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12/05/2022 | LUXEMBOURG | N°47147C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 mai 2022, 47147C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47147C ECLI:LU:CADM:2022:47147 Inscrit le 8 mars 2022

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Audience publique du 12 mai 2022 Appel formé par Monsieur (T) et consort, …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 février 2022 (n° 44704 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 47147C du rôle et déposé au greffe de la Cou

r administrative le 8 mars 2022 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tab...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47147C ECLI:LU:CADM:2022:47147 Inscrit le 8 mars 2022

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Audience publique du 12 mai 2022 Appel formé par Monsieur (T) et consort, …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 février 2022 (n° 44704 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 47147C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2022 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (T), né … à … (Turquie), et de son épouse, Madame (L), née le … à …, tous deux de nationalité turque, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 8 février 2022 (n° 44704 du rôle), les ayant déboutés de leur recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mai 2020 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 5 avril 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Lukman ANDIC, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries à l’audience publique du 3 mai 2022.

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Le 8 janvier 2019, Monsieur (T) et son épouse, Madame (L), accompagnés de leurs enfants mineurs (K), née le … à … (Turquie), et (N), née le … à …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (T) sur son identité et celle de sa famille, ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du 10 janvier 2019.

En date des 1er juillet, 3 septembre et 24 octobre 2019, Monsieur (T) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Le 2 juillet 2019, Madame (L) fut, à son tour, entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 mai 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des époux (T-L) comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 janvier 2019, les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 1er et 2 juillet ainsi que des 3 septembre et 24 octobre 2019 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaires du village de « … » [sic] à « … » [sic] en Turquie, d'ethnie kurde et de confession musulmane.

Monsieur, vous indiquez que votre père aurait été « un protecteur de village » à partir de 1983 et qu'en 1992-93 il aurait démissionné de sa fonction en raison de son désaccord avec ce « système ». Il aurait ensuite « été mis sous pression » et une enquête aurait été ouverte par les autorités turques. Vous ajoutez qu'il aurait été ciblé, menacé et torturé. Les autorités auraient néanmoins décidé de « classer l'enquête sans suites. » [sic] (p.5/17 du rapport d'entretien).

En 1995 votre cousin aurait rejoint le « PKK » et peu après le village d'origine de votre oncle aurait été « détruit ». En 1999 votre oncle aurait également rejoint le « PKK » et en 2009 il aurait « été tué en martyr ». Vous mentionnez « on a été exclus comme on était vus comme l'opposition » [sic] (p.5/17 du rapport d'entretien).

Ensuite vous indiquez que les autorités turques vous auraient convoqué « au commissariat » et auraient proposé que vous deveniez « protecteur de village », demande que vous auriez refusée et par conséquent elles vous auraient accusé de faire « partie d'une organisation terroriste ».

Vous expliquez que la « pression » aurait augmenté et que vous n'auriez pas pu vous « exprimer librement ». Vous déclarez que vous n'auriez pas pu porter plainte contre les « protecteurs de village » et que ce seraient eux qui auraient porté plainte contre vous sans néanmoins donner aucune autre indication concrète.

Par conséquent, en date du 15 novembre 2015, les autorités turques auraient fait une « descente » dans votre maison dans le village « » [sic]. Vous auriez été arrêté et détenu durant quatre ou cinq jours » à la « gendarmerie » de « … » [sic]. Vous précisez qu'elles auraient procédé « sans mandat », vous ajoutez que vous auriez été insulté et frappé.

Vous mentionnez que vous auriez subi des « pressions » depuis votre enfance et que vous seriez un adhérent du Parti démocratique des peuples (HDP) depuis 2012. Dans ce contexte vous faites état de « menaces » et de « pressions » et vous avancez également que vous auriez été traité de « terroriste » et que vous ne seriez pas « en sécurité ».

En raison de tous ces incidents, vous auriez quitté « … » [sic] pour vous installer dans la ville de avec votre épouse et vos enfants. Vous indiquez qu'« au départ tout allait bien », ensuite les « bombardements » et les « coups de feux » auraient commencé. Vous précisez « c'était vers juin 2015 que tout a commencé au sud-est de la Turquie donc chez nous cela a commencé en septembre ou en novembre » [sic] et que « l'Etat bombardait les partisans du PKK », mais qu'« en réalité l'endroit était plein de civils » [sic] (p.11/17 du rapport d'entretien).

Vous avancez que les autorités seraient venues dans votre nouveau domicile à . et auraient sollicité que vous quittiez les lieux. Vous auriez refusé leur requête et elles vous auraient menacés d'être des « terroristes ». Suite à la découverte d'un cadavre dans le sous-

sol de votre immeuble vous auriez eu peur et vous seriez allé ensemble avec votre épouse et vos enfants chez votre tante qui habiterait un autre quartier de la ville.

Ensuite, vous précisez qu'un « meeting » aurait été organisé afin de protester contre les opérations des autorités turques menées dans la ville de .. Vous auriez participé à cette manifestation et vous auriez été arrêté puis placé en garde à vue pendant deux jours.

Votre maison à . aurait été « détruite » à cause des opérations et vous auriez déménagé dans la ville de …… Vous expliquez que « les habitants de l'ouest de la Turquie n'aiment pas les Kurdes » [sic]. Vous y auriez travaillé, mais vous avancez que vous n'auriez pas pu parler votre langue maternelle ni déclarer ouvertement que vous êtes d'origine kurde. Vous ajoutez qu'« il y avait des menaces ».

Vous faites état d'un incident qui aurait eu lieu à ….. en date du 24 juin 2018 « pendant les élections ». Le maire et le « sous-préfet » de la ville vous auraient menacés en disant que vous devriez « rester dans » votre « coin sinon les têtes allaient rouler ». Vous avancez que votre vie aurait été en danger. Vous seriez donc allés chez votre père à « … » [sic] et vous seriez restés chez lui pendant quelques mois.

Enfin, vous mentionnez que les élections municipales auraient eu lieu et que vous auriez été convoqué au « commissariat ». Vous ne vous seriez pas rendu à cette convocation et une enquête aurait été ouverte à votre encontre en décembre 2018.

Madame vous confirmez les dires de votre époux et vous ajoutez : « Tout est à cause de mon mari. C'est lui qui a vécu tous les évènements » (p.5/15 du rapport d'entretien). Vous précisez que votre époux aurait été arrêté à…en avril 2016 et que les « protecteurs » auraient porté plainte contre votre mari en 2018.

Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en date du 20 décembre 2018.

Vous présentez vos cartes d’identité turques ainsi que celles de vos enfants, une copie d’un formulaire d’adhésion du HDP avec sa traduction et une copie d’une ordonnance médicale établie le 7 mars 2019 pour Madame (L) par le docteur (B).

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous indiquez qu'« En 1992-93, mon père a démissionné de son poste de protecteur du village (Korucu) Surveillance de quartier. Après sa démission, il a été mis sous pression. Il a été torturé. Mon père a été menacé, ciblé et ils ont commencé à l'inquiéter. Une enquête a été lancée et il y a eu un mandat d'arrêt à son encontre. Mon père ne pouvait plus rentrer chez lui durant trois mois. Il y avait des raids sur sa maison donc il ne pouvait pas rentrer chez lui. Il était en fuite durant trois mois. » [sic] (p.5/17 du rapport d'entretien).

Force est de constater qu'il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires qu'il s'agit d'un fait non personnel, qui de plus remonte à 1992 ou 1993 et qu'il est ainsi beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2020.

Rappelons néanmoins que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous n'indiquez aucun fait personnel lié au passé de votre père pendant 30 ans. Vous avancez uniquement que vous subiriez des « pressions » par les autorités turques par le biais des « protecteurs de village » à cause des incidents de l'époque.

Cependant, il échet de préciser qu'il s'agit là d'une pure spéculation de votre part sans aucun élément concret du dossier permettant de corroborer vos dires, de sorte qu'on ne saurait établir qui serait à l'origine de ces prétendus faits.

Concernant vos allégations qu'en « En 1995, mon cousin s'est joint au PKK. Nous avons continué d'être mis sous pression. En 1999, mon oncle a également joint le PKK. Peu après, le village de mon oncle a été détruit. Les habitants ont quitté le village à cause de la pression émise par l'Etat. » (p.5/17 du rapport d'entretien).

Force est de constater qu'il s'agit de faits non personnels sans aucun lien avec votre situation personnelle et de surcroit trop éloignés dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2020 alors que ces incidents datent d'il y a plus de 20 ans.

Ainsi, il y a lieu de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef dans ce contexte.

Ensuite, vous évoquez : « Depuis notre enfance, on était ciblé et mis sous pression car on était vus comme opposants au gouvernement, on était membre DTP et BDP maintenant nous sommes HDP. On participait aux activités du parti et on travaillait pour eux. On était ciblé et tout le monde nous demandait pourquoi on travaillait pour ce parti. » (p.5/17 du rapport d'entretien).

Il convient de noter que ce motif entre dans le champ d'application de la Convention de Genève.

Or, notons en premier lieu que votre prétendue implication dans ce parti s'est limitée, d'après vos propres déclarations, à une simple adhésion et la participation « dans le conseil d'administration » de votre commune (p.8/17 du rapport d'entretien).

De plus, vous indiquez les prétendues conséquences encourues en relation avec votre adhésion au HDP, serait le fait que vous seriez « exclu » et que vous auriez été menacé oralement par le maire ainsi que le « sous-préfet » de la ville de ….. pendant votre séjour sur place en date du 24 août 2018 lors des élections alors qu'ils vous auraient dit « que le HDP ne devrait même pas avoir un vote » et que « les têtes allaient rouler ». (p.6/17 du rapport d'entretien).

Il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que l'acte d'être « exclu », serait le fait que vous n'auriez pas pu vous « exprimer », « ni donner » vos « opinions politiques » (p.8/17 du rapport d'entretien). Il appert que ce fait est regrettable, mais indéniablement exempt d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution alors qu'il n'a été suivi d'aucun effet concret.

Pareille conclusion vaut pour les menaces orales dont vous auriez fait l'objet dans la ville de …… Il ressort avec évidence que cet incident est regrettable, mais indéniablement exempt d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution alors qu'il s'agissait clairement des propos non-suivis d'un quelconque fait concret.

De plus, soulignons que le HDP est un parti légal avec des députés élus au parlement turc. Il s'agit du deuxième plus grand parti d'opposition et troisième parti en importance au niveau national en Turquie. En effet : « The pro-Kurdish party, known as the HDP, took 11.67% of the vote, passing the 10% threshold to enter parliament for a second consecutive term. This makes them the second-largest opposition party and will dilate the majority of Erdoğan's ruling party, the AKP. » Ainsi, il y a lieu de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef concernant votre prétendue adhésion au parti HDP.

Ensuite vous indiquez qu'après avoir quitté … vous vous seriez installés . Vous avancez que « L'Etat bombardait les partisans du PKK » et que vous auriez dû quitter votre maison à cause « des bombardements et des coups de feux ».

Force est de constater que ce motif n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il importe de souligner qu'il s'agissait de circonstances exceptionnelles dans des quartiers spécifiques de la ville lors des opérations menées dans le cadre la lutte contre l'organisation terroriste « PKK » et qui se sont achevées depuis. De plus, il ressort clairement de vos dires que vous n'avez à aucun moment été personnellement visé par ces opérations et qu'il ne vous est absolument rien arrivé à part le fait que vous auriez dû déménager dans un autre quartier de la ville.

Ce constat est confirmé par vos propres dires alors que vous affirmez : « Ma tante habitait dans un autre quartier de…. Nous sommes allés chez elle. Quand la situation s'était calmé, nous sommes rentrés chez nous. A ce point-là nous avons trouvé notre maison détruite.

Les vitres avaient été cassés et brisés. C'était impossible pour nous de vivre là-bas. » [sic] (p.6/17 du rapport d'entretien).

A cela s'ajoute que les seuls faits survenus lors de ces opérations seraient que les autorités turques vous auraient forcés à quitter votre domicile. Même si leur façon de procéder aurait pu être traumatisante pour vous, il appert toutefois qu'il s'agit uniquement de méthodes appliquées afin que vous vous rendiez en lieu sûr lors desdites opérations suite à votre refus de déménager, de sorte qu'elles n'ont aucun lien avec les critères de fond des prédits textes et qu'elles sont manifestement exemptes d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution.

Force est dès lors de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenu dans votre chef dans le cadre des opérations menées à… alors que ces faits sont terminés depuis plus de quatre ans.

Vous faites également état de deux gardes à vue. Une première que vous auriez connue en date du 15 novembre 2015 et une deuxième en avril 2016 après une manifestation à laquelle vous auriez participé à….

Concernant la garde à vue du 15 novembre 2015, vous avancez que vous auriez été « dénoncé » par des « protecteurs de village » pour des raisons « politiques ». Il échet de souligner que ce fait n'est pas motivé par un des critères de fond des prédits textes alors que la motivation de cette prétendue garde à vue est inconnu [sic] en dépit de vos allégations. En effet, vous concédez : « Je ne sais pas exactement pourquoi ils ont porté plainte. » [sic] (p.9/17 du rapport d'entretien), de sorte qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une peur respectivement d'une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond, il importe de préciser qu'une simple garde à vue de quatre à cinq jours n'est néanmoins pas d'une gravité suffisante pour qu'elle puisse être assimilée à un acte de persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Vous mentionnez également que vous auriez été maltraité lors de cette garde à vue. Ce fait est certes condamnable, or le comportement regrettable d'un ou de certains policiers ne saurait être considéré comme représentatif du système policier et du fonctionnement de la police turque dans son ensemble.

Ainsi, même si cette pratique policière a pu être traumatisante pour vous, elle est toutefois exempte d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution.

Si néanmoins vous vous estimiez victime d'harcèlements policiers, respectivement de violences policières, vous auriez pu dénoncer ces faits auprès des autorités compétentes. Dans ce contexte, « Un représentant de la HRFT a dit que les plaintes concernant la torture ou les mauvais traitements infligés par la police peuvent être déposées au bureau du procureur (HRFT 30 mai 2012). Selon le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le procureur, qui est responsable de l'enquête, est assisté par la police ou la gendarmerie (Nations Unies 7 févr. 2007, paragr. 45). D'après le rapport de la HRFT, c'est au procureur qu'il incombe de lancer une enquête dès qu'il reçoit une plainte de torture (HRFT 15 oct. 2010, 19). En outre, le procureur doit examiner la scène de l'incident et recueillir des éléments de preuve (ibid.). Il doit superviser les installations où les détenus seraient placés et interrogés (ibid.). » Quant à la garde à vue que vous auriez subie à en avril 2016, vous expliquez que vous auriez été arrêté et détenu pendant deux jours pour avoir participé à une manifestation organisée contre les opérations menées par les autorités turques contre le « PKK ».

Force est de convenir qu'il est tout à fait légitime pour la police turque de procéder à des gardes à vue dans le cadre d'une manifestation organisée lors d'un couvre-feu pendant les opérations menées contre le « PKK ». Ainsi, on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution au sens des dispositions citées dans Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Quand bien même ce fait serait lié à un des critères de fond, il importe de préciser qu'une simple garde à vue de deux jours est indéniablement pas d'une gravité suffisante pour être considérée comme un acte de persécution au sens des prédits textes.

Concernant la prétendue enquête qui aurait été ouverte à votre encontre en décembre 2018, vous alléguez : « Je ne sais pas comme je n'y suis pas allé. Cela doit être car j'ai critiqué leur position. C'est parce que je tiens des discours politiques avec lesquels ils ne sont pas en accord. » (p.13/17 du rapport d'entretien).

Monsieur aucun élément concret du dossier ne permet de corroborer vos dires de sorte qu'il y a lieu de retenir que le motif de cette prétendue convocation ainsi que la prétendue enquête à votre encontre reste inconnu, de sorte qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Même à supposer que ces faits seraient liés à un des critères de fond, force est de constater qu'une simple convocation auprès d'un commissariat ainsi qu'une ouverture d'enquête contre laquelle vous auriez pu vous défendre ne revêtent clairement pas d'une gravité suffisante au point de valoir comme actes de persécution.

Concernant vos propos que les Kurdes ne seraient pas aimés par la population de l'Ouest de la Turquie, que vous auriez subi des « pressions » et des « menaces » ainsi que des « insultes » à cause de vos origines ethniques, il importe de préciser que la situation générale des Kurdes en Turquie n'est pas telle que, tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d'une crainte fondée d'être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de fa protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République de Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

7Le ministre informa ensuite les époux (T-L) que leur demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Contre cette décision, les époux (T-L) saisirent le 23 juillet 2020 le tribunal administratif d’un recours en réformation sinon en annulation.

Par un jugement du 8 février 2022, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation recevable mais non fondé et en débouta les demandeurs, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, et les condamna aux frais de l’instance.

Par une requête déposée au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2022, les époux (T-L) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de leur appel, ils renvoient, en ce qui concerne les faits à la base de leur demande de protection internationale, à l’exposé figurant dans leur requête introductive de première instance. Ils exposent ainsi qu’ils seraient de nationalité turque et d’origine ethnique kurde et qu’ils auraient dû quitter leur pays d'origine en raison des persécutions dont ils y auraient été victimes du fait de leur origine kurde et de leurs opinions politiques. Ils expliquent que Monsieur (T) aurait grandi dans une famille politiquement engagée, dont certains de ses membres auraient été contraints de s’exiler en Europe face aux pressions politiques. Son cousin et son oncle paternel auraient rejoint le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 1995, respectivement en 1999. Son oncle aurait été tué lors d'une attaque de l'armée turque dans les montagnes de la région du Kurdistan en 2009. Le père de l’appelant aurait été protecteur de village (« koruçu ») de 1983 jusqu’à sa démission dans les années 1992-1993. A compter de cette démission, la famille de Monsieur (T) aurait été considérée comme des sympathisants de la cause kurde et elle aurait subi des pressions de ce fait. L’appelant lui-même aurait refusé de devenir « protecteur de village » et il aurait été persécuté de ce chef. Ce serait ce contexte qui l’aurait poussé à s'engager au sein du Parti démocratique des peuples (HDP) dès 2012 pour en devenir un membre actif. Il aurait participé à de nombreuses réunions et aux préparatifs d'élections. Il aurait également soutenu la collecte pour les personnes démunies et participé à la recherche de personnes en vue de les mobiliser pour des meetings ou encore en vue de la distribution de tracts sur le parti HDP, ce qui serait confirmé par plusieurs attestations d’acteurs politiques du HDP. Il aurait été à plusieurs reprises menacé, arrêté et victime de violences de la part de la police turque et des gardiens de village. L’appelant dit ainsi craindre de subir à nouveau des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine, d’autant plus qu’il n’aurait pas répondu à la dernière convocation de la police, tout en renvoyant à la situation générale prévalant en Turquie.

En droit, les appelants soutiennent que les premiers juges auraient fait une mauvaise appréciation de leur situation personnelle, estimant avoir établi dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécutions en raison de leur appartenance ethnique, de l’engagement de Monsieur (T) en faveur du parti politique pro-kurde HDP et de leur appartenance à une famille connue pour ses liens avec le PKK.

Ils font valoir que les premiers juges auraient mal apprécié la situation actuelle du HDP en Turquie, dont de nombreux membres seraient en prison, et qui subirait de plus en plus de pressions de la part du régime en place.

Ils reprochent également aux premiers juges d’avoir retenu qu’ils auraient pu demander la protection des autorités turques contre les mauvais traitements subis de la part des forces de police, alors que Monsieur (T) serait activement recherché en Turquie et qu’il risquerait certainement d’être arrêté en cas de retour en raison de son engagement en faveur du HDP.

Ils estiment partant remplir les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié, sinon du moins celui de la protection subsidiaire.

L’Etat, pour sa part, conclut à la confirmation pure et simple du jugement dont appel à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus, tout en se référant à son mémoire déposé en première instance ainsi qu’aux pièces y versées.

Concernant la demande de reconnaissance du statut de réfugié, il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Sur le vu des faits de la cause qui sont en substance les mêmes que ceux soumis aux premiers juges, la Cour arrive à la conclusion que les premiers juges les ont appréciés à leur juste valeur et en ont tiré les conclusions juridiques exactes.

A l’appui de leur demande de protection internationale, les appelants exposent craindre des persécutions en cas de retour en Turquie en raison de leur origine kurde et de l’engagement de l’appelant en faveur du parti pro-kurde HDP. Ils invoquent le refus de Monsieur (T) de devenir gardien de village, les pressions exercées sur lui suite à ce refus et le fait qu’il aurait subi plusieurs gardes à vue. Ils font encore état d’une procédure judiciaire lancée contre l’appelant du chef de ses activités politiques.

La Cour partage l’analyse des premiers juges que les craintes ainsi mises en avant par les appelants dans le cadre de leur demande de protection internationale sont certes susceptibles d’être rattachées à l’un des critères de persécution prévus à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir leurs opinions politiques sinon leur appartenance au groupe ethnique des Kurdes, mais que les faits invoqués à la base de ces craintes n’atteignent pas un niveau de gravité tel qu’ils seraient assimilables, de par leur nature ou de leur caractère répété, à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015.

Ainsi, en ce qui concerne les antécédents politiques familiaux, à savoir la démission du père de l’appelant en tant que protecteur du village et les liens de membres de la famille avec le PKK, c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’il s’agit non seulement de faits non personnels aux appelants, mais qu’ils sont de surcroît trop éloignés dans le temps pour pouvoir encore être pris en compte actuellement.

En ce qui concerne l’engagement en faveur du parti HDP, l’appelant fait valoir qu’il serait un membre actif de ce parti auquel il aurait adhéré en 2012, tandis que les attestations testimoniales produites en cause renseignent 2015 comme l’année de son adhésion au parti HDP. D’après les déclarations de l’appelant, il aurait participé à de nombreuses réunions et aux préparatifs d'élections, il aurait soutenu la collecte pour les personnes démunies et participé à la recherche de personnes en vue de les mobiliser pour des meetings ou encore en vue de la distribution de tracts sur le parti HDP. Il ne ressort toutefois pas des propres déclarations de l’appelant que son engagement politique aurait dépassé le cadre local de sa commune.

Or, la Cour rejoint ainsi les premiers juges en leur analyse et conclusion qu’au regard des éléments soumis à l’appréciation de la Cour, la seule qualité de membre du parti HDP reste, en tout cas à l’heure actuelle, insuffisante pour caractériser une crainte fondée de persécution en cas de retour en Turquie, la majorité des sympathisants du parti HDP visés par les autorités étant des membres occupant une fonction officielle dans le parti, des élus et des membres d’assemblées locales ou alors des personnes qui ont une certaine visibilité ou notoriété. Or, il ne ressort pas des déclarations assez générales de l’appelant qu’il aurait occupé un poste si exposé au sein du parti HDP que sa qualité de membre dudit parti l’aurait exposé à des persécutions dans son pays d'origine, les insultes, chicaneries et pressions subies en raison de son activisme politique n’étant pas suffisamment graves pour être considérées comme des persécutions. Les nouvelles pièces versées en instance d’appel, à savoir des articles de presse de 2021 traitant sur une possible interdiction du parti HDP, ne permettent pas d’invalider ce constat.

Cette conclusion n’est pas non plus infirmée par les quatre attestations testimoniales émanant de membres locaux du HDP, lesquelles, au-delà de leur contenu similaire et des raisons de leur établissement, ne font que confirmer, sans autre précision, que l’appelant était actif au sein du parti HDP à un niveau local, sans toutefois démontrer qu’il serait la cible de persécutions en cas de retour en Turquie, étant relevé que les simples affirmations non autrement sous-tendues par un quelconque élément tangible suivant lesquelles Monsieur (T) « sera maltraité et son honneur bafoué » en cas de retour en Turquie sont en tout état de cause insuffisantes à cet égard.

En ce qui concerne les différents incidents concrets mis en avant par les appelants en relation avec l’engagement politique de l’appelant en faveur du HDP et son refus de devenir « protecteur de village », les appelants font état de pressions, insultes, menaces et d’intimidations de la part de la police et des protecteurs de village. La Cour est amenée à retenir que ces chicaneries, aussi condamnables qu’elles soient, ne revêtent pas le degré de gravité requis au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant la descente à domicile des autorités turques en date du 15 novembre 2015 ainsi que l’arrestation et la garde à vue durant cinq jours de Monsieur (T) suite à cette descente, au-delà du constat que l’appelant ne fait que supposer que cet incident serait lié à son adhésion au parti HDP ou à son refus de devenir « protecteur de village », alors qu’il dit ignorer le motif de la plainte qui aurait été portée contre lui par des protecteurs de village, la Cour rejoint les premiers juges en leur constat, que ces événements, ne sont pas suffisamment graves au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la garde à vue de deux jours de l’appelant en avril 2016 à la suite d’une participation à une manifestation, il convient de la situer dans un contexte d’arrestations, sans lien direct avec son profil, à une époque où les forces de sécurité turques ont dû affronter des groupes armés issus du PKK dans la ville de…. Les premiers juges ont ainsi relevé à bon escient que ces affrontements se sont achevés depuis, de sorte qu’ils ne sont en tout état de cause plus susceptibles de se reproduire et de justifier une crainte fondée de persécution dans le chef des appelants.

Quant aux maltraitances que l’appelant affirme avoir subi de la part des policiers lors des gardes à vue en novembre 2015 et en avril 2016, à savoir des coups de pied et des coups, la Cour est amenée à considérer qu’aussi condamnables qu’elles soient, elles ne sont pas en tant que telles suffisamment graves au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève.

La Cour rejoint encore les premiers juges en leur constat que les menaces dont les appelants auraient fait l’objet à ….. lors des élections du 24 juin 2018, menaces émanant du maire et du « sous-préfet » de cette ville, sans toutefois faire état d’actes concrets survenus suite à ces intimidations, ne sauraient revêtir le degré de gravité requis par l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir constituer un acte de persécution au sens de cette même loi ou de la Convention de Genève. La même conclusion s’impose en ce qui concerne les menaces non autrement détaillées ni suivies d’actes concrets que les appelants auraient subies de la part « des gens » durant les élections municipales à ….

Finalement, en ce qui concerne la convocation au commissariat et l’enquête qui aurait été ouverte à l’encontre de l’appelant en 2018, convocation à laquelle il ne se serait pas présenté, il convient de relever que celui-ci dit ignorer les raisons de cette enquête, mais suppose un lien avec ses opinions politiques. Les attestations testimoniales précitées n’apportent pas plus de précisions sur ce point. Il est partant permis de conclure que dans la mesure où les appelants ne produisent aucun élément concret concernant le fait que l’appelant serait effectivement recherché ou poursuivi en Turquie, il n’est pas démontré qu’ils ont une crainte fondée de persécution de ce chef. La crainte mise en avant par l’appelant d’être arrêté, en cas de retour en Turquie, en raison de ses activités politiques au sein du HDP, doit dès lors être considérée comme purement hypothétique, à défaut d’autres éléments plaidant pour une conclusion différente. Et même à admettre que ces faits seraient liés à ses opinions politiques, ni la convocation auprès d’un commissariat, ni encore l’ouverture d’une enquête à l’encontre de l’appelant ne permettent de retenir dans son chef une crainte fondée de persécution en cas de retour dans son pays d’origine.

Enfin, en ce qui concerne, de manière générale, la situation sécuritaire des Kurdes vivant en Turquie, la Cour a déjà eu l’occasion de considérer que leur situation peut certes se révéler problématique, mais elle n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc.

Il s’ensuit que les faits invoqués par les appelants ne sont pas de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution et c’est à juste titre que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne la demande des appelants tendant à l’octroi d’une protection subsidiaire, les premiers juges ont valablement tracé le cadre légal à partir des dispositions des articles 2 sub g), 37, paragraphe (4), 39, 40 et 48 de la loi du 18 décembre 2015.

L’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle pour laquelle il y a « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

Aux termes de l’article 48 de la même loi, sont considérées comme atteintes graves :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39, à savoir l’Etat, des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante de son territoire, y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves invoquées.

Ici encore, les éléments de fait à la base de la demande de protection subsidiaire étant les mêmes que ceux invoqués à l’appui de la demande du statut de réfugié, il y a lieu de suivre les premiers juges en ce qu’ils ont conclu qu’il n’existe pas davantage de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, les appelants courraient un risque réel de subir, à raison de ces mêmes faits, des atteintes graves telles que visées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Pour sa part, la Cour n’aperçoit dans les informations transmises par les parties relatives aux conditions générales de sécurité en Turquie aucun élément indiquant que la situation régnant actuellement en Turquie, que ce soit dans le sud-est ou ailleurs dans le pays, puisse être qualifiée de situation exceptionnelle où la mesure de la violence aveugle serait telle qu’il y aurait de sérieux motifs de croire que, du seul fait de leur présence, les appelants courraient un risque réel d’être exposés à une menace grave contre leur vie ou leur personne, au sens de l’article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015.

Dès lors, il y a lieu, par confirmation du jugement dont appel, de déclarer également comme non fondée la demande de protection subsidiaire des époux (T-L).

Les appelants sollicitent encore, par réformation du jugement, la réformation de l’ordre de quitter le territoire, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

En ordre subsidiaire, ils soutiennent que la décision litigieuse serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 est à rejeter comme inopérant, étant donné qu’aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la même loi, les dispositions de cette loi ne sont pas applicables aux demandeurs de protection internationale.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale des époux (T-L) - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter les appelants et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 8 février 2022, donne acte aux appelants de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire, condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Herni CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président, en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour … s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 mai 2022 Le greffier de la Cour administrative 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47147C
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-05-12;47147c ?

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