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24/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 24 mars 2022, 46/22


N° 46 / 2022 Numéro CAS-2021-00051 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-quatre mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, John PETRY, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) S) et son épouse 2) P), demandeurs en c

assation, comparant par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile e...

N° 46 / 2022 Numéro CAS-2021-00051 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-quatre mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, John PETRY, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) S) et son épouse 2) P), demandeurs en cassation, comparant par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) T), défendeur en cassation, comparant par Maître Alex PENNING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la société à responsabilité limitée C), défenderesse en cassation, comparant par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, pris en sa qualité de curateur de la faillite de la société anonyme A) S.A., défendeur en cassation.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 167/20 - VII - CIV, rendu le 16 décembre 2020 sous les numéros 45010 et CAL-2019-00387 du rôle par la Cour d’appel du Grand-

Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 23 avril 2021 par S) et P) (ci-après « les époux S)-P) ») à T), à la société anonyme A) et à la société à responsabilité limitée C), déposé le 7 mai 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 15 juin 2021 par la société C) aux époux S)-P), à T) et à Maître Michel VALLET, curateur de la faillite de la société A), déposé le 22 juin 2021 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 22 juin 2021 par T) aux époux S)-P), à Maître Michel VALLET et à la société C), déposé le 24 juin 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur la recevabilité du pourvoi Le défendeur en cassation T) soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que le bordereau des pièces ne serait pas revêtu de la signature de l’avocat à la Cour des demandeurs en cassation.

Le bordereau énumérant les pièces déposées avec le mémoire en cassation est revêtu de la même signature que celle se trouvant au bas du mémoire suivi du nom du mandataire des demandeurs en cassation et remplit donc les conditions de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le défendeur en cassation T) soulève encore l’irrecevabilité du pourvoi au motif que la société A) n’a pas déposé à titre de pièces les conclusions d’appel auxquelles elle se réfère dans ses conclusions du 23 avril 2020.

A défaut pour la société A) d’avoir constitué avocat, l’exception est sans objet.

La société C) conclut à sa mise hors cause de l’instance en cassation au motif que le pourvoi n’est pas dirigé contre la partie de l’arrêt attaqué ayant déclaré irrecevable l’assignation en intervention forcée dirigée par la société A) à son encontre.

Le pourvoi est dirigé contre la seule partie de l’arrêt qui a déclaré non fondée la demande des époux S)-P) en obtention de dommages et intérêts et déchargé T) et la société A) de la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Le pourvoi est dès lors irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la société C).

Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable pour le surplus.

Sur les faits Saisi par les époux S)-P), acquéreurs d’un immeuble, d’une demande en réparation d’un préjudice fondée sur les articles 1116 et 1382 du Code civil dirigée contre le vendeur T) et l’agence immobilière, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait dit la demande partiellement fondée et condamné in solidum le vendeur T) et l’agence immobilière à leur payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts. La Cour d’appel a, par réformation, dit la demande en indemnisation non fondée.

Sur le premier moyen de cassation, pris en ses première et sixième branches Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit non fondée la demande de S) et de P) en obtention de dommages-intérêts pour préjudice matériel subi, et partant déchargé T) et la société A) de la condamnation au paiement de la somme de 417.600 € avec les intérêts légaux à partir du 22 septembre 2015 Aux motifs que, tels que ceux-ci résultent de l’arrêt d’appel, que le contrat a ou non été annulé. Lorsque la victime demande et obtient l’annulation du contrat, elle ne peut se plaindre que des préjudices qui subsistent en dépit de l’effet rétroactif attaché à l’annulation. Peuvent ainsi être réparés des préjudices divers tels que la perte de la plus-value apportée par l’acheteur du bien qu’il a dû restituer (Cass. Com., 7 mars 1995, n°92-17.188 : JurisData n°1995-

000458 ; JCP G 1995, II, 22661, note E. du Rusquec), les frais des emprunts contractés pour les besoins de l’acquisition annulée (Cass. com., 4 janv. 2000, n°96-

16.197 : JurisData n°2000-000108) ou encore les frais de la vente et la commission payée à l’agence (Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n°12-13.327 : JCP G 2014, doctr. 115, obs. J. Ghestin).

En revanche, lorsque la victime se borne à demander des dommages-intérêts, comme en l’espèce, elle ne peut obtenir réparation des divers frais exposés à l’occasion de la conclusion du contrat.

Le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation est celui qui résulte de la "perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses", comme le dit explicitement la Cour de cassation dans ses arrêts de 2010 (Civ. 1re, 25 mars 2010, n°09-12.895, RTD.de ré civ. 2010. 322, obs. B. FAGES) et 2012 (Com. 10 juill. 2012, n°11-21.954). Il ne peut donc s’agir que de compenser les conditions défavorables auxquelles en raison du dol la victime a dû traiter. Le fait qu’elle poursuive l’exécution du contrat signifie en effet qu’il présente une certaine utilité pour elle ; ce qui lui interdit de soutenir qu’elle n’aurait pas contracté sans le dol. (RTD Civ. 2012, p. 732, Patrice JOURDAIN : Dol dans la formation du contrat : quel préjudice réparable ?).

Au regard de ces principes, les acquéreurs peuvent tout au plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, s’ils avaient été mieux informés par le vendeur et l’agence immobilière avant la signature du compromis de vente. Or ni le tribunal, ni la Cour n’ont été saisis d’une telle demande.

Il y a lieu, par réformation, de rejeter la demande des acquéreurs en allocation de dommages et intérêts pour préjudice matériel » Alors que première branche Tirée de la violation de la loi, in specie des articles 1116 et 1382 du Code civil, selon la Cour d’appel, il ressortirait explicitement de deux arrêts de la Cour de cassation française en date du 25 mars 2010 (première chambre civile) et du 10 juillet 2012 (chambre commerciale) que le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation serait celui qui résulte de la , que selon la Cour, le fait que la victime du dol poursuive l’exécution du contrat signifierait qu’il présente une certaine utilité pour elle, ce qui lui interdirait de soutenir qu’elle n’aurait pas contracté sans le dol, qu’en réalité, ce raisonnement n’était soutenu que dans l’arrêt du 10 juillet 2012 précité, alors que l’arrêt du 25 mars 2010 précité retenait déjà que le préjudice consistait en la , que la chambre commerciale est d’ailleurs revenu sur sa position en affirmant dans un arrêt en date du 21 juin 2016 que le préjudice réparable correspondait à Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-

29.874 : JurisData n° 2016-012515), que les chambres précitées de la Cour de cassation française ont dès lors une position largement moins restrictive que ne le présente la Cour d’appel pour justifier son arrêt, que cette position n’a au demeurant pas été consacrée par les autres chambres de la Cour de cassation, alors que la troisième chambre civile continue d’admettre le principe d’une réparation intégrale sans référence à une perte de chance, qu’elle a ainsi admis la fixation des dommages-intérêts suivant le coût des travaux de désamiantage lorsque le dol résidait dans la non-révélation de la présence d’amiante (Cass. 3e civ., 16 mars 2011, no10-10.503), que le recours à la notion de perte de chance en matière de dol tel qu’opéré par la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation française est critiquable et critiqué, que d’éminents auteurs français ont vivement condamné les arrêts précités de 2010 et 2012 (J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil, La Formation du contrat, Le consentement : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 1450 s. ; ainsi que J.Ghestin, Contre l’absorption du dol par la responsabilité civile : RDC 2013, p.1162), qu’en effet, la sanction du dol exige la constatation de l’influence déterminante qu’il a exercée sur le consentement du demandeur, que le droit positif exige ainsi que le dol, ou la réticence dolosive, ait déterminé le demandeur à conclure le contrat ou à accepter des conditions moins avantageuses, qu’or, cette condition est en contradiction avec la notion de perte de chance, qu’il ne peut être jugé simultanément que le demandeur a été déterminé à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions moins favorables parce que son consentement a été vicié par le dol de son cocontractant, et qu’il aurait seulement perdu la chance de ne pas conclure un tel contrat à d’autres conditions, que si le demandeur a été déterminé par ce dol, il ne s’agit plus de la perte d’une chance, mais d’une certitude, que la certitude du préjudice autorise de façon classique à écarter la notion de perte d’une chance, que la jurisprudence comme la doctrine admettent comme la possibilité de la victime d’un dol de limiter sa demande à des dommages-intérêts sur le fondement des articles 1116 et 1382 du Code civil (J.

Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil, La Formation du contrat, Le consentement : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 1447 ; Cass. Com, 14 mars 1972 : Bull.

Civ. 1972, IV, n° 90, pourvoi n° 70-12659) qu’il est par ailleurs admis que l’action en dommages-intérêts peut équivaloir à une action en réduction de prix, qu’en effet, lorsque le demandeur de l’erreur qu’il a commise à cause du dol de son cocontractant, il demande alors, en réalité, une réduction du prix contractuellement fixé ; autrement dit le préjudice résulte alors de la conclusion du contrat à des conditions désavantageuses en raison du dol et sa réparation suppose donc la suppression de ces conditions désavantageuses, en clair le rééquilibrage économique du contrat » (D.MAZEAUD, RDC 2008, n° 4, p.1118, obs. ss Cass. civ. 1re, 28 mai 2008), que la Cour de cassation a ainsi jugé que le dol préjudice dont elle a souverainement évalué le montant au quart de la valeur de l’immeuble » (Cass. civ. 3e, 22 novembre 2006, D. n° 05-16719), qu’il est communément admis que demander l’annulation de la convention, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manœuvres de son co-contractant, par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de l’excès de prix qu’elle a été conduite à payer.» (Cass. Civ. 1ère, 12 octobre 2004, D. n° 01-14704), que l’action en réduction du prix sur le fondement du dol a encore été confirmée par la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 11 janvier 2012, puis dans un arrêt en date du 6 juin 2012, la Cour de cassation précisant que la victime du dol (Cass. Civ. 3ème, 11 janvier 2012, Bull. Civ. III, n° IV, pourvoi n° 10-

23141 ; Cass. 3e civ., 6 juin 2012, no 11-15973), que la jurisprudence luxembourgeoise a également toujours admis le principe d’une réparation intégrale de la victime du dol par l’octroi de dommage et intérêts sans référence à la notion de perte de chance, que la Cour d’appel a notamment admis :

- que soit évaluée par expertise l’étendue du préjudice souffert par la victime d’un dol, qui pensait acquérir un garage privatif alors qu’il s’agissait d’un garage commun et avait en conséquence demandé une réduction du prix de vente, (Cour d’appel, 26 avril 2017, arrêt N° 72/17 – VII – CIV, n° 42420 du rôle), - que dommages-intérêts, dont la vocation est de réparer intégralement le préjudice subi par la victime. Les intimés peuvent donc en vertu du principe de la réparation intégrale réclamer l’indemnisation du préjudice effectivement subi » et a partant accordé aux victimes du dol des dommages et intérêts correspondant à la moins-

value de l’immeuble (Cour d’appel, 20 novembre 2014, n° 39462 du rôle), - que lui ont causé les manœuvres de son cocontractant par l'annulation de la convention et, s'il y a lieu, par l'attribution de dommages-intérêts, ou simplement par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de l'excès de prix qu'elle a été conduite à payer » (nous soulignons, Cour d’appel, 2 mai 2013, n° 37560 du rôle), - que l’acheteur d’un immeuble, à qui le vendeur avait faussement prétendu que le grenier était muni d’une dalle en béton, pouvait limiter sa demande au remboursement du coût de la réalisation de cette dalle (Cour d’appel, 4 juillet 2007, Pas. 34, page 41), qu’il n’y a aucune raison juridique ou logique valable à introduire la notion de perte de chance dans le dol, que finalement, des voies empruntées en France, il n’existe aucune raison d’en faire un principe général, ou comme l’a exprimé la Cour d’appel, de suivre la Cour de cassation française dans tous ses errements », ce d’autant moins lorsque sa position est fort critiquée par la doctrine (Thierry HOSCHEIDT, le droit judiciaire privé au Grand-

Duché de Luxembourg, 2e ed., p. 592, n° 1039 ; Cour d’appel, 5 février 2009, Pas.

34, page 427), que rien ne justifiait en l’espèce que la Cour d’appel suive la position controversée de la première Chambre et de la chambre commerciale de la Cour de cassation française, position qui ne fait pas l’unanimité au sein même de la Cour de cassation française, en recourant à la notion de perte de chance en matière de dol, que les parties demanderesses en cassation avaient démontré en quoi le dol avait déterminé leur consentement, si bien que leur préjudice est certain, que leur demande en dommage-intérêts pour préjudice matériel était chiffrée de manière sérieuse suivant une estimation par expert de la moins-value de l’immeuble du fait de l’impossibilité de donner les lots en location, que le cas échéant, elle équivaut à une réduction du prix payé, respectivement à une restitution de l’excès de prix payé au regard de la vraie nature de l’objet de la vente, que la demande de dédommagement des parties demanderesses en cassation répondait donc aux conditions des articles 1116 et 1382 du Code civil, qu’en conditionnant l’octroi de dommages et intérêts aux parties demanderesses en cassation, à la formulation par ces dernières d’une demande circonscrite à la perte de chance d’avoir pu contracter à ces conditions plus avantageuses, la Cour d’appel a violé les articles 1116 et 1382 du Code civil et sixième branche Tirée de la violation de la loi, in specie de l’article 65 du Nouveau Code de Procédure Civile et de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, L’article 65 du Nouveau Code de Procédure Civile dispose en ses alinéas 1 et 3 que :

le principe de la contradiction.

(…) Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. », que la jurisprudence européenne est particulièrement exigeante en ce qui concerne le respect de la contradiction dans le relevé d’office des moyens de droit au visa de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (voir par exemple C.E.D.H., 13 octobre 2005, aff. Clinique des Acacias et autres c. France, req. nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01 ; BICC, n° 632, 15 janvier 2006 ; J.C.P., 2006, I, 109, n° 6, obs. SUDRE), qu’il ressort des articles et de la jurisprudence susvisés que le relevé d’office d’un moyen de droit doit être soumis au débat contradictoire, que la Cour a décidé en l’espèce que M. S) et Mme P) pouvaient plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » tout en relevant que , qu’à supposer que le tribunal et la Cour n’aient pas été saisie d’une telle demande en substance, la Cour a alors soulevé d’office un moyen de droit -à savoir que le seul préjudice indemnisable était la perte de chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses- alors que, selon ses propres observations, ce moyen n’aurait pas été invoqué par les parties demanderesses, et qu’il n’avait pas non plus été invoqué par les parties défenderesses en cassation, tel qu’il ressort de leurs conclusions récapitulatives, que pour autant, la Cour n’a pas invité au préalable les parties à présenter leurs observations eu égard à ce moyen de droit soulevé d’office, que la Cour d'appel a dès lors méconnu le principe du contradictoire et les exigences des articles susvisés, d’où il suit que l’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen La victime d’un dol peut, à défaut de demander l’annulation de la convention, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manœuvres de son cocontractant en prétendant à une indemnisation pécuniaire résultant de la perte d’une chance alors qu’elle aurait pu contracter à des conditions plus avantageuses, sous la forme de la restitution de l’excédent de prix qu’elle a été conduite à payer.

Les parties demanderesses en cassation avaient saisi le tribunal d’arrondissement d’une demande tendant à « obtenir réparation pour le préjudice subi par la faute des parties assignées, alors qu’elles n’auraient jamais acquis le bien immobilier dans son ensemble pour le prix réclamé si elles avaient su que les parties annexes à la maison d’habitation ne pouvaient pas être données en location ». Elles concluaient à une moins-value de l’immeuble et demandaient à titre d’indemnisation de leur préjudice une réduction du prix de vente.

Saisis d’une demande en indemnisation sur base des articles 1116 et 1382 du Code civil et en retenant que le seul préjudice dont les demandeurs en cassation pouvaient obtenir réparation est celui qui résulte de la « perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses », les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la sixième branche du moyen Vu l’article 65 du Nouveau Code de procédure civile et l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En rejetant la prétention des demandeurs en cassation au motif qu’ils ne pouvaient obtenir réparation que de la « perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses », indemnisation qui selon les juges d’appel n’était pas réclamée, ces derniers ont élargi le débat à un point de droit sur lequel les parties étaient restées silencieuses, à défaut d’une contestation, sans les avoir invitées au préalable à présenter leurs observations et ont partant violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.

Sur les frais de signification Il convient, au vu de l’irrecevabilité du pourvoi en cassation dirigé contre la société C), de laisser à charge des demandeurs en cassation les frais de la signification du mémoire en cassation à la défenderesse en cassation et de les condamner aux frais de la signification du mémoire en réponse de la société C).

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le défendeur en cassation T) étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la société C) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen et sur le second moyen de cassation, déclare le pourvoi irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la société à responsabilité limitée C) ;

casse et annule l’arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile, sous les numéros 45010 et CAL-2019-00387 du rôle ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

rejette la demande de T) en allocation d’une indemnité de procédure ;

laisse les frais du mémoire en cassation signifié à la société C) à charge des demandeurs en cassation ;

condamne les demandeurs en cassation à payer à la société à responsabilité limitée C) une indemnité de procédure de 2.000 euros et à supporter les frais de signification du mémoire en réponse de ladite société ;

condamne T) et la masse de la faillite de la société A) aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Lex THIELEN, sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation S) et P) contre T) la société anonyme A) S.A. et la société à responsabilité limitée C) s.à r.l.

Le pourvoi en cassation, introduit par S) et P) par un mémoire en cassation signifié le 23 avril 2021 aux défendeurs en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 7 mai 2021, est dirigé contre un arrêt n°167/20 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 16 décembre 2020 (n°45010 et CAL-2019-

00387 du rôle). Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le défendeur en cassation C) s.à r.l. a signifié un mémoire en réponse le 15 juin 2021 et il l’a déposé au greffe de la Cour le 22 juin 2021.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Le défendeur en cassation A) S.A. a signifié un mémoire en réponse le 22 juin 2021 et il l’a déposé au greffe de la Cour le 24 juin 2021.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 18851, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

En date du 12 novembre 2014, S) et P) ont signé avec T) un compromis de vente pour acheter par l’intermédiaire de la société anonyme L) (actuellement la société anonyme A) S.A.) un « bâtiment à habitation » au prix de 1.230.000 €.

1 Le délai a expiré le 23 juin 2021. Comme le dies ad quem était un jour férié, ce délai a été prolongé de façon à englober le premier jour ouvrable qui suit, conformément à l’article 5 de la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle le 16 mai 1972 et approuvée au Luxembourg par une loi du 30 mai 1984 (Mémorial 1984, 923) L’acte notarié de vente a été signé en date du 26 janvier 2015 et mentionne comme objet de vente « une maison d’habitation avec toutes ses appartenances et dépendances ».

Par acte d’huissier de justice du 22 septembre 2015, S) et P) ont assigné T) et la société anonyme L) devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile. Ils exposent avoir acquis l’immeuble en question afin de donner en location le local commercial, l’appartement et le duplex en faisant partie, et reprochent tant au vendeur qu’à l’agence immobilière de leur avoir dissimulé que les différents lots ne pouvaient pas être donnés en location séparément, étant donné que l’immeuble a été considéré par l’administration communale comme une seule unité d’habitation ne pouvant être divisée en lots séparés.

Ils ont réclamé la somme de 417.600 €, sinon toute autre somme même supérieure évaluée ex aequo et bono, à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel, le montant de 10.000 € pour préjudice moral et de 15.000 € au titre de frais et d’honoraires d’avocats, à chaque fois avec les intérêts au taux légal à compter de l’assignation en justice jusqu’à solde. Ils ont encore réclamé une indemnité de procédure de 15.000 € ainsi que l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

S) et P) ont fait valoir que le corps de la ferme faisant partie du complexe immobilier acquis aurait été aménagé en une maison d’habitation et l’ancienne grange aurait été aménagée en quatre lots distincts, à savoir un local commercial avec bureaux, entrepôt et garage, un appartement ainsi qu’un duplex consistant effectivement en deux studios indépendants. Suivant les annonces publiées par l’agence immobilière L), le bien immobilier aurait pu être acquis soit en bloc pour un prix total de 1.350.000 €, soit en lots séparés pour des montants spécifiés dans l’annonce et correspondant à un prix total de 1.494.000 €.

Lors des différentes visites, l’agence immobilière aurait affirmé qu’il serait possible d’occuper la maison d’habitation principale et de donner en location les quatre autres lots.

Le remboursement du prêt contracté pour l’acquisition de l’immeuble aurait dû se faire moyennant les loyers à percevoir et la banque aurait subordonné son accord à la mise en location des différents lots. La société anonyme L) leur aurait trouvé des locataires pour l’appartement et les deux studios et elle leur aurait adressé les contrats de location en date des 25 novembre et 3 décembre 2014 en vue de leur transmission à la banque. Ces contrats auraient prévu une entrée dans les lieux au 1er février 2015.

L’assurance de pouvoir donner en location différents lots du complexe immobilier aurait été déterminante de leur consentement.

Le 26 janvier 2015, sur question du notaire avant la signature de l’acte, T) aurait confirmé la possibilité de donner en location chaque lot séparément.

Toutefois, lorsque les locataires des différents lots se seraient présentés au bureau de la population, l’administration communale aurait refusé de les enregistrer au motif que le bien immobilier ne pouvait être considéré que comme une seule et même unité de logement. La division du bien immobilier en cinq unités serait impossible, étant donné que l’immeuble se situerait dans une zone « faible densité I » et qu’en raison de l’envergure des travaux à prévoir, une mise en conformité serait inenvisageable. T) aurait été au courant de ces dispositions. S) et P) reprochent au vendeur et à l’agence immobilière L) d’avoir su que les logements ne pourraient être loués et de leur avoir caché ce fait, alors qu’ils n'ignoraient pas que cette condition était déterminante de leur consentement. Ils soutiennent qu’ils n’auraient jamais consenti à l’acquisition du bien immobilier au prix convenu s’ils avaient été informés qu’une mise en location des différents lots n’était pas possible.

S) et P) ont basé leur demande en indemnisation à titre principal sur le dol, à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil et, à titre plus subsidiaire sur l’erreur. Ils ont à titre infiniment subsidiaire basé leur demande sur les articles 1603 et suivants, sinon 1641 du Code civil relatif aux vices cachés. En dernier ordre de subsidiarité, les parties demanderesses ont reproché aux assignés d’avoir violé leur obligation d’information précontractuelle.

T) a fait valoir qu’il aurait rencontré S) et P) pour la première fois le 26 janvier 2015 lors de la signature de l’acte notarié de vente. La vente aurait été parfaite avec la signature du compromis de vente à laquelle il n’aurait pas assisté. Les négociations entre parties auraient été faites exclusivement par l’entremise de l’agence immobilière, de sorte qu’il ne saurait y avoir eu de réticence dolosive dans le chef du vendeur. En se référant à 39 contrats de bail, il a soutenu qu’il aurait entre 1997 et 2015 donné en location les deux studios et l’appartement et que pendant toute cette période la commune n’aurait jamais formulé d’objections quant à la mise en location des immeubles en question. Sa déclaration faite devant le notaire lors de la signature de l’acte notarié correspondrait à la vérité. Il estime qu’il aurait appartenu aux acheteurs de s’enquérir auprès des autorités communales au sujet des possibilités et des règles applicables en matière de location, avant de signer le compromis de vente. Les acquéreurs auraient fait preuve de négligence et d’inadvertance manifestes. Ils n’auraient pas non plus établi que la mise en location de l’immeuble aurait été un élément déterminant de leur consentement, de sorte que leur demande serait à rejeter sur toutes les bases invoquées.

L’agence immobilière L) a également contesté toute réticence dolosive ainsi que toute négligence dans son chef.

Les défendeurs ont chacun réclamé une indemnité de procédure.

Par jugement du 28 avril 2017, le tribunal a dit fondée la demande des acquéreurs et a condamné le vendeur et l’agence immobilière in solidum à leur payer la somme de 417.600 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel, avec les intérêts légaux à partir du 22 septembre 2015, jusqu’à solde, de 1.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et de 7.020 € au titre des frais d’avocat exposés.

Il a dit non fondées les demandes respectives de T) et de la société L) en allocation d’une indemnité de procédure, et les a condamnés aux frais et dépens de l’instance.

Par acte d’huissier de justice du 24 mai 2017, T) a relevé appel de ce jugement.

La société anonyme A) S.A. (anciennement la société anonyme « L) ») a interjeté appel d’intimé à intimé et demande à être déchargée de toutes les condamnations prononcées en première instance.

Par acte d’huissier de justice du 12 mars 2019, la société anonyme A) S.A. (ci-après « la société A) ») a assigné en intervention la société à responsabilité limitée C) aux fins de voir dire qu’elle la tienne quitte et indemne de toute condamnation à intervenir contre elle dans le cadre de l’affaire principale et à lui voir déclarer commun l’arrêt à intervenir. Elle invoque des pourparlers ayant précédé l’acquisition de l’ensemble d’habitation, en présence d’un représentant de la société à responsabilité limitée C) (ci-après « la société C) »). Elle soutient en outre que cette société serait en possession de l’échange de courriels avec les acquéreurs de nature à établir qu’ils auraient eu connaissance du fait que la mise en location des différents lots du complexe immobilier n’était pas envisageable. Elle réclame encore une indemnité de procédure de 1.000 €.

La société C) conclut à voir déclarer l’intervention forcée irrecevable, sinon, quant au fond, à se voir mettre hors cause. Elle réclame une indemnité de procédure de 2.500 En date du 16 décembre 2020, la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :

« ordonne la jonction des rôles 45010 et CAL-2019-00387, reçoit les appels principal et incident, les dit partiellement fondés, réformant, dit non fondée la demande de S) et de P) en obtention de dommages-intérêts pour préjudice matériel subi, partant décharge T) et la société anonyme A) de la condamnation au paiement de la somme de 417.600 € avec les intérêts légaux à partir du 22 septembre 2015, condamne T) et la société anonyme A) in solidum à payer à S) et P) la somme de 6.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral subi, les condamne encore à leur payer la somme de 6.000 € à titre de frais et d’honoraires d’avocat pour la première instance, reçoit la demande de S) et de P) en condamnation au remboursement des frais et honoraires d’avocat pour l’instance d’appel, la dit partiellement fondée, condamne T) et la société anonyme A) in solidum à payer de ce chef à S) et P) la somme de 6.000 €, confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes des défendeurs en allocation d’une indemnité de procédure, dit irrecevable l’assignation en intervention forcée du 12 mars 2019 dirigée par la société anonyme A) contre la société à responsabilité limitée C), condamne la société anonyme A) à payer à la société à responsabilité limitée C) une indemnité de procédure de 1.500 €, fait masse des frais et dépens des deux instances et les impose pour moitié à T) et la société anonyme A) et pour moitié à S) et P) (….). » Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :

Le défendeur en cassation T) invoque une violation de l’article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure de cassation qui dispose que : « Le mémoire indiquera, s’il y a lieu, les pièces déposées à l’appui du pourvoi» et un arrêt de votre Cour exigeant que : «La partie du mémoire contenant la désignation des pièces à l’appui d’un recours en cassation en matière civile, doit, à peine de déchéance du pourvoi, être signée par l’avoué du demandeur »2.

Il relève que le bordereau désignant les pièces ne serait pas revêtu de la signature de l’avocat à la Cour des demandeurs en cassation.

Un bordereau énumérant les pièces déposées avec le mémoire3 est annexé au mémoire en cassation déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice, et ce bordereau comporte la même signature que l’original du mémoire en cassation.

Le moyen invoqué est partant sans objet.

Le défendeur en cassation T) soulève encore une fausse désignation des actes produits à l’appui du recours, entraînant une déchéance du pourvoi. In specie le défendeur en cassation reproche aux demandeurs en cassation d’avoir déposé une pièce n° 4 intitulée dans le bordereau comme « conclusions récapitulatives de Me CORBIAUX du 23 avril 2020 », alors qu’il s’agirait, non pas de conclusions récapitulatives au sens de l’article 586, alinéa 2, du Nouveau code de procédure civile, mais bien d’écritures intitulées « conclusions ».

A l’appui de son moyen, le défendeur en cassation cite un arrêt de votre Cour rendu en date du 1er décembre 19664. Dans l’arrêt en question, votre Cour avait constaté qu’au mémoire étaient désignées des pièces qualifiées d’extraits cadastraux ou de photographies, mais que le dépôt comprenait en réalité des plans cadastraux versés, soit en original, soit en photocopie, et des photographies qui, à défaut de toute description, rendent impossible la détermination ni la situation des lieux reproduits ni de l’objet auxquelles elles se rapportent (première espèce). La Cour a encore constaté que la désignation des actes produits était inexacte à un double titre, l’inventaire des pièces désignant un extrait d’acte de mariage, alors que la pièce ainsi désignée a été déposée sous la forme d’une feuille blanche reproduisant, grâce à un procédé mécanique, analogue à celui employé pour la photographie, des énonciations ou des écritures ressemblant à celles de l’original d’un acte de mariage et que cette pièce, dénommée extrait des actes de l’état civil, ne répond pas, pour pouvoir valoir comme tel, aux conditions de forme requises par l’article 45 du Code civil (deuxième espèce). Dans le même arrêt, votre Cour a retenu qu’il incombe au demandeur en cassation qui entend attaquer une décision rendue entre lui et trois autres parties, de désigner, dans son mémoire, la partie ayant fait procéder à la signification de la décision attaquée, dès lors que le 2 Cass. 23 novembre 1978, Pas.24, 147 3 page 20 du mémoire en cassation 4 publié à la Pascrisie 20, page 219 (et non pas page 19) demandeur entend limiter son recours à une seule des trois autres parties. « Lorsque le demandeur en cassation se borne à mentionner la copie signifiée et l’acte de signification, sans désigner la partie signifiante, qui pouvait être chacune des trois parties figurant dans l’instance de fond, cette omission ne permet pas d’individualiser les actes déposés et de les distinguer de tous autres actes ayant quelque rapport avec le litige, de sorte qu’elle doit entraîner, faute de désignation suffisamment exacte des actes produits à l’appui du recours, la sanction de la déchéance» (quatrième espèce).

Il ressort de cet arrêt que le demandeur a été déchu de son pourvoi parce qu’au vu des pièces versées, ni la détermination ni la situation des lieux reproduits ni de l’objet auxquelles elles se rapportaient, n’étaient possibles (première espèce). D’autres pièces ne remplissaient pas les conditions de forme légales (deuxième espèce). Pour d’autres pièces, la désignation insuffisante n’a pas permis à votre Cour de savoir quelle était la partie signifiante (quatrième espèce). Ces omissions et manquements graves dans la désignation des pièces ont empêché votre Cour d’exercer son contrôle.

Tel n’est pas le cas en l’espèce. La pièce n°4 renseignée au bordereau comme « conclusions récapitulatives de Me CORBIAUX du 23 avril 2020 » ne vise effectivement pas des conclusions récapitulatives au sens de l’article 586, alinéa 2, du Nouveau code de procédure civile, étant donné que « la partie concluante se rapporte à ses précédents corps de conclusions notifiés en cause en date des 12 février 2019, 21 janvier 2020 et 5 février 2020, mais souhaite présentement récapituler ses conclusions en ces points :… »5 . La désignation de la pièce dans le bordereau ne crée toutefois aucun doute concernant la pièce visée et n’empêche pas de votre Cour de lui donner une autre qualification.

S’y ajoute que loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure de cassation a été modifiée à deux reprises et que l’article 10, alinéa 4, dispose que : « Le mémoire indiquera, s’il y a lieu, les pièces déposées à l’appui du pourvoi. Les pièces non indiquées dans le mémoire ou produites après l’expiration des délais déterminés ci-avant seront écartés des débats. » Aucune déchéance du pourvoi n’y est prévue.

Le défendeur en cassation T) fait encore grief aux demandeurs en cassation de ne pas avoir versé l’intégralité des conclusions notifiées et déposées par Maître CORBIAUX en instance d’appel.

En instance d’appel c’était l’intimée A) qui comparaissait par Maître CORBIAUX. Le mandant du défendeur en cassation T) n’a pas qualité pour invoquer l’absence de dépôt en instance de cassation d’une partie des conclusions déposées en instance d’appel par une autre partie intimée.

S’y ajoute que le demandeur en cassation n’est pas systématiquement obligé de verser l’intégralité des conclusions des différents défendeurs, surtout en l’absence de conclusions récapitulatives.

« Les dernières conclusions produites ne sont pas nécessairement les plus complètes, et n’entraînent aucun abandon des conclusions antérieures. Dans ce cas, il est préférable de produire les conclusions les plus complètes plutôt que les dernières. On peut aussi produire les deux. Contrairement à l’article 979 qui exige des productions « à peine d’irrecevabilité du pourvoi d’office », l’article 979-1 ne prévoit aucune sanction. On doit considérer que lorsque l’absence de production des conclusions empêche la Cour de cassation d’apprécier le bien-

5 Page 2 des conclusions du 23 avril 2020 fondé d’un moyen, comme un défaut de réponse à conclusions, elle entraîne l’irrecevabilité du moyen. Dans le cas contraire, aucune sanction ne devrait être prononcée, conformément au principe de proportionnalité qui découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. »6 Le moyen invoqué ne doit dès lors pas entraîner la déchéance du pourvoi, mais devra, le cas échéant, être examiné dans le cadre des moyens concernés.

Le pourvoi en cassation n’est pas dirigé contre la partie de l’arrêt de la Cour d’appel qui a déclaré irrecevable l’assignation en intervention forcée de la société à responsabilité limitée C). Le pourvoi est partant irrecevable en ce qu’il est dirigé contre cette partie.

Le pourvoi est recevable pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation:

Dans le premier moyen, les demandeurs en cassation font grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leur demande en allocation de dommages et intérêts pour préjudice matériel et d’avoir déchargé les défendeurs en cassation T) et la société A) de la condamnation au paiement de la somme de 417.600 € avec les intérêts légaux à partir du 22 septembre 2015 au motif que, si la victime du dol se borne à limiter des dommages-intérêts et que le contrat n’est pas annulé, le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation est celui qui résulte de la « perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses ». Or, ni le tribunal, ni la Cour n’auraient été saisi d’une telle demande.

Le moyen est articulé en six branches.

Sur la première branche :

La première branche est tirée de la violation de la loi, in specie des articles 1116 et 1382 du Code civil.

Le demandeur en cassation fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir retenu qu’il ressortirait de deux arrêts de la Cour de cassation française du 25 mars 2010 (première chambre civile) et du 10 juillet 2012 (chambre commerciale), que le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation, serait celui qui résulte de la « perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses », lorsqu’elle renonce à demander l’annulation du contrat. Ce serait à tort que la Cout d’appel aurait conclu que, puisque la victime poursuit l’exécution du contrat, celui-ci présente une certaine utilité pour elle, ce qui lui interdirait de soutenir qu’elle n’aurait pas contracté sans le dol.

Les demandeurs en cassation invoquent un arrêt de la Cour de cassation française du 21 juin 20167, par lequel la chambre commerciale serait revenue sur sa position.

6 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civil, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°92.163, page 538 7 Cass.(F), com., 21 juin 2016, 14-29.874,inédit L’arrêt dont pourvoi a retenu que les éléments constitutifs du dol étaient réunis tant dans le chef du propriétaire-vendeur que dans le chef de l’agence immobilière. Le pourvoi en cassation critique cet arrêt en ce qu‘il a déclaré non fondée la demande en obtention de dommages-intérêts pour préjudice matériel causé par le dol.

«La dualité de sanction reflète le double aspect du dol : vice du consentement, il justifie l’annulation du contrat (nullité relative) ; délit civil, il appelle la réparation du préjudice subi par une action en responsabilité délictuelle fondée sur le droit commun de l’article 1240 (ancien art. 1382) du Code civil8, la faute retenue étant pas hypothèse antérieure à la conclusion du contrat. »9 Tant dans les affaires dans lesquelles sont intervenus les arrêts du 25 mars 2010 et du 10 juillet 2012 que dans l’affaire faisant l’objet de l’arrêt du 21 juin 2016, les victimes du dol avaient fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat à la suite du dol dont elles étaient victimes, et elles ont seulement demandé des dommages et intérêts.

Dans l’arrêt du 25 mars 2010, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait retenu que « le préjudice ne pouvait, en l’espèce, résulter que de la perte d’une chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses que celles qu’a acceptées la société P. ».

Dans l’arrêt du 10 juillet 201210, la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que «la société P. ayant fait la choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses».

Dans l’arrêt du 21 juin 2016 invoqué par les demandeurs en cassation, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient à la formule qu’«ayant fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat à la suite du dol dont elle avait été victime, son préjudice correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ou de de ne pas contracter ».

Même si la formulation n’est pas exactement la même, cela ne signifie toutefois pas qu’il y ait eu un revirement de jurisprudence dans la mesure où, dans tous ces cas, les victimes du dol avaient fait le choix de ne pas demander l’annulation de la vente, exprimant ainsi leur intention de maintenir le contrat malgré le fait que des informations déterminantes leur avaient été cachées. Il ne saurait dès lors pas véritablement être question de « perte d’une chance de ne pas contracter ».

Dans des arrêts plus récents, la Cour de cassation a retenu que « le préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » (chambre commerciale, 5 juin 2019)11, voire que les victimes du dol « avaient subi une perte de chance d’avoir effectué un investissement plus rentable » (3e chambre civile, 14 janvier 2012)12.

8 Article 1382 du Code civil luxembourgeois 9 Jurisclasseur, Code civil, Synthèse consentement, Michel Storck, 2° Sanctions du dol, n°47 10 Cet arrêt concerne les mêmes faits et est intervenu à la suite de l’arrêt de la 1e chambre civile du 25 mars 11 Cass. com., 5 juin 2019, 16-10.391, inédit 12 Cass. 3e civ., 14 janvier 2021, 19-24.881, publié au bulletin D’autres arrêts ont recours à des formulations similaires quelque peu plus détaillées :

« (..) le préjudice certain résultant directement du dol commis par les vendeurs consistait pour les acquéreurs en la perte d’une chance d’avoir pu demander une réduction de prix, d’avoir pu apprécier l’état exact de l’immeuble, et d’avoir pu évaluer le coût des travaux à entreprendre ou les recours à exercer (..) ».13 Les demandeurs en cassation citent des arrêts de la Cour de cassation française qui sont antérieurs à l’arrêt du 10 juillet 2012. Or, tel que nous l’avons relevé ci-dessus, depuis cet arrêt, lorsque les victimes du dol font le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, tant la chambre commerciale que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation française n’admettent que l’indemnisation de la « perte d’une chance » en recourant à des formulations, sinon identiques, toutefois très proches.

Les demandeurs en cassation citent encore des jurisprudences luxembourgeoises14 :

-Dans le premier arrêt cité, rendu par la septième chambre de la Cour d’appel en date du 26 avril 2017, et concernant la vente d’un immeuble avec un garage privatif qui s’est finalement révélé être un garage commun, la Cour d’appel n’a évalué aucun préjudice, mais a retenu que « l’étendue du préjudice souffert (..) ne peut pas être chiffrée par la Cour sur base des pièces lui soumises et une évaluation ex aequo et bono ne peut être que totalement arbitraire », et elle a ordonné une expertise.

-Dans le deuxième arrêt cité, rendu par la neuvième chambre de la Cour d’appel en date du 20 novembre 2014, concernant la vente d’immeuble avec une annexe construite sans autorisation, la Cour a constaté qu’entre-temps l’annexe avait été démolie et l’immeuble revendu pour un prix inférieur au prix d’acquisition. En comparant les prix dans les deux actes de vente, elle a retenu que les victimes du dol avaient subi une moins-value faisant partie du préjudice réparable (tout comme les frais de démolition de l’annexe).

Ce qui est commun à ces deux affaires, c’est que le préjudice était déjà réalisé et il était devenu définitif lorsque la Cour d’appel a statué. Aucun aléa n’intervenait dans l’évaluation du dommage. Il ne s’agissait pas d’évaluer un préjudice futur en tenant compte de probabilités.

- Dans le troisième arrêt cité dans le mémoire en cassation, rendu en date du 2 mai 2013, la neuvième chambre de la Cour d’appel a décidé que l’existence d’un dol n’était pas établie et que la demande était non fondée sur base de l’article 1116 du Code civil (ni sur une des bases invoquées à titre subsidiaire).

- Le quatrième arrêt cité (« du 4 juillet 2007 ») n’a pu être trouvé par la soussignée, étant donné que les références indiquées sont manifestement fausses (« pas.34, p.41 »). En tout état de cause, cet arrêt est antérieur aux arrêts du 25 mars 2010 et du 10 juillet 2012 de la Cour de cassation française.

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel, les demandeurs en cassation ont réclamé 417.600 € à titre de préjudice matériel et ils ont exposé que l’expert chargé par eux « a chiffré la valeur du 13 Cass. (F), 3e civ., 15 novembre 2011, 10-22.940, inédit 14 pages 6 et 7 du mémoire en cassation local commercial, de l’appartement et du duplex au montant global de 575.482€ et a estimé les loyers annules de ces trois immeubles au montant global de 34.800 €. Après avoir déduit les frais de propriétaire, il a évalué la perte de revenus annuels à 27.840 € et la perte sur la durée du prêt immobilier de vingt ans à 556.800 €. D’après la moins-value pour la partie qui ne peut être louée s’élève à 75 % de la perte de revenus, partant à 417.600 €. »15 Ils ont réclamé la réparation d’un préjudice calculé sur une durée de vingt ans et il s’agit partant d’un préjudice futur, et non pas d’un préjudice actuel d’ores et déjà réalisé au moment où la Cour d’appel était appelée à statuer.

Un dommage futur est indemnisable à condition qu’il présente un degré de certitude suffisant et est susceptible d’être évalué. « La notion ne présente pas de difficultés lorsqu’il s’agit d’apprécier la certitude d’un dommage actuel, c’est-à-dire d’ores et déjà réalisé au moment où le juge est appelé à statuer.16 « L’indemnisation d’un préjudice futur dépend,[en revanche], de son caractère certain ou éventuel. La perte d’une chance réelle et sérieuse est réparée parce qu’elle constitue un préjudice certain. (Ph. Malinvaud, D. Fenouillet et M.Mekki, préc. N°9, spéc. N°603.- F.Terré, Ph. Simler et Ph. Delebecque, préc. N°19, spéc. N°701) ».17 « La réparation peut aussi jouer un rôle préventif, dans le cas où elle se traduit, pour l’avenir, par l’injonction de mettre fin à une situation illicite ou par l’institution de mesures propres à faire cesser le trouble. Il est en réalité très difficile de distinguer préjudice actuel, futur et simplement éventuel. » Tel est notamment le cas en cas de menace de réalisation d’un dommage.18 Il peut être pallié à cette difficulté par le recours à un aménagement : la perte d’une chance.

« Elle implique une appréciation de probabilité, donc de causalité à l’intérieur du préjudice. »19 « A y regarder de plus près, on voit que la perte d’une chance intervient lorsque, dû à une faute, un certain événement préalable (la faute) cause (de manière certaine) la réalisation d’un autre événement dommageable qui, lui, est le préalable à la perte définitive d’un avantage qui aurait pu se réaliser avec plus ou moins de probabilité (que la victime du premier événement dommageable aurait eu la chance d’obtenir si cet événement ne s’était pas réalisé). En somme la perte d’une chance ne vise que les conséquences ultérieures du dommage premier. La réparation du dommage particulier consistant dans la perte d’une chance ne peut être obtenue que moyennant un allégement de l’exigence du caractère direct et certain du dommage qui est la suite du premier dommage, et c’est justement cela qui distingue la perte d’une chance des autres dommages indemnisables. Un tel allégement n’est pas admis en ce qui concerne le premier dommage, dont elle est la suite.

15 page 18 de l’arrêt du 16 décembre 2020 16 La responsabilité civile des personnes privées et publiques, Georges Ravarani, Pasicrisie lux., 3e édition, n°1110, page 1085 17 Jurisclasseur, Code civil, art. 1927 à 1931, Fasc. unique : Dépôt-obligations du dépositaire, obligation de garde, a) Caractère du dommage, n°97 18 La responsabilité civile des personnes privées et publiques précité, n° 1111, page 1086 19 ibidem, n° 1112, page 1088 En revanche, la réalisation de l’avantage de la perte duquel la victime se plaint était, même en l’absence de l’événement dommageable, affectée d’un aléa ; il y aurait eu incertitude quant à la réalisation de l’avantage escompté, alors même si la faute qui a définitivement ruiné toutes les chances d’y parvenir n’avait pas été commise. Pour la réparation du dommage, une sorte de décote est alors nécessairement appliquée. Elle est directement fonction de l’importance de l’aléa qui affecte la réalisation de la chance.».20 « L’indemnisation de la perte d’une chance est soumise au principe de la réparation intégrale, mais, comme celui-ci oblige à tenir compte de tous les éléments du dommage, le tribunal saisi ne peut éviter de prendre en considération l’aléa qui affecte la réalisation de la chance perdue. »21 L’indemnisation de la perte d’une chance ne constitue partant pas une indemnisation partielle, mais il s’agit bien d’une indemnisation intégrale tenant compte de l’aléa affectant la réalisation de la chance perdue.

«Le préjudice subi par la victime doit, selon le droit commun, être réparé intégralement.

Ainsi l’agent d’affaires sera tenu d’indemniser la victime du dommage patrimonial établi selon les circonstances de l’affaire.

Toutefois, l’obligation de réparer aura quelquefois pour objet la perte d’une chance. Ainsi, un agent immobilier engage sa responsabilité contractuelle lorsque, à défaut d’avoir renseigné les acquéreurs d’une villa sur les obligations à respecter en vue d’obtenir des avantages fiscaux, il a fait perdre à ses clients l’occasion de louer celle-ci dans l’année de son achèvement, comme l’exigeait le dispositif fiscal De Robin. De même, doit réparer au titre de perte d’une chance le préjudice souffert par les acquéreurs d’un bien, l’agent immobilier qui a manqué d’avertir ces derniers sur les désordres subis par les habitations de la ville en raison de la sécheresse, ce qui aurait pu les conduire à renoncer à la vente, ou, à tout le moins, à négocier un prix inférieur à celui qu’ils ont consenti de payer. »22 « La chance perdue doit être réelle et sérieuse. Cette exigence paraît provenir du même souci qu’en matière de dommage ordinaire, à savoir d’exclure les dommages purement hypothétiques. »23 « Certaines pertes résidant en la perte de gains potentiels apparaissent hypothétiques. Elles peuvent toutefois être réparées sur le fondement de la perte d’une chance, à condition toutefois que la preuve des chances de gains prétendument perdues ait été rapportée. »24 S) et P) ont assigné les actuels défendeurs en cassation T) et A) en invoquant une moins-value du bien immobilier acquis à titre de préjudice matériel.

20 ibidem, n° 1012, page 1090 21 ibidem, n° 1012, page 1090 22 Jurisclasseur, Code civil, art. 1240 à 1245-17, Fasc. 315 : Agent d’affaires- Agent immobilier, n° 48, et jurisprudences y citées.

23 La responsabilité civile des personnes privées et publiques précité, n° 1112, page 1090 24 Jurisclasseur, Code civil, art. 1382 à 1386, Fasc. 203 : Régime de la réparation, Modalités de la réparation-

Règles communes aux responsabilités délictuelle et contractuelle-Evaluation du préjudice : dommages aux biens n°49, et jurisprudences y citées L’expertise unilatérale versée a retenu une moins-value chiffrée à 417.600 €. Or, la moins-value (actuelle) invoquée est purement hypothétique25. Elle a en fait été calculée sur la base des loyers que les victimes du dol espéraient toucher sur une durée de 20 ans.

La Cour d’appel a retenu dans ce contexte que « c’est à juste titre que le vendeur critique l’expert de ne pas avoir pris en compte dans l’évaluation du préjudice matériel invoqué par les acquéreurs, les loyers qu’ils ont perçus pour la location des différents lots du complexe immobilier qu’ils ont acquis. La Cour renvoie à cet égard à l’échange de courriels entre la commune de Hesperange et les acquéreurs des 8 et 9 mars 2015 desquels il résulte que les acquéreurs ont donné en location certains lots pendant la durée d’une année».

Le préjudice à indemniser ne consistait partant pas dans un dommage actuel, réalisé et certain, de sorte que c’est à juste titre que la Cour d’appel a retenu que le seul préjudice réparable était «la perte d’une chance d’avoir pu contracter à d’autres conditions plus avantageuses ».

Le premier moyen, pris dans sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la deuxième branche :

La deuxième branche du premier moyen est tiré de la violation de la loi, in specie des articles 1116 et 1382 du Code civil.

Si les dispositions visées sont les mêmes que dans la première branche du moyen, les demandeurs en cassation reprochent cette fois-ci à l’arrêt attaqué, à supposer que le recours à la notion de perte de chance en matière de dol soit fondé, d’avoir constaté que ni le tribunal ni la cour d’appel n’ont été saisis d’une demande en indemnisation de la perte d’une chance.

Dans les conclusions récapitulatives du 2 avril 2020, les demandeurs en cassation ont exposé dans une rubrique « B. Quant au préjudice »26 :

« Le Sieur THILL et la société A) S.A. seront donc condamnés solidairement, sinon in solidum, sinon chacune pour le tout à payer aux parties concluantes des dommages-intérêts correspondant à la moins-value du bien immobilier, au préjudice moral subi et aux frais et honoraires d’avocat qu’elles ont été contraintes de débourser».

Suit un titre « 1. Sur la moins-value du bien immobilier :

Les parties concluantes ont fait appel à l’expert W) pour calculer la moins-value du bien immobilier du fait de l’impossibilité de donner en location les différents lots. » Le préjudice invoqué consistait partant incontestablement dans une moins-value.

25 Cf. Cass. (F), 3e civ., 23 février 2017, 15-27.957, inédit, (concernant la vente d’une maison d’habitation affectée de désordres et malfaçons) : « Mais attendu qu’ayant constaté que M. et Mme Y… ne sollicitaient pas la réparation d’une perte de chance en relation avec le dol mais des préjudices liés à la réfection de la charpente et à la réparation de la véranda sans lien direct et certain avec celui-ci et que la moins-value invoquée était purement hypothétique, la cour d’appel a pu en déduire que leurs demandes devaient être rejetées ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé. » 26 page 17 des conclusions du 2 avril 2020 Les demandeurs en cassation estiment qu’en substance, leur demande aurait dû être interprétée comme une demande en restitution de l’excès de prix qu’ils ont payé. A l’appui de cette prétention ils citent un extrait de l’ouvrage de Georges Ravarani27, d’après lequel, même en cas d’indemnisation du préjudice résultant de la perte d’une chance, « pratiquement, la victime se verra restituer l’excès de prix qu’elle a dû payer. Les dommages et intérêts correspondront à une réduction du prix. » Ce constat est certainement exact. Or, en l’absence de réparation en nature, la réparation par équivalent consiste toujours dans l’allocation de dommages-intérêts, c’est-à-dire dans la condamnation à payer une somme d’argent:

« La jurisprudence luxembourgeoise est attachée au principe que tout préjudice doit être réparé en nature. Si cela est impossible ou inopportun pour l’une ou l’autre circonstance, il y a lieu à réparation par équivalent, c’est-à-dire à l’allocation de dommages-intérêts. »28 Lorsque la réparation en nature est impossible, inopportune ou refusée par le débiteur, d’autres sanctions peuvent être prononcées, telles la résolution du contrat, la diminution du prix ou encore l’allocation de dommages-intérêts, c’est-à-dire une somme d’argent.»29 Cela ne veut toutefois pas dire qu’il suffise de saisir une juridiction d’une demande de condamnation chiffrée pour obtenir gain de cause.

En l’espèce, en ce qui concerne le préjudice matériel, les juges du fond étaient saisis d’une demande tendant à voir indemniser « la moins-value du bien immobilier du fait de l’impossibilité de donner en location les différents lots ». Ils devaient partant statuer sur cette demande et ils pouvaient la déclarer non fondée sans devoir analyser d’autres chefs de préjudice possibles qui auraient, le cas échéant, également pu aboutir à une condamnation à des dommages-intérêts.

La deuxième branche du premier moyen n’est pas fondée.

Sur la troisième branche :

La troisième branche du premier moyen est tirée du défaut de base légale au regard des articles 1116 et 1382 du Code civil.

Les demandeurs en cassation font grief à l’arrêt dont pourvoi de ne pas avoir analysé, en rejetant leur demande pour préjudice matériel, si cette demande répondait aux conditions posées par les articles 1116 et 1382 du Code civil, respectivement sans caractériser en quoi cette demande ne répondait pas aux exigences des articles précités.

Cet élément de moyen est difficilement compréhensible étant donné qu’il ne précise ni la partie critiquée de la décision ni en quoi elle encourt le reproche allégué. Il ne répond pas aux exigences de l’article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et doit être déclaré irrecevable.

27 La responsabilité civile des personnes privées et publiques précité, n° 485, page 505 in fine 28 ibidem, n°1219, page 1177 29 ibidem, n°1235, page 1190 Subsidiairement :

Il semblerait que le grief soit le même que dans la deuxième branche. La soussignée se permet partant de renvoyer à ses conclusions dans le cadre de cette branche du moyen.

La Cour d’appel a constaté que la demande en allocation de dommages-intérêts pour préjudice matériel était à rejeter, étant donné que le préjudice invoqué n’était pas établi par l’expertise et que, de surcroit, il n’était pas indemnisable :

«Il s’ajoute, que le préjudice réparable n'est pas exactement le même selon que le contrat a ou non été annulé. Lorsque la victime demande et obtient l'annulation du contrat, elle ne peut se plaindre que des préjudices qui subsistent en dépit de l'effet rétroactif attaché à l'annulation. Peuvent ainsi être réparés des préjudices divers tels que la perte de la plus-

value apportée par l'acheteur au bien qu'il a dû restituer (Cass. com., 7 mars 1995, n° 92-

17.188 : JurisData n° 1995-000458 ; JCP G 1995, II, 22661, note E. du Rusquec), les frais des emprunts contractés pour les besoins de l'acquisition annulée (Cass. com., 4 janv. 2000, n° 96-16.197 : JurisData n° 2000-000108) ou encore les frais de la vente et la commission payée à l'agence (Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-13.327 : JCP G 2014, doctr. 115, obs. J.

Ghestin).

En revanche, lorsque la victime se borne à demander des dommages-intérêts, comme en l’espèce, elle ne peut obtenir réparation des divers frais exposés à l'occasion de la conclusion du contrat.

Le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation est celui qui résulte de la « perte d'une chance d'avoir pu contracter à d'autres conditions plus avantageuses », comme le dit explicitement la Cour de cassation dans ses arrêts de 2010 (Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.895, RTD.de ré civ. 2010. 322, obs. B. FAGES) et 2012 (Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954). Il ne peut donc s'agir que de compenser les conditions défavorables auxquelles en raison du dol la victime a dû traiter. Le fait qu'elle poursuive l'exécution du contrat signifie en effet qu'il présente une certaine utilité pour elle ; ce qui lui interdit de soutenir qu'elle n'aurait pas contracté sans le dol. (RTD Civ. 2012, p.732, Patrice JOURDAIN : Dol dans la formation du contrat : quel préjudice réparable ?).

Au regard de ces principes, les acquéreurs peuvent tout au plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, s’ils avaient été mieux informés par le vendeur et l’agence immobilière avant la signature du compromis de vente.

Or ni le tribunal, ni la Cour n’ont été saisis d’une telle demande.

Il y a lieu, par réformation, de rejeter la demande des acquéreurs en allocation de dommages et intérêts pour préjudice matériel. » La troisième branche du premier moyen n’est pas fondée.

Sur la quatrième branche :

La quatrième branche du premier moyen est tirée du défaut de base légale au regard des articles 53 et 54 du Nouveau de procédure civile.

L’article 53 du Nouveau code de procédure civile dispose :

« L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. » L’article 54 du même code dispose :

« Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. » Les demandeurs en cassation reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé un écrit clair, in specie les conclusions récapitulatives du 2 avril 2020. Ils font valoir qu’il résulterait des deux extraits cités de ces conclusions30 que le tribunal comme la Cour d’appel auraient été saisis « en substance » d’une demande en indemnisation de la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

Si l’élément de moyen est à comprendre en ce sens que les juges d’appel auraient statué ultra ou infra petita, il est irrecevable .

Conformément à l’article 617 du Nouveau code de procédure civile, «(…) 3° s’il a été prononcé sur choses non demandées, 4° s’il a été adjugé plus qu’il n’a été demandé, 5° s’il a été omis de prononcer sur l’un des chefs de demande », cela ne donne pas ouverture à cassation, mais ces cas donnent ouverture à requête civile.

Subsidiairement :

Le défaut de base légale peut être défini comme « l’insuffisance des constations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit ».31 Or, les demandeurs en cassation invoquent la dénaturation d’un écrit clair. Ils n’indiquent aucune constatation de fait à laquelle les juges du fond auraient omis de procéder.

Cet élément de moyen est incompréhensible dans la mesure où il n’est pas précisé en quoi il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé par défaut de base légale les dispositions visées.

La quatrième branche du premier moyen est irrecevable.

30 Page 10 du mémoire en cassation 31 J.et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz 5e éd. 2015/2016, n°78.21 Plus subsidiairement :

Dans les conclusions récapitulatives du 2 avril 2020, les demandeurs en cassation ont exposé leurs prétentions dans une rubrique « B. Quant au préjudice » :

« Le Sieur T) et la société A) S.A. seront donc condamnés solidairement, sinon in solidum, sinon chacune pour le tout à payer aux parties concluantes des dommages-intérêts correspondant à la moins-value du bien immobilier, au préjudice moral subi et aux frais et honoraires d’avocat qu’elles ont été contraintes de débourser».

Suit un titre « 1. Sur la moins-value du bien immobilier :

Les parties concluantes ont fait appel à l’expert W) pour calculer la moins-value du bien immobilier du fait de l’impossibilité de donner en location les différents lots. » Le préjudice invoqué consistait partant incontestablement dans une moins-value.

L’arrêt dont pourvoi a statué sur ces prétentions, de sorte que la quatrième branche n’est pas fondée.

Sur la cinquième branche :

La cinquième branche du premier moyen est tirée de la violation de la loi, in specie de l’article 61 du Nouveau code de procédure civile.

L’article 61 du Nouveau code de procédure civile dispose :

«Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé.» Cet élément de moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande des demandeurs en cassation en allocation de dommages-intérêts pour préjudice matériel au motif que ces derniers pouvaient «tout au plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, s’ils avaient été mieux informés par le vendeur et l’agence immobilière avant la signature du compromis de vente. Or ni le tribunal, ni la Cour n’ont été saisis d’une telle demande. » Les demandeurs en cassation estiment que, si la Cour d’appel estimait que leur demande de dommages-intérêts pour préjudice matériel à hauteur de 417.600 € correspondant à la moins-

value de l’immeuble estimée par l’expert W) n’était pas fondée sur la base légale appropriée, respectivement n’était pas fondée sur la règle ou le principe de droit invoqué, respectivement n’était pas formulée suivant les termes appropriés, il lui aurait appartenu de substituer la qualification qu’elle estimait exacte.

Or, le juge est lié par les prétentions des parties qui constituent l’objet du litige. En l’espèce, les demandeurs en cassation demandaient à se voir allouer des dommages-intérêts pour préjudice matériel en invoquant une moins-value du complexe immobilier acquis en s’appuyant sur un rapport d’expertise unilatéral.

Les juges d’appel se sont livrés à une analyse de cette expertise pour arriver à la conclusion que le préjudice invoqué n’était pas établi, de sorte que leur demande tendant à se voir allouer la somme de 417.600 € était à rejeter.32 Faute de preuve du préjudice allégué, la demande n’aurait pas non plus pu prospérer sur un autre fondement juridique, voire en appliquant une autre règle de droit.

A suivre le raisonnement des demandeurs en cassation, la Cour d’appel aurait dû reformuler leurs prétentions et procéder comme s’ils avaient demandé à être indemnisés d’un autre chef de préjudice que celui qu’ils avaient explicitement invoqué. Or, l’article 53 du Nouveau code de procédure civile interdit au juge de transgresser l’objet du litige déterminé par les prétentions respectives des parties pour statuer ultra petita ou extra petita.33 Il n’appartient pas au juge de formuler la prétention. Il pourrait appliquer une autre qualification juridique à la prétention, mais en aucun cas ne peut-il reformuler la prétention elle-même. C’est le principe d’immutabilité du litige ou du « principe dispositif » du Droit belge.

La cinquième branche du premier moyen n’est pas fondée.

Sur la sixième branche :

La sixième branche du premier moyen est tirée de la violation de la loi, in specie de l’article 65 du Nouveau code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Cette branche fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir relevé d’office un moyen de droit sans inviter les parties à leurs observations, de sorte que le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté.

« Relever d’office un moyen de droit, c’est faire spontanément application au litige de règles de droit autres que celles dont le demandeur ou le défendeur sollicitait le profit »34, partant «appliquer une règle de droit autre que celle invoquée par les parties »35.

Le juge ne relève un moyen d’office, l’obligeant à un débat contradictoire, que s’il donne aux faits un fondement juridique autre que celui invoqué par les parties et procède « par substitution ».36 32 Page 18 de l’arrêt du 16 décembre 2020 33 Rép. Pr. Civ. Dalloz, Principes directeurs du procès, section 4 : Objet du litige et prétention- Détermination de la prétention, n°65 34 Jurisclasseur, Procédure civile, Fasc. 152, n°64 35 ibidem, Fasc. 114, n°63 36 ibidem, Fasc. 152 , n°147 Par contre, « le juge, tenu (…) de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables, n’a soulevé aucun moyen d’office en donnant à sa décision le fondement juridique qui découlait des faits allégués.»37 Une cour d’appel n’est pas tenue d’inviter les parties à formuler leurs observations dès lors qu’elle se borne à vérifier l’absence ou la réunion des conditions d’application de la règle de droit invoquée.38 Un autre arrêt plus récent a statué dans le même sens en ce qui concerne l’appréciation de l’étendue du préjudice : « que de ces constations et appréciations, faisant ressortir l’existence d’un préjudice dont elle a souverainement apprécié l’étendue, la cour d’appel, qui n’a relevé aucun moyen d’office, a pu statuer comme elle l’a fait ; que le moyen n’est pas fondé. »39 En l’absence de moyen relevé d’office, la Cour d’appel n’était pas tenue d’inviter les parties à présenter des observations.

La sixième branche du premier moyen n’est pas fondée.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Les demandeurs en cassation reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir dit non fondée leur demande en obtention de dommages-intérêts pour préjudice matériel subi et d’avoir déchargé les défendeurs en cassation de la condamnation au paiement de la somme de 417.600 € avec les intérêts légaux aux motifs que « C’est cependant à juste titre que le vendeur critique l’expert de ne pas avoir pris en compte dans l’évaluation du préjudice matériel invoqué par les acquéreurs, les loyers qu’ils ont perçus pour la location des différents lots du complexe immobilier qu’ils ont acquis. La Cour renvoie à cet égard à l’échange de courriels entre la commune de Hesperange et les acquéreurs des 8 et 9 mars 2015 desquels il résulte que les acquéreurs ont donné en location certains lots pendant la durée d’un an.

La demande des intimés tendant à se voir allouer la somme de 417.600 € est dès lors en tout état de cause à rejeter. » Le moyen est articulé en cinq branches.

Sur la première branche :

37 Cass. (F), com, 27 juin 2006, n°05-13.429 38 Rép. Pr. Civ. Dalloz, Principes directeurs du procès, section 4 : Objet du litige et prétention_ Fondement juridique de la prétention, n°204 et jurisprudence y citée : Cass. 3e civ. 25 mars 1998 (JCP 1998, IV. 2132) 39 Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10.771, inédit (le moyen était tiré d’une violation de l’article 16 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme) La première branche est tirée d’une violation de la loi, in specie de l’article 89 de la Constitution, des articles 249 et 587 combinés du Nouveau code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour défaut de réponse à conclusions valant absence de motif.

Cette branche fait grief à l’arrêt entrepris de ne pas avoir répondu au moyen repris dans les conclusions récapitulatives du 2 avril 2020 que l’expert aurait lui-même relevé dans son rapport que les appartements étaient loués au moment de sa visite, si bien que nécessairement il en aurait tenu compte dans son évaluation du préjudice.

En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, des articles 249 et 587 du Nouveau code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme le moyen vise le défaut de réponse à conclusions, qui constitue une forme du défaut de motifs, partant un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.40 En retenant que « C’est cependant à juste titre que le vendeur critique l’expert de ne pas avoir pris en compte dans l’évaluation du préjudice matériel invoqué par les acquéreurs, les loyers qu’ils ont perçus pour la location des différents lots du complexe immobilier qu’ils ont acquis. La Cour renvoie à cet égard à l’échange de courriels entre la commune de Hesperange et les acquéreurs des 8 et 9 mars 2015 desquels il résulte que les acquéreurs ont donné en location certains lots pendant la durée d’un an », l’arrêt attaqué a répondu aux conclusions des demandeurs en cassation sur la question de la prise en compte de la location par l’expert.

La première branche du deuxième moyen n’est pas fondée.

Sur la deuxième branche :

La deuxième branche du deuxième moyen est tirée du défaut de base légale au regard des articles 53 et 54 du Nouveau code de procédure civile. Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé un écrit clair, in specie le rapport de l’expert W).

L’exposé de cette branche est incompréhensible.

Si le grief est à comprendre en ce sens que les juges d’appel auraient statué infra petita ou ultra petita, cet élément de moyen est irrecevable, car ces reproches ne donnent pas ouverture à cassation, mais à requête civile. La soussignée se permet de renvoyer à ses conclusions prises à titre principal dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, qui sont réitérées à cet endroit.

40 J.et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz 5e éd. 2015/2016, n°77.31 La deuxième branche est irrecevable.

Subsidiairement :

Le défaut de base légale peut être défini comme « l’insuffisance des constations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit ».41 Les demandeurs en cassation invoquent la dénaturation d’un écrit clair. Ils n’indiquent aucune constatation de fait à laquelle les juges du fond auraient omis de procéder.

Cet élément de moyen est incompréhensible dans la mesure où il n’est pas précisé en quoi il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé par défaut de base légale les dispositions visées.

La deuxième branche du deuxième moyen est irrecevable.

Plus subsidiairement :

Sous le couvert du grief d’un défaut de base légale au regard des articles 53 et 54 du Nouveau code de procédure civile, par la dénaturation du rapport de l’expert, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’interprétation d’un élément de preuve qui relève du pouvoir souverain des juges du fond et échappe au contrôle de la Cour de cassation ;

La deuxième branche du moyen ne saurait être accueillie.

Sur la troisième branche :

La troisième branche du deuxième moyen est tirée de la violation de la loi, in specie de l’article 89 de la Constitution, des articles 249 et 587 combinés du Nouveau code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour défaut de motif.

Cette branche fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir rejeté l’intégralité de leur demande au lieu de retrancher seulement le montant des loyers perçus pendant un an de l’évaluation de l’expert et de ne pas avoir motivé le rejet de leur demande.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.42 Le rejet de l’intégralité de la demande en allocation de dommages et intérêts pour préjudice matériel est fondée sur les motifs suivants :

« C’est cependant à juste titre que le vendeur critique l’expert de ne pas avoir pris en compte dans l’évaluation du préjudice matériel invoqué par les acquéreurs, les loyers qu’ils ont 41 J.et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz 5e éd. 2015/2016, n°78.21 42 ibidem, n°77.31 perçus pour la location des différents lots du complexe immobilier qu’ils ont acquis. La Cour renvoie à cet égard à l’échange de courriels entre la commune de Hesperange et les acquéreurs des 8 et 9 mars 2015 desquels il résulte que les acquéreurs ont donné en location certains lots pendant la durée d’un an.

La demande des intimés tendant à se voir allouer la somme de 417.600 € est dès lors en tout état de cause à rejeter.

Il s’ajoute, que le préjudice réparable n'est pas exactement le même selon que le contrat a ou non été annulé. Lorsque la victime demande et obtient l'annulation du contrat, elle ne peut se plaindre que des préjudices qui subsistent en dépit de l'effet rétroactif attaché à l'annulation. Peuvent ainsi être réparés des préjudices divers tels que la perte de la plus-

value apportée par l'acheteur au bien qu'il a dû restituer (Cass. com., 7 mars 1995, n° 92-

17.188 : JurisData n° 1995-000458 ; JCP G 1995, II, 22661, note E. du Rusquec), les frais des emprunts contractés pour les besoins de l'acquisition annulée (Cass. com., 4 janv. 2000, n° 96-16.197 : JurisData n° 2000-000108) ou encore les frais de la vente et la commission payée à l'agence (Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-13.327 : JCP G 2014, doctr. 115, obs. J.

Ghestin).

En revanche, lorsque la victime se borne à demander des dommages-intérêts, comme en l’espèce, elle ne peut obtenir réparation des divers frais exposés à l'occasion de la conclusion du contrat.

Le seul préjudice dont la victime du dol puisse obtenir réparation est celui qui résulte de la « perte d'une chance d'avoir pu contracter à d'autres conditions plus avantageuses », comme le dit explicitement la Cour de cassation dans ses arrêts de 2010 (Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.895, RTD.de ré civ. 2010. 322, obs. B. FAGES) et 2012 (Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954). Il ne peut donc s'agir que de compenser les conditions défavorables auxquelles en raison du dol la victime a dû traiter. Le fait qu'elle poursuive l'exécution du contrat signifie en effet qu'il présente une certaine utilité pour elle ; ce qui lui interdit de soutenir qu'elle n'aurait pas contracté sans le dol. (RTD Civ. 2012, p.732, Patrice JOURDAIN : Dol dans la formation du contrat : quel préjudice réparable ?).

Au regard de ces principes, les acquéreurs peuvent tout au plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, s’ils avaient été mieux informés par le vendeur et l’agence immobilière avant la signature du compromis de vente.

Or ni le tribunal, ni la Cour n’ont été saisis d’une telle demande.

Il y a lieu, par réformation, de rejeter la demande des acquéreurs en allocation de dommages et intérêts pour préjudice matériel. » L’arrêt entrepris comporte partant une motivation sur le rejet de l’intégralité de la demande.

La troisième branche n’est pas fondée.

Sur la quatrième branche :

La quatrième branche du deuxième moyen est tirée du défaut de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil.

Les demandeurs en cassation reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir « rejeté l’intégralité de cette demande [de dommages-intérêts à hauteur de 417.600 ] en retenant simplement que le montant des loyers perçus pour la location des différents lots pendant une année n’aurait pas été pris en compte dans l’évaluation de l’expert » et que cette constatation, à la supposer établie, aurait au mieux justifié le rejet partiel de la demande. La motivation de l’arrêt serait insuffisante dans la mesure où elle serait muette quant au montant correspondant aux 19 années supplémentaires durant lesquelles les lots auraient pu être loués.

Cette branche invoque le défaut de base légale, et partant l’insuffisance des constatations de fait auxquelles les juges du fond ont procédé, mais elle n’indique pas quelle serait la constatation de fait à laquelle les juges auraient manqué de procéder, et qui serait indispensable pour statuer sur le droit.

Cet élément de moyen ne précise ni la partie critiquée de la décision ni en quoi elle encourt le reproche allégué. Il ne répond pas aux exigences de l’article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et doit être déclaré irrecevable.

Subsidiairement :

Cette branche procède d’une lecture erronée, voire incomplète de l’arrêt attaqué.

En retenant que, pour les motifs plus amplement cités ci-avant dans le cadre de la troisième branche, « les acquéreurs peuvent tout au plus réclamer la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, s’ils avaient été mieux informés par le vendeur et l’agence immobilière avant la signature du compromis de vente », la Cour d’appel a motivé le rejet de l’intégralité de la demande.

La quatrième branche du deuxième moyen manque en fait.

Sur la cinquième branche :

La cinquième branche du deuxième moyen est tirée de la violation de la loi, in specie des articles 53 et 54 du Nouveau code de procédure civile. Il est fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir omis de statuer sur tout ce qui a été demandé.

Tel que la soussignée l’a déjà exposé, lorsqu’il est statué infra petita, cela donne ouverture à requête civile conformément à l’article 617 du Nouveau code de procédure civile, mais cela ne donne pas ouverture à cassation.

La cinquième branche du deuxième moyen est irrecevable.

Conclusion Le pourvoi est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la société à responsabilité limitée C), mais recevable pour le surplus.

Le pourvoi n’est pas fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 33


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46/22
Date de la décision : 24/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-24;46.22 ?

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