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21/04/2022 | LUXEMBOURG | N°46806C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 avril 2022, 46806C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 46806C ECLI:LU:CADM:2022:46806 Inscrit le 20 décembre 2021

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Audience publique du 21 avril 2022 Appel formé par Madame (R) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2021 (n° 44144 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46806C du rôle, déposé au greffe de la Co

ur administrative le 20 décembre 2021 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 46806C ECLI:LU:CADM:2022:46806 Inscrit le 20 décembre 2021

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Audience publique du 21 avril 2022 Appel formé par Madame (R) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2021 (n° 44144 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46806C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 20 décembre 2021 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Madame (R), née le … à … (Syrie), apatride et bénéficiaire de la protection internationale, demeurant à L-… …, …, …, 2) Monsieur (D), né le … à …, et Madame (M), née le … à …, tous les deux apatrides et demeurant en Syrie, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 8 novembre 2021 (n° 44144 du rôle) par lequel ils ont été déboutés de leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 novembre 2019 ayant rejeté la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (D) et de Madame (M) ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 20 janvier 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 février 2022 par Maître Frank WIES au nom des appelants ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 29 mars 2022.

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1 Le 20 décembre 2017, Monsieur (J), accompagné de sa sœur mineure, (R), introduisit une demande de protection internationale au Luxembourg.

Le 8 mai 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », leur accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 7 mai 2023.

Le 2 août 2018, le mandataire de Madame (R) introduisit une demande tendant principalement au regroupement familial conformément à l’article 69, paragraphe (3), de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », et subsidiairement à l’obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées conformément à l’article 78 de la loi du 29 août 2008 dans le chef des parents de sa mandante, Monsieur (D) et Madame (M).

Par une ordonnance du 24 septembre 2018, le juge des tutelles délégué auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Monsieur (J) comme administrateur public de sa sœur mineure (R).

Par courrier du 12 décembre 2018, le ministre accusa bonne réception de la demande introduite le 2 août 2018 et sollicita la production de documents supplémentaires, et notamment la preuve que Monsieur (D) et Madame (M) sont à charge de leur fille (R) « vu qu’elle ne peut pas être considérée comme mineure non accompagnée », la preuve que ceux-

ci sont privés du soutien familial dans leur pays d’origine et qu’ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens, ainsi que la preuve qu’ils ne reçoivent ni de rente, ni d’autre revenu en Syrie.

Par courrier électronique du 23 mai 2019, le mandataire de Madame (R) insista sur le fait que cette dernière serait à considérer comme mineure non accompagnée, sans toutefois ajouter les pièces sollicitées par le ministre.

Par courrier du 14 juin 2019, le ministre rappela son courrier du 12 décembre 2018 en maintenant son affirmation que Madame (R) ne serait pas à considérer comme mineure non accompagnée.

Par décision du 8 novembre 2019, le ministre rejeta la demande de regroupement familial en les termes suivants :

« (…) Je me réfère au courrier du Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 23 août 2019.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, Madame (R) ne peut pas être considérée comme étant mineure non-accompagnée étant donné qu'elle était accompagnée de son frère majeur qui a même été désigné administrateur public.

Conformément à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son 2 conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».

Or, il ne ressort pas de votre demande que Monsieur (D) et Madame (M) sont à charge de leur fille ou bien de leur fils, qu'ils sont privés du soutien familial dans leur pays d'origine et qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens étant donné que vous ne m'avez fait parvenir aucun document concernant ces conditions malgré plusieurs rappels.

Par ailleurs, Monsieur (D) et Madame (M) ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 février 2020, Madame (R), représentée par son administrateur public, Monsieur (J), ainsi que Monsieur (D) et Madame (M) firent introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 8 novembre 2019.

Par jugement du 8 novembre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié, partant en débouta les demandeurs, ces derniers ayant encore été condamnés aux frais de l’instance.

Le 20 décembre 2021, Madame (R) ainsi que ses parents, Monsieur (D) et Madame (M), ci-après désignés collectivement par « les consorts (RDM) », ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Ils exposent que Monsieur (D) et Madame (M) seraient des réfugiés d’origine palestinienne dont les parents se seraient réfugiés en Syrie en 1948. Bien que nés en Syrie, ils n’auraient jamais acquis la nationalité syrienne et se seraient enregistrés en tant que réfugiés palestiniens. Ils auraient vécu avec leurs cinq enfants dans le camp pour réfugiés palestiniens Neirab à Alep en Syrie. Lorsque la guerre civile aurait éclaté en Syrie, leur vie serait devenue périlleuse dans le camp de réfugiés. En 2013, un de leurs fils aurait été tué, puis Monsieur (D) et son fils (J) auraient été arrêtés par le régime Assad. Les bombardements du camp de réfugiés Neirab auraient empêché la jeune (R) d’aller à l’école. Les parents (D) et (M) auraient alors décidé d’envoyer leurs enfants hors du pays. Les frères aînés, (E) et (H), auraient rejoint l’Allemagne où ils auraient obtenu le statut de réfugié respectivement en 2016 et 2017. En février 2016, Monsieur (J) aurait quitté la Syrie avec sa sœur mineure (R) pour se rendre en Turquie et finalement rejoindre la Grèce en décembre 2016. En décembre 2017, ils auraient bénéficié d’une relocalisation de la Grèce vers le Luxembourg. Monsieur (J) aurait introduit une demande de protection internationale dans laquelle sa jeune sœur aurait été intégrée par les autorités luxembourgeoises. Les deux frère et sœur se seraient vu reconnaître le statut de réfugié en mai 2018, alors que (R) était âgée de 15 ans et 10 mois. Le 1er août 2018, celle-ci aurait introduit une demande de regroupement familial au profit de ses parents restés en Syrie.

3 En droit, les appelants soutiennent que les premiers juges auraient fait une mauvaise application de l’article 68, point d), de la loi du 29 août 2008. Ce serait à tort que ceux-ci n’auraient pas retenu le statut de mineur non accompagné dans le chef de (R). Ils contestent que son frère (J) puisse être considéré comme un adulte qui soit responsable d’elle de par la loi ou de par la coutume au sens dudit article 68, point d), et reprochent aux premiers juges de ne pas avoir répondu à leur argumentation afférente, tout en réitérant que ni la loi, ni la coutume syrienne ne permettraient de regarder le frère aîné comme étant responsable de sa sœur mineure. Ils précisent qu’ils n’auraient pas la nationalité syrienne, mais seraient reconnus comme étant apatrides par les autorités luxembourgeoises, de sorte qu’il y aurait uniquement lieu de rechercher si selon la loi du for, Monsieur (J) pouvait être considéré comme adulte responsable, ce qui ne serait pas le cas en se référant à cet effet aux dispositions afférentes du Code civil luxembourgeois. Ils en déduisent que jusqu’à l’ouverture d’une tutelle et en l’absence des deux parents, sinon de l’incapacité de ces derniers à exercer l’autorité parentale sur leur fille se trouvant au Luxembourg, (R) devrait être considérée comme mineure non accompagnée au moment de l’introduction de sa demande de regroupement familial le 1er août 2018. En ordre subsidiaire, ils soutiennent que Monsieur (J) ne pourrait pas non plus être considéré comme adulte responsable selon la loi syrienne.

Les appelants critiquent encore les premiers juges de ne pas avoir soumis à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) la question préjudicielle qu’ils avaient formulée devant eux relativement à la notion de mineur non accompagné, estimant contrairement aux premiers juges que l’arrêt A. et S. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie de la CJUE du 12 avril 2018 (aff. C-550/16) n’aurait pas répondu à la question pertinente en l’espèce.

Ils réitèrent ensuite leur moyen tiré d’une violation de l’article 10bis de la Constitution. Ce serait à tort que les premiers juges ont rejeté ce moyen en se basant sur l’ouverture de tutelle dans le chef de Madame (R), ce qui la mettrait dans une situation différente de celle des mineurs se présentant seuls à l’enregistrement de leur demande de protection internationale et qui le restent par la suite. Ils soulignent que (R) aurait été une mineure non accompagnée jusqu’à l’ouverture de sa tutelle et que sa situation serait dès lors comparable à celle des autres mineurs non accompagnés. Ils ajoutent que le fait de faire dépendre l’issue de la demande de regroupement familial de l’ouverture ou non d’une tutelle serait d’autant plus discriminatoire qu’il s’agirait d’une décision qui échapperait à la volonté du mineur concerné. En plus, cela inciterait les adultes responsables à délaisser les mineurs qu’ils accompagnent dès lors que l’ouverture d’une tutelle serait de nature à porter préjudice aux chances de succès d’une demande de regroupement familial.

Les appelants réitèrent ensuite leur moyen tiré d’une violation de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après « la Charte ». Ils font valoir que le ministre, en prenant la décision litigieuse, aurait méconnu l’intérêt supérieur de l’enfant (R), alors que celle-ci se trouverait dans une grande détresse psychologique depuis la séparation d’avec ses parents et qu’un frère aîné ne pourrait pas remplacer les parents.

Enfin, ils réitèrent le moyen déjà soulevé en première instance et tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après « la CEDH », en ce que le refus opposé à Madame (R) de pouvoir se réunir avec ses parents constituerait une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale.

4 L’Etat conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

Selon le délégué du gouvernement, les premiers juges auraient fait une analyse correcte de la notion de mineur non accompagné, telle que prévue par l’article 68, point d), de la loi du 29 août 2008. Le délégué souligne que (R) aurait été tant au moment de l’octroi de la protection internationale, que lors de l’introduction de la demande de regroupement familial une mineure non accompagnée, puisqu’elle n’aurait pas été accompagnée par un adulte responsable d’elle selon le droit luxembourgeois et ce jusqu’à l’ouverture de la tutelle. A cet effet, il se réfère à l’arrêt précité de la CJUE du 12 avril 2018 qui aurait retenu que « des circonstances ultérieures doivent également être prises en compte » pour en déduire qu’au plus tard lors de l’ouverture de la tutelle en date du 24 septembre 2018 ayant désigné le frère majeur de (R) comme son administrateur public, ce dernier devrait être considéré comme un adulte responsable de par la loi de sa sœur cadette, de sorte que celle-ci ne pourrait plus être considérée comme une mineure non accompagnée à la date de la décision litigieuse du 8 novembre 2019. Ce serait donc à bon droit que la demande de regroupement familial aurait été examinée par le ministre sous l’angle de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 et non pas sous celui de l’article 70, paragraphe (4), de la même loi.

En termes de réplique, les appelants soutiennent encore que ce serait à tort que la partie étatique retiendrait que le seul moment à prendre en considération pour évaluer si (R) était une mineure non accompagnée serait la date de la prise de la décision litigieuse. Ils reprochent plus particulièrement à la partie étatique de ne pas répondre à leurs arguments concernant la question de savoir si le frère aîné pouvait être considéré comme un adulte responsable de sa sœur mineure de par la loi ou par la coutume. Ils soulignent qu’à aucun moment de la procédure d’examen de la demande de protection internationale, les autorités luxembourgeoises n’auraient considéré (R) comme étant une mineure non accompagnée.

Celles-ci auraient attendu trois mois après l’introduction de la demande de regroupement familial pour prendre position par rapport à cette demande et se prévaloir de l’ouverture de la tutelle entre-temps intervenue pour ne plus considérer (R) comme une mineure non accompagnée et pour lui dénier le droit de se prévaloir des dispositions plus favorables de l’article 70, paragraphe (4), de la loi du 20 août 2008 et ainsi profiter de la lenteur de ses propres services au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce serait justement le cas de figure que l’arrêt précité de la CJUE du 12 avril 2018 aurait visé à empêcher. Ils en concluent que la partie étatique ne pourrait pas se prévaloir de la seule ordonnance de tutelle du 24 septembre 2018 pour refuser d’appliquer les dispositions relatives aux mineurs non accompagnés dans le cadre d’une demande de regroupement familial.

Le litige sous examen a trait au refus ministériel de faire droit à la demande de regroupement familial avec ses parents introduite par Madame (R), alors qu’elle était mineure d’âge et reconnue réfugiée.

Aux termes de l’article 69, paragraphes (1) et (3), de la loi du 29 août 2008 :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, 5 sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(…) (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que le bénéficiaire d’une protection internationale ayant introduit une demande de regroupement familial dans le délai de trois mois à partir de l’octroi de la protection internationale n’a pas à rapporter la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour lui-même et les personnes dans le chef desquelles il demande le regroupement familial, mais qu’il doit néanmoins a priori rapporter la preuve que les conditions de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, concernant la personne bénéficiant du regroupement familial, sont remplies.

Aux termes de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

(…) (4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine (…) ».

La Cour rejoint les premiers juges en ce qu’ils ont posé que l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008 opère une distinction entre la demande de regroupement familial introduite dans le chef des ascendants directs au premier degré par un mineur non accompagné au sens de ladite loi, d’une part, et celle qui est introduite par un regroupant qui n’est pas à qualifier comme tel dans le chef des mêmes personnes, d’autre part, étant relevé que dans le premier cas de figure, le ministre a l’obligation d’accorder la demande de regroupement familial sans que les conditions fixées au paragraphe (5), point a), de l’article 6 70 de la loi du 29 août 2008 ne doivent être remplies. En d’autres termes, un mineur non accompagné bénéficiaire d’une protection internationale ayant introduit une demande de regroupement familial dans le délai de trois mois à partir de l’octroi de la protection internationale ne doit rapporter ni la preuve qu’il bénéficie de ressources stables, régulières et suffisantes, d’un logement et d’une couverture d’une assurance maladie, ni celle que ses ascendants directs sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

En l’espèce, il est constant que Madame (R) a introduit sa demande de regroupement familial avec ses parents dans le délai de trois mois prévu à l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, de sorte à ne pas devoir rapporter la preuve des conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1), de la même loi.

Ceci dit, la solution du litige est fondamentalement conditionnée par la question de savoir si l’intéressée est à considérer comme mineure non accompagnée, dispensée en tant que telle des conditions fixées au paragraphe (5), point a), de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ou si elle doit être considérée comme mineure accompagnée, auquel cas les conditions y prévues, à savoir que les parents avec lesquels le regroupement est sollicité sont à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine, doivent être remplies.

Quant à la notion de « mineur non accompagné », l’article 68, point d), de la loi du 29 août 2008, portant transposition en droit luxembourgeois de l’article 2, point f), de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial, ci-après dénommée la « directive 2003/86 », définit le mineur non accompagné comme étant « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de dix-huit ans, entrant sur le territoire sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire ».

Dans son arrêt A et S précité du 12 avril 2018, la CJUE s’est prononcée sur « la question de savoir quel est, en définitive, le moment auquel doit être apprécié l’âge d’un réfugié pour qu’il puisse être considéré comme mineur et puisse ainsi bénéficier du droit au regroupement familial visé à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 ».

Elle a ainsi retenu que l’article 2, point f), de la directive 2003/86/CE prévoit deux conditions, à savoir que l’intéressé soit « mineur » et qu’il soit « non accompagné ». Concernant la première condition, la CJUE a jugé, dans un souci de ne pas faire dépendre le droit au regroupement familial de la durée de traitement de la demande de protection internationale sur laquelle les demandeurs de regroupement familial n’ont aucune influence, que c’est la date d’introduction de la demande de protection internationale qui détermine si un réfugié peut être reconnu comme mineur non accompagné, en ajoutant que cette date permet de garantir un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation. S’agissant de la seconde condition, la CJUE a encore retenu que : « Si, en ce qui concerne cette seconde condition, ladite disposition se réfère au moment de l’entrée de l’intéressé sur le territoire de l’Etat membre concerné, il ressort toutefois de cette même disposition que dans certains cas de figure, des circonstances ultérieures doivent également être prises en compte : ainsi, un mineur non accompagné au moment de son entrée sur le territoire qui est ensuite pris en charge par un adulte responsable de lui par la loi ou la coutume ne satisfait pas à cette seconde condition, tandis qu’un mineur initialement 7 accompagné, qui est ensuite laissé seul, est considéré comme étant non accompagné et y satisfait dès lors » (point 38).

Au vu de cette interprétation du droit de l’Union par la CJUE, la Cour, à l’instar des premiers juges, est partant amenée à retenir que l’appelante, mineure d’âge, n’était plus à la date de la décision litigieuse à qualifier de mineure non accompagnée au sens dudit article 68, point d), de la loi du 29 août 2008, par l’effet de la nomination par le juge des tutelles, par l’ordonnance précitée du 24 septembre 2018, de son frère aîné, Monsieur (J), comme son administrateur public, avec la mission d’exercer, en tant que tel, l’autorité parentale sur elle.

Compte tenu de cette analyse fondée sur la jurisprudence de la CJUE, il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle proposée à la CJUE.

C’est partant à bon droit que les premiers juges ont conclu que la demande de regroupement familial de l’appelante (R) n’était pas à examiner sous l’angle de l’article 70, paragraphe (4), de la loi du 29 août 2008, visant le regroupement familial avec les ascendants directs au premier degré d’un mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, mais sous l’angle de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008.

Cela étant dit, s’agissant de la violation de l’article 8 de la CEDH, qui garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale et qui limite les ingérences par une autorité publique dans l’exercice de ce droit, la Cour constate que l’appelante (R) est arrivée au Luxembourg à l’âge de 15 ans, accompagnée de son frère aîné majeur (J), fuyant tous les deux la guerre civile en Syrie, qui a coûté la vie à un de leurs frères, que deux autres frères ont été admis au statut de réfugié en Allemagne et que seuls les parents restent encore en Syrie.

La Cour observe que la partie intimée ne semble pas remettre en cause la vie familiale en Syrie entre la jeune (R) et ses parents. Il ressort encore des éléments du dossier que celle-ci a mal supporté la séparation d’avec ses parents.

Au vu de ces éléments, l’autorité ministérielle, quoique fondée à se prévaloir du fait que (R) n’était plus une mineure non accompagnée à la date de la décision litigieuse, dès lors que son frère aîné avait été désigné comme son administrateur public, n’a cependant pas tenu compte des circonstances particulières de l’espèce, à savoir le jeune âge de (R), sa vulnérabilité en tant que réfugiée et les circonstances l’ayant amenée à fuir son pays d'origine et l’ayant empêchée à mener une vie familiale normale, ainsi que sa détresse psychologique depuis sa séparation d’avec ses parents. Ce faisant le ministre a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation de l’article 8 de la CEDH et a méconnu l’intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l’article 24 de la Charte et l’article 5 de la directive 2003/86/CE, de manière à justifier l’annulation de la décision de refus litigieuse.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel est fondé et que la décision de refus litigieuse du 8 novembre 2019 est à annuler, de manière que le jugement a quo encourt la réformation en ce sens.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;

8 reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 8 novembre 2021, annule la décision de refus du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 novembre 2019 ;

renvoie le dossier devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 avril 2022 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46806C
Date de la décision : 21/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-04-21;46806c ?

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