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29/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46863C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 29 mars 2022, 46863C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46863C ECLI:LU:CADM:2022:46863 Inscrit le 5 janvier 2022 Audience publique du 29 mars 2022 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2021 (n° 44344 du rôle) ayant statué sur un recours de Monsieur (S) et consort, …, contre une décision du ministre du l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 46863C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 janvier 2022 pa

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46863C ECLI:LU:CADM:2022:46863 Inscrit le 5 janvier 2022 Audience publique du 29 mars 2022 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2021 (n° 44344 du rôle) ayant statué sur un recours de Monsieur (S) et consort, …, contre une décision du ministre du l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 46863C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 janvier 2022 par Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI, munie à cet effet d’un mandat lui conféré par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 20 décembre 2021, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 29 novembre 2021 (n° 44344 du rôle) ayant déclaré fondé le recours de Monsieur (S), né le … à … (Syrie), et de son épouse, Madame (F), née le … à …, tous les deux apatrides, déclarant demeurer ensemble à L-… …, …, …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 janvier 2020 portant rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de leur fils, Monsieur (G), né le … à …, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 24 janvier 2020 intervenue sur recours gracieux, tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 1er février 2022 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (S) et de son épouse, Madame (F), préqualifiés ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 22 mars 2022.

1En date du 5 juillet 2018, Monsieur (S) et son épouse, Madame (F), ci-après « les consorts S-F », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Par décision du 31 octobre 2018, notifiée en mains propres aux intéressés le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », accorda aux (S-F), le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 30 octobre 2023.

Par courrier de leur mandataire du 31 janvier 2019, les (S-F) introduisirent une demande de regroupement familial au sens de l’article 69, paragraphe (2), de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de leurs deux filles majeures, Madame (N) et Madame (E), de leur fils mineur, Monsieur (G), ainsi que de la sœur de Monsieur (S), Madame (M), tout en joignant à ladite demande une copie de la décision précitée du 31 octobre 2018 leur accordant le statut de réfugié, ainsi qu’une « copie certifiée conforme de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe », et en expliquant qu’« en raison de la situation d’insécurité en Syrie, [ils devraient] faire face à des difficultés pour obtenir le reste des documents à l’appui de leur présente demande ».

Le ministre prit position par rapport à cette demande à travers un courrier du 11 février 2019 libellé comme suit :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 1[er] février 2019 respectivement votre télécopie qui m'est parvenu[e] en date du 31 janvier 2019.

Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que conformément à l'article 23 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, seules les demandes comportant les indications et éléments requis feront l'objet d'un examen.

Etant donné que votre demande ne comporte qu'un document non traduit, je ne suis pas en mesure d'établir le lien familial entre vos mandants et les personnes à regrouper ni une identité des personnes à regrouper.

Je tiens à vous informer que l'article 69, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration n'est plus applicable étant donné que le lien familial n'a pas pu être établi endéans le délai des trois mois suivant la notification du statut de réfugiée à votre mandant.

Subsidiairement, je tiens à vous informer que conformément à l'article 70, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, 2le regroupement familial se limite aux descendants célibataires de moins de dix-huit ans et que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu. (…) ».

Par un courrier de leur mandataire du 9 septembre 2019, les (S-F) expliquèrent qu’en raison de la situation d’insécurité généralisée et du « climat de panique » à … (Syrie), ils auraient été dans l’impossibilité de communiquer, au moment du dépôt de leur demande de regroupement familial, toutes les pièces utiles à l’évaluation du lien familial entre eux et les personnes à regrouper, ainsi que celles utiles à l’identification respective des personnes concernées, tout en transmettant à l’appui dudit courrier un certain nombre de pièces établissant, selon eux, le lien familial entre eux et toutes les personnes à regrouper, ainsi que l’identification de celles-ci.

Par décision du 5 novembre 2019, le ministre refusa notamment de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef des filles majeures des (S-F), Madame (N) et Madame (E), tout en invitant les demandeurs, pour ce qui est de la demande de regroupement familial dans le chef de leur fils mineur (G), de lui faire parvenir un certain nombre de documents. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 10 septembre 2019.

I.

Demande de regroupement familial en faveur de Madame (M) Je me permets de vous rappeler que conformément à l'article 23 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, seules les demandes comportant les indications et éléments requis feront l'objet d'un examen.

Or, votre demande du 26 [9] septembre 2019 ne comportait aucun document sur la personne à regrouper de sorte que je n'étais pas en mesure d'établir une identité ni un lien familial entre votre mandant et le membre de sa famille pour lequel la demande était introduite.

Afin de prendre connaissance des documents à joindre à une demande d'autorisation de séjour, je vous invite à consulter le site http://www.guichet.public.lu/citoyens/fr/imnnigration/plus-3-mois/index.html.

Je tiens en outre à vous informer que le délai de trois mois suivant la notification du statut de réfugié à vos mandants (31 octobre 2018) prévu par l'article 69, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration est largement dépassé et que cette disposition légale ne peut par conséquent plus s'appliquer à la demande de regroupement familial de votre mandant.

À titre d'information, je me permets de vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

3II.

Demande de regroupement familial en faveur des enfants majeurs de vos mandants Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 70, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, le regroupement familial se limite aux descendants célibataires de moins de dix-huit ans.

Etant donné que les filles de vos mandants, Madame (N) et Madame (E) sont nées en … respectivement en …, elles ne remplissent en conséquent pas cette condition.

Par ailleurs, vous ne prouvez pas que vos mandants disposent des ressources régulières et suffisantes ainsi que d'un logement approprié sur le territoire luxembourgeois conformément à l'article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée.

Le regroupement familial leur est en conséquence refusé conformément aux articles 75, point 1 et 101, paragraphe (1), point 1 de la même loi.

III.

Demande de regroupement familial en faveur du fils mineur de vos mandants Avant tout progrès en cours et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir les documents suivants qui n'étaient pas joints à la demande :

 La preuve que vos mandants disposent des ressources régulières et suffisantes pour subvenir à leurs besoins ainsi qu'à ceux de leur fils ;

 La preuve que vos mandants disposent d'un logement approprié sur le territoire luxembourgeois ainsi que l'accord écrit du propriétaire, accompagné d'une pièce d'identité, à y loger une personne supplémentaire ;

 La preuve que le fils de vos mandants dispose d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage).

Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe.

Veuillez nous adresser les documents demandés en un seul envoi, conjointement avec la présente. (…) ».

Par un courrier du 2 décembre 2019, les (S-F) introduisirent par l’intermédiaire de leur mandataire un « recours gracieux » contre la décision du 5 novembre 2019 en ce qu’elle porte refus de faire droit à leur demande de regroupement familial dans le chef de leur fils mineur, tout en y joignant un certain nombre de documents, à savoir un certificat de résidence, un contrat du 12 avril 2019 de mise à disposition et d’utilisation d’un appartement, un contrat d’assurance-voyage au bénéfice de leur fils, ainsi qu’un certificat du Fonds national de solidarité concernant l’allocation d’inclusion.

4Par courrier du 12 décembre 2019, le mandataire des (S-F) expliqua que son courrier du 2 décembre 2019 ne serait pas à qualifier de recours gracieux, mais comme simple courrier explicatif accompagné des pièces sollicitées, tout en demandant au ministre d’analyser la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (G) au fond.

Par décision du 2 janvier 2020, le ministre refusa de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (G). Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 3 décembre 2019.

Tout d'abord, je tiens à vous informer que l'article 69, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l'immigration n'est pas applicable, étant donné que la demande de regroupement familial en faveur du fils de vos mandants n'a pas été introduite endéans un délai de trois mois suivant la notification du statut de réfugié à vos mandants.

Ensuite, je tiens à vous rappeler, que, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Par conséquent, vos mandants doivent remplir les conditions de l'article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée et ils doivent donc prouver qu'ils disposent de ressources suffisantes et personnelles ainsi que d'un logement approprié sur le territoire luxembourgeois.

Au vu des développements qui précèdent, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, en application de l'article 69, paragraphe (1) de loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, je vous signale que le ressortissant de pays tiers peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l'article 70 s'il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale.

Conformément à l'article 6, paragraphe (1) du règlement grand-ducal modifié du 1er août 2018, l'évolution prospective de la probabilité de maintien des ressources stables, régulières et suffisantes est fondée sur un pronostic selon lequel les ressources pourront raisonnablement être disponibles durant l'année suivante de la date de dépôt de la demande de regroupement familial, de sorte que le regroupant ne doit pas recourir au système d'aide sociale.

Le ministre peut tenir compte des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé la demande.

5Or, vu que le ménage de vos mandants bénéficie d'une allocation d'inclusion, vos mandants ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre de pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux des membres de famille à leur charge sans recourir au système d'aide sociale.

A titre subsidiaire, Monsieur (G) n'apporte pas de preuve qu'il remplit les conditions afin de pouvoir bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, en application des articles 75, point 1. et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée, l'autorisation de séjour lui est refusée.

Veuillez nous adresser les documents demandés en un seul envoi, conjointement avec la présente. (…) ».

Suite au recours gracieux introduit le 13 janvier 2020 par le mandataire des (S-F) à l’encontre de la décision précitée du 2 janvier 2020, le ministre confirma le 24 janvier 2020 sa décision initiale, à défaut d’éléments pertinents nouveaux. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu par télécopie en date du 14 janvier 2020.

Je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 2 janvier 2020 dans son intégralité.

Je tiens à vous rappeler, que, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Or, étant donné que la demande du 31 janvier 2019 ne comportait aucun document traduit, je n’étais pas en mesure d’établir le lien familial entre vos mandants et les personnes à regrouper, ni une identité des personnes à regrouper, ce qui vous a déjà été communiqué lors de mon courrier du 11 février 2019. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 avril 2020 (n° 44344 du rôle), les (S-F) introduisirent un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 2 janvier 2020 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de leur fils mineur, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 24 janvier 2020, intervenue sur recours gracieux.

Par jugement du 29 novembre 2021, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçut le recours principal en annulation en la forme, au fond, le déclara justifié et annula la décision ministérielle du 2 janvier 2020, ainsi que la décision ministérielle confirmative du 24 janvier 2020, tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

6 Le tribunal rappela en premier lieu que le regroupement familial avait pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence, bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille et que, d’après les termes de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le bénéficiaire d’une protection internationale disposait de conditions moins restrictives s’il demandait le regroupement familial dans les trois mois de l’obtention de son statut.

Les premiers juges relevèrent ensuite que sous condition du respect des conditions fixées à l’article 69 de la loi du 29 août 2008 dans le chef du regroupant, et dans la mesure où ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’article 70 de ladite loi permettait dès lors le regroupement des enfants célibataires de moins de 18 ans du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

Ensuite, les premiers juges, après avoir cité l’article 73 de la loi du 29 août 2008, rappelèrent que la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille devait être accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille, sans toutefois que la seule absence de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, dont l’existence peut d’ailleurs être établie par tout moyen de preuve, ne pouvait motiver le rejet d’une demande de regroupement familial.

Le tribunal constata ensuite qu’à l’appui de leur demande du 31 janvier 2019, les (S-F) avaient rappelé avoir obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle du 31 octobre 2018, y avaient joint ladite décision et avaient indiqué qu’ils sollicitaient le regroupement familial au bénéfice notamment de leur fils mineur avec qui ils auraient toujours vécu en famille avant d’avoir dû quitter la Syrie, tout en y joignant une copie certifiée conforme à l’original de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe avec la précision qu’« en raison de la situation d’insécurité en Syrie, [ils devraient] faire face à des difficultés pour obtenir le reste des documents à l’appui de leur présente demande ».

Sur ce, le tribunal rappela que l’article 73, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 ne permettait pas de rejeter une demande de regroupement familial au seul motif d’une absence de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et que pareille demande ne pouvait pas non plus être considérée comme incomplète et partant comme non introduite au regard du respect de la condition de délai inscrite à l’article 69, paragraphe (3), de ladite loi. Il releva, en outre, que les dispositions relatives à l’autorisation de séjour du membre de famille d’un ressortissant de pays tiers, telles que prévues aux articles 68 et suivants de la loi du 29 août 2008, ne pouvaient pas être interprétées trop restrictivement dans le sens que seule une demande complète, c’est-à-dire accompagnée de tous les éléments justificatifs nécessaires, pourrait être prise en considération.

Tout en constatant que le document en langue arabe que les (S-F) avaient joint à leur demande de regroupement familial n’avait pas été traduit, le tribunal nota que ce document établissait néanmoins le lien familial entre les demandeurs et leur fils mineur, même si ceux-ci déclaraient se trouver dans l’impossibilité de fournir, à l’appui de leur demande, « le reste des documents ».

7Partant, le tribunal retint que la demande ainsi introduite valait demande au sens de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, introduite dans le délai requis, tout en relevant que le document litigieux devait être considéré comme un commencement ou un indice de preuve de l’existence d’un lien de famille entre eux et la personne à regrouper, leur permettant de compléter leur demande même après l’expiration du délai de trois mois.

Partant, le tribunal arriva à la conclusion que c’était à tort que le ministre a refusé d’appliquer le paragraphe (3) de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 et qu’il a examiné le bien-fondé de la demande de regroupement familial des (S-F) sur base du paragraphe (1) du même article et il annula en conséquence les décisions déférées, tout en renvoyant le dossier en prosécution de cause au ministre.

Le 5 janvier 2022, l’Etat a régulièrement fait entreprendre le jugement du 29 novembre 2021.

Le délégué du gouvernement déclare en premier lieu compléter la motivation à la base des décisions déférées en soutenant que le ministre n’aurait pas écarté l’application de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 du fait de la seule absence de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, mais également « du fait de l’absence totale d’un quelconque élément de preuve par tout moyen des liens familiaux dans le délai légal de trois mois ».

Contrairement à l’appréciation du tribunal, une pièce en langue arabe, non traduite, serait totalement inintelligible et ne pourrait en aucun cas être admise comme étant un commencement de preuve ou un indice de preuve de l’existence d’un lien de famille. Le délégué du gouvernement constate encore que ce document, versé avec la télécopie du 31 janvier 2019 du mandataire des intimés, a été établi, selon la traduction conforme du 22 mai 2019, déjà en date du 25 juillet 2017, soit avant même l’introduction de la demande de protection internationale des (S-F). Partant, ceux-

ci auraient parfaitement pu traduire ledit document en temps utile et seraient dès lors malvenus d’invoquer une prétendue situation sécuritaire en Syrie pour expliquer le dépôt tardif de la traduction de ce document, ladite allégation ne pouvant être considérée comme une circonstance particulière rendant objectivement excusable l’introduction tardive de la demande.

Partant, le jugement dont appel serait à réformer.

Les intimés concluent au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo.

Il est constant en cause que les (S-F) bénéficient d’une protection internationale pour s’être fait reconnaître, par décision ministérielle du 31 octobre 2018, le statut de réfugié.

C’est en cette qualité qu’en date du 31 janvier 2019, ils ont introduit auprès du ministre une demande tendant, entre autre, au regroupement familial avec leur fils mineur (G), né le …, tout en y joignant une copie certifiée conforme de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe.

Cette demande a finalement été rejetée par le ministre par une décision du 2 janvier 2020, confirmée sur recours gracieux, par une décision du 24 janvier 2020.

8L’article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit :

« Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an et qui a une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour de longue durée et qui séjourne depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l'article 70, s'il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d'un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille ».

L’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 prévoit que :

« Le bénéficiaire d'une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l'article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l'octroi d'une protection internationale ».

Quant à l’article 70, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, il énonce que :

« Sans préjudice des conditions fixées à l'article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu'ils ne représentent pas un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l'entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants: (…) c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d'en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ».

Enfin, en vertu de l’article 73, paragraphes (1) à (3), de la loi du 29 août 2008 :

« (1) La demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

(2) Pour obtenir la preuve de l'existence de liens familiaux, le ministre ou l'agent du poste diplomatique ou consulaire représentant les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg dans le pays d'origine ou de provenance du membre de la famille, peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant ou les membres de famille, ainsi qu'à tout examen et toute enquête jugés utiles.

9 (3) Lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial ».

En l’espèce, la solution du litige est fondamentalement conditionnée par la question de savoir si la demande a été introduite dans le délai de trois mois prévu par l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le ministre reprochant aux (S-F) de ne pas avoir accompagné leur demande de pièces justificatives prouvant le lien familial avec leur fils mineur (G) conformément à l’article 73, paragraphe (1), de ladite loi, le délégué du gouvernement ayant encore complété dans son acte d’appel le motif de refus en ajoutant une absence totale d’un élément de preuve du lien familial mis en avant dans le délai légal de trois mois.

A l’instar des premiers juges, la Cour constate qu’à l’appui de leur demande du 31 janvier 2019, les (S-F) ont versé la décision ministérielle du 31 octobre 2018 leur accordant le statut de réfugié et ont indiqué qu’ils sollicitent le regroupement familial notamment avec leur fils mineur avec qui ils auraient toujours vécu en famille avant d’avoir dû quitter la Syrie, en se prévalant « des dispositions de l’article 56 de la loi du 18 décembre 201[5] (…) et de l’article 69 (2) de la loi modifiée du 29 aout 2008 (…) », tout en y joignant une copie certifiée conforme à l’original de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe et en précisant qu’« en raison de la situation d’insécurité en Syrie, [ils devraient] faire face à des difficultés pour obtenir le reste des documents à l’appui de leur présente demande ».

La Cour relève ensuite qu’il se dégage du dossier administratif que la copie certifiée conforme à l’original de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe a fait l’objet d’une traduction le 22 mai 2019 par une traductrice assermentée et déposée au ministère en annexe à un courrier du mandataire des (S-F) daté au 9 septembre 2019, ensemble avec d’autres pièces, dont la copie certifiée conforme à l’original du passeport d’(G), ainsi que la copie de l’extrait du casier judiciaire de celui-ci.

En outre, il ressort du rapport d’entretien sur la demande de protection internationale de Madame (F) du 25 septembre 2018 que les (S-F) y ont indiqué la date de naissance de leur fils mineur (G) (…) avec comme lieu de résidence actuel la ville de … en Syrie.

En présence de ces éléments objectifs se dégageant du dossier, la Cour ne partage pas l’argumentation de la partie étatique consistant à soutenir que les (S-F) n’auraient pas appuyé leur demande de regroupement familial en faveur de leur fils (G) par des pièces justificatives prouvant le lien familial conformément à l’article 73, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 et que ladite demande ne pourrait pas faire l’objet d’un examen en application des conditions plus favorables prévues à l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, étant relevé que les décisions ministérielles déférées ont été prises en dates des 2 et 24 janvier 2020, soit postérieurement au dépôt des pièces complémentaires intervenu en annexe au courrier du 9 septembre 2019.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que puisqu’en vertu de l’article 73, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, la seule absence de pièces justificatives ne peut pas motiver une décision de 10rejet de la demande de regroupement familial, l’on ne saurait interpréter trop restrictivement la notion de demande en considérant que seule une « demande complète », c’est-à-dire la requête de bénéficier du regroupement familial accompagnée de tous les éléments justificatifs nécessaires, vaudrait « demande » au sens de la loi du 29 août 2008 (cf. Cour adm. 5 octobre 2021, n° 45914C du rôle).

Contrairement aux développements de la partie étatique en relation avec ledit arrêt de la Cour administrative du 5 octobre 2021, affaire dans laquelle la demande de regroupement familial ne comportait aucun document concernant la personne à regrouper et aucune indication quant aux difficultés de se procurer des pièces justificatives, les (S-F) avaient appuyé leur demande du 31 janvier 2019 en versant une copie certifiée conforme à l’original de l’extrait du registre des arabes-palestiniens en langue arabe et en précisant ne pas pouvoir fournir pour le moment d’autres documents en raison de la situation d’insécurité en Syrie, étant relevé que ceux-ci ont encore versé en date du 9 septembre 2019 des pièces complémentaires établissant à l’exclusion de tout doute le lien familial avec leur fils (G), né le ….

Partant, à l’instar du tribunal, la Cour retient que les dispositions relatives à l’autorisation de séjour du membre de famille d’un ressortissant de pays tiers, telles que prévues aux articles 68 et suivants de la loi du 29 août 2008, ne sauraient être interprétées restrictivement, ceci plus particulièrement au regard du délai relativement court prévu à l’article 69, paragraphe (3), de la même loi afin de pouvoir profiter des conditions plus favorables en vue d’un regroupement familial, d’une part, et des difficultés auxquelles peuvent être confrontés les membres de famille d’un bénéficiaire de protection internationale dans leur pays d’origine afin de se procurer les documents nécessaires en vue de prouver leur identité et/ou les liens familiaux, d’autre part.

Au vu de ce qui précède, c’est à tort que la partie étatique fait état d’une « absence totale d’un quelconque élément de preuve par tout moyen des liens familiaux dans le délai légal de trois mois » et admettre, en l’espèce, la thèse défendue par la partie étatique reviendrait à verser dans un formalisme excessif contraire à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale.

A l’instar des premiers juges, la Cour arrive à la conclusion que c’est à tort que le ministre a refusé d’appliquer l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 et qu’il a examiné le bien-fondé de la demande de regroupement familial des (S-F) au profit de leur fils (G) sur base du paragraphe (1) dudit article.

Au vu de ce qui précède, l’appel laisse d’être fondé et il y a lieu d’en débouter la partie étatique.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 5 janvier 2022 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute la partie étatique ;

11 partant, confirme le jugement entrepris du 29 novembre 2021 ;

condamne l’Etat aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46863C
Date de la décision : 29/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-29;46863c ?

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