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28/04/2022 | LUXEMBOURG | N°61/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 avril 2022, 61/22


N° 61 / 2022 du 28.04.2022 Numéro CAS-2021-00052 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-huit avril deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Jeannot NIES, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

M), demandeur en cassation

, comparant par Maître Olivier UNSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est é...

N° 61 / 2022 du 28.04.2022 Numéro CAS-2021-00052 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-huit avril deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Jeannot NIES, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

M), demandeur en cassation, comparant par Maître Olivier UNSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société anonyme de droit belge E), en faillite suivant jugement de la IVème chambre du tribunal de commerce de Namur du 13 octobre 2005, ayant eu son siège social à B-

____, inscrite à la banque-Carrefour des entreprises sous le numéro

___ et anciennement enregistrée au registre de commerce de Namur (B) sous le numéro

___, représentée par son curateur Maître Georges RIGO, avocat au barreau de Liège (B), demeurant à B-

___, défenderesse en cassation, comparant par Maître Gérard A. TURPEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 37/21-VII-CIV, rendu le 10 mars 2021, sous le numéro CAL-2020-00001 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 10 mai 2021 par M) à la société anonyme de droit belge E) (ci-après « la société E) »), déposé le 17 mai 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 juillet 2021 par la société E) à M), déposé le 9 juillet 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la Cour d’appel de Liège, siégeant en matière correctionnelle, avait, par arrêt du 9 juin 2015, condamné M) et d’autres prévenus à une peine d’emprisonnement et à une amende et, au civil, l’avait condamné solidairement, avec ces autres prévenus, à réparer le préjudice subi par la société E) pour un certain montant.

Par arrêt du 2 mars 2016, la Cour de cassation de Belgique avait déclaré irrecevable le pourvoi de M) dirigé contre l’arrêt du 9 juin 2015 et cassé l’arrêt en ce qu’il avait statué sur l’action pénale et l’action civile exercée à l’égard des autres prévenus.

Statuant sur renvoi, la Cour d’appel de Mons avait, par arrêt du 17 mai 2018, constaté l’extinction de l’action publique à l’égard desdits prévenus et déclaré partiellement recevable, mais non fondée, la demande civile du curateur à l’égard de ces derniers.

Le curateur de la société E) avait fait pratiquer au Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’une ordonnance présidentielle du 11 octobre 2015, une saisie-arrêt sur tout compte dont M) serait titulaire auprès d’une banque luxembourgeoise.

Par ordonnance du 27 juillet 2016, le président du tribunal d'arrondissement de Luxembourg avait déclaré exécutoire au Grand-Duché de Luxembourg l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 dans la mesure où l’arrêt a statué sur la demande civile du curateur dirigée contre M). Le tribunal d'arrondissement de Luxembourg avait rejeté la demande du curateur en validation de la saisie-arrêt, basée sur l’arrêt de la Cour d’appel de Liège, et en avait ordonné la mainlevée.

La Cour d’appel a, par réformation, dit la demande en validation de la saisie-

arrêt fondée.

Sur les premier, deuxième et troisième moyens de cassation réunis le premier, « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation des articles 677-1 et 678 du Nouveau code de procédure civile, en ce que les juges d'appel ont dit que compte tenu de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d'une créance certaine, liquide et exigible à l'égard de l'intimé évaluée à 32.071.085,62 €, alors que l'exécution d'une décision doit être refusée lorsque cette exécution est contraire à l'ordre public de l'Etat requis, qu'en l'espèce, la saisie-arrêt a été basée sur un arrêt de la Cour d'appel de Liège du 9 juin 2015 ayant condamné le demandeur au cassation au remboursement de prétendues recettes d'exploitation d'un casino que la société E) aurait prétendument dû percevoir pendant la période du 1er janvier 1990 au 26 mars 2003 ;

que l'exploitation des jeux de hasard n'a été légalisée en Belgique que par la loi du 7 mai 1999, entrée en vigueur le 30 décembre 2000, que les revenus issus d'une exploitation d'un casino étaient illégales avant le 30 décembre 2000, que le curateur tente de récupérer des sommes d'argent issues de l'exercice illégale d'une activité, que la Cour d'appel a violé les dispositions précitées en validant la saisie-

arrêt sans examiner si l'exécution du titre invoqué à la base de la saisie ne se heurte pas à des règles d'ordre public international luxembourgeois, que l'arrêt entrepris encourt la cassation. », le deuxième, « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation des articles 677-1 et 679 du Nouveau code de procédure civile, en ce que les juges d'appel ont dit que compte tenu de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d'une créance certaine, liquide et exigible à l'égard de l'intimé évaluée à 32.071.085,62 €, alors que l'exécution d'une décision doit être refusée lorsque cette exécution est contraire à l'ordre public de l'Etat requis, qu'en l'espèce, la saisie-arrêt a été basée sur un arrêt de la Cour d'appel de Liège du 9 juin 2015 ayant condamné le demandeur au cassation au remboursement de prétendues recettes d'exploitation d'un casino que la société E) aurait prétendument dû percevoir pendant la période du 1er janvier 1990 au 26 mars 2003 ;

que l'exploitation des jeux de hasard n'a été légalisée en Belgique que par la loi du 7 mai 1999, entrée en vigueur le 30 décembre 2000, que les revenus issus d'une exploitation d'un casino étaient illégales avant le 30 décembre 2000, que le curateur tente de récupérer des sommes d'argent issues de l'exercice illégale d'une activité, que la Cour d'appel a violé les dispositions précitées en validant la saisie-

arrêt sans examiner si l'exécution du titre invoqué à la base de la saisie ne se heurte pas à des règles d'ordre public international luxembourgeois, que l'arrêt entrepris encourt la cassation » et le troisième, « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 46 du Règlement (UE) No 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que les juges d’appel ont dit que compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d’une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’intimé évaluée à 32.071.085,62 €, alors que l’exécution d’une décision doit être refusée lorsque cette exécution est contraire à l’ordre public de l’Etat requis, qu’en l’espèce, la saisie-arrêt a été basée sur un arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 ayant condamné le demandeur au cassation au remboursement de prétendues recettes d’exploitation d’un casino que la société E) aurait prétendument dû percevoir pendant la période du 1er janvier 1990 au 26 mars 2003 ;

que l’exploitation des jeux de hasard n’a été légalisée en Belgique que par la loi du 7 mai 1999, entrée en vigueur le 30 décembre 2000, que les revenus issus d’une exploitation d’un casino étaient illégales avant le 30 décembre 2000, que le curateur tente de récupérer des sommes d’argent issues de l’exercice illégale d’une activité, que la Cour d’appel a violé les dispositions précitées en validant la saisie-

arrêt sans examiner si l’exécution du titre invoqué à la base de la saisie ne se heurte pas à des règles d’ordre public international luxembourgeois, que l’arrêt entrepris encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit, sous peine d’irrecevabilité, préciser en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué. Les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10 précité peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer à la carence originaire de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité.

Les moyens ne précisent ni la partie critiquée de l’arrêt ni en quoi les dispositions visées auraient été violées.

Il s’ensuit que les moyens sont irrecevables.

Sur les quatrième et cinquième moyens de cassation réunis le quatrième, « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1200 du Code civil luxembourgeois, en ce que la Cour d’appel a dit que c’est à tort que le tribunal de première instance a considéré qu’en l’espèce, M) a pu profiter des effets de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 17 mai 2018, rendu sur renvoi de l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique, en vertu du principe de représentation mutuelle des coobligés solidaires, alors que la cassation produit des effets au profit d’un codébiteur solidaire, que cette exception repose sur la notion de représentation mutuelle entre les personnes liées par une solidarité parfaite, que l’auteur initiale du pourvoi est présumé avoir représenté son coobligé et celui-ci n’a donc plus qu’à confirmer son intention de bénéficier de la cassation à intervenir, que chaque codébiteur solidaire devant être considéré comme le représentant nécessaire de ses coobligés, la chose jugée à l’égard de l’un est opposable aux autres qui sont restés en dehors de l’instance (Cass. Soc., 7 octobre 1981, n° 80-10412 :

Bull civ. 1981, V, n° 764 ; Cass. Com., 1er juin 1999, n° 96-18.466 : Bull. civ. 1999, IV, n° 115), que dans la solidarité passive et plus particulièrement en cas de solidarité parfaite, la chose jugée au profit ou à l’encontre d’un des codébiteurs solidaires a autorité à l’égard des autres, car il est admis que dans le procès, chaque débiteur représente ses coobligés (V. Seiler, L’autorité de chose jugée en matière de solidarité passive : thèse Paris 1933 - D. Tomasin, Essai sur l’autorité de chose jugée en matière civile : thèse Toulouse 1975, n° 105-106.- Cass. Civ., 1er décembre 1885 :

DP 1886, 1, p. 251 ; s. 1886, 1, p.55), que dans la mesure où M) a été condamné de manière solidaire avec les autres prévenus par l’arrêt de la Cour d’appel de Liège, la Cour d’appel a violé la disposition précitée en statuant que c’est en vain que M) a plaidé qu’il pourrait profiter de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel de Mons du 17 mai 2018, que l’arrêt entrepris encourt cassation. » et le cinquième, « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1200 du Code civil belge, pris ensemble avec l’article 1208 du Code civil belge, en ce que la Cour d’appel a dit que c’est à tort que le tribunal de première instance a considéré qu’en l’espèce, M) a pu profiter des effets de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 17 mai 2018, rendu sur renvoi de l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique, en vertu du principe de représentation mutuelle des coobligés solidaires, alors que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 a expressément stipulé que les prévenus […] sont dès lors tenus solidairement à réparer ce dommage », que cette solidarité résulte de la loi, notamment de l’article 50 du Code pénal belge qui stipule que Tous les individus condamnés pour une même infraction sont tenus solidairement des restitutions et des dommages-intérêts. », qu’un des effets de la solidarité est que Le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l'obligation, et toutes celles qui lui sont personnelles, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs. » (article 1208 du Code civil belge), qu’ les autres, dés lors la chose jugée à l’égard de l’un a autorité à l’égard de tous les autres. » (Cass. fr. 11 février 1947, Semaine juridique, 1948, II, 4127 (2e espèce) et note J.L.) ;

que l’arrêt entrepris encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir étendu à son profit l’effet de la représentation mutuelle entre coobligés.

En retenant que la Cour d’appel de Mons statuant sur renvoi n’était plus saisie de l’action publique et civile dirigée contre M), que la condamnation prononcée à charge du demandeur en cassation par la Cour d’appel de Liège avait acquis autorité de chose jugée et que ce dernier ne pouvait plus bénéficier de la représentation mutuelle entre coobligés, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées aux moyens.

Il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés.

Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’ordre public international luxembourgeois, en ce que les juges d’appel ont dit que compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d’une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’intimé évaluée à 32.071.085,62 €, alors qu’il y a violation de l'ordre public luxembourgeois lorsque l’exécution d’une décision heurte de manière inacceptable l'ordre juridique de l'État requis en ce qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental » (Cour, 17 octobre 2013, rôle no 37973 ; Cour, 15 juillet 2015, rôle no 40127).

qu’il pourrait s'agir d'une considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de Luxembourg » ou portant (Cour, 15 juillet 2015, rôle no 40127), que l’ordre public international peut être défini comme étant tout ce qui touche aux droits essentiels de l’administration de la justice ou de la mise en œuvre des obligations contractuelles, voire tout ce qui est considéré comme essentiel à l’ordre moral, politique et économique établi (WIWINIUS J-C, Le droit international privé au Grand-Duché de Luxembourg », 3e éd., Editions Paul Bauler Sàrl Luxembourg, 2011, page 352), que l’article 350 du Code pénal luxembourgeois incrimine la tenue d’une maison de jeux de hasard non autorisée, qu’il est un principe général de droit que Nemo ex delicto consequatur emolumentum - Nul ne doit tirer profit de son délit, que l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 est clairement contraire à l’ordre public international luxembourgeois, alors que cette exécution procurerait à la société E) des revenus illicites provenant de l’exercice d’une activité prohibée, que l’arrêt entrepris encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Les juges d’appel, saisis de la demande en validation de la saisie-arrêt ayant pour cause la créance constatée par l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, déclaré exécutoire au Grand-Duché de Luxembourg par ordonnance présidentielle du 27 juillet 2016, non entreprise par le demandeur en cassation, n’avaient pas compétence pour vérifier si l’exéquatur de cet arrêt heurtait l’ordre public luxembourgeois.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la société anonyme de droit belge E), en faillite, représentée par son curateur Maître Georges RIGO, une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Gérard A. TURPEL, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence du procureur général d’Etat adjoint Jeannot NIES et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation M) contre la société anonyme de droit belge E) S.A., représentée par son curateur Maître Georges RIGO Le pourvoi en cassation, introduit par M) par un mémoire en cassation signifié le 10 mai 2021 à la défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 17 mai 2021, est dirigé contre un arrêt n° 37/21 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 10 mars 2021 (n° CAL-2020-00001 du rôle). Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié au demandeur en cassation.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse en cassation a signifié un mémoire en réponse le 7 juillet 2021 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 9 juillet 2021.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

En vertu d’une ordonnance présidentielle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 11 octobre 2015 et par acte d’huissier de justice du 12 octobre 2015, la société anonyme de droit belge E) (ci-après la société E)) a fait pratiquer saisie-arrêt entre les mains d’une banque établie au Luxembourg sur tout compte dont M) serait titulaire auprès dudit établissement bancaire afin d’obtenir le paiement de la somme de 32.071.085,62 € en principal.

La saisie-arrêt du 12 octobre 2015 a été dénoncée à M) par acte d’huissier de justice du 19 octobre 2015 contenant assignation en validation de la saisie-arrêt.

La contre-dénonciation à la partie tierce-saisie est intervenue en date du 29 octobre 2015.

La demande en validation de la saisie-arrêt, est basée sur un arrêt rendu par la quatrième chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Liège en date du 9 juin 2015 dans la cause opposant le Ministère Public à M) et d’autres co-prévenus dans le cadre d’une fraude pratiquée depuis une vingtaine d’années au casino de Namur, exploité par la société E). Dans cette affaire, l’action civile lancée qualitate qua par Maître Georges Rigo, en sa qualité de curateur de la faillite de la société E), a été déclarée recevable et fondée et M) a été condamné solidairement avec les autres prévenus à payer au curateur la somme de 156/278ème de 57.152.319,25 €, sous déduction de la restitution de la somme de 72.000 € à Georges Rigo, qualitate qua.

Cet arrêt a été déclaré exécutoire sur le territoire luxembourgeois par une ordonnance d’exéquatur rendue en date du 27 juillet 2016.

Par jugement du 23 décembre 2016, rendu par défaut à l’égard de M), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 10ème chambre, a fait droit à la demande en validation de la saisie-arrêt de la société E), qui a été déclarée fondée à concurrence de la somme de 32.071.085,62 €.

Par acte d’huissier de justice du 31 janvier 2017, M) a formé opposition contre ce jugement, pour voir déclarer nulle, sinon non fondée la saisie-arrêt. Il a fait valoir que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 ne saurait valoir titre au vu de la cassation partielle de cet arrêt.

Par arrêt du 2 mars 2016, la Cour de cassation de Belgique a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Mons. Or, le pourvoi en cassation de M) a été déclaré irrecevable La société E) a déduit du montant initialement réclamé la somme de 72.000 € qui a pu être obtenu par le curateur à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège par l’attribution de la somme confisquée à M) et elle a réduit sa demande en validation au montant de 31.999.085,62 €.

Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal a dit l’opposition du 28 septembre 2016 formée par M) recevable et fondée, a mis à néant le jugement n°258/2016 du 23 décembre 2016, et statuant à nouveau, a dit la demande en validation de la saisie-arrêt non fondée et en a ordonné la mainlevée.

Le tribunal a relevé que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 sur lequel le curateur s’est basé pour justifier le bien-fondé de sa demande en validation de la saisie-arrêt, a été partiellement cassé par un arrêt de la Cour de Cassation de Belgique du 2 mars 2016. Il a retenu que la cassation produit ses effets au profit d'un codébiteur solidaire en vertu du principe que chaque codébiteur solidaire doit être considéré comme le représentant nécessaire de ses coobligés, et que la chose jugée à l'égard de l'un est opposable aux autres qui sont restés en dehors de l'instance. La Cour d’appel de Mons1 ayant dans son arrêt du 17 mai 2018 supprimé la condamnation prononcée à l’égard des autres condamnés solidaires, le tribunal a retenu que la suppression de ce cette condamnation a profité à M), même si ce dernier n’a pas été partie à cette instance.

Au regard de ces considérations et en se basant sur la motivation de l’arrêt précité de la Cour d’appel de Mons, le tribunal a en conséquence retenu que la société E) ne disposait plus d’une créance certaine à l’égard de M) au jour de la demande en validation de la saisie-arrêt, et il a ordonné la mainlevée de la saisie-arrêt.

Par acte d’huissier de justice du 17 octobre 2019, la société E), en faillite, a régulièrement relevé appel de ce jugement qui a été signifié au curateur de la société E) le 31 octobre 2019.

1 statuant en tant que Cour d’appel autrement composée, devant laquelle l’affaire a été renvoyée après cassation partielle En date du 10 mars 2021, la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :

«reçoit l’appel, dit non fondée la demande en annulation du jugement du 28 juin 2019, dit l’appel fondé, réformant :

dit l’opposition formée par M) le 28 septembre 2016 partiellement fondée, dit la demande en validation de la saisie-arrêt fondée pour la somme de 31.999.085,62 €, dit qu’en conséquence tous sommes, deniers, valeurs que l’établissement […] doit ou devra à quelque titre que ce soit à M) […] seront par lui versés entre les mains de la société anonyme de droit belge E) SA en faillite en déduction et jusqu’à concurrence de la somme de 31.999.085,62 €, condamne M) à payer à la société anonyme de droit belge E) SA en faillite une indemnité de procédure de 1.000 € pour la première instance, dit non fondée la demande de M) en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, condamne M) à payer à la société anonyme de droit belge E) SA en faillite une indemnité de procédure de 1.500 € pour l’instance d’appel et à supporter les frais et dépens des deux instances […]».2 Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur les trois premiers moyens de cassation pris ensemble:

Les trois premiers moyens de cassation font grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d’une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’intimé évaluée à 32.071,62 €, alors que l’exécution d’une décision doit être refusée lorsque cette exécution est contraire à l’ordre public de l’Etat requis.

Chacun de ces moyens invoque des dispositions différentes :

- le premier moyen est tiré de la violation des articles 677-1 et 678 du Nouveau code de procédure civile - le deuxième moyen est tiré de la violation des articles 677-1 et 679 du Nouveau code de procédure civile 2 Pour faciliter la lecture, nous avons omis [entre les parenthèses] des détails sans importance dans le cadre de la cassation - le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 46 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

L’article 677-1 du Nouveau code de procédure civile, visé aux deux premiers moyens, dispose que « les décisions et transactions judiciaires rendues par les juridictions étrangères et les actes authentiques reçus par les officiers publics étrangers ne peuvent être mis à exécution au Luxembourg que si elles satisfont aux prescriptions de l’article 677 », c’est-à-dire lorsqu’ils sont revêtus de la formule exécutoire déterminée par le règlement grand-ducal du 7 octobre 2000.3 L’article 678 du Nouveau code de procédure civile a trait à la procédure d’exequatur pour les décisions étrangères non soumises à un traité ou un acte communautaire.

L’article 679 du Nouveau code de procédure civile dispose que les décisions étrangères soumises à un traité ou un acte communautaire prévoyant une procédure d’exequatur, et qui remplissent les conditions pour être reconnues et exécutées au Luxembourg, sont rendues exécutoires dans les formes prévues par les dispositions des articles 680 à 685.

L’article 46 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dispose qu’« à la demande de la personne contre laquelle l’exécution est demandée, l’exécution d’une décision est refusée lorsque l’existence de l’un des motifs visés à l’article 45 est constatée.» Il ressort de l’arrêt attaqué que l’arrêt rendu par la quatrième chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Liège en date du 9 juin 2015 a été rendue exécutoire au Luxembourg par ordonnance du 27 juillet 2016 contre laquelle aucune voie de recours n’a été exercée.

Par conséquent, la décision belge a été revêtue de la formule exécutoire, Le demandeur en cassation n’expose d’ailleurs pas en quoi l’article 677-1 aurait été violé. Les deux premiers moyens sont irrecevables sur ce point, sinon non fondés.

S’agissant d’une décision belge en matière civile, celle-ci relève du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 et la procédure d’exequatur est celle prévue aux articles 680 à 685 du Nouveau code de procédure civile, conformément à l’article 679 de ce code.

Par contre, l’article 678 ayant trait à la procédure d’exequatur pour les décisions étrangères non soumises à un traité ou un acte communautaire, est inapplicable et partant étranger à la décision attaquée.

Le premier moyen est irrecevable, sinon non fondé sur ce point.

S’agissant de l’article 679 du Nouveau code de procédure civile, le demandeur en cassation estime que l’exécution de la décision belge serait contraire à l’ordre public de l’Etat requis, et aurait partant dû être refusée.

3 Mém. 2000, p.2246 Or, l’article 679 ne prévoit aucun motif de refus de reconnaissance, mais ne régit que la procédure d’exequatur. Cette disposition est partant étrangère au grief invoqué.

S’y ajoute qu’il ressort de l’arrêt attaqué que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège a été exéquaturé par une ordonnance présidentielle, tel que prévu les articles 680 et suivants., auxquels renvoie l’article 679.

Le deuxième moyen est partant irrecevable, sinon non fondé sur ce point.

L’article 46 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 prévoit que l’exécution d’une décision est refusée lorsque l’un des motifs de refus d’exécution visés à l’article 45 est constatée. L’article 45 vise notamment la contrariété à l’ordre public de l’Etat requis (article 45, paragraphe 1, a)). L’article 46 du Règlement dispose toutefois que l’exécution est refusée « à la demande de la personne contre laquelle l’exécution est demandée » et l’article 47 du même règlement dispose que « la demande de refus d’exécution est portée devant la juridiction que l’Etat membre concerné a indiquée à la Commission en vertu de l’article 75, point a), comme juridiction devant laquelle la demande doit être portée». D’après les indications fournies à la Commission, « pour la demande de refus d’exécution, la demande de reconnaissance et la demande de refus de reconnaissance est compétent le Président du Tribunal d’arrondissement siégeant comme en matière de référé ».4 L’ordonnance du 27 juillet 2016, qui a accordé l’exequatur, n’a fait l’objet d’aucun recours, de sorte qu’elle a autorité de chose jugée.

S’y ajoute que le demandeur en cassation n’a invoqué ni en première instance ni en instance d’appel que l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège en date du 9 juin 2015 serait contraire à l’ordre public de l’Etat requis.

Les trois moyens qui soutiennent que la reconnaissance de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 heurterait l’ordre public de l’Etat requis, sont partant nouveaux, et ils sont mélangés de fait et de droit en ce que leur analyse comporterait un examen des circonstances de fait qui n’étaient pas soumises aux juges du fond. Pour analyser si l’exécution de la condamnation prononcée par l’arrêt de la Cour d’appel de Liège est contraire à l’ordre public luxembourgeois, votre Cour devrait examiner les faits jugés par cet arrêt.

Les trois moyens sont irrecevables pour être nouveaux.

Subsidiairement :

M) a été condamné pour une fraude qu’il a commise dans un casino en tant que salarié au préjudice de son employeur entre le 1er janvier 1990 et le 26 mars 2003.

Le demandeur en cassation expose que l’exploitation des jeux de hasard n’aurait été légalisée en Belgique que par une loi du 7 mai 1999, entrée en vigueur le 30 décembre 2000.

4 Informations sur les tribunaux compétents dans le cadre du règlement Bruxelles I (Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale) sur e-justice Au Luxembourg, les jeux de hasard étaient régis pendant toute la période infractionnelle par la loi du 20 avril 1977 relative à l’exploitation des jeux de hasard et des partis relatifs aux épreuves sportives5, dont l’article 5 dispose que «par dérogation aux interdictions légales il pourra être accordé aux casinos et établissements similaires, installés dans l'intérêt du tourisme, l'autorisation d'ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés, où seront pratiqués certains jeux de hasard, sous les conditions énoncées dans les articles suivants ».

L’exploitation d’un casino pouvait partant faire l’objet d’une autorisation à l’époque des faits pour lesquels le demandeur en cassation a été condamné. L’activité d’un casino n’était partant pas nécessairement illégale et elle n’était certainement pas interdite par une loi d’ordre public, des autorisations étant expressément prévues. La condamnation du demandeur en cassation pour une fraude commise au préjudice de l’exploitant d’un casino ne heurte partant pas l’ordre public luxembourgeois.

Les trois premiers moyens ne sont pas fondés.

Sur le quatrième moyen de cassation :

Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1200 du Code civil luxembourgeois.

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que c’est à tort que le tribunal de première instance a considéré que M) a pu profiter des effets de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 17 mai 2018, rendu sur renvoi de la Cour de cassation de Belgique, en vertu du principe de représentation mutuelle des coobligés solidaires.

Le moyen n’indique ni les dispositions attaquées ni les conclusions dont l’adjudication est demandée. Il ne répond partant pas aux exigences de l’article 10 de la du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et doit être déclaré irrecevable.

Subsidiairement :

La responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle est régie par la loi du lieu de survenance du fait dommageable, la lex loci delicti, à moins qu’une autre loi ait des rapports plus étroits avec les faits ou qu’une convention internationale s’applique.6 Etant donné que les faits délictueux reprochés au demandeur en cassation ont été commis en Belgique, c’est la loi belge qui régit toutes les questions liées à la réparation, telles que le mode de réparation, le(s) débiteur(s) de la réparation, la solidarité existant entre plusieurs débiteurs.

L’article 1200 du Code civil luxembourgeois n’a pas été appliqué par l’arrêt entrepris et il ne devait pas être appliqué. La disposition visée au moyen est étrangère à la décision attaquée.

La doctrine et les jurisprudences françaises citées à l’appui du moyen, sont également dépourvues de pertinence.

5 Mém. A 24 du 14/05/1977 6 Le droit international privé au Grand-Duché de Luxembourg, Jean-Claude Wiwinius, éd. Paul Bauler, 3e éd., n°911 (voir aussi n°913pour le domaine d’application de la loi applicable) Le moyen est irrecevable.

Plus subsidiairement :

L’arrêt dont pourvoi est motivé comme suit :

« La Cour approuve le tribunal d’avoir retenu que lorsqu’il est amené à statuer sur une demande en validation d’une saisie-arrêt, son rôle consiste à vérifier l’actualité ou l’efficacité d’un titre exécutoire, le caractère certain, liquide et exigible de la créance alléguée au jour du jugement, la créance devant nécessairement être vidée de toute contestation pour pouvoir servir de fondement à la validation de la saisie.

En l’occurrence, l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 a constitué un titre ayant eu force exécutoire à l’égard de M) lors de la saisie-arrêt du 12 octobre 2015, Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par les condamnés dont l’intimé.

Par arrêt du 2 mars 2016, la Cour de cassation de Belgique a déclaré irrecevable le pourvoi formé par M), a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 en ce qui concerne les pourvois formés par d’autres prévenus et a renvoyé l’affaire devant une Cour d’appel autrement composée.

Il résulte de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 que, sur le plan civil, la cassation de la décision rendue par la Cour d’appel de Liège sur l’action publique a entraîné l’annulation de la décision rendue sur l’action civile exercée par Maître Rigo, agissant qualitate qua, contre X1), X2), X5), X3), X6), X8) et X7).

La cassation de la décision sur l’action publique ne s’étend à la décision définitive sur l’action civile qu’à la condition qu’il y ait un pourvoi recevable contre cette dernière décision. Pour justifier cette extension de la cassation, il faut donc que l’arrêt de la Cour de cassation constate, d’une manière ou d’une autre, l’existence d’un pourvoi recevable contre un dispositif (R.Declerq, La cassation en matière répressive, n° 1014 et n° 1015 et jurisprudences y citées., éd. Bruylant 2006).

Lorsque le pourvoi du prévenu contre le dispositif civil est irrecevable, la cassation de la condamnation pénale ne s’étend pas au dispositif qui concerne l’action civile ( Cass., 12 septembre 1989, RG 29966, Pas., 1990, I, n°23).

En l’occurrence, si l’appel des prévenus précités a été déclaré recevable et partiellement fondé, tel n’était pas le cas pour M), dont le pourvoi a été déclaré irrecevable pour ne pas avoir été signifié aux parties civiles, défenderesses en cassation (voir page 30 de l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 2 mars 2016).

Il importe de préciser qu’en matière répressive, après une cassation partielle, comme en l’espèce, le juge de renvoi ne peut exercer sa juridiction que dans les limites du renvoi ; ce renvoi est limité à l’étendue de la cassation. Le juge de renvoi n’est pas lié par ce qui avait été décidé par la décision cassée. Rien ne s’oppose à ce que le juge de renvoi procède à une modification de la qualification de l’infraction ( cf. R. Declerq, précité, p. 642 et suiv.).

Dans son arrêt du 17 mai 2018, la Cour d’appel de Mons a, dans les limites de sa saisine, considéré que l’exploitation des jeux de hasard n’a été légalisée que par la loi du 7 mai 1999, entrée en vigueur le 30 décembre 2000, de manière telle qu’avant cette date, les revenus issus de l’exploitation d’un casino étaient illicites. L’action du curateur a donc été déclarée irrecevable dans cette mesure.

Pour le surplus, la Cour d’appel de Mons a décidé que Maître Georges Rigo, agissant qualitate qua, reste en défaut de rapporter la preuve des éléments de nature à fonder sa réclamation civile pour la période après le 30 décembre 2000. Elle a * dit non fondée la constitution de partie civile de Maître Rigo, agissant qualitate qua, en ce qu’elle a trait à des revenus qui auraient été promérités après la date du 30 décembre 2000, dirigée contre X1), X2), X3) et X4), * dit irrecevable la constitution de partie civile de Maître Rigo, agissant qualitate qua, dirigée contre X5), X6), X8) et X7), en ce qu’elle a trait à des revenus tirés de l’exploitation du casino considérés comme illicites précédemment à l’entrée en vigueur de la loi du 7 mai 1999, soit le 30 décembre 2000 et non fondée en ce qu’elle a trait à des revenus promérités après cette date.

En l’espèce, dès lors que le pourvoi en cassation de M) a été déclaré irrecevable, et au vu des principes régissant la saisine de la Cour d’appel de renvoi, la Cour d’appel de Mons n’a plus statué, ni sur l’action publique, ni sur l’action civile dirigés contre l’intimé.

Au vu des considérations qui précèdent, c’est dès lors en vain que l’intimé fait plaider qu’il pourrait profiter de l’arrêt de la Cour de Cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de la Cour d’appel de renvoi du 17 mai 2018.

La société E) fait valoir à juste titre que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 a acquis force de chose jugée en ce qui concerne les condamnations pénales et civiles prononcées à l’encontre de l’intimé.

C’est dès lors à tort que le tribunal de première instance a considéré qu’en l’espèce, M) a pu profiter des effets de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016 et de l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 17 mai 2018, rendu sur renvoi de l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique, en vertu du principe de représentation mutuelle des coobligés solidaires.

Pour être complet, la Cour tient encore à préciser qu’en tout état de cause, il résulte de la doctrine et de la jurisprudence belges que les effets secondaires de la solidarité passive fondées sur l’idée que les débiteurs solidaires se représenteraient les uns les autres sont rejetées dans le droit belge, droit où l’on considère que les effets secondaires de la solidarité passive ne procèdent pas d’une représentation mais de règles techniques qu’il appartient au législateur de définir et qui dérogent au droit commun ( voir Chapitre 3 - Les obligations à sujets multiples (obligations plurales) In Les obligations Tome II, P. Van Ommeslaghe Bruxelles Bruylant 2013 p. 1821- 1866).

Tant au stade conservatoire qu’à celui de l’exécution, le juge des saisies est lié par l’autorité de chose jugée qui s’attache aux décisions de justice : celles-ci ne peuvent être anéanties que sur les recours prévus par la loi. Ainsi, le débiteur ne peut invoquer le défaut de certitude, d’exigibilité ou de liquidité d’une créance alors que ces caractères sont reconnus par un jugement ; de telles contestations ne peuvent être articulées que par l’exercice régulier d’une voie de recours (G. de Leval, Traité des saisies (règles générales), p. 30 ).

Il résulte ensuite de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2016, que le pourvoi en cassation de M) avait été déclaré irrecevable, faute d’avoir été signifié aux défendeurs ( voir page 30 de l’arrêt).

Contrairement à l’argumentation de l’intimé, du fait de l’irrecevabilité du pourvoi en question, l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 est devenu irrévocable et exécutoire à son égard. Cet arrêt avait chiffré la créance de la société appelante à l’égard de M) à la somme de 156/278ème de 57.151.319,25 €, en tenant compte « de la durée de l’association de l’intimé à la fraude au comptage par rapport à la durée totale de celle-ci, soit 278 mois (…) ».

Au regard des considérations qui précèdent et compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, la société appelante dispose d’une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’intimé évaluée à 32.071.085,62 €. » Il ressort de cette motivation que la Cour d’appel s’est basée, tout d’abord, sur les effets de la cassation de la décision rendue sur l’action publique et sur l’étendue de la cassation, qui définit les limites du renvoi. Elle a, ensuite, retenu que l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 a acquis force de chose jugée en ce qui concerne les condamnations pénales et civiles prononcées à l’encontre de M) et que les décisions de justice ne peuvent être anéanties que sur les recours prévus par la loi.

Ce n’est qu’à titre surabondant, qu’elle a ajouté :

« Pour être complet, la Cour tient encore à préciser qu’en tout état de cause, il résulte de la doctrine et de la jurisprudence belges que les effets secondaires de la solidarité passive fondées sur l’idée que les débiteurs solidaires se représenteraient les uns les autres sont rejetées dans le droit belge, droit où l’on considère que les effets secondaires de la solidarité passive ne procèdent pas d’une représentation mais de règles techniques qu’il appartient au législateur de définir et qui dérogent au droit commun ( voir Chapitre 3 - Les obligations à sujets multiples (obligations plurales) In Les obligations Tome II, P. Van Ommeslaghe Bruxelles Bruylant 2013 p. 1821- 1866). » La motivation attaquée par le moyen n’est pas nécessaire au soutien du dispositif et elle est partant surabondante.

Le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le cinquième moyen de cassation :

Le cinquième moyen est tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de 1200 du Code civil belge, ensemble avec l’article 1208 du Code civil belge.

Le moyen n’indique ni les dispositions attaquées ni les conclusions dont l’adjudication est demandée. Il ne répond partant pas aux exigences de l’article 10 de la du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et doit être déclaré irrecevable.

Subsidiairement :

Le grief formulé par le demandeur en cassation est le même que dans le cadre du quatrième moyen, sauf qu’il vise cette fois-ci deux dispositions du Code civil belge.7 Comme la soussignée l’a déjà relevé dans le cadre du précédent moyen, le grief est dirigé contre une motivation surabondante et le moyen ne saurait être accueilli.

Plus subsidiairement :

Traditionnellement votre Cour a jugé que « si dans un litige soumis au juge luxembourgeois, la loi étrangère doit être appliquée, il faut et il suffit que cette application soit faite, pour que la loi nationale ne soit pas violée 8. » « La Cour de cassation veille à ce que la loi étrangère soit appliquée dans tous les cas où la règle de conflit de loi ou un traité international y renvoie, et à ce qu’elle ne soit appliquée que dans ces cas, elle se refuse en revanche à vérifier si le juge du fond a déterminé correctement le contenu réel et le sens de la loi étrangère qui échappe au contrôle de la Cour de cassation, sous réserve de la dénaturation de la loi étrangère, la loi étrangère étant tenue comme un simple fait 9. La Cour de cassation se refuse à vérifier si le juge du fond a déterminé correctement le contenu réel et le sens de la loi étrangère10. » L’application du droit étranger, « quelle qu’en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation. »11 Votre Cour décide ainsi régulièrement « que l’interprétation et la correcte application de la loi étrangère relèvent du pouvoir souverain des juges du fond et échappent au contrôle de la Cour de cassation. »12 Dans la mesure où l’arrêt entrepris s’est référé à la doctrine et à la jurisprudence belges dans l’extrait cité ci-dessus dans le cadre du quatrième moyen in fine, il y a lieu de retenir que la Cour d’appel a appliqué la loi belge à la question des effets secondaires de la solidarité passive.

Comme l’interprétation et la correcte application de la loi belge relèvent du pouvoir souverain des juges du fond et échappent au contrôle de votre Cour, le moyen ne saurait être accueilli.

7 La jurisprudence française citée à l’appui du moyen est tout aussi peu pertinente que dans le cadre du 4e moyen 8 Cass. 26 mars 1919, P. 10, 423 et Cass. 30 mars 2006, n°20/06 9 Jurisclasseur de procédure civile, tome 7, Le pourvoi en cassation, fascicule 756, « Le contrôle de l’application de la loi, n° 15.

10 J. et L. BORE, La cassation en matière civile, 5e éd. Dalloz 2015/2016, n° 62.51 et suivants.

11 Cass. 1e civ., 3 juin 2003 12 p.ex. Cass. numéros 58/09, 59/09, 61/09, 62/09 du 17.12.2009, numéros 2680,2681, 2683, 2679 du registre ;

Cass. n°32/2017 du 30.3.2017, n° 3784 du registre Sur le sixième moyen :

Le sixième moyen est tiré de la violation de l’ordre public luxembourgeois.

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015, la société E) dispose d’une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’intimé évaluée à 32.071.085,62 €, alors qu’il y aurait violation de l’ordre public luxembourgeois étant donné que l’exécution de cette décision heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’Etat requis en ce qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental.

Le demandeur en cassation fait valoir que l’article 350 du Code pénal luxembourgeois incrimine la tenue d’une maison de jeux de hasard non autorisée et il invoque le principe général de droit Nemo ex delicto consequatur emolumentum.

L’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 9 juin 2015 serait clairement contraire à l’ordre public international luxembourgeois et procurerait à E) des revenus illicites provenant d’une activité prohibée.

Principalement :

Etant donné que ce moyen n’a pas été invoqué devant les juges du fond, il est nouveau et il est irrecevable pour être mélangé de dit et de droit, tel qu’exposé dans le cadre des trois premiers moyens.

Subsidiairement :

C’est l’article 305 du Code pénal luxembourgeois qui punit d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 € à 25.000 € ou d’une de ces peines seulement ceux qui, sans autorisation légale, auront tenu une maison de jeux de hasard non autorisée.

Toutefois, tel que la soussignée l’a déjà exposé dans le cadre des trois premiers moyens, l’exploitation d’un casino ne heurte pas de principe fondamental de l’Etat luxembourgeois, étant donné que l’article 5 de la loi du 20 avril 1977 relative à l’exploitation des jeux de hasard et des partis relatifs aux épreuves sportives prévoit expressément la délivrance d’autorisations permettant l’exploitation d’un casino. Il ne s’agit partant pas d’une activité contraire à l’ordre public luxembourgeois.

Le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 61/22
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-04-28;61.22 ?

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