire en annulation de l’intimée irrecevable.

Au vu de cette conclusion que la qualité de détenteur des renseignements est à reconnaître dans le chef de l’appelante, il n’y a pas lieu d’examiner ses moyens tenant à l’absence d’une instruction en cours dans l’Etat requérant et à la prescription puisqu’ils se rattachent plutôt à la qualité de contribuable visé.

Il s’en suit que l’appel est fondé et que le jugement entrepris est à reformer en ce sens que ledit recours est à déclarer recevable.

Au vu de la demande de renvoi devant le tribunal formulée à titre principal par l’appelante, il y a lieu non pas d’évoquer le fond mais de renvoyer l’affaire devant le tribunal en vue de l’examen du fond.

L’appelante formule encore une demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros. Cette demande est cependant à rejeter, étant donné qu’il n’appert pas des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à charge de l’appelante.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 22 mars 2022 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 7 mars 2022, dit que le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision d’injonction du 8 mars 2018 est recevable et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif en vue de l’examen du fond du litige, rejette la demande de l’appelante en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, condamne l’Etat aux dépens de l’instance d’appel et réserve les dépens pour le surplus.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 12 mai 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président , en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mai 2022 Le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47215C
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-05-12;47215c ?

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