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08/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46289C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 mars 2022, 46289C


posi GRAtions ND-

DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46289C ECLI:LU:CADM:2022:46289 Inscrit le 26 juillet 2021

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Audience publique du 31 mars 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (BA) (anciennement (DC)), …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 juin 2021 (n° 42500 du rôle) en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu l’acte d’appel, inscrit s...

posi GRAtions ND-

DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46289C ECLI:LU:CADM:2022:46289 Inscrit le 26 juillet 2021

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Audience publique du 31 mars 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (BA) (anciennement (DC)), …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 juin 2021 (n° 42500 du rôle) en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46289C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 26 juillet 2021 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG SARL, inscrite au barreau de Luxembourg, ayant son siège social au L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 174248, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Petrus MOONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois (BA) (anciennement (DC)), ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, laquelle société déclare avoir succédé dans le cadre du présent contentieux à la société à responsabilité limitée de droit néerlandais (FE), liquidée en date du 1er mai 2019, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 16 juin 2021 (n° 42500 du rôle) par lequel le tribunal donna acte à la société à responsabilité limitée (DC) qu’elle a repris l’instance en lieu et place de la société à responsabilité limitée de droit néerlandais (FE), reçut en la forme le recours principal en réformation à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 décembre 2018 (n° C … du rôle) ayant rejeté sa réclamation du 17 mai 2018 introduite à l’encontre de quatre décisions du bureau d’imposition Sociétés 1 ayant rejeté sa requête en remboursement de retenues à la source sur revenus de capitaux mobiliers, écarta le classeur de pièces déposé par la demanderesse le 2 février 2021 à 17 heures 23, au fond, déclara le recours non justifié et en débouta la demanderesse, rejeta sa demande de voir soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur son recours subsidiaire en annulation contre la même décision du 13 décembre 2018 et la condamna aux frais de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER déposé au greffe de la Cour administrative le 14 octobre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2021 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG SARL, représentée par Maître Petrus MOONS, pour compte de la société (BA) ;

Vu le mémoire en duplique de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER déposé au greffe de la Cour administrative le 15 décembre 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre-Antoine KLETHI, en remplacement de Maître Petrus MOONS, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2022.

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Par des requêtes présentées le 26 juin 2015, la société à responsabilité limitée de droit néerlandais (FE), ci-après la « société (FE) », demanda la restitution de l’impôt sur le revenu payé par voie de retenue à la source sur les revenus des capitaux provenant de distributions de dividendes de la part des sociétés anonymes (O), (P) et (Q), ci-après respectivement les sociétés « (O) », « (P) » et « (Q) », comme suit :

(i) une retenue à la source de (1) euros pour les dividendes de (O) qui auraient été perçus le 24 avril 2014 ;

(ii) une retenue à la source de (2) euros pour les dividendes de (O) qui auraient été perçus le 22 avril 20215 ;

(iii) une retenue à la source de (3) euros pour les dividendes de (P) qui auraient été perçus le 7 mai 2014 ;

(iv) une retenue à la source de (4) euros pour les dividendes d’(Q) qui auraient été perçus le 15 juillet 2014.

En date des 21 février et 12 mars 2018, le préposé du bureau d’imposition Sociétés 1 de l’administration des Contributions directes refusa de faire droit aux demandes de restitution de retenues à la source à travers quatre décisions, les refus étant tous fondés sur la motivation suivant laquelle « aucun document prouvant le paiement du dividende au bénéficiaire effectif n’a été fourni ».

Par courrier du 17 mai 2018, la société (FE) fit introduire une réclamation contre ces quatre décisions des 21 février et 12 mars 2018 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur ».

Par une décision du 13 décembre 2018, référencée sous le numéro C …, le directeur rejeta comme non fondée la réclamation introduite le 17 mai 2018, dans les termes suivants :

« (…) Vu la requête introduite le 17 mai 2018 par les sieurs (A) et (B), au nom de la société à responsabilité limitée de droit néerlandais (FE), NL-… …, pour réclamer contre trois décisions du bureau d’imposition Sociétés 1 rejetant en date du 21 février 2018 des demandes de remboursement de retenue d’impôt sur revenus de capitaux en relation avec des dividendes alloués par les sociétés (O), (Q) et (P) au cours de l’année 2014, ainsi que contre une décision du bureau d’imposition Sociétés 1 rejetant en date du 12 mars 2018 une demande de remboursement de retenue d’impôt sur revenus de capitaux en relation avec des dividendes alloués par la société (O) au cours de l’année 2015 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Quant à la recevabilité Vu le § 252 AO ;

Considérant qu’il échet tout d’abord d’analyser la qualification à conférer à l’acte introduit par la réclamante en date du 17 mai 2018 ;

Considérant que la réclamante, débiteur de l’impôt, fait grief au bureau d’imposition de ne pas lui avoir accordé une restitution d’un montant total de (5) euros ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 149 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), le débiteur des revenus doit opérer la retenue d’impôt pour compte du bénéficiaire et est personnellement responsable de l’impôt qu’il a retenu ou qu’il aurait dû retenir ;

que suivant l’alinéa 2 du même article, le bénéficiaire des revenus est le débiteur de l’impôt ;

que le bénéficiaire des revenus ne peut pas introduire une réclamation contre le bulletin non écrit (« nicht förmlicher Steuerbescheid » suivant § 212 AO) portant fixation d’une retenue à la source sur revenus de capitaux qui seul est destiné au débiteur des revenus ;

Considérant que l’alinéa 1 du § 150 AO vise les cas où le remboursement d’impôts peut être exigé, partant où le droit au remboursement est établi et n’a qu’à être invoqué par le contribuable ;

qu’en vertu de l’alinéa 2 du même paragraphe, le bureau d’imposition compétent est obligé de matérialiser son refus de remboursement de l’impôt par un bulletin ;

qu’il s’ensuit que « l’existence du droit à restitution ne doit pas être établie à suffisance de droit au moment de la soumission de la demande de restitution par le contribuable, mais qu’il incombe au bureau d’imposition de statuer sur la réalité de ce même droit » (jugement tribunal administratif du 23 juillet 2003, n° 15907 du rôle) ;

Considérant que les droits des créanciers de revenus de capitaux sont réglés par le § 152 (2) n° 1 AO (études fiscales, Jean Olinger, nos 81/82/83/84/85, page 73) ;

qu’en l’occurrence la réclamante qui est le bénéficiaire des revenus de capitaux, peut contester la retenue opérée en soumettant une demande de restitution ;

Considérant qu’en l’espèce, la réclamante a soumis de telles demandes de restitution en date du 29 juin 2015 au bureau d’imposition ;

Considérant qu’il s’ensuit que les bulletins datés du 21 février 2018 et du 12 mars 2018 et communiquant les décisions du refus de remboursement pour un montant total de (5) euros de la part du bureau d’imposition ouvrent donc le droit à une réclamation devant le directeur des contributions sur base du § 235, n°5 AO ;

Quant au fond Considérant qu’en vertu du § 243 de la loi générale des impôts, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du requérant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

Considérant que l’instruction au contentieux a révélé que la réclamante a demandé, en date du 29 juin 2015, le remboursement d’une retenue de 15% sur des dividendes luxembourgeois qui lui auraient été alloués en 2014 et 2015 par les sociétés (O), (Q) et (P) ;

Considérant que, selon la requête introductive, les dividendes alloués se composeraient comme suit :

Dividende en cause Date du paiement Montant brut Retenue du dividende (O) 24 avril 2014 (6) (1) 22 avril 2015 (7) (2) (Q) 15 juillet 2014 (8) (4) (P) 7 mai 2014 (9) (3) Total (5) Considérant qu’en guise de motivation, la réclamante fait valoir que les dispositions de l’article 147 L.I.R. seraient applicables en l’espèce, notamment en ce qui concerne la nature des revenus, que les conditions seraient remplies quant aux filiales et la société mère, i.e. la réclamante, ainsi que quant au seuil de la participation et à la durée de détention ;

Considérant que les décisions de refus du remboursement émises le 21 février 2018 et le 12 mars 2018 par le bureau d’imposition Sociétés 1 retiennent comme motivation du refus :

« Aucun document prouvant le paiement du dividende au bénéficiaire effectif n’a été fourni » ;

Considérant qu’à cet effet, la réclamante expose qu’« En l’espèce, les demandes de remboursement des retenues à la source supportées par la Société pour un montant total de EUR (5) ont fait l’objet de plusieurs échanges au cours desquels la Société a été invitée à communiquer un ensemble de pièces justificatives, lesquelles permettaient sans équivoque de prouver le paiement des dividendes à la Société en sa qualité de bénéficiaire effectif » ;

Considérant que l’article 147 L.I.R. prévoit notamment une condition de détention directe d’un seuil de participation minimum d’au moins 10% ou un prix d’acquisition minimal de 1.200.000 euros pendant une durée déterminée ;

Considérant que la réclamante expose avoir livré entre autres des confirmations écrites et signées « de la part de (BANK) indiquant le montant des dividendes perçus par la Société, ainsi que les retenues à la source luxembourgeoises y relatives. Ces confirmations constituent, sur base d’échanges entretenus avec (BANK) des Tax Vouchers en bonne et due forme » ;

Considérant que l’article 147 L.I.R. prévoit l’exemption de la retenue d’impôt prévue à l’article 146 L.I.R. des revenus alloués par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l’annexe de l’article 166, alinéa 10 L.I.R., ou par une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l’annexe de l’article 166, alinéa 10 L.I.R., aux organismes à caractère collectif énumérés à l’article 147, numéro 2, lettres a) à h) L.I.R. ;

Considérant que les dispositions de l’article 147, numéro 2 L.I.R. visent notamment les revenus alloués à :

 un autre organisme à caractère collectif visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mère et filiales d’Etats membres différents,  une autre société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l’annexe de l’article 166, alinéa 10,  l’Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou aux exploitations de collectivités de droit public indigènes,  un établissement stable d’un organisme à caractère collectif visé aux lettres a, b ou c,  un organisme à caractère collectif pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités qui est un résident d’un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions, ainsi qu’à son établissement stable indigène,  une société de capitaux qui est un résident de la Confédération suisse assujettie à l’impôt sur les sociétés en Suisse sans bénéficier d’une exonération,  une société de capitaux ou une société coopérative qui est un résident d’un Etat, partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE) autre qu’un Etat membre de l’Union Européenne et qui est pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités,  un établissement stable d’une société de capitaux ou d’une société coopérative qui est un résident d’un Etat, partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE) autre qu’un Etat membre de l’Union européenne et que, à la date de la mise à disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s’engage à détenir, sous les conditions prévues à l’article 149, alinéa 4 directement pendant une période ininterrompue d’au moins douze mois, une participation d’au moins 10 pour cent ou d’un prix d’acquisition d’au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des revenus ;

Considérant que le paragraphe 171 AO retient dans son alinéa 1er que « Auf Verlangen (§ 205 Absätze 1 und 2) hat der Steuerpflichtige die Richtigkeit seiner Steuererklärung nachzuweisen. Wo seine Angaben zu Zweifeln Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel den Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat »;

Considérant dès lors qu’en « cas de contestations émises par l’administration des Contributions sur la déclaration faite par le contribuable, celui-ci est légalement tenu à faire parvenir à l’administration des Contributions les renseignements et explications demandés, étant donné que la charge de la preuve de l’exactitude des déclarations faites pèse désormais sur le contribuable » (jugement tribunal administratif du 17 octobre 2007, n° 22366 du rôle) ;

Considérant d’abord que l’alinéa 149 L.I.R. retient clairement dans son alinéa 4a que : « En l’absence d’un engagement par le bénéficiaire des revenus, le débiteur est tenu de déclarer et de verser l’impôt retenu à la source dans le délai de huit jours à partir de la mise à la disposition des revenus. Le remboursement peut être demandé par le bénéficiaire des revenus dès qu’il prouve que la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n’est pas descendu au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d’acquisition au-dessous de 1.200.000 euros » ;

Considérant qu’en l’occurrence, le bureau d’imposition était donc en droit de demander des pièces justificatives quant à la mise à disposition effective des dividendes (O), (Q) et (P) au profit de la requérante, ainsi que des pièces quant à la durée de détention de douze mois requise par les dispositions de l’article 147 L.I.R. ;

Considérant qu’il n’est pas litigieux non plus que la presse internationale a révélé un scandale européen quant à un système de fraude et un système d’optimisation fiscale en matière de demandes de remboursement de retenues à la source sur revenus de capitaux ;

qu’ainsi, suivant un organe de presse français, « Le scandale est venu d’Allemagne, où a été révélé, en 2015, un montage fiscal mis en place par une bande de tradeurs, de banques et d’avocats pour frauder le fisc allemand. Exploitant une faille de la loi, ils se sont en effet échangé de gros volumes d’actions, au moment précis où le dividende était versé aux actionnaires, afin de brouiller l’identité des véritables bénéficiaires de ces actions » (Le Monde, 19 octobre 2018) ;

Considérant que ledit scandale a révélé deux méthodes de « fraude », d’une part, la méthode dite « CumCum » et, d’autre part, la méthode dite « CumEx » ;

Considérant que la méthode dite « CumCum » constitue un système d’optimisation fiscale permettant à des investisseurs de contourner la retenue d’impôt sur les dividendes en transférant les titres d’un investisseur à un autre, chacun pouvant profiter à tour de rôle des dispositions favorables d’une convention bilatérale contre les doubles impositions ou de dispositions légales en matière de privilège société mère et filiales ;

Considérant que la méthode dite « CumEx » constitue par contre un système organisé permettant à un investisseur de récupérer à une ou plusieurs reprises une retenue d’impôt sur dividendes qui n’a jamais été payée ;

Considérant que le paragraphe 6 StAnpG dispose que « (1) Durch Missbrauch von Formen und Gestaltungsmöglichkeiten des bürgerlichen Rechts kann die Steuerpflicht nicht umgangen oder gemindert werden. (2) Liegt ein Missbrauch vor, so sind die Steuern so zu erheben, wie sie bei einer den wirtschaftlichen Vorgängen, Tatsachen und Verhältnissen angemessenen rechtlichen Gestaltung zu erheben wären (…) » et reflète ainsi, ensemble avec le paragraphe 11 StAnpG, le principe de l’appréciation d’après les critères économiques en matière fiscale et règle le détournement abusif des dispositions légales de leur objectif premier en vue de bénéficier par des constructions artificielles d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur ;

Considérant qu’il s’impose de procéder par une analyse, de point en point, de chacun des critères tels qu’énumérés et retenus à travers la jurisprudence constante (entre autres arrêt de la Cour administrative datant du 7 février 2013, numéro 31320C), afin d’être en mesure de juger si la voie juridique choisie de la réclamante est à qualifier d’abus de droit au sens du § 6 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) ;

que les trois critères à remplir sont les suivants :

1) l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé 2) la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt 3) l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie En ce qui concerne l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé Considérant qu’en l’occurrence, les bénéficiaires économiques de la réclamante se sont servis de la structure d’une société de capitaux de droit néerlandais afin de récupérer des retenues d’impôt sur dividendes de manière que ce premier élément se trouve vérifié en l’espèce ;

En ce qui concerne la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt Considérant que ce critère s’avère manifestement rempli à son tour, une économie d’impôt pouvant être réalisée à l’aide d’un système d’optimisation fiscale en matière de demandes de remboursement de retenues d’impôt sur revenus de capitaux ;

En ce qui concerne l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie Considérant que quant au troisième élément de l’usage d’une voie inadéquate, il convient de préciser que le caractère simplement inhabituel des formes, constructions ou opérations de droit privé n’est pas à lui seul suffisant pour les voir qualifier d’inadéquates au vu de la liberté en principe reconnue au contribuable de choisir la voie la moins imposée, mais qu’il faut que l’objectif économique soit atteint par cette voie dans le contexte économique donné, d’une manière telle qu’elle permet l’obtention d’un effet fiscal que le législateur ne peut pas être considéré comme ayant voulu accorder dans le cadre d’une application de la loi fiscale conforme à son intention ;

Considérant qu’en guise de motivation, la réclamante a encore versé le détail journalier des « positions détenues » dans les sociétés (O), (P) et (Q); qu’ainsi elle a versé environ mille pièces en relation avec ce détail journalier, dénommé « daily position review per client » pour les sociétés en question et les années en question ;

Considérant que les « Tax vouchers » produits renseignent l’attribution des dividendes suivants :

Company Ex dividend Payment date Number of Dividend date shares (O) 17.04.2014 24.04.2014 … (6) (O) 20.04.2015 22.04.2015 (7) (Q) 12.05.2014 15.07.2014 (8) (P) 02.05.2015 07.05.2014 (9) Considérant cependant que le détail journalier (« daily position review per client ») en relation avec les sociétés (O), (Q) et (P) à la date précédant la date « ex-dividend »1 renseigne des nombres d’actions respectifs de 11.000.000 et de 700.000 pour les dividendes (O) pour les années 2014 et 2015, ainsi qu’un nombre d’actions de 10.900.000 pour les dividendes (Q) pour l’année 2014 ;

que ces montants ne correspondent dès lors pas au nombre d’actions ayant fait l’objet des demandes de remboursement ;

que les pièces dénommées « daily position review per client » reprennent entre autres des désignations (« UNS » et « SET ») qui montrent des transferts récents de titres (O) pour les jours en question ;

Considérant par exemple qu’en ce qui concerne les titres (Q), le « tax voucher » fourni fait ressortir un dividende déclaré sur 10.739.829 actions ;

Considérant néanmoins qu’il ressort du détail journalier de la date précédant la date « ex-dividend » que la réclamante aurait détenu 10.900.000 actions ;

Considérant qu’il n’est pas clair en l’espèce pourquoi la réclamante n’a pas demandé le remboursement de la retenue portant sur le nombre total des actions, i.e. 10.900.000 actions ;

Considérant qu’en ce qui concerne les actions (O), la réclamante a demandé le remboursement d’une retenue en relation avec un nombre d’actions beaucoup plus élevé que ceux renseignés par le détail journalier à la date précédant la date « ex-dividend » ;

Considérant qu’il y a lieu de relever encore que le détail journalier fourni en guise de motivation par la réclamante n’est pas complet ; qu’en effet, elle s’est bornée à fournir un extrait des détails journaliers, notamment, en principe, les pages 9, 10 ou 11 d’un jour précis ;

Considérant ainsi que la page 9 du détail journalier au 12 août 2014 montre la détention d’un nombre d’actions (Q) de 2.900.000 ; […] Considérant que la page 25 du détail journalier au même jour renseigne des désignations « Gross dividends compensation stock », « Dividends stock » et « Dividend tax stock » ;

Considérant que les désignations « Gross dividends compensation stock » et « Dividends stock » reprennent des montants respectifs de (10) euros et (11) euros ; que la somme de ces postes représente le total des dividendes qui auraient été alloués pour le nombre total de 10.900.000 actions (Q) ; que la désignation « Dividend tax stock » représente une retenue de 15%, i.e. un montant de (12) sur le dividende de (11) euros ; […] Considérant en l’occurrence, qu’il n’est d’abord pas clair pourquoi le détail journalier reprend encore une fois les dividendes qui auraient d’ailleurs été alloués déja en date du 15 juillet 2014 à la réclamante ;

1 Date à partir de laquelle le titre est traité comme sans dividende Considérant par la suite qu’il résulte des détails journaliers fournis en guise de motivation que le dividende (Q) payé le 15 juillet 2014 a été divisé en plusieurs groupes, notamment une première fois en date du 12 août 2014 en un montant de (10) et un montant de (13) euros, puis une deuxième fois en date du 10 novembre 2014, en un montant de (14) et un montant de (15) euros (somme : (10) euros) ;

Considérant que l’instruction au contentieux a révélé que le bureau d’imposition a demandé des explications quant à la désignation « Gross dividends compensation stock » ;

Considérant qu’il ressort de deux courriers électroniques du 6 février 2018 que le sieur (C) a fourni les explications suivantes : « Die (BANK) (« Bank ») muss für eine Vielzahl an Kunden am Dividendenstichtag die entsprechenden Buchungen erfassen. Dieser technisch aufwendige Mechanismus funktioniert auf Seiten der Bank am Dividendenstichtag nicht ohne Fehler. Zum Managen eines Dividendenlaufs behilft sich die Bank allem Anschein nach mit einer anfänglichen und vorübergehenden Erfassung zugunsten von Kompensations-

zahlungen. In der sich dem Dividendenstichtag anschlieβenden Phase werden die anfänglichen Buchungen der Bank durch Umbuchungen präzise korrigiert - sie sind am Ende der Korrektur nicht mehr vorübergehend, sondern definitiv. Diese präzisen Korrekturen stellen sicher, dass die nachfolgenden Gleichungen erfüllt sind (für jedes Jahr und für jede Aktiengattung):

Aktienposition x Dividende pro Aktie = besteuerte Bruttodividende + Kompensationszahlung Besteuerte Bruttodividende x 15% = gezahlte luxemburgische Kapitalertragsteuer »;

et « Die (BANK) ist standardmäβig berechtigt, auf die Aktienpositionen der Kunden zuzugreifen - so auch bei der (FE). Geschieht dies über den Dividendenstichtag, dann muss die (BANK) die (FE) für die entgangene Dividende kompensieren. Die entsprechende Zahlung nennt sich Kompensationszahlung. Bei einer Kompensationszahlung für eine luxemburgische Aktie erfolgt kein Steuerabzug von 15%. Folglich kann aus einer Kompensationszahlung auch keine Rückforderung gegenüber dem luxemburgischen Finanzamt entstehen. Unsere Rückforderungen fallen durch die teilweise Nutzung unserer Aktienbestände durch die (BANK) folglich geringer aus. (…) Die Umbuchungen der (BANK) stellen sicher, dass der (FE) die richtige Höhe an luxemburgischen Steuern belastet wird. Alle Umbuchungen haben gemeinsam, dass sie zu einer höheren Belastung mit luxemburgischer Steuer geführt haben.

Beispiel RTL 2014:

Während uns anfänglich eine Kompensationszahlung von (9) EUR gutgeschrieben wurde - ohne Abzug von luxemburgischen Steuern korrigierte dies die (BANK) am 1.8.2014 durch eine Umbuchung bei den Kompensationszahlungen. Das Ergebnis war eine Belastung des Kontos der (FE) mit luxemburgischen Steuern in Höhe von (4) EUR »;

Considérant que la réclamante a encore fourni le tableau explicatif suivant en ce qui concerne le dividende qui lui aurait été alloué par le (P) en 2014 ;

Datum Gesamte Hiervon :

Hiervon :

Gezahlte Bruttodividende besteuerte Kompensations-

luxemburgische Bruttodividende zahlung Kapitalertragsteuer 12.05.2014 (9) … (9) … 01.08.2014 … (9) -(9) -(3) (9) (9) … -(3) Considérant qu’il y a lieu de rappeler à ce stade certaines dispositions de l’article 149 L.I.R. en matière de procédure et de modalités de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux ;

que la retenue d’impôt doit être opérée par le débiteur des revenus pour compte du bénéficiaire ; que le débiteur des revenus est personnellement responsable de l’impôt qu’il a retenu ou qu’il aurait dû retenir (article 149, alinéa 1 L.I.R.) ; que le bénéficiaire des revenus est débiteur de l’impôt (article 149, alinéa 2 L.I.R.) ;

que la retenue d’impôt doit être opérée à la date de la mise à disposition des revenus (article 149, alinéa 3 L.I.R.) ;

que le débiteur des revenus de capitaux est tenu de déclarer et de verser l’impôt retenu à l’administration des contributions dans le délai de huit jours à partir de la date de la mise à disposition des revenus (article 149, alinéa 4 L.I.R.) ;

Considérant qu’il n’est donc pas litigieux que lors du paiement d’un dividende, comme en l’espèce par les sociétés (Q), (O) et (P), les sociétés distributrices sont, soit obligées d’opérer la retenue d’impôt pour le compte du bénéficiaire en application des dispositions des articles 146, 148 et 149 L.I.R. à la date de la mise à disposition des revenus, soit dispensées d’opérer ladite retenue d’impôt en application des dispositions de l’article 147 L.I.R. ;

Considérant que l’instruction au contentieux a révélé que les débiteurs des revenus concernés, i.e. les sociétés (Q), (O) et (P) étaient obligées d’opérer les retenues d’impôt pour le compte des bénéficiaires des revenus en ce qui concerne les dividendes litigieux ;

Considérant néanmoins qu’il résulte des explications et pièces fournies par la réclamante dans le cadre de l’instruction menée par le bureau d’imposition que la banque (BANK) et la réclamante ont procédé à des transferts de dividendes et de retenues d’impôt à leur propre guise par des paiements compensatoires et des corrections tardives de la retenue d’impôt, i.e. quelques semaines ou même des mois après la date de la mise à disposition effective des dividendes payés par les sociétés (Q) et (P) ;

Considérant qu’en ce qui concerne les dividendes (O), il ressort de l’analyse du dossier fiscal que des redressements en matière de paiements compensatoires et des corrections de retenue d’impôt ont également été opérés ;

Considérant dès lors que même si la réclamante fait valoir que « Die (BANK) ist standardmäβig berechtigt, auf die Aktienpositionen der Kunden zuzugreifen - so auch bei der (FE) » et que « die (BANK) (…) muss für eine Vielzahl an Kunden am Dividendenstichtag die entsprechenden Buchungen erfassen. Dieser technisch aufwendige Mechanismus funktioniert auf Seiten der Bank am Dividendenstichtag nicht ohne Fehler », il n’en reste pas moins que les « réattributions » de revenus, les paiements compensatoires, ainsi que les corrections des montants de dividendes et de retenues d’impôt laissent des doutes sérieux quant à l’authentification du bénéficiaire économique réel des dividendes faisant l’objet de la présente réclamation ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’en l’espèce le troisième critère permettant de qualifier une certaine opération d’abus de droit au sens du paragraphe 6 StAnpG s’avère rempli à son tour ;

Considérant qu’il s’ensuit que c’est à juste titre que le bureau d’imposition a refusé le remboursement de la retenue d’un montant total de (5) euros ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. (…) ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2019, la société (FE) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 13 décembre 2018 rejetant sa réclamation introduite le 17 mai 2018 contre les quatre décisions de rejet par le préposé du bureau d’imposition Sociétés 1 de l’administration des Contributions directes des demandes en restitution de la retenue d’impôt à la source.

Dans son jugement du 16 juin 2021 (n° 42500 du rôle), le tribunal administratif donna acte à la société (DC) qu’elle reprenait l’instance en lieu et place de la société (FE), reçut en la forme le recours principal en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée du 13 décembre 2018, écarta le classeur de pièces déposé par la demanderesse le 2 février 2021 à 17 heures 23, au fond, déclara le recours non justifié et en débouta la demanderesse, rejeta sa demande de voir soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur son recours subsidiaire en annulation contre la même décision du 13 décembre 2018 et la condamna aux frais de l’instance.

Par résolution de son associé unique du 8 mai 2020, la société (DC) changea de dénomination pour devenir la société (BA), ci-après la « société (BA) ».

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 26 juillet 2021, la société (BA) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Quant à la portée de l’appel Dans le dispositif de sa requête d’appel, l’appelante a précisé qu’elle demande la réformation du jugement du 16 juin 2021 « en ce qu’il considère non fondé[e] la demande de remboursement de retenue à la source ». Il y a donc lieu de considérer que l’appel ne porte que sur le volet du jugement ayant débouté l’appelante de son recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 13 décembre 2018.

Quant au fond Moyens des parties Après avoir retracé les faits et rétroactes retranscrits ci-avant, l’appelante explique que les demandes de remboursement des retenues d'impôt à la source seraient fondées sur l'article 149, alinéa (4a), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR », tout en soulignant que les conditions de l'article 147 LIR seraient remplies, à savoir que les revenus perçus seraient visés par l'article 97, alinéa (1), n° 1 LIR, qu’ils auraient été alloués par des organismes à caractère collectif résidents pleinement imposables et revêtant une des formes énumérées à l'article 166, alinéa (10), LIR et qu'elle-même serait un organisme à caractère collectif visé par l'article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, ci-après la « directive 2011/96 ».

Elle aborde ensuite la « problématique des Cum/Ex » en expliquant qu’elle serait certes importante mais « extérieure au dossier d’espèce », qu’il n’y aurait pas de « preuve effective que le Luxembourg ait été touché par ce type de transactions » et que l’administration aurait dû interroger la société (BANK), ci-après la « (BANK) », si elle avait des doutes sur la validité des « tax vouchers ». L’appelante précise que les « opérations d’arbitrage de dividendes » incluraient plusieurs types de transactions, dont les opérations « Cum-Cum » et « Cum-Ex », et ne devraient pas automatiquement être associées à des opérations abusives. La partie étatique effectuerait donc un raccourci en affirmant que de telles opérations d’arbitrage seraient un « euphémisme employé pour décrire les activités ‘cum-ex’ ». Ces dernières seraient, en résumé, « des opérations par lesquelles certains contribuables ont pu, par le passé, demander de multiples remboursements de retenue à la source pour le même paiement de dividendes, alors qu’une seule personne avait effectivement payé la retenue à la source ».

Puisque la société (FE) aurait été le propriétaire juridique d’actions en grande majorité « settled », elle ne se serait trouvée que dans la position de l’investisseur ayant valablement droit au remboursement de la retenue à la source.

De plus, en cherchant à instiller des « soupçons infondés » de Cum-Ex, la partie étatique se serait manifestement contredite en commençant par affirmer que l’administration des Contributions directes serait « régulièrement » confrontée à une double demande de remboursement de la retenue à la source sur dividendes « sur les mêmes positions-actions », puis en affirmant dans la phrase suivante que ladite administration « est dans l’impossibilité de savoir si deux demandes concernent les mêmes actions ».

En droit, l’appelante critique le jugement pour avoir confirmé la décision du directeur du 13 décembre 2018 sur base de la considération que les preuves fournies par elle ne démontreraient pas à suffisance la détention d'une participation pour un prix d'acquisition de 1,2 million euros pour une période ininterrompue de 12 mois.

Le premier moyen de l’appelante consiste à affirmer qu’elle aurait prouvé à suffisance sa détention des participations dans les sociétés (O), (Q) et (P).

Tout en admettant que conformément aux dispositions du § 171, alinéa 1er, de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », il appartiendrait au contribuable de rapporter la preuve de nature à justifier sa demande, l’appelante souligne que l'obligation de preuve à charge du contribuable serait limitée par ce qui peut être raisonnablement exigé de lui. De plus, en vertu de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », la preuve pourrait être rapportée par tout moyen.

L’appelante donne à considérer que pour ce qui est des différentes participations détenues dans les sociétés (O), (Q) et (P), elle aurait produit des rapports journaliers (« daily position reviews ») de ces participations et un graphique résumant le seuil de détention, pièces qui démontreraient la détention par la société (FE) d'une participation dans ces sociétés pour une période ininterrompue de 12 mois pour un prix d'acquisition supérieur au seuil de 1,2 million d'euros.

La détention des actions ressortirait en outre des comptes annuels audités au titre des exercices 2014 et 2015 de la société (FE) et des pièces justificatives fournies par cette dernière au soutien de sa demande de remboursement des retenues à la source sur les distributions reçues des sociétés (O), (Q) et (P), l’appelante se référant, pour chaque société, aux pièces afférentes, à savoir (i) le modèle 901bis relatif à la demande de remboursement de retenue à la source, (ii) une confirmation de paiement émise par la (BANK), l’appelante précisant que ladite banque n'aurait pas produit ce type de document pour les exercices antérieurs à l’année 2015, de sorte qu'elle ne serait pas en mesure de fournir un tel document pour les distributions de dividendes perçus en 2014, et (iii) des confirmations écrites signées par la (BANK) indiquant le montant des dividendes perçus ainsi que les retenues à la source y relatives, ces confirmations constituant, d’après l’appelante, des « tax vouchers » en bonne et due forme, les originaux de ces documents ayant été remis à l'administration des Contributions directes.

L’appelante estime que c’est à tort que les juges de première instance auraient retenu que les documents qu’elle a produits seraient des « documents unilatéraux » émis par elle-

même, alors que « la preuve de détention journalière et les tax vouchers » auraient été fournis par la (BANK). De plus, elle considère que l’on ne saurait écarter les rapports journaliers de participation simplement parce qu’ils auraient été générés informatiquement et ne seraient pas signés. La partie étatique se tromperait en affirmant que des transactions de vente et rachat pourraient être effectuées au sein de la même journée sans être visibles sur les relevés de position journalière, créant ainsi des doutes infondés sur l’utilité de ces relevés dans l’administration de la preuve par l’appelante. En effet, le règlement d’une transaction, c’est-à-dire le fait que son statut passe de unsettled à settled, prendrait au moins une journée.

Par conséquent, une transaction de cession et de rachat entraînerait nécessairement qu’au moins pour le jour de la transaction, des actions figurent sur le relevé de position journalière en position unsettled à la place de settled. La partie étatique n’aurait pas démontré qu’une telle transaction de cession et rachat se serait produite ni qu’elle aurait fait chuter le prix d’achat de la participation détenue en continu par la société (FE) sous un seuil de 1,2 million d’euros.

L’appelante nie par ailleurs l’existence de formalités relatives aux « tax vouchers » et déplore que ni l’administration, ni le tribunal n’aient utilisé leurs pouvoirs d’enquête en interrogeant la (BANK) pour vérifier si les indications des « tax vouchers » étaient correctes.

En outre, en lui demandant de prouver le « lien de détention le long de la chaîne », l’administration lui imposerait une preuve non exigée par la loi fiscale et impossible à rapporter par un investisseur comme l’appelante « en considération du nombre d’intermédiaires entre l’émetteur des actions et le teneur de comptes ». Les pièces versées par l’appelante démontreraient qu’elle a encore essayé, mais en vain, d’obtenir des confirmations de la part de l’auditeur de la société (FE) à l’époque des faits pertinents, ainsi que de la (BANK). Or, à défaut de coopération de la part de cette dernière, il serait évident que l’appelante n’aurait pas accès aux informations permettant d’établir la « chaîne de paiements ». Le seul moyen d’obtenir ces informations serait de contraindre la (BANK) à produire les informations nécessaires et à contacter les autres intermédiaires. Ceci nécessiterait que l’administration des Contributions directes ou la Cour utilisent leurs pouvoirs d’investigation et requerrait notamment de faire procéder par un expert à une vérification d’écritures auprès de la (BANK).

L’appelante souligne encore que le jugement du tribunal d’Amsterdam daté du 4 mars 2016, dont se prévaut la partie étatique, n’aurait pas concerné spécifiquement la société (FE) mais le groupe (BA GROUP) globalement et ne serait pas relatif aux investissements de la société (FE) dans des actions des sociétés (O), (Q) et (P), mais concernerait « une ou deux transactions postérieures » explicitement indiquées dans ce jugement. La (BANK) n’y aurait pas contesté « la validité des pièces qu’elle remet à ses clients ». Ce contentieux ne remettrait donc aucunement en cause les opérations précédentes de l’appelante et n’affecterait pas la valeur probante des documents issus de la (BANK).

L’appelante ayant « rempli autant que possible sa charge de la preuve », il s'ensuivrait que la preuve de la détention de participations qualifiant pour le remboursement de la retenue à la source serait fournie. Les premiers juges auraient commis une erreur de droit en admettant que l’appelante aurait dû se procurer la preuve telle que requise par la partie étatique, car cette demande ne serait conforme ni au § 171 AO, ni à l’article 3 du règlement grand-ducal du 18 décembre 1998, portant exécution de l’article 151 LIR. Cette dernière disposition indiquerait clairement les informations devant apparaître dans le certificat pouvant être utilisé par le bénéficiaire des revenus de capitaux pour faire valoir son droit au remboursement de la retenue à la source. En l’espèce, les dividendes ayant été versés par l’entremise d’un établissement de crédit – la (BANK) –, il suffirait « d’une pièce renseignant (i) le montant touché ; (ii) la retenue d’impôt opérée ; et (iii) le nom du débiteur des revenus de capitaux ».

Or toutes ces informations figureraient déjà dans les « tax vouchers » et les autres documents versés par l’appelante. En outre, en se basant sur des articles de presse afin de justifier des « soupçons vagues et non-étayés » de la partie étatique quant à la validité des preuves offertes par l’appelante, le tribunal aurait violé le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans son second moyen, relatif à la question de sa qualité de bénéficiaire effectif, l’appelante donne à considérer qu'aucune disposition ne subordonnerait le remboursement de la retenue à la source à la preuve par le bénéficiaire du dividende de sa qualité de bénéficiaire effectif. Elle estime que c’est à tort que le tribunal aurait indiqué que « la qualité de bénéficiaire effectif est inscrite en sous-jacent dans l’esprit de l’article 147 LIR du fait de la référence à la notion de bénéficiaire ». En effet, seul le droit conventionnel connaîtrait la notion de bénéficiaire effectif en matière de retenue à la source sur les revenus de capitaux, notion qui serait distincte de celle de propriétaire économique au sens du § 11 de la loi d'adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG ». Le droit fiscal étant d’interprétation stricte et la demande de remboursement étant fondée sur les dispositions du droit interne, la notion de bénéficiaire effectif serait à exclure en l’espèce.

De surcroît, comme il ressortirait des rapports journaliers que la société (FE) aurait été le propriétaire juridique des actions, il n’y aurait pas lieu de remettre en cause sa propriété économique de ces actions. Ces dernières auraient été sur un « compte omnibus » de la (BANK) qui aurait permis à celle-ci « d’utiliser les actions pour effectuer des opérations de prêt d’actions ». Comme ces opérations n’auraient pas été soumises à l’approbation de l’appelante, celle-ci n’en aurait pas nécessairement eu connaissance, « exclusion faite, en cas de « stock lending », d’un paiement de compensation représentant 100% du dividende ».

L’appelante admet que la société (FE) a reçu des compensations de paiements de dividendes, mais souligne qu’elle ne demanderait pas le remboursement des retenues à la source relativement à ces paiements de compensation. De plus, même en cas de prêt d’actions détenues par la société (FE), celle-ci aurait continué à être le propriétaire économique des actions prêtées. En effet, une telle opération « porte[rait] sur un titre et la remise d’un titre similaire », donc l’appelante conserverait « l’ensemble des risques en lien avec l’action et les revenus afférents à l’action ».

Même à admettre qu'une condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif devrait être remplie, l’appelante rappelle que le propriétaire juridique d’actions à la « dividend record date » serait celui qui devrait recevoir le dividende, que le propriétaire juridique d’un bien serait présumé en être le propriétaire économique et que le § 11 StAnpG et la jurisprudence y relative ne permettraient de dévier de cette présomption « que s’il se dégage de la réalité économique que la propriété économique a été transférée à un tiers, c’est-à-dire lorsque le propriétaire juridique n’assume pas les risques liés au bien et n’en retire pas les bénéfices auxquels donne droit la propriété juridique, et qu’il n’exerce plus le contrôle réel sur le bien ».

Elle estime donc que ce ne serait pas à elle de prouver, au-delà des documents déjà fournis, que la société (FE) était bien le bénéficiaire effectif des paiements et le propriétaire économique des titres, mais qu’il incomberait au contraire à la partie étatique de démontrer l’absence de ces qualités « malgré les preuves du contraire déjà produites ».

Enfin, dans son troisième moyen, l’appelante fait valoir qu’en exigeant des preuves impossibles à rapporter pour les actions dématérialisées, l'Etat « crée[rait] une discrimination entre des titulaires d'actions de sociétés non cotées et ceux d'actions cotées » et déplore que le tribunal ait confirmé cette position. Celle-ci serait pourtant totalement injustifiée car l'article 147 LIR permettrait une exonération de retenue à la source à compter d'un prix d'acquisition de 1,2 million d'euros, sans prendre en compte le taux de participation. Or, un investissement d'un tel montant pour une participation inférieure à 10 % du capital se ferait essentiellement dans le cadre d'une société dont les titres sont cotés. Si les exigences de l’administration devaient être suivies, tout titulaire de titres dématérialisés se trouverait dans l'impossibilité de demander un remboursement de retenue à la source.

Dans l'hypothèse où la Cour ne suivrait pas sa position quant à la preuve requise, l’appelante demande à la Cour de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : « Est-il conforme à l’article 101 de la Constitution de subordonner l’acceptation d’une demande de remboursement de retenue à la source sur dividendes introduite par le bénéficiaire de dividendes relatifs à des titres dématérialisés, à la mise à disposition, par ce bénéficiaire, de l’ensemble des flux de paiements intervenus entre les différents intermédiaires impliqués dans la chaîne de détention des titres dématérialisés, alors qu’une telle condition n’est pas imposée au titulaire de titres dématérialisés ? ».

Le délégué du gouvernement demande la confirmation intégrale du jugement du 16 juin 2021.

Il rappelle qu’en vertu du § 171 AO, il incomberait au contribuable d’établir la véracité de ses déclarations sur base de pièces objectives et probantes. Or, l’appelante ne développerait aucun argumentaire pour remettre en cause le constat des premiers juges quant au caractère probant insuffisant, voire inexistant des pièces versées. Ces dernières seraient des documents unilatéraux émanant de l’appelante, sauf trois types de documents, à savoir les « daily position reviews », les « tax vouchers » et les « confirmations de paiement » qui proviendraient de la (BANK). Cependant, celle-ci aurait remis en question ces pièces dans le cadre du procès l’opposant à l’appelante, de sorte que lesdites pièces devraient être rejetées faute de valeur probante certaine.

De plus, les rapports journaliers ne seraient que de simples extraits informatiques ne reflétant qu’une « image ponctuelle et incomplète des positions et transactions » de l’appelante, « vraisemblablement en fin de journée à la clôture des marchés », et ne permettraient pas de « déceler à quel titre (propriétaire juridique ou économique) » ni pendant quelle durée les titres auraient été détenus de manière ininterrompue. En outre, rien n’empêcherait d’effectuer plusieurs transactions pendant la même journée sans que ces transactions apparaissent dans les rapports journaliers. Les « tax vouchers » ne sauraient pas non plus servir de preuve concluante en raison de l’absence de signature et des incohérences entre les retenues déclarées et les retenues figurant sur le « tax voucher » relatif à la distribution de dividendes en 2015 par la société (O). Ces contestations vaudraient également pour la confirmation de paiement non signée par la (BANK). L’appelante n’aurait donc prouvé ni que la société (FE) aurait détenu pendant une période ininterrompue de 12 mois les actions des sociétés (P), (O) et (Q), ni qu’elle aurait été le « bénéficiaire économique » des dividendes litigieux pour les années 2014 et 2015.

L’appelante ne prouverait pas non plus à suffisance qu'au moment du paiement des dividendes, la société (FE) était le propriétaire des actions sous-jacentes.

En l'espèce, les paiements litigieux seraient liés à des dividendes attachés à des actions émises par les sociétés (P), (O) et (Q), qui seraient des titres fongibles et dématérialisés. Or, la dématérialisation des titres serait à l'origine de profondes mutations ayant concerné tant les aspects juridiques et organisationnels que les moyens techniques mis en œuvre pour assurer les transactions.

Depuis la loi du 6 avril 2013 relative aux titres dématérialisés, les titres de capital que les émetteurs souhaitent émettre sous forme dématérialisée ne seraient matérialisés que par la simple inscription en compte-titres du propriétaire qui chargerait un intermédiaire financier de la gestion de ce compte-titres.

Le traitement des titres ferait intervenir plusieurs acteurs, à savoir (i) l’agent payeur, qui serait un établissement financier mandaté par l'émetteur des titres pour payer les dividendes attachés aux actions sous-jacentes, qui serait chargé également de payer la retenue à la source au receveur luxembourgeois, et qui en général ne connaîtrait pas les détenteurs finaux des titres, (ii) le teneur de comptes central ou dépositaire central, qui aurait pour rôle la conservation de la position des intermédiaires agréés et la garde des informations sur la propriété des titres, qui gérerait globalement les avoirs de ses adhérents sans connaître les détenteurs finaux des titres et qui pourrait être assimilé à une banque centrale des titres, ouvrant sur ses livres des comptes d’adhérents aux intermédiaires (conservateurs ou dépositaires locaux), (iii) le teneur de comptes ou conservateur (« custodian »), qui assurerait la fonction de tenue du compte-titres des clients investisseurs, se chargerait de la conservation et de l'administration des titres et qui constituerait un établissement agréé disposant d'un compte ouvert auprès du dépositaire central, et enfin, (iv) en fonction des établissements dépositaires utilisés par un établissement conservateur, il pourrait arriver que les dividendes soient versés non seulement par l'intermédiaire du dépositaire central mais aussi par l'intermédiaire de sous-dépositaires ou de dépositaires locaux.

Dès lors, le crédit d'un paiement de dividendes sur actions dématérialisées en compte-courant du propriétaire des actions auprès de l'établissement conservateur serait « toujours le résultat d'un paiement en chaîne depuis le compte-courant de l'émetteur auprès de l'agent payeur », le délégué du gouvernement illustrant la chaîne des flux de paiement par un diagramme afférent.

En se référant à une pièce de l’appelante intitulée « support écrit pour les besoins d'une réunion avec l’ACD le 25 octobre 2016 », le délégué du gouvernement affirme qu'il ressortirait des propres pièces de l’appelante que des opérations pourraient intervenir avec des tiers dans le cadre de la chaîne des paiements, en ce sens qu'il pourrait y avoir des ventes à terme, des mises en gage ou autres opérations. Suivant cette même pièce, l’appelante se baserait tantôt sur sa qualité de propriétaire juridique, tantôt sur celle de propriétaire économique des titres pour revendiquer le remboursement de la retenue à la source.

Concernant la preuve de la qualité de propriétaire juridique conformément au § 171 AO, le délégué du gouvernement fait valoir que dans la mesure où la retenue à la source sur dividendes serait effectuée par l'agent payeur, qui ne connaîtrait pas les détenteurs finaux des titres, l'administration serait en droit d'exiger la preuve de la réconciliation des paiements effectués par l'agent payeur avec les paiements reçus par le prétendu propriétaire des titres.

Autrement dit, l’administration serait en droit d'exiger un justificatif de la chaîne entière des paiements. Or, un tel justificatif ne serait pas produit en l'espèce.

A cet égard, le délégué du gouvernement donne à considérer que l’administration serait régulièrement confrontée à deux types de demandes en restitution de la retenue à la source sur dividendes sur des mêmes positions d’actions, à savoir des demandes concurrentes basées sur la propriété juridique des titres et celles basées sur la propriété économique de ces mêmes titres. Dans la mesure où les titres sous-jacents seraient dématérialisés et fongibles, à défaut de justifier la chaîne de paiements, l’administration serait dans l'impossibilité de savoir si pareilles demandes concernent les mêmes actions et a fortiori dans l'impossibilité de toiser à quelle demande accéder.

D'autre part, le délégué du gouvernement fait valoir que l'établissement conservateur des titres pour compte de l’investisseur serait en mesure de demander au dépositaire local sinon central un état de l'ensemble des dividendes crédités en compte qu’il détiendrait auprès du dépositaire local voire central, le dépositaire local étant à son tour en mesure de demander au dépositaire central un état de l'ensemble des dividendes crédités en compte qu’il détient auprès du dépositaire central, ce dernier détenant, d’après le délégué du gouvernement, les informations sur la totalité des actions et leur ventilation entre les différents intermédiaires.

Dès lors, pour être en mesure de toiser utilement la demande en restitution du contribuable, l’administration serait en droit d'exiger (i) la documentation de la chaîne de paiements et (ii) la preuve du paiement de chaque intermédiaire financier de la chaîne depuis l'émetteur jusqu'à l'investisseur. Or, en l’espèce, l’appelante se bornerait à prouver le dernier maillon dans la chaîne de paiements.

Pour ce qui est de la preuve de la qualité de propriétaire économique conformément au § 171 AO, l’administration serait en droit d'exiger, outre la preuve des éléments exigés au titre de la preuve de la propriété juridique, un certificat établi par le propriétaire juridique des actions et certifiant qu'il est le propriétaire juridique des actions dont se prévaut le propriétaire économique pour demander la restitution des retenues sur dividendes sous-jacents.

En effet, conformément au § 11 StAnpG, lorsque la propriété économique et la propriété juridique divergent, ce serait entre les mains du propriétaire économique qu'un paiement serait à imposer. De la même manière, ce serait entre les mains du propriétaire économique que les retenues sous-jacentes seraient à rembourser. De plus, celui qui se prétendrait propriétaire économique d'une chose au sens du § 11 StAnpG devrait justifier, entre autres, le contrôle effectif sur la chose. S’agissant de titres dématérialisés fongibles, la notion de contrôle effectif devrait passer par l'identification du propriétaire juridique des titres en question au moment du paiement. Or, l’appelante se bornerait à prouver le dernier maillon dans la chaîne de paiements et resterait, par ailleurs, en défaut d'identifier le propriétaire juridique des titres au moment du paiement.

Le délégué du gouvernement estime que l’appelante se retranche en vain derrière l’allégation infondée que la charge de la preuve des conditions des articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR serait impossible à rapporter. Il convient qu’il s’agirait « certainement d’un travail fastidieux et chronophage », mais estime qu’il n’est « en aucun cas impossible d’apporter les preuves nécessaires pour attester du respect des conditions pour l’obtention du remboursement d’impôt sur les dividendes ». Il ne serait nullement déraisonnable d’exiger qu’un contribuable verse des attestations signées dont l’auteur et le contenu peuvent être authentifiés afin de permettre à l’administration de procéder à un contrôle effectif des conditions de remboursement de retenue à la source.

De plus, comme il n’appartiendrait ni à la partie étatique, ni à la juridiction saisie de suppléer à la carence de l’appelante dans l’administration de la preuve, la demande de l’appelante visant à faire procéder par voie d’expert à des vérifications supplémentaires serait à rejeter.

Enfin, la partie étatique conteste toute discrimination et conclut, par ailleurs, au caractère non pertinent de la question préjudicielle suggérée, qui serait mal formulée puisqu’elle ne désignerait pas quelle disposition légale devrait être examinée quant à sa conformité par rapport à la Constitution.

Analyse de la Cour L’article 146 LIR dispose comme suit :

« Sont passibles de la retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu, les revenus indigènes ci-après:

1.

les dividendes, parts de bénéfice et autres produits visés sub 1 de l'article 97, alinéa 1er;

2.

les parts de bénéfice visées sub 2 de l'article 97, alinéa 1er;

3.

les arrérages et intérêts d'obligations et d'autres titres analogues visés sub 3 de l'article 97, alinéa 1er, lorsqu'il est concédé pour ces titres un droit à l'attribution, en dehors de l'intérêt fixe, d'un intérêt supplémentaire variant en fonction du montant du bénéfice distribué par le débiteur, à moins que ledit intérêt supplémentaire ne soit stipulé simultanément avec une diminution passagère du taux d'intérêt sans qu'au total le taux initial soit dépassé.

Les revenus soumis à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux comprennent également les indemnités spéciales et avantages alloués à côté ou en lieu et place des allocations spécifiées à l'alinéa 1er.

Les revenus énumérés ci-avant sont à considérer comme indigènes, lorsque le débiteur est l'Etat grand-ducal, une commune, un établissement public luxembourgeois, une collectivité de droit privé qui a son siège statutaire ou son administration centrale dans le Grand-Duché, ou une personne physique qui a dans le Grand-Duché son domicile fiscal ».

Selon l’article 147, alinéa (2), LIR, tel qu’en vigueur durant les années d’imposition litigieuses, la retenue d'impôt faisant l'objet de l'article 146 LIR n'était pas à opérer « lorsque les revenus visés par l'article 97, alinéa 1er, numéro 1 sont alloués par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, ou par une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, à:

a) un autre organisme à caractère collectif visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, b) une autre société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, c) l'Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou aux exploitations de collectivités de droit public indigènes, d) un établissement stable d'un organisme à caractère collectif visé aux lettres a, b ou c, e) un organisme à caractère collectif pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités qui est un résident d'un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions, ainsi qu'à son établissement stable indigène, f) une société de capitaux qui est un résident de la Confédération suisse assujettie à l'impôt sur les sociétés en Suisse sans bénéficier d'une exonération, g) une société de capitaux ou une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne et qui est pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités, h) un établissement stable d'une société de capitaux ou d'une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne.

et que, à la date de la mise à la disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s'engage à détenir, sous les conditions prévues à l'article 149, alinéa 4, directement pendant une période ininterrompue d'au moins douze mois, une participation d'au moins 10 pour cent ou d'un prix d'acquisition d'au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des revenus. La détention d'une participation à travers un des organismes visés à l'alinéa 1er de l'article 175 est à considérer comme détention directe proportionnellement à la fraction détenue dans l'actif net investi de cet organisme ».

Quant à l’article 149, alinéa (4a), LIR, il énonce que : « En l'absence d'un engagement par le bénéficiaire des revenus, le débiteur des revenus est tenu de déclarer et de verser l'impôt retenu à la source dans le délai de huit jours à partir de la date de la mise à la disposition des revenus. Le remboursement peut être demandé par le bénéficiaire des revenus dès qu'il prouve que la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n'est pas descendu au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d'acquisition au-dessous de 1.200.000 euros ».

L’article 149, alinéa (4a), LIR consacre le droit à un remboursement ultérieur en faveur d’un bénéficiaire d’une attribution de dividendes qui satisfaisait au moment de la distribution à toutes les conditions posées par l’article 147 LIR pour une exemption de retenue d’impôt sauf celle de la période de détention de douze mois dans l’hypothèse où, sans s’être engagé au moment de l’attribution des dividendes à respecter la période de détention, il établit ex post qu’il a respecté ladite période pour avoir détenu la participation respectant le seuil de détention au plus tard à la date d’attribution des dividendes et pour l’avoir maintenue à un niveau suffisant dans son patrimoine durant les douze mois subséquents (Cour adm., 20 septembre 2018, n° 39950C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 499).

C’est à juste titre que le tribunal a constaté que le litige entre les parties tourne autour de la preuve du respect des conditions de l’article 147 LIR, et, plus particulièrement, de la qualité de bénéficiaire des paiements de dividendes dans le chef de la société (FE) et de la condition de détention en tant que telle pendant la période requise par la loi, ainsi que de la charge de cette preuve afférente.

Comme justement énoncé par le tribunal, l’obligation de preuve à charge du contribuable est, en la présente matière, plus spécifiquement circonscrite par l’article 149, alinéa (4a), LIR, précité, qui exige que le bénéficiaire des revenus de capitaux ayant introduit une demande de restitution de la retenue à la source opérée et payée au Trésor public par le débiteur des revenus, prouve que la condition tenant à la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n’est pas descendu au-dessous du seuil de 10 % ou le prix d’acquisition au-dessous de 1,2 million d’euros.

En outre, comme rappelé à bon escient par les premiers juges, le § 171 AO, aux termes duquel « 1) Auf Verlangen (§ 205 Absätze 1 und 2) hat der Steuerpflichtige die Richtigkeit seiner Steuererklärung nachzuweisen. Wo seine Angaben zu Zweifeln Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel den Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat. (…) », impose une obligation de collaboration à charge du contribuable, qui doit établir le caractère exact de ses déclarations, cette obligation étant toutefois limitée à ce qui peut raisonnablement lui être imposé selon les circonstances (« soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann »).

Pour obtenir le remboursement de la retenue à la source sur dividendes sur base de l’article 149, alinéa (4a), LIR, l’appelante doit donc prouver que la société (FE) a rempli toutes les conditions suivantes:

1) en tant que bénéficiaire des dividendes, 2) elle a directement détenu une participation, 3) dans une entité visée à l’article 147, alinéa (2), LIR, 4) pendant 12 mois ininterrompus comprenant la date de la mise à disposition des dividendes, 5) et cette participation représentait au moins 10% du capital social de l’entité, ou avait un prix d’acquisition d’au moins 1,2 million d’euros.

Les demandes de remboursement ont initialement été refusées pour défaut de la preuve par l’appelante de la qualité de bénéficiaire effectif dans le chef de la société (FE). L’appelante considère que cette notion de « bénéficiaire effectif » ne serait pas applicable en l’espèce et que la discussion devrait porter sur sa qualité de « propriétaire juridique » et « propriétaire économique », que le délégué du gouvernement refuse cependant de lui reconnaître.

La Cour tient d’abord à souligner que les expressions « bénéficiaire effectif » et « propriétaire économique » ne sont pas des synonymes. En effet, la distinction entre propriété juridique et propriété économique, entrevue dans le cadre de l’interprétation de la notion de la détention de la participation au sens de l’article 147 LIR, est relative à l’actif lui-même (en l’espèce, les actions dans les sociétés (O), (P) et (Q)), tandis que la discussion sur la qualité de bénéficiaire effectif porte sur les revenus générés par l’actif (en l’espèce, les dividendes liés aux actions dans les sociétés (O), (P) et (Q)).

Ensuite, quant à la condition que la participation doit être « détenue » par la société invoquant l’exonération des revenus provenant de cette participation, la Cour a déjà relevé par rapport à l’article 166 LIR que, même si la notion de détention ne se trouve pas autrement définie par cette disposition, de manière que l’on pourrait se référer en principe à la disposition générale du § 11 StAnpG concernant l’imputation personnelle de revenus et de biens, il se dégage cependant clairement des travaux parlementaires relatifs à la loi du 23 décembre 1997 modifiant certaines dispositions de la loi concernant l’impôt sur le revenu, de la loi sur l’évaluation des biens et valeurs et de la loi générale des impôts, ci-après la « loi du 23 décembre 1997 », laquelle a remplacé le texte de l’article 166 LIR par une nouvelle version seulement modifiée et complétée par les lois subséquentes, que « tout comme dans le passé, le régime des sociétés mères et filiales s’applique exclusivement aux titres détenus en pleine propriété. Ni la directive, ni l’article 166, ni le règlement grand-ducal du 24 décembre 1990 portant exécution de l’article 166, alinéa 5 b) ne prévoient une habilitation visant à étendre l’exonération aux participations démembrées en usufruit et en nue-propriété » (projet de loi modifiant certaines dispositions de la loi concernant l’impôt sur le revenu, de la loi sur l’évaluation des biens et valeurs et de la loi générale des impôts, doc. parl. n° 4361, p. 40) (Cour adm., 7 mars 2013, n° 31343C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 669). Le législateur luxembourgeois avait partant clairement exprimé en l’année 1997 l’intention de définir la notion de détention en ce sens qu’elle implique dans le chef du bénéficiaire des revenus la qualité de titulaire de tous les droits inhérents à la pleine propriété des titres constituant la participation afin de pouvoir bénéficier de l’exonération des revenus produits par la participation.

Il y a pourtant lieu de relever que la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », a interprété l’article 3 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, ci-après la « directive 90/435 », entretemps remplacée par la directive 2011/96 en ayant opéré la refonte, en ce sens qu’une société de capitaux qui est le nu-propriétaire d’une participation, tout en ayant cédé l’usufruit à une autre société pour une certaine durée, se trouve par rapport à la société filiale dans un rapport juridique d’associé du fait de ses parts dans le capital de cette dernière qui entraîne que cette participation « remplit, de façon évidente, le critère d’une «participation dans le capital» au sens de l’article 3 de la directive 90/435 et cette société, pourvu qu’elle remplisse également les autres critères fixés par cette directive, doit être considérée comme une «société mère» au sens dudit article 3 ». En revanche, d’après la CJUE, l’article 3 de la directive 90/435 « n’envisage pas la situation dans laquelle la société mère transfère à une tierce personne, en l’occurrence à un usufruitier, un rapport de droit avec la société filiale, en vertu duquel cette tierce personne pourrait être également considérée comme une société mère » et « le législateur communautaire a considéré que la « société mère » au sens de la directive 90/435 est une seule et même société » (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-48/07, Etat belge c/ Les Vergers du Vieux Tauves SA, ECLI:EU:C:2008:758).

Cette interprétation de l’article 3 de la directive 90/435 doit être appliquée également dans le cadre de l’interprétation de l’article 3 de la directive 2011/96 dont la teneur pertinente ne s’écarte guère de celle de l’ancienne directive.

Dans la mesure où l’article 166 LIR transpose, entre autres, en droit luxembourgeois d’abord la directive 90/435 et ensuite la directive 2011/96 ayant pris sa relève et au vu des enseignements de l’arrêt de la CJUE du 22 décembre 2008, la Cour est appelée à interpréter le droit national, suivant l’application du principe de l’interprétation conforme d’une législation nationale ayant transposé une directive de l’Union européenne, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de la directive transposée pour atteindre le résultat visé par celle-ci (CJUE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, ECLI:EU:C:1984:153).

En l’espèce, la demande de restitution de la retenue d’impôt sur les dividendes émanait initialement d’une société résidente aux Pays-Bas par rapport à des dividendes distribués par une société résidente au Luxembourg, de sorte qu’elle correspond à une situation intra-communautaire ayant relevé directement du champ d’application de la directive 2011/96.

Par conséquent, l’article 166 LIR doit être interprété en ce sens qu’une participation est en principe à considérer comme étant détenue par le bénéficiaire des revenus de participation lorsque ce dernier a la qualité de propriétaire juridique de la participation. Le détenteur de la participation est en effet celui qui est placé dans un rapport juridique direct avec la société filiale – sous la réserve de l’alinéa (3) de l’article 166 LIR – qui lui confère les droits inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire de cette société. Un rapport juridique du bénéficiaire des revenus avec une personne morale tierce qui porte sur certains de ces droits reste sans influence sur la reconnaissance de la détention de la participation par le bénéficiaire tant que ce dernier rapport juridique n’a pas pour effet de transférer à la personne morale tierce l’exercice de l’essentiel des droits et risques inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire par rapport à la société filiale. Ce ne serait que dans cette dernière hypothèse que la personne morale tierce pourrait se prévaloir de la qualité de détenteur de la participation en tant que propriétaire économique et remplacer de la sorte le propriétaire juridique en tant que détenteur de la participation.

Etant donné que les articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR utilisent ce même critère de la détention que l’article 166 LIR et s’inscrivent dans la même logique (projet de loi portant modification de l'article 147, numéro 2, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, tel qu'il a été modifié et complété par l'article 14, numéro 19 de la loi du 27 décembre 1973 et par l'article 1er, numéro 1 de la loi du 14 juin 1983, doc. parl. 2988/00, p. 2), il y a lieu de faire application des mêmes principes d’interprétation dans ce contexte.

La question de la détention directe de la participation renvoie à la deuxième condition énumérée ci-avant.

En revanche, la discussion sur la qualité de bénéficiaire effectif est à mener par rapport à la première condition énumérée ci-avant.

Selon les premiers juges, encore que ni l’article 147 LIR, ni d’ailleurs l’article 166 LIR, ne mentionnent expressis verbis le terme « effectif » comme qualité qui devrait être vérifiée dans le chef du « bénéficiaire », cette exigence découlerait néanmoins nécessairement de l’esprit de cette disposition qui pose les conditions afférentes dans le chef du « bénéficiaire » des paiements, le terme de « bénéficiaire » étant encore repris par l’article 149, alinéa (4a), LIR. Le droit à la restitution d’un impôt payé mais qui finalement s’avère ne pas être dû – en l’espèce dans les conditions de l’article 147 LIR –, ne saurait pas naître au bénéfice d’un demandeur qui n’est pas le bénéficiaire effectif des revenus sur lesquels une retenue à la source a été opérée, et qui alors forcément n’a pas été payée au Trésor public pour son compte, au risque de conduire à des enrichissements indus.

Au contraire, l’appelante soutient que la notion de « bénéficiaire effectif » ne serait pas à prendre en compte hors du contexte de l’application d’une convention fiscale, de sorte qu’elle ne trouverait pas à s’appliquer dans la situation présente.

La Cour note que d’après les commentaires de l’article 10 du « modèle de convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune » élaboré par le comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économique, ci-après le « modèle de convention fiscale de l’OCDE », tels qu’ils se lisent depuis le 15 juillet 2014 :

« 12.1. Étant donné que le terme ‘bénéficiaire effectif’ a été ajouté pour résoudre les difficultés susceptibles de résulter de l’utilisation des termes ‘payés […] à un résident’ au paragraphe 1, il est censé être interprété dans ce contexte et ne pas faire référence à une quelconque signification technique qu’il aurait pu avoir selon le droit interne d’un pays donné (de fait, lorsqu’il a été ajouté au paragraphe, ce terme n’avait pas de signification précise dans le droit de nombreux pays). Par conséquent, le terme ‘bénéficiaire effectif’ n’est pas utilisé dans une acception étroite et technique (comme le sens que lui attribue le droit des fiducies de nombreux pays de common law), mais doit être entendu dans son contexte, et notamment en lien avec les mots ‘payés […] à un résident’, et à la lumière de l’objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion et la fraude fiscales. (…) 12.3. Il serait également contraire à l’objet et au but de la Convention que l’État de la source accorde une réduction ou une exonération d’impôt à un résident d’un État contractant qui agit, autrement que dans la cadre d’une relation d’agent ou autre mandataire, comme un simple relais pour le compte d’une autre personne qui bénéficie réellement du revenu en cause. Pour ces raisons, le rapport du Comité des affaires fiscales intitulé ‘Les conventions préventives de la double imposition et l’utilisation des sociétés relais’ conclut qu’une société relais ne peut pas être considérée normalement comme le bénéficiaire effectif si, bien qu’étant le propriétaire du revenu dans la forme, elle ne dispose dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées.

12.4. (…) Lorsque le récipiendaire d’un dividende a effectivement le droit d’utiliser le dividende et d’en jouir sans être limité par une obligation contractuelle ou légale de céder le paiement reçu à une autre personne, il est le ‘bénéficiaire effectif’ de ce dividende (…) ».

La notion de « bénéficiaire effectif », telle que définie négativement au point 12.3 et positivement au point 12.4 des commentaires précités, est donc a priori un concept autonome trouvant à s’appliquer dans un contexte conventionnel. Or, en l’espèce, l’appelante ne fonde pas sa demande de remboursement à la source sur une disposition conventionnelle.

Pour autant, cette circonstance ne permet pas de conclure automatiquement que l’idée fondamentale à la base de cette notion et tenant à la vérification d’un lien juridique et économique d’une certaine intensité entre une personne et un certain revenu, en l’occurrence des dividendes, ne saurait découler d’autres dispositions applicables en matière de remboursement de la retenue à la source sur les revenus de capitaux.

En effet, en premier lieu, ni la version initiale de la LIR, ni sa version actuelle, ne comportent de mention du « bénéficiaire effectif », mais tant la version initiale que la version actuelle de la LIR font de multiples références au « bénéficiaire ». Ainsi, dans sa version actuelle, l’article 11, alinéa (3), LIR inclut parmi les revenus nets les revenus réalisés après la cessation de l’activité ou la relation de droit qui les a générés, et ce, « même s’ils sont recueillis par l’ayant cause du bénéficiaire ». L’article 102, alinéa (11), LIR, prévoit que dans les situations d’échange de terrains lors d’un remembrement effectué en vertu d’une loi ou d’échange de titres, « [e]n cas de paiement d’une soulte, la soulte diminue le prix d’acquisition à considérer dans le chef du bénéficiaire de la soulte ». L’article 109bis, alinéa 1er, numéro 3, LIR, dispose que sont à considérer comme dépenses spéciales « [l]es arrérages de rentes et de charges permanentes payés à un conjoint divorcé, à condition que les rentes et charges soient fixées par décision judiciaire dans le cadre d’un divorce prononcé avant le 1er janvier 1998 et que le débiteur et le bénéficiaire de la rente en fassent une demande conjointe ». Quant à l’article 149, alinéa (2), LIR, il pose que « [l]e bénéficiaire des revenus [de capitaux mobiliers] est débiteur de l’impôt ».

Or, en matière d’impôt sur le revenu, un élément de revenu ou une dépense doivent être imputés fiscalement à la personne qui réunit les faits constitutifs de la réalisation du revenu en cause ou de la dépense en question, ce principe découlant nécessairement des articles 6, paragraphe (1), 159, paragraphe (2), et 160, paragraphe (1), LIR (Cour adm., 28 mai 2020, n° 43749C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 678).

Dès lors, en employant, notamment dans les dispositions ci-avant relevées, le terme « bénéficiaire », le législateur ne pouvait que désigner la personne qui retire en réalité l’avantage économique constitué par les revenus visés par chacune des dispositions en question, et non la personne qui ne fait que formellement percevoir les revenus sans pouvoir en disposer véritablement, dans le sens notamment de pouvoir en déterminer librement l’affectation. Autrement dit, celui qui ne fait que collecter les ressources d’une autre personne n’est pas le bénéficiaire du « revenu » que représentent ces ressources.

Par conséquent, seule la personne ayant le pouvoir de disposer des dividendes peut être considérée comme percevant des revenus de capitaux mobiliers, puisque la rémunération éventuelle du « bénéficiaire formel » de dividendes n’est pas allouée en raison d’un investissement de l’intermédiaire en question dans une participation, mais constitue une compensation pour sa prestation de services d’intermédiaire.

En deuxième lieu, il y a lieu de tenir compte, également en ce qui concerne la notion du bénéficiaire des revenus de dividendes, des exigences découlant du droit de l’Union.

Ainsi, dans un arrêt du 26 février 2019 (Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps, affaires jointes C-116/16 et C-117/16), relatif aux conditions instaurées par la directive 90/435 pour bénéficier d’une exonération de retenue à la source sur des dividendes, la juridiction de renvoi avait posé plusieurs questions à la CJUE concernant l’interprétation de la notion de « bénéficiaire effectif » (point 48 de l’arrêt). En l’espèce, en raison du déroulement de son raisonnement juridique, la CJUE a estimé qu’il n’y avait pas lieu de répondre à ces questions (point 94 de l’arrêt), mais a indiqué que les mécanismes de la directive 90/435, et en particulier son article 5, sont « conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition (…). De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union » (point 113 de l’arrêt). La CJUE a donc elle-même fait référence au « bénéficiaire effectif » en interprétant la directive 90/435.

Par ailleurs, la CJUE a précisé la notion du bénéficiaire dans deux arrêts dans lesquels elle a été amenée à se prononcer sur l’interprétation de la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents, ci-après la « directive 2003/49 ». Alors que l’article 1er de la directive 2003/49 ne faisait référence qu’au « bénéficiaire » d’intérêts, et bien que l’article 4, paragraphe (2), de la même directive ait visé le « bénéficiaire effectif » des intérêts, ce qui aurait pu laisser entendre que le « bénéficiaire » et le « bénéficiaire effectif » étaient deux notions distinctes, la CJUE a constaté dans un arrêt du 21 juillet 2011 (Scheuten Solar Technology GmbH contre Finanzamt Gelsenkirchen-Süd, aff. C-397/09) que « l’article 2, sous a), de la directive 2003/49 définit lesdits intérêts comme ‘les revenus des créances de toute nature’ », en a déduit que « seul le bénéficiaire effectif peut percevoir des intérêts qui constituent les revenus de telles créances » (point 27 de l’arrêt), et a dès lors fait une lecture de l’article 1er de la directive 2003/49 par référence au « bénéficiaire effectif » des intérêts (point 28 de l’arrêt). De même, dans un arrêt du 26 février 2019 (N Luxembourg 1 e.a. contre Skatteministeriet, affaires jointes C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16), la CJUE a rappelé que « dès lors que l’article 2, sous a), de cette directive définit les intérêts comme ‘les revenus de créances de toute nature’, seul le bénéficiaire effectif peut percevoir des intérêts qui constituent les revenus de telles créances » (point 87) et a estimé que « le terme ‘bénéficiaire’ vise non pas un bénéficiaire identifié formellement, mais bien l’entité qui bénéficie économiquement des intérêts perçus et dispose dès lors de la faculté d’en déterminer librement l’affectation » (point 89 de l’arrêt).

La Cour déduit des motifs précités des arrêts susvisés de la CJUE que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes est une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la directive 90/435. De plus, dans le second arrêt précité du 26 février 2019, relatif à la directive 90/435, la CJUE a précisé qu’« en vue de refuser de reconnaître à une société la qualité de bénéficiaire effectif de dividendes (…), une autorité nationale n’est pas tenue d’identifier la ou les entités qu’elle considère comme étant les bénéficiaires effectifs de ces dividendes » (point 120 de l’arrêt).

Par voie de conséquence, dans la mesure où les articles 147, 149, alinéa (4a) et 166 LIR transposent, entre autres, en droit luxembourgeois d’abord la directive 90/435 et ensuite la directive 2011/96 ayant pris sa relève, la Cour se voit amenée, tout comme dans le cadre de l’analyse ci-avant de la notion de détention d’une participation, toujours au vu du principe de l’interprétation conforme d’une législation nationale ayant transposé une directive de l’Union européenne et à l’égard d’une situation intra-communautaire relevant directement du champ d’application de la directive 2011/96, à interpréter l’exigence d’être le bénéficiaire des dividendes inscrite dans ces dispositions dans ce même sens.

La Cour en déduit que le « bénéficiaire » de dividendes visé par les articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR est bien l’entité qui bénéficie économiquement des dividendes perçus et dispose dès lors de la faculté d’en déterminer librement l’affectation.

Il ressort de ce qui précède que la qualité de « bénéficiaire effectif » des dividendes est une condition posée par l’article 149, alinéa (4a), LIR.

Comme déjà rappelé supra par la Cour, il appartient à l’appelante, en tant que demandeur du remboursement de retenues à la source sur revenus de capitaux mobiliers, d’établir que les conditions d’une restitution de la retenue à la source sont remplies dans son chef.

Par conséquent, il convient à présent de vérifier si l’appelante a rapporté la preuve de la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes dans le chef de la société (FE).

C’est à juste titre que le tribunal a relevé que les demandes de remboursement suivant le modèle 901bis fournies par l’appelante constituent des documents unilatéraux, émanant de la société (FE) elle-même. Ces documents ne sont donc pas de nature à rapporter la preuve requise, mais ne font que matérialiser les déclarations de l’appelante qu’il appartient précisément à celle-ci de prouver par des éléments objectifs.

Pour ce qui est ensuite des documents que l’appelante entend qualifier de « tax vouchers », ceux-ci sont datés, signés et tamponnés avec indication du nom du signataire et de la (BANK). C’est donc à tort que la partie étatique reproche à l’appelante de ne pas avoir versé d’attestations signées dont l’auteur et le contenu peuvent être authentifiés.

Certes, en ce qui concerne les dividendes distribués en avril 2015 par la société (O), le tribunal a relevé à juste titre une différence entre le montant de la retenue à la source déclaré par la société (FE) et le montant mentionné dans le « tax voucher » relatif à cette distribution (retenue de (2) euros suivant déclaration et de (2bis) euros suivant le « tax voucher »). Cette différence demeure cependant minime et peut s’expliquer par une erreur de frappe commise par l’auteur du « tax voucher », ce document ne semblant pas avoir été généré automatiquement. Cette erreur minime ne saurait donc conduire à refuser toute valeur probante aux « tax vouchers », étant relevé que les autres montants figurant dans lesdits « tax vouchers » concordent avec ceux renseignés dans les demandes de remboursement de retenue à la source et dans les documents intitulés « payment advice notification » des 27 et 29 avril 2015.

Pour autant, c’est à bon escient que le tribunal a indiqué que les « tax vouchers » n’établissent pas le bénéficiaire effectif des participations, ni la mise à disposition effective des dividendes au profit de la société (FE) en cette qualité et ne donnent pas non plus d'informations quant à la durée de détention effective, dans la mesure où lesdits documents renseignent uniquement le montant du dividende payé suivant une délibération des actionnaires, le nombre d’actions correspondantes et le montant de la retenue à la source, de même que l’échéance du paiement avec indication d’un compte, sans mentionner le bénéficiaire effectif des paiements, les documents, certes adressés à la société (FE), ne mentionnant notamment pas en quelle qualité les documents lui sont adressés.

S’agissant ensuite des confirmations de paiement émises par la (BANK) dont se prévaut l’appelante, force est de constater qu’un tel document n’a pas été produit pour l’année 2014, l’appelante se contentant d’avancer que la (BANK) ne produisait pas ce type de document pour les exercices antérieurs à l’année 2015.

Pour ce qui est des confirmations de paiement visant l’année 2015 dont se prévaut l’appelante, le tribunal a constaté à juste titre que les montants des retenues y renseignés au titre de l’année 2015, pour des participations dans la société (O), correspondent à ceux figurant dans la demande de remboursement introduite par la société (FE) et que ce document renseigne le paiement de ces sommes sur le compte de cette société. Or, comme relevé à bon droit par les premiers juges, ces documents pourraient tout au plus prouver les paiements sur le compte de la société (FE), mais ne permettent pas de prouver que celle-ci a perçu ces sommes en tant que bénéficiaire effectif des dividendes, ni d’ailleurs la qualité de détenteur des actions, ni encore la durée de la détention. Les rapports journaliers versés en bloc ne permettent pas davantage de prouver que la société (FE) aurait perçu les dividendes en tant que bénéficiaire effectif. Il en va de même du document « (BANK) Clearing Statements for Client » joint à l’annexe 15 de la réclamation du 17 mai 2018, document mentionnant certes la société (FE) dans une colonne intitulée « Beneficial Owner », mais qui n’est ni signé, ni daté et ne comporte pas le sigle de la (BANK) ni un autre marqueur officiel d’authentification, de sorte à laisser un doute certain sur son auteur.

Dès lors, comme correctement retenu par le tribunal, le constat s’impose que ces documents ne permettent pas à eux seuls de prouver que la société (FE) était le bénéficiaire effectif des paiements visés.

L’argumentation de l’appelante revient encore à vouloir fonder la reconnaissance de la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes litigieux sur la détention par la société (FE) des actions des sociétés (O), (Q) et (P) visées dans les demandes de remboursement en qualité de propriétaire juridique qui se doublerait de la propriété économique.

Or, la Cour note qu’en l’espèce, l’appelante a fait elle-même état d’éléments qui indiquent de manière aisément retraçable qu’une dissociation entre la propriété juridique et la propriété économique des participations dans les sociétés (O), (Q) et (P) était susceptible d’avoir eu lieu. En effet, selon l’appelante, la (BANK) pouvait utiliser les actions détenues par la société (FE) pour faire du prêt d’actions sans que cette dernière ne doive approuver le prêt ni même en avoir connaissance. L’appelante avance ainsi dans sa requête d’appel que : « Il convient de noter dans le cas d’espèce que PTN n’avait pas la possibilité de réaliser des opérations de « stock lending ». En revanche, les actions étant sur un compte omnibus d’AACB, cette dernière avait la possibilité d’utiliser les actions pour effectuer des opérations de prêt d’actions dans laquelle [sic] PTN ne pouvait être que dans une situation de prêteur et non d’emprunteur. Ces opérations n’étaient pas soumises à l’approbation de PTN, qui n’en avait donc pas nécessairement connaissance, exclusion faite de la mise à disposition, en cas de « stock lending », d’un paiement de compensation représentant 100% du dividende ».

Les extraits journaliers de comptes titres concernant la détention des actions dans les sociétés (O), (Q) et (P), versés en cause par l’appelante, renseignent pour les actions de ces trois sociétés qu’elles ont été inscrites en partie et pour certaines périodes sur des comptes de dépôt « pool », de sorte à corroborer l’indication de l’appelante quant à l’existence afférente d’un compte omnibus impliquant la possibilité pour (BANK) d’utiliser à sa guise ces actions.

Par conséquent, puisqu’en l’espèce la possibilité d’une dissociation entre la propriété juridique et la propriété économique des actions a été inférée par l’appelante elle-même, il y a lieu d’examiner, conformément aux principes ci-avant dégagés, si la société (FE) s’était engagée durant les années 2014 et 2015 avec la (BANK) dans un rapport juridique qui aurait eu pour effet de transférer à cette dernière ou à une autre société tierce l’exercice de l’essentiel des droits et risques inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire par rapport aux sociétés (O), (Q) et (P).

Quant à l’effet du prêt d’actions sur la propriété juridique, la Cour relève que selon l’article 1874 du Code civil, il convient de distinguer le prêt à usage du prêt de consommation, le prêteur demeurant propriétaire de la chose prêtée dans le cadre du prêt à usage (article 1877 du Code civil) tandis que l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée dans le cadre du prêt à consommation (article 1893 du Code civil).

Quant à l’effet du prêt d’actions sur la propriété économique, la Cour note que la doctrine luxembourgeoise penche en faveur de l’attribution de la propriété économique des titres prêtés à l’emprunteur, alors que l’appelante se prévaut précisément de sa qualité de prêteur :

« 41. D’après les principes dégagés par la doctrine (32) ainsi que par l’administration fiscale allemande (33), en présence d’un contrat de prêt de titres, la propriété économique des titres est transférée à l’acheteur ou l’emprunteur des titres. En matière de prêt de titres, l’analyse allemande se fonde sur une analyse combinée du paragraphe 39 de l’Abgabenordnung allemand et des dispositions de droit civil allemand (en particulier les paragraphes 607 et suivants du Code civil allemand relatifs au prêt de biens [Sachdarlehen]) qui prévoient un transfert de la propriété juridique à l’emprunteur et sa capacité à disposer librement de la chose prêtée, à charge pour lui de rendre un bien de même nature.

42. Au Luxembourg, une analyse similaire se dégage du Code civil qui distingue le prêt à usage (ou commodat) et le prêt de consommation. Ce dernier est défini comme étant un contrat par lequel une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre de même espèce et qualité (34). Par l’effet de ce prêt, l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée et en subit tous les risques (35).

43. Selon l’avis exprimé par la doctrine luxembourgeoise (36), l’attribution de la propriété économique devrait suivre l’analyse du droit privé et rejoindre également l’analyse allemande » (Thierry LESAGE, Yvan STEMPNIERWSKY, « Réflexions sur les aspects comptables et fiscaux des opérations de prêt/emprunt et de mise en pension de titres », in Droit fiscal luxembourgeois - livre jubilaire de l'IFA, Legitech, 2018, p. 545).

Or, si l’appelante affirme certes que le placement des actions en cause sur un compte omnibus et les opérations de « stock lending » n’auraient pas affecté leur détention dans le chef de la société (FE), il n’en reste pas moins qu’elle reste en défaut de soumettre les documents relatifs à la relation contractuelle de la société (FE) avec la (BANK), dont en particulier le « Master Clearing Agreement standard ». La Cour se doit en effet de relever que le « Master Clearing Agreement » versé en cause par l’appelante constitue de toute apparence un modèle de contrat renseignant une autre société comme cocontractante et n’ayant pas été signé. En outre, ledit document comporte la mention « Master Clearing Agreement version 1 july 2010 ». Alors même que l’appelante affirme que ce modèle de document correspondrait à celui conclu par la société (FE) avec la (BANK), la Cour ne saurait considérer ce document qui ne présente aucun lien juridique avec la société (FE) comme preuve du contenu des relations contractuelles de celle-ci avec la (BANK) concernant le compte titres dans lequel les actions dans les sociétés (O), (Q) et (P) étaient enregistrées. De surcroît, l’appelante se contredit quand elle affirme, d’une part, que la société (FE) « n’avait pas la possibilité de réaliser des opérations de ‘stock lending’ » et d’autre part, que le « Master Clearing Agreement » versé aurait été applicable « de la même manière » à la société (FE). En effet, si la clause 7.1.5 de ce document, relative aux sûretés, confère à la (BANK) le droit d’emprunter des titres détenus par la société (FE), la clause 4.2.2, relative aux services fournis par la (BANK), indique que cette dernière accepte de fournir à son client des services de prêt d’actions selon les termes d’un « Master Securities Loan Agreement » qui aurait figuré en annexe 3 du « Master Clearing Agreement » mais qui n’a pas non plus été versé en cause. La relation contractuelle unissant la (BANK) à la société (FE) aurait donc permis au moins deux types différents de prêts d’actions, non autrement documentés.

La Cour n’est en conséquence pas à même d’apprécier si les termes des opérations de prêt d’actions ont entraîné un transfert à l’emprunteur de la seule propriété juridique des actions prêtées, sinon un transfert de la seule propriété économique, voire même un transfert de la propriété à la fois juridique et économique.

L’appelante invoque également des graphiques de détention qui n’ont point été versés en cause. Par ailleurs, elle se prévaut de relevés de position journalière, mais ces derniers présentent des incohérences laissant douter de leur exactitude. Outre le fait que par courrier électronique du 6 février 2018, cité dans la décision sur réclamation reproduite ci-avant, le gérant et bénéficiaire effectif de l’appelante a lui-même admis que les écrits émanant de la (BANK) faisaient parfois l’objet de rectifications, la Cour note des divergences incompréhensibles entre les relevés de position journalière et les « tax vouchers » pourtant censés émaner du même auteur. Ainsi, le « tax voucher » du 12 août 2014 indique qu’un dividende lié à 10.739.829 actions (Q) aurait entraîné une retenue à la source de (4) euros, alors que le relevé de position journalière du même jour se réfère à la détention de 10.900.000 actions et à un dividende lié à ce nombre d’actions, tout en ne mentionnant qu’une retenue à la source de (12) euros (le montant complémentaire de retenue à la source de (16) euros permettant d’arriver au montant de (4) euros invoqué par l’appelante n’étant documenté que bien plus tard, dans un relevé de position journalière du 11 novembre 2014). De même, l’appelante ne fournit pas d’explication plausible permettant de comprendre pourquoi le montant de retenue à la source lié à une distribution de dividendes sur des actions dans la société (O) en 2014 a été renseigné dans les relevés de position journalière en deux étapes – une première tranche figurant dans le relevé du 13 mai 2014 et une seconde dans le relevé du 1er août 2014 –, alors que le « tax voucher » du 13 mai 2014 indiquait déjà un montant de retenue à la source correspondant à la somme de ces deux tranches. Les relevés de position journalière indiquent donc des informations qui diffèrent de celles figurant sur des « tax vouchers » datés du même jour, voire antérieurs.

De surcroît, la Cour note qu’un dividende pour un montant de 1,4 million d’euros lié aux actions dans la société (P) apparaît dans les relevés de position journalière des 20, 21 et 22 avril 2015, avec pour « ex date » le 20 avril 2015, pour « record date » le 22 avril 2015 et pour « payment date » le 23 avril 2015. De manière énigmatique, la ligne relative à ce dividende est même dédoublée dans les relevés des 21 et 22 avril 2015, et encore plus loin, l’appelante n’a pas sollicité de remboursement de retenue à la source en lien avec ce dividende ni même mentionné l’existence de ce dividende. Suivant les relevés de position journalière des 20, 21 et 22 avril 2015, ce dividende aurait été lié à 400.000 actions, c’est-à-dire la totalité des actions dans la société (P) dont la société (FE) aurait été détentrice. Or, suivant les explications de l’appelante, la société (FE) n’a pas demandé de remboursement de retenue à la source lorsque ses actions ont été prêtées, en raison de sa perception, dans un tel cas de figure, d’un paiement de compensation non-soumis à la retenue à la source. Sur base des explications de l’appelante et des informations figurant dans les relevés de position journalière, il faudrait alors déduire qu’au cours du mois d’avril 2015, la totalité des actions dans la société (P) détenues par la société (FE) aurait été prêtée. Se pose donc à nouveau la question d’un transfert de la propriété juridique et/ou économique des actions faisant l’objet du prêt, question qui ne peut être utilement tranchée sur base des simples allégations de l’appelante allant dans le sens d’un maintien dans le chef de la société (FE) de la propriété à la fois juridique et économique des participations litigieuses.

Si l’appelante a fait l’effort appréciable de fournir, dans le cadre de son mémoire en réplique d’appel, un tableau récapitulant les informations relatives au prix et à la date d’acquisition contenues dans les centaines de pages de relevés de position journalière, force est de constater que les données reprises dans ce tableau ne coïncident cependant pas parfaitement avec les explications qu’elle a avancées pour contrer l’argument de la partie étatique selon lequel des transactions de vente et rachat effectuées au sein de la même journée pourraient ne pas apparaître dans les relevés de position journalière. En effet, l’appelante a indiqué que « le règlement d’une transaction (c.à.d. le fait que son statut passe de unsettled à settled) prend au minimum une journée – d’où, aussi, le fait que la dividend ex date soit un jour avant la dividend record date dans le cadre du paiement de dividendes par des sociétés cotées. Par conséquent, une transaction de cession et de rachat entraînerait nécessairement qu’au moins pour le jour de la transaction (et souvent encore le lendemain) il y ait des actions en position unsettled à la place de settled ». Or, d’après les relevés de position journalière et le tableau récapitulatif, le 15 avril 2015, la société (FE) aurait détenu 1,7 million d’actions dans la société (O), dont 700.000 actions settled, tandis que le 17 avril 2015, elle aurait détenu 4,2 millions d’actions dans la société (O), figurant toutes sous le statut unsettled. Les explications de l’appelante ne permettent ainsi pas de comprendre utilement pourquoi les 700.000 actions d’ores et déjà settled le 15 avril 2015 n’apparaissent plus comme telles le 17 avril 2015. Si le règlement d’une transaction prenait au moins une journée et que la société (FE) avait d’abord vendu ses 700.000 actions settled avant de racheter 4,2 millions d’actions, la vente des 700.000 actions aurait dû apparaître pendant au moins un jour en tant que « short transaction unsettled ». Cette incohérence laisse donc à son tour douter de la fiabilité du contenu des relevés de position journalière.

Par ailleurs, les comptes annuels 2014 et 2015 fournis par l’appelante ne permettent pas non plus de prouver que la société (FE) aurait détenu, en tant que propriétaire juridique, des actions des sociétés (O), (Q) et (P) ayant un prix d’acquisition d’au moins 1,2 million d’euros pendant une durée ininterrompue d’au moins 12 mois. En effet, la Cour constate que ces comptes – audités pour l’exercice 2014 mais non pour l’exercice 2015, contrairement à ce qu’affirme l’appelante – ne comportent aucun détail utile concernant le prix d’acquisition des participations ni la durée de détention de ces dernières.

Finalement, la Cour suit le tribunal dans son rejet de l’argumentation de l’appelante relative à l’exigence d’une preuve qui serait impossible à fournir. Certes, l’appelante a entretemps fourni la preuve qu’elle a entrepris des démarches infructueuses auprès de la (BANK) et de l’ancien auditeur de la société (FE) afin d’obtenir la confirmation par ces dernières de l’exactitude de ses allégations quant au prix d’acquisition et la durée de détention des participations litigieuses et quant à l’authenticité des pièces versées. Cependant, comme relevé par la partie étatique, les démarches entreprises ont consisté en l’envoi sur le tard de simples courriers électroniques et non en démarches juridiquement contraignantes, ce dont s’est précisément prévalu l’ancien auditeur de la société (FE) pour refuser de coopérer. De plus, si la partie étatique ne justifie pas pourquoi il lui serait nécessaire d’obtenir des confirmations de la part des différents intervenants dans la chaîne des paiements, il n’en demeure pas moins que son exigence de se voir remettre des attestations signées et datées par la banque dépositaire, certifiant la qualité de détenteur des actions, de bénéficiaire effectif des dividendes ainsi que le prix d’acquisition et la durée de détention, ne saurait être considérée comme déraisonnable dans le contexte donné, ni impossible à fournir. Comme souligné par le délégué du gouvernement, l’ancien auditeur de la société (FE) a suggéré lui-même à l’appelante de solliciter auprès de la (BANK) une attestation certifiée. En outre, au vu des incohérences relevées ci-avant, l’appelante ne saurait reprocher à la partie étatique et aux premiers juges de considérer indûment que les pièces qu’elle a versées ne permettent pas de prouver que la société (FE) aurait bien rempli les conditions requises pour obtenir le remboursement de la retenue à la source sur dividendes.

Les premiers juges ont donc rejeté à bon droit le moyen fondé sur le reproche que l’Etat exigerait la fourniture d’une preuve impossible, l’appelante n’ayant pas justifié à suffisance une telle impossibilité. En conséquence, c’est aussi à bon droit que le tribunal, considérant que la question préjudicielle que l’appelante lui demandait de soumettre à la Cour constitutionnelle était fondée sur la prémisse non vérifiée qu’une preuve impossible à fournir serait exigée, a rejeté cette demande de question préjudicielle. Dans le corps et le dispositif de sa requête d’appel, l’appelante a demandé à la Cour de soumettre à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle très similaire à celle formulée en première instance, mais en omettant cette fois le « non » à la fin de sa question, de sorte que sa question porte uniquement sur la charge de la preuve incombant au titulaire de titres dématérialisés et non, comme en première instance, sur une comparaison entre la charge de la preuve incombant au titulaire de titres dématérialisés et celle incombant au titulaire de titres non dématérialisés. Eu égard au principe du bon sens devant guider le juge dans la résolution des litiges qui lui sont soumis (Cour adm., 23 décembre 2021, n° 46070C du rôle), la Cour admet que l’appelante entendait lui soumettre la même question que celle posée en première instance mais elle rejette cette demande de question préjudicielle pour ne pas être pertinente en ce qu’elle ne propose aucune disposition de la loi dont la conformité à la Constitution serait à analyser, à la suite des premiers juges.

Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments de preuve fournis par l’appelante, étant relevé que l’offre de preuve par voie d’expertise ne permet pas de suppléer à la carence de l’appelante dans l’administration de la preuve, c’est à bon droit que le tribunal a déclaré le recours non-fondé et l’a rejeté.

Il s’ensuit que l’appel sous examen est à rejeter comme étant non justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 26 juillet 2021 en la forme, au fond, rejette la demande de soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, déclare l’appel non justifié et en déboute la société appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 16 juin 2021, condamne la société appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 31 mars 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 31


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46289C
Date de la décision : 08/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-08;46289c ?

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