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19/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47292C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 avril 2022, 47292C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47292C ECLI:LU:CADM:2022:47292 Inscrit le 11 avril 2022

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Audience publique du 19 avril 2022 Appel formé par M. (K), …, contre un jugement du tribunal administratif du 6 avril 2022 (n° 47257 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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Vu l’...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47292C ECLI:LU:CADM:2022:47292 Inscrit le 11 avril 2022

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Audience publique du 19 avril 2022 Appel formé par M. (K), …, contre un jugement du tribunal administratif du 6 avril 2022 (n° 47257 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47292C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2022 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (K), déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 6 avril 2022 (n° 47257 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 mars 2022 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 avril 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 avril 2022.

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Le 10 novembre 2016, Monsieur (K) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 16 mars 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par le « ministre », informa Monsieur (K) qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), point a), de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois endéans un délai de 30 jours, décision qui n’a pas fait l’objet d’un recours contentieux.

Par courrier du 15 mars 2018, Monsieur (K) fut convoqué au ministère pour le 22 mars 2018 en vue de l’organisation de son retour, rendez-vous auquel ce dernier ne se présenta pas.

D’après un procès-verbal de la police grand-ducale, région …, commissariat de …, du 6 mai 2021, n° …, Monsieur (K) fit l’objet d’un contrôle pour travail au noir et ne put présenter de papiers d’identité.

Il ressort ensuite d’un procès-verbal de la police grand-ducale, région …, commissariat de …, du 1er juillet 2021, n° …, que Monsieur (K) fut intercepté à cette même date lors d’un contrôle de stupéfiants dans les transports en commun, contrôle lors duquel il ne fut également pas en mesure de présenter des documents d’identité.

Finalement, il résulte d’un procès-verbal de la police grand-ducale du 14 mars 2022, n° …, émis par la Section Stupéfiants de la Police Judiciaire, que Monsieur (K), toujours dépourvu de papiers d’identité, fut appréhendé par les forces de l’ordre alors qu’il se trouva en compagnie d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.

Par arrêté du 14 mars 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (K) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté est fondé sur les considérations suivantes :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N°… du 14 mars 2022 établi par la Police Grand-Ducale, Service de police judiciaire, section stupéfiants ;

Vu ma décision de retour du 17 mars 2017 ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mars 2022, inscrite sous le numéro 47257 du rôle, Monsieur (K) fit introduire un recours en réformation, sinon en annulation de l’arrêté ministériel précité du 14 mars 2022.

Dans son jugement du 6 avril 2022, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non fondé pour en débouter le demandeur et dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, tout en condamnant le demandeur aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2022, Monsieur (K) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 6 avril 2022.

Il exprime son désaccord « avec le syllogisme retenu par le jugement attaqué qui en aucun ne peut se substituer aux défaillances de l'autorité administrative » et critique que ni le ministre, ni le tribunal n’auraient pris en compte la situation sanitaire mondiale liée à la propagation du virus COVID-19 et qui aurait amené le Maroc à introduire, depuis le 20 mars 2020, un contrôle strict de son espace aérien et de l'entrée sur son territoire. Cet état d'urgence sanitaire serait toujours en vigueur au Maroc et serait prolongé tous les mois depuis cette date. Alors même que les autorités marocaines auraient annoncé une reprise des liaisons aériennes à partir du 7 février 2022, l'entrée sur le territoire marocain serait toutefois conditionnée notamment par l'obligation de présenter un « pass » vaccinal valide et le résultat négatif d'un test PCR effectué moins de 48 heures avant l'embarquement. Il souligne qu’il ne serait pas vacciné contre la COVID-19 et il en déduit une impossibilité immédiate de le renvoyer dans son pays d'origine.

Se référant à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », l’appelant argue qu’une mesure de placement ne pourrait être ordonnée que notamment à la condition que la mesure d’éloignement du territoire puisse concrètement aboutir. Ainsi, une mesure de rétention serait indissociable de l'attente de l'exécution de l'éloignement d'un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois. Or, compte tenu de la situation actuelle, l'autorité administrative ne pourrait pas exciper d'une évolution immédiate et future quant à un renvoi du requérant dans son pays d'origine, compte tenu des conditions d'entrée sanitaires sur le territoire.

L’appelant ajoute que le législateur aurait prévu un délai maximal de six mois pour procéder à l'éloignement d'une personne en situation irrégulière et qu'au-delà de ce délai maximal, l'étranger, que l'administration n'aura pas réussi à reconduire, devrait être remis en liberté, même si sa situation n'est pas régularisée. Cependant, ce délai ne pourrait pas se muter en une peine privative de liberté en l’absence d’une possibilité raisonnable d’un retour dans le pays d’origine.

L’appelant en déduit que les conditions requises par l'article 120 de la loi du 29 août 2008 ne seraient plus réunies en ce qu’aucune démarche efficace n'aurait pu être entreprise par les autorités pour permettre son éloignement ou un transfert rapide, de sorte que la nécessité requise pour ordonner son placement ferait défaut et qu’il y aurait lieu d’ordonner sa libération immédiate.

Le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation du jugement entrepris.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

Les premiers juges ont conclu à juste titre à partir de ces dispositions que l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

En l’espèce, étant donné que l’appelant ne dispose pas de documents d’identité, qu’il affirme avoir perdus, et que les démarches entreprises par le ministre le 16 mars 2022 auprès du Centre de coopération policière et douanière de Luxembourg ont révélé l’existence de plusieurs identités sous lesquelles l’appelant est connu des autorités françaises et allemandes, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement argue en substance que l’identité de l’appelant doit être considérée comme incertaine jusqu’à ce que les autorités marocaines envoient au ministre la confirmation afférente. En effet, l’établissement de l’identité et de la nationalité de la personne placée en rétention constituent une base nécessaire à une démarche concrète tendant à l’obtention de documents de voyage de la part des autorités du pays d’origine de la personne en question.

De la sorte, le placement en rétention continue de se justifier actuellement, au regard des diligences entreprises, dans l’attente des suites que les autorités marocaines donnent à la demande d’identification de l’appelant et de délivrance de documents de voyage en vue d’un éloignement vers ce pays. Ce sera dans le même cadre qu’il incombera aux autorités marocaines de faire état d’éventuelles exigences quant à l’état de vaccination contre le virus COVID-19 applicables même aux nationaux marocains en vue de leur entrée sur le territoire marocain.

Par ailleurs, l’appelant affirme simplement l’existence d’une condition de vaccination contre le virus COVID-19 en vue d’une entrée sur le territoire marocain, mais n’établit en aucune manière que pareille exigence s’appliquerait également aux ressortissants marocains en cas de retour vers leur état d’origine.

Il s’ensuit que l’appelant ne saurait se prévaloir légitimement, au stade actuel où le ministre, malgré sa démarche du 16 mars 2022 auprès du Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège et ses prises de contact des 4 et 15 avril 2022, n’a pas encore obtenu une confirmation quant à l’identité de l’appelant, du défaut d’une perspective raisonnable de pouvoir procéder à son éloignement vers le Maroc dans un délai utile qui affecterait la validité du maintien de la mesure de placement en rétention en cause.

En l’absence d’autres moyens soulevés par l’appelant, il découle de ces développements que l’appel sous examen laisse d’être justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 11 avril 2022 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 6 avril 2022, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 avril 2022 Le greffier de la Cour administrative 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47292C
Date de la décision : 19/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-04-19;47292c ?

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