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10/05/2022 | LUXEMBOURG | N°47157C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 mai 2022, 47157C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47157C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47157 Inscrit le 9 mars 2022

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Audience publique du 10 mai 2022 Appel formé par Monsieur (D), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 février 2022 (n° 45539 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47157C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 9 mars 2022 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au table

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47157C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47157 Inscrit le 9 mars 2022

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Audience publique du 10 mai 2022 Appel formé par Monsieur (D), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 février 2022 (n° 45539 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47157C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 9 mars 2022 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (D), né le … à … (…/Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant à L-…, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 7 février 2022 (n° 45539 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 décembre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 avril 2022;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 3 mai 2022.

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Le 17 septembre 2018, Monsieur (D) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 118 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (D) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Les 4, 11 et 18 décembre 2018, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 22 décembre 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 24 décembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », résuma les déclarations de Monsieur (D) auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« (…) Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous seriez né à … au … au Soudan, que vous seriez de confession musulmane et appartiendriez à la communauté ethnique arabe Misseriya. Vous auriez vécu à … avec votre famille qui y aurait possédé des terres arables.

Vous auriez été scolarisé à partir de l'âge de 11 ans et vous auriez quitté l'école trois ans plus tard car vous auriez préféré passer du temps avec vos amis. Vous auriez dès lors également commencé à aider votre père qui aurait travaillé dans une … dans le souk.

En mai 2013, des « Janjawids » armés à cheval, des milices et les forces d'intervention rapide auraient attaqué …. Vous précisez que « c'est le gouvernement qui nous a attaqué » et déplorez que des maisons de votre village auraient été brûlées et que votre frère ainsi que trois de vos cousins auraient perdu la vie durant cette attaque. Vous auriez pris la fuite vers le camp de déplacés « … ».

« Au mois de mai en 2016 », vous auriez ouvert une boutique de vente de ..,. et de … dans le souk du camp. En mai 2016, il y aurait eu un échange de tir entre les forces d'intervention rapide et des combattants de l'opposition. Vous prétendez que des personnes qui feraient partie de l'opposition seraient venues au souk pour voler les véhicules du gouvernement. Vous précisez que les combattants de l'opposition auraient ouvert le feu sur des membres des forces d'intervention rapide qui auraient bu du thé dans un café. Des membres des forces d'intervention rapide auraient été tués et lorsque des renforts seraient arrivés, des civils auraient également perdu la vie. Vous déplorez l'inaction d'« UNICEF » qui se serait trouvé « avec de soldats » à côté du camp de déplacés.

Vous précisez que quatre membres des forces d'intervention rapide seraient venus dans votre boutique et vous auraient arrêté et emprisonné durant deux mois car ils vous auraient soupçonné d'utiliser votre ligne de téléphone fixe afin d'entrer en communication avec l'opposition. Vous précisez que durant ces deux mois, vous auriez été dans une pièce plongée dans le noir et que vous y auriez été régulièrement interrogé sur vos présumés liens avec l'opposition. Après deux mois, vous auriez été relâché.

A votre retour, vous auriez constaté que du matériel et de l'argent auraient manqué dans votre boutique. Vous n'auriez repris vos activités qu'en septembre 2016 car vous seriez tombé malade à votre sortie de détention.

2En novembre 2016, sur le chemin de retour du travail, deux voitures des forces d'intervention rapide vous auraient barré la route et ils vous auraient dérobé votre sac dans lequel vous auriez eu des téléphones et de l'argent. Vous auriez été frappé et ces individus seraient repartis.

En février 2017, des membres des forces d'intervention rapide seraient à nouveau venus dans votre boutique et auraient voulu vous dérober du matériel. Vous auriez protesté et ils vous auraient arrêté et emmené à la prison de « … » où vous auriez été détenu et interrogé à nouveau sur votre présumé lien avec l'opposition. Vous ajoutez que ces évènements n'auraient jamais eu lieu si vous aviez été un « arabe ».

Le 20 avril 2017, alors qu'on vous aurait défait de vos chaînes et que vous auriez été assigné à des tâches de nettoyage, vous auriez réussi à vous évader en vous cachant sous le camion qui aurait approvisionné la prison en eau. Vous seriez descendu de votre cachette à … et après avoir trouvé des vêtements de rechange, vous auriez pris la fuite vers le Tchad et vous auriez traversé la frontière en voyageant gratuitement sur le toit d'un camion de transport.

Vous précisez que vous auriez eu le consentement du chauffeur. (…). ».

A travers cette décision, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (D) comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 en mettant, d’une part, en doute la crédibilité du récit, et d’autre part, en retenant que les conditions d’une protection internationale ne seraient pas remplies, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2021, Monsieur (D) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l'annulation de la décision de refus de lui accorder une protection internationale et de l'ordre de quitter le territoire.

Par jugement du 7 février 2022, le tribunal administratif reçut en la forme le recours principal en réformation dans ses deux branches, au fond, le dit non justifié et en débouta, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, le tout en condamnant le demandeur aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 9 mars 2022, Monsieur (D) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 7 février 2022.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

En substance, il expose être né dans le village de … au …-Sud, être de confession musulmane, célibataire et appartenir à la tribu non arabe des Misseriya et qu’il aurait été contraint de quitter son village en 2013 et de chercher refuge dans le camp de déplacés d’…, suite à une attaque par les milices Janjawids et les Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par le général HEMETTI. Il aurait exploité une boutique de vente de … dans le marché du camp de déplacés internes jusqu'à son départ définitif du Soudan le 20 avril 2017.

3Les craintes l’ayant amené à quitter son pays d’origine remonteraient aux affrontements armés dans son village du mois de mai 2013, au cours desquels son frère et trois de ses cousins auraient perdu la vie, d’une part, et seraient liés au fait qu’en 2016 et 2017, lorsqu’en raison de l'exercice de son « activité de … », il aurait été soupçonné par les services de sûreté soudanais d'agir pour le compte des opposants et arrêté arbitrairement, détenu et battu de ce fait, des membres des services de sûreté de l'Etat soudanais auraient même pillé sa boutique, d’autre part.

Il ajoute ne pas pouvoir obtenir de protection des autorités soudanaises, lesquelles seraient précisément à l’origine des persécutions qu’il aurait subies et que de ce fait, une possibilité de fuite interne serait aussi exclue.

Sur ce, il demande la réformation sinon l'annulation du jugement entrepris dans le sens de voir déclarer son recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 22 décembre 2020 fondé et justifié, de voir réformer en conséquence la décision ministérielle querellée portant refus de lui octroyer le statut de réfugié sinon, en tout état de cause, le statut conféré par la protection subsidiaire, et de voir réformer sinon annuler la décision ministérielle lui faisant obligation de quitter le territoire luxembourgeois et fixant le Soudan comme pays de destination.

Il reproche aux premiers juges de ne pas avoir pris clairement position sur le manque de crédibilité au niveau de son récit lui opposé par le ministre et d’avoir mal apprécié la gravité des motifs de persécution par lui avancés.

Ainsi, ses déclarations seraient claires, nettes et cohérentes et son récit serait parfaitement crédible, les invraisemblances ou contradictions pointées par le ministre comme indices d’incrédibilité n’étant quant à elles pas suffisantes pour conclure de manière objective que sa crainte de faire l'objet de persécutions ou d'atteintes graves en cas de retour au Soudan où il devrait rejoindre le …. ne serait pas fondée. Il y aurait pour le moins lieu de lui accorder le bénéfice du doute.

Au fond, sa provenance de l'Etat du ….-Sud ainsi que son appartenance à l'ethnie non arabe des Misseriya, son vécu en rapport avec l’attaque de son village natal par des miliciens, justifieraient l’octroi du statut de réfugié, sinon le bénéfice d’une protection subsidiaire.

Relativement à ce deuxième volet, l’appelant insiste en premier lieu sur le bien-fondé de sa demande sur base de l'article 48, point (b), de la loi du 18 décembre 2015, au motif que dès lors qu’il aurait d'ores et déjà fait l'objet de traitements inhumains et dégradants émanant des services de sûreté soudanais, la crainte existerait qu'en cas de retour au Soudan, il risquerait de subir le même sort.

Le statut conféré par la protection subsidiaire serait encore fondé sur base de l'article 48, point (c), de la loi du 18 décembre 2015, dès lors qu’il existerait au Soudan et au …. en particulier un conflit armé interne indéniable. L’appréciation des premiers juges y relative serait « manifestement erronée sinon volontairement biaisée » et reposerait sur des informations incomplètes et erronées.

Il estime qu’il se dégage des éléments par lui collectés que la situation générale sécuritaire existant au Soudan resterait problématique et serait caractérisée par l’existence d’affrontements armés entre l'armée soudanaise et des groupes rebelles armés de l'opposition 4et des affrontements entre groupes armés rebelles rivaux. En plus, le Soudan connaîtrait des affrontements armés intercommunautaires ou intertribaux opposant des tribus nomades arabes et des tribus non arabes au sujet de l'accès à la terre et à l'eau.

Concernant plus particulièrement sa région d’origine, le …., en dépit du départ du président EL-BECHIR, la situation se serait aggravée avec le retour au pouvoir des militaires proches de EL-BECHIR, qui auraient sévi lors de la guerre du ….. Selon l’appelant, les violences intercommunautaires seraient en nette recrudescence depuis 2020 et la situation sécuritaire serait marquée par des « violences intercommunautaires persistantes, des affrontements intermittents dans la région du Jebel Marra entre l'Armée de libération du Soudan (ALS)-faction Abdel Wahid (A W) et les forces gouvernementales, et des luttes intestines entre factions de l'ALS-AW ».

Il conviendrait partant de réformer le jugement entrepris et de dégager des éléments d’appréciation soumis en cause que la situation sécuritaire générale au …. serait celle d’un conflit armé interne, avec des affrontements intercommunautaires, auxquels s'ajouteraient des affrontements armés entre groupes rebelles, lesquels impliqueraient une situation de violence aveugle (attaques armées contre la population civile, déplacements forcés de population, exactions visant la population civile, violations graves du droit international humanitaire sur les populations civiles, incapacité des autorités nationales à assurer une protection au …., augmentation de la criminalité et du banditisme et impunité bénéficiant aux milices gouvernementales) avec un risque d’atteintes graves et individuelles dans le chef de chaque civil. Il existerait partant des motifs sérieux et avérés de croire que l'appelant, s'il devait retourner dans la région du …., courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de cette dernière, un risque réel de subir une atteinte grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.

Enfin et en conséquence des considérations qui précèdent, l’appelant sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire libellé à son encontre, cette mesure s’imposant par ailleurs même s’il n’était pas éligible à un statut de protection internationale, dans la mesure où son intégrité physique, voire sa vie y seraient menacées. Il estime dans ce contexte qu’il est actuellement impossible d’exécuter une mesure d’éloignement vers le Soudan et qu’au vu de la situation d’instabilité politique et sécuritaire, il ne pourrait pas être exclu avec certitude qu’il serait exposé, en cas de retour au Soudan, à de graves atteintes au sens des articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après « la Charte ».

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

5L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Il s’y ajoute que par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du juge administratif devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur de protection avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Ceci étant dit, il y a lieu d’ajouter que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Sur ce, la Cour est en premier lieu amenée à rejeter le reproche véhiculé à l’encontre des premiers juges de ne pas avoir examiné en détail la question de la crédibilité de son vécu, ce examen leur ayant à juste titre apparu oiseux, dès lors qu’ils avaient conclu que l’intéressé restait en défaut d’établir tout simplement des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou un risque de subir des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 s’il retournerait actuellement dans son pays d’origine.

C’est en effet à bon droit que les premiers juges ont considéré que les risques invoqués par l’appelant et les craintes de persécution s’en dégageant doivent être appréciés au regard des changements politiques intervenus au Soudan depuis le mois d’avril 2019, plus 6particulièrement à la suite de la destitution du président EL-BECHIR, dont l’appelant déclare justement craindre les services de sûreté et la mise en place d’un gouvernement de transition pour une durée de trois ans, composé de civils et de militaires, de même qu’un accord de paix, dit « accord de Juba », a été signé en 2020 entre le gouvernement de transition et plusieurs groupes rebelles.

Ainsi, non seulement l’écoulement du temps depuis l’attaque de la ville de …. en 2013, s’inscrivant d’ailleurs dans un contexte particulier de l’époque d’affrontements entre deux ethnies, auxquelles l’appelant n’appartient pas, mais essentiellement la disparition du régime du président EL-BECHIR, dont les hommes de main seraient les auteurs des agressions, arrestations et méfaits subis en 2016 et 2017, du fait de la suspicion de son lien avec l’opposition au régime du président EL-BECHIR, caractérisent de bonnes raisons d’admettre que les faits relatés par l’appelant ne sont pas susceptibles de se reproduire dans le même contexte et qu’il convient raisonnablement d’admettre que l’intéressé n’est actuellement plus activement recherché au Soudan du fait des opinions ou liens politiques lui imputées par ses tortionnaires, ni ne risque-t-il de vivre des évènements similaires dans ce même contexte, un reproche de collaborer avec l’opposition au régime d’EL-BECHIR ne pouvant plus se concevoir dans le contexte politique actuel.

La Cour est encore amenée à rejoindre les premiers juges en ce qu’ils ont considéré à juste titre que cette conclusion s’impose indépendamment de la question de savoir si le gouvernement de transition est à même d’assurer la stabilité politique au Soudan face à des conflits interethniques toujours présents et face au constat que certains partisans de l’ancien régime du président destitué auraient toujours de l’influence. En effet, au regard de la question de savoir si l’appelant risque, compte tenu de sa situation personnelle, de subir actuellement des persécutions ou des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, en relation avec les faits remontant à 2013, 2016 et 2017, la question pertinente n’est pas celle de savoir si, d’un point de vue général, la situation au Soudan est stabilisée, mais il s’agit de savoir si concrètement l’appelant risque de subir, compte tenu de sa situation personnelle, des faits similaires à ceux qu’il a décrits lors de ses auditions.

Or, force est de constater que l’appelant ne justifie pas la persistance dudit risque malgré le renversement du régime qui lui était hostile, ses considérations restant essentiellement d’un ordre général sans mise en relation concrète avec sa situation personnelle.

Au-delà, la Cour rejoint et se fait sienne les analyse et conclusion détaillées des premiers juges au sujet des risques de persécutions ou risques d’atteintes graves avancés par l’appelant en rapport avec une situation de « violence aveugle » devant être qualifiée de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, sous ce rapport, l’appelant est resté et reste toujours en défaut de mettre en avant des éléments suffisants permettant d’établir que la situation au Soudan en général, voire dans sa région natale du ….-Sud et de la ville de …., soit caractérisée par une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé atteignant un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que s’il y était renvoyé, il courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire soudanais, un risque de subir des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne.

Partant, l’image de la situation générale sécuritaire existant au Soudan restant essentiellement celle dépeinte de façon circonstanciée par les premiers juges, à savoir une situation certes toujours problématique, avec des tensions entre différentes communautés 7indéniables, mais non pas celle d’une situation de conflit armé au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, considérations exhaustives auxquelles la Cour renvoie et se fait siennes. Les récentes évolutions au niveau gouvernemental, par une tentative de reprise en main de la situation, voire de coup d’Etat, par les militaires, témoignent d’une situation indéniablement précaire mais n’apparaissent pas non plus ébranler fondamentalement ce constat.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon escient que les premiers juges ont conclu que Monsieur (D) ne saurait dès lors bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire sur la base des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

En effet, comme il a été retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Les développements ci-dessus ayant mené au constat que les craintes invoquées par l’appelant de subir des persécutions sinon des atteintes graves ne sont pas fondées, son renvoi vers le Soudan ne saurait logiquement emporter une atteinte au principe de non-refoulement, respectivement aux articles 2 et 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 9 mars 2022 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 7 février 2022;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

8 Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s..… s.CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 mai 2022 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47157C
Date de la décision : 10/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-05-10;47157c ?

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