La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/04/2022 | LUXEMBOURG | N°46808C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 avril 2022, 46808C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46808C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46808 Inscrit le 20 décembre 2021 Audience publique du 19 avril 2022 Appel formé par la société anonyme (L) S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 novembre 2021 (n° 45134 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire en matière d’amende administrative Vu l’acte d'appel inscrit sous le numéro 46808C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 20 décembre 2021 par MaÃ

®tre Fabienne RISCHETTE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46808C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46808 Inscrit le 20 décembre 2021 Audience publique du 19 avril 2022 Appel formé par la société anonyme (L) S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 novembre 2021 (n° 45134 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire en matière d’amende administrative Vu l’acte d'appel inscrit sous le numéro 46808C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 20 décembre 2021 par Maître Fabienne RISCHETTE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de la société anonyme (L) S.A., établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 11 novembre 2021 (no 45134 du rôle), par lequel elle a été déboutée de son recours tendant à la réformation d’un arrêté du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 1er juillet 2020 lui ayant infligé une amende administrative de 2.500.- € ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 19 janvier 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 février 2022 par Maître Fabienne RISCHETTE au nom de la partie appelante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mars 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

1Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 24 mars 2022.

Monsieur (T) entra en 2011 sur le territoire luxembourgeois et obtint en date du 8 décembre 2011 de la part du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration une autorisation de séjour temporaire pour une durée de 90 jours au titre de travailleur salarié pour la profession de … « … » dans le secteur HORECA.

Monsieur (T) quitta ensuite pour des raisons personnelles volontairement le territoire luxembourgeois pour y revenir en date du 18 septembre 2012 et se vit accorder en date du 3 décembre 2012 une nouvelle autorisation de séjour temporaire au titre de travailleur salarié pour une occupation de … dans le secteur HORECA.

En date du 19 février 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration accorda à Monsieur (T) un titre de séjour en qualité de travailleur salarié valable jusqu’au 6 décembre 2013.

Le 4 novembre 2013, ledit ministre accorda à l’intéressé un titre de séjour en qualité de travailleur salarié pour toute profession dans tout secteur valable jusqu’au 3 novembre 2016.

En date du 9 mars 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur (T) qu’il était susceptible de bénéficier d’un titre de séjour sur base de l’article 95 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », sous réserve de la production d’un certain nombre de documents.

En date du 29 février 2016, Monsieur (T) fut engagé à durée indéterminée en qualité de « … et … » par la société anonyme (L) S.A., ci-après « (L) ».

Par jugement de la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 14 juillet 2017, Monsieur (T) fut condamné à une peine de réclusion de six ans assortie du sursis intégral pour viol sur un enfant n’ayant pas atteint l’âge de seize ans accomplis, hors d’état de donner un consentement libre, tentative de viol en abusant d’un enfant n’ayant pas atteint l’âge de seize ans accomplis, hors d’état de donner un consentement libre, et attentat à la pudeur sur un enfant n’ayant pas atteint l’âge de seize ans accomplis, les faits à la base de la condamnation s’étant déroulés entre le mois de mars 2013 et le mois d’avril 2014.

Par arrêt du 30 octobre 2018, la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle, confirma la peine de réclusion de six ans prononcée à l’égard de Monsieur (T) tout en disant « qu’il sera sursis à l’exécution de cinq (5) ans de la peine de réclusion de six (6) ans ».

Par une demande datée au 12 juillet 2019, entrée à la Direction de l’Immigration en date du 29 juillet 2019, Monsieur (T) sollicita, par l’intermédiaire de l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés a.s.b.l. (ASTI), le renouvellement de son titre de séjour en qualité de « travailleur salarié ».

2En date du 27 novembre 2019, Monsieur (T) bénéficia d’une libération conditionnelle après avoir été détenu depuis le 17 juin 2019.

Par un courrier du 6 janvier 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa l’intéressé de son intention de ne pas renouveler son titre de séjour en qualité de travailleur salarié, tout en l’invitant à communiquer ses observations ainsi que toutes pièces à l’appui jugées utiles endéans un délai de 30 jours.

Monsieur (T) fit valoir ses observations par des courriers datés aux 16 janvier et 4 février 2020, tandis que par un courrier du 3 février 2020, son mandataire de l’époque présenta également des observations. En outre, par des courriers datés respectivement aux 10 et 20 janvier 2020, ainsi qu’au 4 février 2020, son employeur ainsi que l’ASTI intervinrent en faveur de Monsieur (T).

En date du 21 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile adressa au mandataire de l’intéressé la décision annoncée de ne pas renouveler son titre de séjour en qualité de travailleur salarié et lui impartit un délai de trente jours pour quitter le territoire luxembourgeois.

Ladite décision du 21 février 2020 fut encore notifiée à Monsieur (T) en personne par courrier du ministre du 6 mars 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2020 (n° 44281 du rôle), Monsieur (T) introduisit un recours en annulation contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 février 2020.

Par requête déposée le même jour (n° 44282 du rôle), il fit encore introduire un recours tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde à l’encontre de ladite décision du 21 février 2020 jusqu’à l’intervention d’une décision au fond, demande qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 22 avril 2020.

Par jugement du 12 novembre 2020, le tribunal reçut le recours en annulation en la forme, au fond le déclara non justifié et en débouta Monsieur (T), tout en le condamnant aux frais et dépens de l’instance. Ledit jugement fut réformé par un arrêt de la Cour administrative du 25 mars 2021 (n° 45399C du rôle), arrêt annulant la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 février 2020 portant rejet de la demande de renouvellement du titre de séjour en tant que travailleur salarié de Monsieur (T) et ayant prononcé à son encontre un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Lors d’un contrôle effectué le 30 juin 2020 auprès de (L) par trois inspecteurs principaux du travail de l’Inspection du Travail et des Mines, ci-après « l’ITM », il fut demandé à la gérante de ladite société si Monsieur (T) était toujours occupé en tant que salarié, ce que cette dernière confirma.

Il se dégage d’un rapport de contrôle du 1er juillet 2020 établi par l’ITM que dans la mesure où la gérante de (L) ne disposait pas de la copie du titre de séjour de Monsieur (T) et eu égard au courrier électronique déjà adressé le 16 juin 2020 par un agent de la direction de l’Immigration à l’ITM pour informer celle-ci que la personne en question ne disposait plus d’un titre de séjour valable, l’inspecteur principal du travail, Monsieur (E), ordonna oralement vers 13.25 heures la cessation 3immédiate du travail de Monsieur (T), faute de disposer d’une autorisation de travail, voire d’un titre de séjour en cours de validité, conformément à l’article L. 572-3, paragraphe (1), du Code du travail, respectivement aux dispositions du chapitre 3 de la loi du 29 août 2008. En outre, la gérante de (L) fut informée du fait qu’un courrier recommandé contenant ledit arrêt de travail lui serait envoyé.

Par courrier recommandé du 1er juillet 2020, l’ITM informa (L) des infractions aux articles L. 572-

1 et L. 572-3 du Code du travail, telles que constatées lors du contrôle du 30 juin 2020, tout en lui ordonnant, d’une part, de cesser le travail du salarié concerné avec effet immédiat et, d’autre part, en se basant sur les articles L. 572-7, L. 572-9 et L. 614-4 du Code du travail, de procéder à la résiliation du contrat de travail de celui-ci et de lui faire parvenir, endéans les 15 jours au plus tard, les fiches de salaires et les preuves de paiement de salaires concernant les mois de janvier à juin 2020, ainsi qu’une copie de la lettre de résiliation de son contrat de travail.

Par arrêté du 1er juillet 2020, notifié par courrier recommandé expédié le 27 juillet 2020, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après « le ministre », infligea, en exécution de l’article L. 572-4 du Code du travail, une amende de 2.500.- € à (L), pour avoir employé illégalement un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, à savoir Monsieur (T), de nationalité indienne, arrêté de la teneur suivante :

« (…) Vu l’article L.572-1 du Code du travail qui interdit l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu les articles L.572-4 et L.573-1 du Code du travail relatif aux sanctions administratives et aux instances de contrôle en matière d’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu l’arrêt de travail du 1er juillet 2020 prononcé conformément aux articles L.614-5 et L.573-4 du Code du travail par (E), Inspecteur principal du travail, de l’Inspection du travail et des mines ;

Attendu que Monsieur (T) … (matricule : …), de nationalité indienne, salarié occupé auprès de l’entreprise (L) SA (Matricule : …) sise au …, … à L-… …, en qualité d’employeur, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ne remplit pas les conditions de séjour prévues par le chapitre 3 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Attendu que l’entreprise (L) SA (Matricule : …) sise au …, … à L-… …, préqualifiée, n’a pas été en mesure d’apporter la preuve que le salarié (T) … (matricule : …) dispose d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation de travail, voire d’un titre de séjour en cours de validité, conformément à l’article 572-3, paragraphe 1er du Code du travail ;

Attendu que l’entreprise (L) SA (Matricule : …) sise au …, … à L-… …, préqualifiée, n’a pas notifié dans un délai de 3 jours ouvrables au ministre ayant l’immigration dans ses attributions le début de la période d’emploi du salarié précité conformément à l’article L.572-3, paragraphe 1er du Code du travail ;

4 Arrête :

Art. 1er.- Une amende administrative de 2.500 euros est prononcée à l’encontre de l’entreprise (L) SA (Matricule : …) sise au …, … à L-… …, en qualité d’employeur, en exécution de l’article L.572-4, paragraphe 1er du Code du travail relatif à l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour avoir employé illégalement un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, à savoir Monsieur (T) … (matricule : …), de nationalité indienne.(…) ».

Lors d’un nouveau contrôle effectué le 24 juillet 2020 auprès de (L) par trois inspecteurs de l’ITM, il fut constaté que parmi les douze salariés présents se trouvait de nouveau Monsieur (T).

Il se dégage du rapport de contrôle établi par l’inspecteur principal du travail de l’ITM, Monsieur (E), le même jour, qu’après avoir constaté la présence de Monsieur (T) au sein de l’établissement, l’inspecteur en chef du travail, Madame (N), contacta la direction de l’Immigration pour s’enquérir si Monsieur (T) était en possession d’un titre de séjour et/ou d’une autorisation de séjour pour pouvoir travailler au Luxembourg. Suite au constat que Monsieur (T) se trouvait en séjour illégal sur le territoire luxembourgeois, Madame (N) appela la police grand-ducale à 12.22 heures. Il se dégage encore du rapport en question que vers 13.00 heures, l’inspecteur principal du travail, Monsieur (E), ordonna oralement la cessation immédiate du travail de Monsieur (T), faute pour celui-ci de disposer d’une autorisation de travail, voire d’un titre de séjour en cours de validité, conformément à l’article L. 572-3, paragraphe (1), du Code du travail, respectivement aux dispositions du chapitre 3 de la loi du 29 août 2008. En outre, le gérant de (L) fut informé du fait qu’un courrier recommandé contenant ledit arrêt de travail serait envoyé à la société, ainsi que du fait que comme un arrêt de travail envers Monsieur (T) avait déjà été prononcé le 1er juillet 2020, une amende pour le non-respect de cet arrêt serait prononcée.

Par courrier recommandé du 30 juillet 2020, l’ITM informa (L) des infractions aux articles L.

572-1 et L. 572-3 du Code du travail telles que constatées lors du contrôle du 24 juillet 2020, tout en lui ordonnant, d’une part, de cesser le travail du salarié concerné avec effet immédiat et, d’autre part, en se basant sur les articles L. 572-7, L. 572-9 et L. 614-4 du Code du travail, de procéder à la résiliation du contrat de travail de celui-ci et de lui faire parvenir, endéans les 15 jours au plus tard, les fiches de salaires et les preuves de paiement de salaires pour cette même personne en ce qui concerne les mois de janvier à juin 2020, ainsi qu’une copie de la lettre de résiliation de son contrat de travail.

Par arrêté du même jour, notifié par courrier recommandé expédié le 4 août 2020, le ministre infligea, en exécution de l’article L. 572-4 du Code du travail, une nouvelle amende administrative de 2.500.- € à (L).

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2020 (n° 45134 du rôle), (L) fit introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 1er juillet 2020 lui ayant infligé une amende administrative de 2.500.- € pour avoir employé illégalement un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier.

5Par jugement du 11 novembre 2021, le tribunal rejeta la demande de jonction avec l’affaire introduite en date du 3 novembre 2020 (n° 45170 du rôle) et visant l’amende administrative de 2.500.- € prononcée par le ministre le 30 juillet 2020, reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié, partant en débouta (L), rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la société demanderesse, ainsi que la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel et condamna l’(L)aux frais et dépens de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal, après avoir rejeté plusieurs moyens ayant trait à la légalité externe de l’arrêté litigieux, constata que l’amende administrative en cause était motivée par le fait que (L) avait occupé Monsieur (T) illégalement et avait ainsi contrevenu aux articles L. 572-1 et L. 572-3 du Code du travail, ce dernier, ressortissant de pays tiers, n’ayant disposé ni d’un titre de séjour, ni d’une autorisation de travail en cours de validité.

Il releva ensuite qu’en interdisant l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et en imposant aux employeurs non seulement d’exiger que les ressortissants de pays tiers, avant d’occuper l’emploi, disposent d’une autorisation de séjour ou d’un titre de séjour et les présentent à l’employeur, mais également de tenir, pendant la durée de la période d’emploi, une copie de l’autorisation de séjour ou du titre de séjour, en vue d’une éventuelle inspection, les articles L. 572-1 et L. 572-3 du Code du travail devaient nécessairement être lus en ce sens que les employeurs sont tenus non seulement de vérifier au moment de l’embauche d’un ressortissant de pays tiers si celui-ci dispose d’un titre de séjour, voire d’une autorisation de séjour, mais qu’ils doivent, par ailleurs, s’assurer tout au long de la période d’emploi que la situation administrative de la personne concernée est en règle.

Sur ce, le tribunal constata que Monsieur (T) bénéficiait d’un titre de séjour valable lorsqu’il a commencé à travailler pour (L), d’abord à partir du 8 juin 2015 dans le cadre d’un stage de réinsertion professionnelle et ensuite, à partir du 1er mars 2016 sur base d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il nota encore que s’il se dégageait des éléments du dossier que Monsieur (T) avait sollicité en juillet 2019 le renouvellement de son titre de séjour au vu de la validité de celui-

ci jusqu’en octobre 2019, il n’en restait pas moins que faute de renouvellement avant l’arrivée à son terme, ce titre avait expiré le 18 octobre 2019. Le tribunal releva ensuite que, par décision du 21 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile avait décidé de ne pas renouveler le titre de séjour de l’intéressé tout en constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, conformément à l’article 100, paragraphe (1), point c), de la loi du 29 août 2008 et lui avait ordonné de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. En outre, les premiers juges retinrent que la circonstance que, par arrêt de la Cour administrative du 25 mars 2021 (n° 45399C du rôle), la décision ministérielle du 21 février 2020 a été annulée et que le dossier a été renvoyé en prosécution de cause devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile ne changeait rien au fait qu’au moment du contrôle du 30 juin 2020, le titre de séjour de Monsieur (T) avait expiré et qu’au moment de ce contrôle, (L)L)n’était pas en mesure de remettre une copie d’une autorisation de séjour, voire d’un titre de séjour en cours de validité dans le chef de Monsieur (T), ou bien de prouver que celui-ci disposait d’une telle autorisation et que son séjour était régulier.

Finalement, le tribunal rejeta encore l’argumentation de l’(L)que les conditions de la libération conditionnelle de Monsieur (T) auraient équivalu à une autorisation de séjour, voire à un titre de 6séjour en cours de validité, respectivement que l’ITM aurait dû s’enquérir auprès du Procureur d’Etat de la situation administrative et légale de Monsieur (T) avant de retenir que celui-ci était en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, au motif que seul le ministre de l’Immigration et de l’Asile était l’autorité compétente pour délivrer une autorisation de séjour, voire un titre de séjour à un ressortissant de pays tiers sur base de la loi du 29 août 2008.

Il arriva dès lors à la conclusion que les constats de l’inspecteur principal du travail de l’ITM effectués lors du contrôle du 30 juin 2020, à savoir que Monsieur (T) n’était pas en possession d’une autorisation de séjour, voire d’une autorisation de travail en cours de validité n’avaient pas été utilement renversés par l’(L)et que le ministre, par application de l’article L. 572-1, paragraphe (1), du Code du travail avait valablement pu prononcer l’amende administrative en cause.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 20 décembre 2021, l’(L)a régulièrement relevé appel du jugement du 11 novembre 2021.

Après avoir rappelé les faits et rétroactes de l’affaire, l’appelante se rapporte à prudence de justice quant à une éventuelle jonction de l’affaire avec le recours toisé par un jugement du tribunal administratif également daté au 11 novembre 2011 (n° 45170 du rôle) et visant un arrêté du ministre du 30 juillet 2020 par lequel elle s’était vu infliger une nouvelle amende administrative de 2.500.- €, ledit jugement ayant également été entrepris par une requête d’appel du 20 décembre 2021 (n° 46807C du rôle).

C’est cependant à bon droit que le tribunal a rejeté cette demande de jonction.

En effet, il y a lieu de relever qu’une demande de jonction est justifiée par le souci d’une bonne administration de la justice et dans la mesure où les affaires concernent les mêmes parties et qu’elles ont trait au même objet. Or, si en l’espèce les deux affaires concernent les mêmes parties et visent toutes les deux des amendes administratives infligées par le ministre en date des 1er et 30 juillet 2020 à l’encontre de (L) pour avoir employé illégalement un ressortissant d’un pays tiers, en l’occurrence Monsieur (T), lesdites affaires ont néanmoins un objet différent en ce qu’ils visent des actes juridiquement distincts, à savoir deux arrêtés ministériels se basant sur des constats distincts effectués par l’ITM.

Quant au fond, (L) base son argumentation sur le constat que par l’arrêt précité du 25 mars 2021 (n° 45399C du rôle), la Cour administrative a réformé le jugement du tribunal administratif du 12 novembre 2020 et annulé la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 février 2020 portant rejet de la demande de renouvellement du titre de séjour en tant que travailleur salarié de Monsieur (T) et prononçant à son égard un ordre de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

L’appelante précise qu’à la suite dudit arrêt de la Cour administrative, l’arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire a été rapporté par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 avril 2021 et que l’intéressé a obtenu un titre de séjour mentionnant comme date de délivrance le 18 octobre 2019 et valable jusqu’au 17 octobre 2022. Elle estime dès lors que les amendes infligées à son encontre ne sont plus fondées et que les premiers juges auraient en conséquence dû réformer l’arrêté du ministre du 1er juillet 2020.

7L’appelante relève encore que Monsieur (T) disposait d’un titre de séjour valable au moment du début de la relation de travail en 2015 et qu’à partir de 2016 ce dernier bénéficiait d’un contrat de travail à durée indéterminée et qu’il n’appartiendrait pas à l’employeur de vérifier quotidiennement si la situation administrative de son salarié n’avait pas changé. Tout en concédant que le titre de séjour de Monsieur (T) avait expiré le 18 octobre 2019, l’appelante note que ce n’est que par une décision du 21 février 2020 que le ministre de l’Immigration et de l’Asile avait décidé de ne pas renouveler le titre de séjour au profit de Monsieur (T), décision annulée par la suite par l’arrêt précité de la Cour administrative du 25 mars 2021. Partant, Monsieur (T) aurait obtenu de manière rétroactive un titre de séjour à compter du 18 octobre 2019 et les amendes prononcées par le ministre auraient perdu leur fondement et ne seraient plus justifiées.

Finalement, (L) estime encore que la partie étatique ferait abstraction totale des conditions imposées à Monsieur (T) au moment de sa libération conditionnelle intervenue le 27 novembre 2019 et spécifiant que ce dernier devrait travailler de manière régulière ou chercher activement un travail.

La partie étatique demande la confirmation pure et simple du jugement entrepris en se ralliant pleinement aux développements et conclusions du tribunal administratif.

Aux termes de l’article L. 572-1 du Code du travail :

« L’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier est interdit. ».

L’article L. 572-3 du Code du travail énonce, quant à lui, que :

« 1) L’employeur d’un ressortissant de pays tiers est obligé :

1. d’exiger que les ressortissants de pays tiers, avant d’occuper l’emploi, disposent d’une autorisation de séjour ou d’un titre de séjour et les présentent à l’employeur ;

2. de tenir, pendant la durée de la période d’emploi, une copie de l’autorisation de séjour ou du titre de séjour, en vue d’une éventuelle inspection ;

3. de notifier au ministre ayant l’immigration dans ses attributions le début de la période d’emploi d’un ressortissant de pays tiers dans un délai de trois jours ouvrables à compter du premier jour de travail du ressortissant d’un pays tiers.

(2) Le délai prévu au paragraphe (1) point 3 est de sept jours ouvrables à compter du premier jour de travail si l’employeur est une personne physique et qu’il s’agit d’un emploi à des fins privées.

(3) L’employeur qui a rempli les obligations prévues au paragraphe (1) ne peut être tenu pour responsable d’une violation de l’interdiction visée à l’article L. 572-1 à moins qu’il n’ait eu connaissance que le document présenté comme autorisation de séjour ou comme titre de séjour était faux. (…) ».

C’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’article L. 572-1 du Code du travail consacre une interdiction de principe d’employer des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tandis que l’article L. 572-3 dudit code prévoit les obligations de l’employeur en matière 8d’emploi de ressortissants de pays tiers, à savoir, d’une part, d’exiger que ces personnes disposent d’une autorisation de séjour ou d’un titre de séjour avant d’occuper l’emploi en question et, d’autre part, pendant la période d’occupation, de tenir une copie de l’autorisation de séjour ou du titre de séjour, en vue d’une éventuelle inspection, ainsi que de notifier au ministre ayant l’immigration dans ses attributions le début de la période d’emploi dans un délai de trois jours ouvrables à compter du premier jour de travail du ressortissant d’un pays tiers.

Le tribunal a encore relevé à juste titre qu’il se dégage plus particulièrement du rapport de l’ITM du 30 juin 2020, suite au contrôle sur place effectué le même jour, de même que de l’injonction du 1er juillet 2020 adressée à l’appelante que lors du contrôle en question, la gérante de (L) avait déclaré que Monsieur (T) travaillait pour sa société mais qu’il lui était impossible de remettre une copie du titre de séjour de celui-ci et de prouver que ce dernier disposait d’une autorisation de séjour, voire d’un titre de séjour valable. Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit que le ministre a conclu à une violation des articles L. 572-1 et L. 572-3 précités du Code du travail.

Finalement, c’est encore à bon escient que les premiers juges ont relevé que les articles L. 572-1 et L. 572-3 du Code du travail doivent nécessairement être lus en ce sens que les employeurs sont tenus non seulement de vérifier au moment de l’embauche d’un ressortissant de pays tiers si celui-ci dispose d’un titre de séjour, voire d’une autorisation de séjour, mais qu’ils doivent, par ailleurs, s’assurer tout au long de la période d’emploi que la situation administrative de la personne concernée est en règle.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que Monsieur (T) bénéficiait d’un titre de séjour valable, d’abord à partir du 8 juin 2015 dans le cadre d’un stage de réinsertion professionnelle et ensuite, à partir du 1er mars 2016, sur base d’un contrat de travail à durée indéterminée et il se dégage encore des éléments du dossier et que celui-ci a sollicité le 12 juillet 2019 le renouvellement de son titre de séjour en qualité de « travailleur salarié », au vu de la date d’expiration de celui-ci fixée au 18 octobre 2019.

Il est certes exact, tel qu’argumenté par l’appelante, que la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 février 2020, décidant de ne pas renouveler le titre de séjour de Monsieur (T) et constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours, a été annulée par arrêt de la Cour administrative du 25 mars 2021.

La Cour constate que les parties sont précisément en désaccord quant aux conséquences à tirer dudit arrêt, l’appelante faisant précisément plaider sur ce point que par l’effet de l’arrêt du 25 mars 2021, Monsieur (T) aurait obtenu de manière rétroactive un titre de séjour et que les amendes prononcées par le ministre auraient perdu leur fondement et ne seraient plus justifiées, tandis que la partie étatique soutient que ledit arrêt ne changerait rien au fait qu’aussi bien au moment du contrôle de l’ITM en date du 30 juin 2020 qu’au moment du contrôle subséquent du 24 juillet 2020 le titre de séjour de Monsieur (T) avait expiré.

Or, la Cour, à l’instar du tribunal, retient que l’arrêt de la Cour administrative du 25 mars 2021 n’ébranle pas le constat qu’aussi bien au moment du contrôle en date du 30 juin 2020 qu’au moment du contrôle subséquent en date du 24 juillet 2020, le titre de séjour de Monsieur (T) avait 9expiré et que (L) ne pouvait ignorer que Monsieur (T) se trouvait en séjour irrégulier à ces moments précis, étant donné que la situation administrative de ce dernier n’avait pas encore été régularisée au courant de l’été 2020.

La Cour arrive dès lors à la conclusion que l’appelante a contrevenu aux articles L. 572-1 et L. 572-3 du Code du travail et que les amendes prononcées par le ministre à l’encontre de l’employeur de Monsieur (T), sur base de l’article L. 572-4, paragraphe (1), du Code du travail, se trouvent justifiées quant à leur principe.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’argumentaire de l’appelante tiré des conditions imposées à Monsieur (T) au moment de sa libération conditionnelle intervenue le 27 novembre 2019 et spécifiant que ce dernier devrait travailler de manière régulière ou chercher activement un travail et que lesdites conditions seraient équivalentes à une autorisation de séjour, voire un titre de séjour en cours de validité. En effet, tel que relevé par les premiers juges, la seule autorité compétente pour délivrer un titre de séjour est le ministre de l’Immigration et de l’Asile et le Procureur Général d’Etat, responsable pour décider sur les modalités d’exécution d’une peine, notamment au moment d’une libération conditionnelle, n’a pas compétence pour délivrer un titre de séjour, ce d’autant plus que dans le cas d’espèce, il n’est même pas soutenu que ce dernier, à la date de la libération conditionnelle du 27 novembre 2019, avait été au courant que le titre de séjour de Monsieur (T) était venu à expiration le 18 octobre de la même année.

Cependant, il convient de rappeler que dans le cadre d’un recours en réformation le juge administratif est appelé à statuer à nouveau, en lieu et place de l'administration, sur tous les aspects d'une décision administrative querellée. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l'administration a prise sur base d'une situation de droit et de fait telle qu'elle s'est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l'appréciation de l'administration, mais elle l'appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l'administration et des administrés concernés (cf. Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et autres références y citées).

Or, au vu des circonstances particulières du dossier, et eu égard notamment au constat que la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 février 2020, décidant de ne pas renouveler le titre de séjour de Monsieur (T) venu à expiration dès le 18 octobre 2019, a été annulée par arrêt de la Cour administrative du 25 mars 2021 et que celui-ci s’est vu délivrer par la suite un titre de séjour avec comme date de délivrance le 18 octobre 2019 et comme date d’expiration le 17 octobre 2022, document régularisant a posteriori la situation administrative de ce dernier, la Cour, en tenant compte du changement de la situation factuelle et de l’ordonnancement juridique en découlant à la suite dudit arrêt, par réformation partielle du jugement entrepris du 11 novembre 2021, fixe l’amende administrative, initialement prononcée par arrêté ministériel du 1er juillet 2020, ex aequo et bono, au montant de 500.- €.

La partie appelante sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de ….- € pour la première instance et de ….- € pour l’instance d’appel.

10 Ces demandes sont cependant à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;

reçoit l'appel du 20 décembre 2021 en la forme ;

déclare l’appel partiellement fondé ;

partant, par réformation du jugement du 11 novembre 2021, réduit l’amende administrative initialement prononcée à l’encontre de la société anonyme (L) S.A. par arrêté du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 1er juillet 2020 au montant de 500.- € ;

pour le surplus, déclare l’appel non justifié, en déboute l’appelante et confirme le jugement du 11 novembre 2021 dans cette mesure ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire ;

déboute la société anonyme (L) S.A. de ses demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;

fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié à la société anonyme (L) S.A. et pour moitié à l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46808C
Date de la décision : 19/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-04-19;46808c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award