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08/03/2022 | LUXEMBOURG | N°45526C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 mars 2022, 45526C


posi GRAtions ND-

DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45526C ECLI:LU:CADM:2022:45526 Inscrit le 19 janvier 2021

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Audience publique du 31 mars 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (BA) (anciennement (DC)), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 décembre 2020 (n° 42371 du rôle) en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu l’acte d’appel, inscri...

posi GRAtions ND-

DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45526C ECLI:LU:CADM:2022:45526 Inscrit le 19 janvier 2021

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Audience publique du 31 mars 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (BA) (anciennement (DC)), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 décembre 2020 (n° 42371 du rôle) en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45526C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 19 janvier 2021 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG SARL, inscrite au barreau de Luxembourg, ayant son siège social au L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 174248, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Petrus MOONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois (BA) (anciennement (DC)), ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 9 décembre 2020 (n° 42371 du rôle) par lequel le tribunal déclara irrecevable le recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre 1) une « décision » notifiée par le bureau d’imposition Sociétés 1 par courrier électronique du 1er juin 2017, refusant la restitution de retenues d’impôt à la source sur revenus de capitaux mobiliers et 2) une « décision implicite de refus » du directeur de l’administration des Contributions directes sur une réclamation introduite le 21 août 2017, reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 novembre 2018 (n° C … du rôle) ayant rejeté sa réclamation du 17 mai 2018 introduite à l’encontre des décisions du bureau d’imposition Sociétés 1 du 12 mars 2018 ayant rejeté sa requête en remboursement de retenues à la source sur revenus de capitaux mobiliers, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, rejeta sa demande de voir soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur son recours subsidiaire en annulation contre la même décision du 15 novembre 2018 et la condamna aux frais de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG déposé au greffe de la Cour administrative le 18 février 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 18 mars 2021 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG SARL, représentée par Maître Petrus MOONS, pour compte de la société (BA) ;

Vu le mémoire en duplique de Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG déposé au greffe de la Cour administrative le 14 avril 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nadège LE GOUELLEC, en remplacement de Maître Petrus MOONS, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives en chambre du conseil en date du 6 mai 2021.

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Par des requêtes présentées les 17 avril, 5 mai et 29 septembre 2015, la société à responsabilité limitée (DC), ci-après la « société (DC) », demanda la restitution de l'impôt sur le revenu payé par voie de retenue à la source sur les revenus de capitaux mobiliers provenant de distributions de dividendes de la part des sociétés anonymes (O), (P) et (Q), ci-après respectivement les sociétés « (O) », « (P) » et « (Q) », comme suit :

(i) une retenue à la source de (7) euros pour les dividendes de (O) qui auraient été perçus le 17 avril ou le 24 avril 2014, selon des déclarations divergentes de l’appelante ;

(ii) une retenue à la source de (8) euros pour les dividendes de (O) qui auraient été perçus le 22 avril 2015 ;

(iii) une retenue à la source de (11) euros pour les dividendes de (P) qui auraient été perçus le 2 mai, le 5 mai ou le 7 mai 2014, selon des déclarations divergentes de l’appelante ;

(iv) une retenue à la source de (12) euros pour les dividendes de (P) qui auraient été perçus le 8 septembre ou le 10 septembre 2015, selon des déclarations divergentes de l’appelante ;

(v) une retenue à la source de (9) euros pour les dividendes d’(Q) qui auraient été perçus le 12 mai 2014 ou le 15 juillet 2014, selon des déclarations divergentes de l’appelante ;

(vi) une retenue à la source de (10) euros pour des dividendes d’(Q) qui auraient été perçus le 15 juin 2015.

Par un courrier électronique du 1er juin 2017, le chef de division de la direction division économique de l’administration des Contributions directes informa la société (DC) de ce qui suit :

« Après revue le document semble manquer le sigle de (BANK), ne pas renseigner de double signature et ne pas revêtir la forme classique d'un tax voucher. Il ne nous est malheureusement pas possible d'accepter ce document comme preuve suffisante ».

Par un courrier du 11 août 2017 adressé au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », la société (DC) déclara introduire une réclamation contre une décision ainsi qualifiée, notifiée par courrier électronique du 1er juin 2017, qui refuserait (O) demandes en restitution de la retenue à la source.

En date du 12 mars 2018, le préposé du bureau d’imposition Sociétés 1, ci-après le « préposé », refusa de faire droit aux demandes de restitution de retenues à la source à travers six décisions, les refus étant tous fondés sur la motivation suivant laquelle « aucun document prouvant le paiement du dividende au bénéficiaire effectif n'a été fourni ».

Par courrier du 17 mai 2018, la société (DC) fit introduire une réclamation contre ces six décisions du 12 mars 2018, tout en déclarant introduire un « rappel de la réclamation datée du 11 août 2017 ».

Par une décision du 15 novembre 2018, référencée sous le numéro C …, le directeur rejeta comme non fondée la réclamation introduite le 17 mai 2018, dans les termes suivants :

« Vu la requête introduite le 17 mai 2018 par les sieurs (A) et (B), au nom de la société à responsabilité limitée (DC), L-…, pour réclamer contre six décisions du bureau d'imposition Sociétés 1 rejetant en date du 12 mars 2018 des demandes de remboursement de retenue d'impôt sur revenus de capitaux en relation avec des dividendes alloués par les sociétés (O), (Q) et (P) au cours des années 2014 et 2015 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Quant à la recevabilité Vu le § 252 AO ;

Considérant qu'il échet tout d'abord d'analyser la qualification à conférer à l'acte introduit par la réclamante en date du 17 mai 2018 ;

Considérant que la réclamante, débiteur de l'impôt, fait grief au bureau d'imposition de ne pas lui avoir accordé une restitution d'un montant total de (13) euros ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'alinéa 1 de l'article 149 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), le débiteur des revenus doit opérer la retenue d'impôt pour compte du bénéficiaire et est personnellement responsable de l'impôt qu'il a retenu ou qu'il aurait dû retenir ;

que suivant l'alinéa 2 du même article, le bénéficiaire des revenus est le débiteur de l'impôt ;

que le bénéficiaire des revenus ne peut pas introduire une réclamation contre le bulletin non écrit (« nicht förmlicher Steuerbescheid » suivant § 212 AO) portant fixation d'une retenue à la source sur revenus de capitaux qui seul est destiné au débiteur des revenus;

Considérant que l'alinéa 1 du § 150 AO vise les cas où le remboursement d'impôts peut être exigé, partant où le droit au remboursement est établi et n'a qu'à être invoqué par le contribuable ;

qu'en vertu de l'alinéa 2 du même paragraphe, le bureau d'imposition compétent est obligé de matérialiser son refus de remboursement de l'impôt par un bulletin ;

qu'il s'ensuit que « l'existence du droit à restitution ne doit pas être établie à suffisance de droit au moment de la soumission de la demande de restitution par le contribuable, mais qu'il incombe au bureau d'imposition de statuer sur la réalité de ce même droit » (jugement tribunal administratif du 23 juillet 2003, n° 15907 du rôle) ;

Considérant que les droits des créanciers de revenus de capitaux sont réglés par le § 152 (2) n° 1 AO (études fiscales, Jean Olinger, nos 81/82/83/84/85, page 73) ;

qu'en l'occurrence la réclamante qui est le bénéficiaire des revenus de capitaux, peut contester la retenue opérée en soumettant une demande de restitution ;

Considérant qu'en l'espèce, la réclamante a soumis de telles demandes de restitution en date du 17 avril 2015, du 5 mai 2015 et du 29 septembre 2015 au bureau d'imposition ;

Considérant qu'il s'ensuit que les bulletins datés du 12 mars 2018 et communiquant les décisions du refus de remboursement pour un montant total de (13) euros de la part du bureau d'imposition ouvrent donc le droit à une réclamation devant le directeur des contributions sur base du § 235 n°5 AO ;

Quant au fond Considérant qu'en vertu du § 243 de la loi générale des impôts, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du requérant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

Considérant que l'instruction au contentieux a révélé que la réclamante a demandé en date du 17 avril 2015, du 5 mai 2015 et du 29 septembre 2015, le remboursement intégral d'une retenue de 15% sur des dividendes luxembourgeois qui lui auraient été alloués en 2014 et 2015 par les sociétés (O), (Q) et (P) ;

Considérant que, selon la requête introductive, les dividendes alloués se composeraient comme suit :

Dividende en cause Date de paiement Montant brut Retenue du dividende (O) 24 avril 2014 (1) (7) 22 avril 2015 (2) (8) (Q) 15 juillet 2014 (3) (9) 15 juin 2015 (4) (10) (P) 7 mai 2014 (5) (11) 10 septembre 2015 (6) (12) Total (13) Considérant qu'en guise de motivation, la réclamante fait valoir que les dispositions de l'article 147 L.I.R. seraient applicables en l'espèce, notamment en ce qui concerne la nature des revenus, les conditions seraient remplies quant aux filiales et la société mère, i.e. la réclamante, ainsi que le seuil de la participation et la durée de détention ;

Considérant que les décisions de refus du remboursement émises le 12 mars 2018 par le bureau d'imposition Sociétés 1 retiennent comme motivation du refus : « Aucun document prouvant le paiement du dividende au bénéficiaire effectif n'a été fourni » ;

Considérant qu'à cet effet, la réclamante expose que « En l'espèce, les demandes de remboursement des retenues à la source supportées par la Société pour un montant total de EUR (14) ont fait l'objet de plusieurs échanges au cours desquels la Société a été invitée à communiquer un ensemble de pièces justificatives, lesquelles permettaient sans équivoque de prouver le paiement des dividendes à la Société en sa qualité de bénéficiaire effectif » ;

Considérant que l'article 147 L.I.R. prévoit notamment une condition de détention directe d'un seuil de participation minimum d'au moins 10% ou un prix d'acquisition minimal de 1.200.000 euros pendant une durée déterminée ;

Considérant que la réclamante expose avoir livré entre autres des « Confirmations écrites et signées de la part de (BANK) indiquant le montant des dividendes perçus par la Société, ainsi que les retenues à la source luxembourgeoises y relatives. Ces confirmations constituent, sur base d'échanges entretenus avec (BANK) des Tax Vouchers en bonne et due forme » ;

Considérant que la réclamante déplore encore que ces « Tax vouchers » n'auraient pas été acceptés de la part de l'administration des contributions et notamment par la division économique de la direction des contributions pour le motif qu'un tel « Tax voucher » « semble manquer le sigle de (BANK), ne pas renseigner de double signature et ne pas revêtir la forme classique d'un tax voucher » et qu'il ne serait « pas possible d'accepter ce document comme preuve suffisante » ;

Considérant qu'en ce qui concerne les dividendes (O) de l'année 2014, la réclamante a produit deux documents établis par ordinateur désignés comme « Tax Vouchers » ;

que lesdits documents retiennent les libellés suivants :

« Dear customer, At the general meeting of Shareholders (O) … held on *******000 the 2014 dividend was declared in conformity with the proposal as follows :

Cash dividend with ex dividend date 17-04-2014, Record date 23-04-2014 payable on 24-04-2014.

Specification dividend amount Account No 1 TRAD EUR 1.0700000 Dividend on 5891016 shares EUR … C 15.00% Dividend tax EUR … D » et « Dear customer, At the general meeting of Shareholders (O) … held on *******000 the 2014 dividend was declared in conformity with the proposal as follows :

Cash dividend with ex dividend date 17-04-2014, Record date 23-04-2014 payable on 24-04-2014.

Specification dividend amount :

Account No 1 TRAD EUR 1.0700000 Dividend on 2500000 shares EUR … C 15.00% Dividend tax EUR … D » Considérant d'abord qu'il n'est pas litigieux que ces « Tax vouchers » ne sauraient servir de preuve concluante pour documenter la mise à disposition effective des dividendes y énoncés à la réclamante ;

Considérant que lesdits « Tax vouchers » portent sur un total de 8.391.016 actions ;

Considérant que le « Tax voucher » fourni pour l'année 2015 ne concerne qu'un dividende portant sur 7.200.000 actions (dividende brut de (2) euros, retenue à la source y relative (8) euros) ;

Considérant que l'article 147 L.I.R. prévoit l'exemption de la retenue d'impôt prévue à l'article 146 L.I.R. des revenus alloués par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, ou par une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, aux organismes à caractère collectif énumérés à l'article 147 numéro 2, lettres a) à h) L.I.R. ;

Considérant que les dispositions de l'article 147 numéro 2 L.I.R. visent notamment les revenus alloués à :

 un autre organisme à caractère collectif visé par l'article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mère et filiales d'Etats membres différents,  une autre société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10,  l'Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou aux exploitations de collectivités de droit public indigènes,  un établissement stable d'un organisme à caractère collectif visé aux lettres a, b ou c,  un organisme à caractère collectif pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités qui est un résident d'un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions, ainsi qu'à son établissement stable indigène,  une société de capitaux qui est un résident de la Confédération suisse assujettie à l'impôt sur les sociétés en Suisse sans bénéficier d'une exonération,  une société de capitaux ou une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union Européenne et qui est pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités,  un établissement stable d'une société de capitaux ou d'une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne et que, à la date de la mise à disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s'engage à détenir, sous les conditions prévues à l'article 149, alinéa 4, directement pendant une période ininterrompue d'au moins douze mois, une participation d'au moins 10 pour cent ou d'un prix d'acquisition d'au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des revenus ;

Considérant que le paragraphe 171 AO retient dans son alinéa 1er que « Auf Verlangen (§ 205 Absätze 1 und 2) hat der Steuerpflichtige die Richtigkeit seiner Steuererklärung nachzuweisen. Wo seine Angaben zu Zweifeln Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel den Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat »;

Considérant dès lors qu'en « cas de contestations émises par l'administration des Contributions sur la déclaration faite par le contribuable, celui-ci est légalement tenu à faire parvenir à l'administration des Contributions les renseignements et explications demandés, étant donné que la charge de la preuve de l'exactitude des déclarations faites pèse désormais sur le contribuable » (jugement tribunal administratif du 17 octobre 2007 n° 22366 du rôle) ;

Considérant d'abord que l'alinéa 149 L.I.R. retient clairement dans son alinéa 4a que:

« En l'absence d'un engagement par le bénéficiaire des revenus, le débiteur est tenu de déclarer et de verser l'impôt retenu à la source dans le délai de huit jours à partir de la mise à la disposition des revenus. Le remboursement peut être demandé par le bénéficiaire des revenus dès qu'il prouve que la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n'est pas descendu au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d'acquisition au-dessous de 1.200.000 euros » ;

Considérant qu'en l'occurrence, le bureau d'imposition était donc en droit de demander des pièces justificatives quant à la mise à disposition effective des dividendes (O), (Q) et (P) au profit de la requérante, ainsi que des pièces quant à la durée de détention de douze mois requise par les dispositions de l'article 147 L.I.R. ;

Considérant qu'à titre de rappel, les « Tax vouchers » relatifs aux dividendes (O) portent, en 2014, sur plus de 8.000.000 actions, alors que pour 2015, le dividende énoncé au « Tax voucher » ne porte que sur 7.200.000 actions ;

Considérant qu'en ce qui concerne les dividendes (Q), les dividendes repris au « Tax voucher » pour l'année 2014 portent sur un total de 14.878.113 actions, tandis que les dividendes repris au « Tax voucher » pour l'année 2015 porte[nt] sur un total de 3.796.905 actions ;

Considérant qu'en ce qui concerne les dividendes (P), les dividendes repris aux « Tax vouchers » pour l'année 2014 portent sur un total de 351.296 actions, tandis que les dividendes repris au « Tax voucher » pour l'année 2015 portent sur un total de 1.044.416 actions ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces fournies en guise de motivation et notamment des « Tax vouchers », si les titres (O), (Q) et (P) ont effectivement été détenus pendant une période ininterrompue de 12 mois par quiconque ;

Considérant encore que les documents établis par ordinateur laissent des doutes quant à l'authentification réelle des bénéficiaires économiques ;

que les documents n'établissent pas non plus la mise à disposition effective des dividendes au profit de la réclamante et ne donnent pas d'informations quant à la durée de détention effective ;

Considérant que même si la requérante a versé des centaines de copies de pièces dans le cadre de sa réclamation, il n'en reste pas moins qu'elle est restée en défaut de produire des certificats concluants d'une banque dépositaire attestant la détention des actions (O), (Q) et (P) par la réclamante pendant une période ininterrompue de 12 mois, ainsi que sa qualité de bénéficiaire économique des dividendes litigieux pour les années 2014 et 2015 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à juste titre que le bureau d'imposition a refusé le remboursement de la retenue d'un montant total de (13) euros ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 février 2019, la société (DC) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l'annulation :

(i) de la décision sur réclamation du 15 novembre 2018 du directeur rejetant sa réclamation introduite le 17 mai 2018 contre les six décisions prises par le préposé de rejet des demandes en restitution de la retenue d'impôt à la source supportée lors des distributions des dividendes provenant des participations qu'elle détiendrait dans les sociétés (O), (Q) et (P) ;

(ii) d’une « décision » notifiée par courrier électronique du 1er juin 2017 refusant la demande en restitution de la retenue d'impôt à la source litigieuse, qui aurait fait l'objet d'une réclamation du 8 août 2017 ;

(iii) « pour autant que de besoin » d’une « décision implicite de refus » du directeur à la suite d'une réclamation du 8 août 2017.

Par résolution de son associé unique du 8 mai 2020, la société (DC) changea de dénomination pour devenir la société (BA), ci-après la « société (BA) ».

Dans son jugement du 9 décembre 2020 (n° 42371 du rôle), le tribunal administratif déclara irrecevable le recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre la « décision » sous (ii) et la « décision implicite de refus » sous (iii), reçut en la forme le recours en réformation à l’encontre de la décision sous (i), au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, rejeta sa demande de voir soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation contre la décision sous (i) et la condamna aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 19 janvier 2021, la société (BA) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Quant à la portée de l’appel L’appelante a précisé que le recours ayant donné lieu au jugement dont appel était intenté contre la décision sur réclamation du 15 novembre 2018. Dans la mesure où l’appelante a ajouté cette précision et a par ailleurs demandé la réformation du jugement du 9 décembre 2020 « en ce qu’il considère non fondé[e] la demande de remboursement de retenue à la source », il y a lieu de considérer que l’appel ne porte que sur le volet du jugement ayant débouté l’appelante de son recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 15 novembre 2018, mais non pas sur les volets dudit jugement ayant déclaré irrecevable le recours en ce qu’il était dirigé contre la « décision » sous (ii) et la « décision implicite de refus » sous (iii).

Quant à la demande de rejet de pièce Dans le cadre de sa plaidoirie, le délégué du gouvernement a sollicité le rejet de la pièce déposée par le litismandataire de l’appelante au greffe de la Cour administrative le 5 mai 2021 (pièce n° 13), en avançant que ce dépôt effectué dans la soirée de la veille de l’audience des plaidoiries était tardif et en déplorant l’attitude générale de l’appelante dans la fourniture de pièces. Le litismandataire de l’appelante s’est opposé à cette demande.

La Cour tient à relever que d’après l’article 41, paragraphe (5), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », toute pièce versée après que le magistrat-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par la Cour.

Comme la loi du 21 juin 1999 ne règle pas expressément le sort des pièces déposées postérieurement au dépôt de la requête introductive et des mémoires subséquents auxquels elles se réfèrent, il échet de retenir qu’à partir du moment où des pièces versées avant le rapport à l’audience ont pu être librement discutées à l’audience et que le dépôt de ces pièces ne porte pas atteinte aux droits de la défense, elles ne sont pas à écarter des débats (trib. adm.

17 novembre 2003, n° 16219 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 777 et les autres références y citées).

Or, dans la mesure où la pièce invoquée par l’appelante a été versée non seulement avant le rapport du juge-rapporteur, mais également avant l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a pu en prendre connaissance avant la tenue de l’audience, de même qu’elle a pu être librement discutée à ladite audience, de sorte que le dépôt de cette pièce supplémentaire n’a pas porté atteinte aux droits de la défense de la partie étatique. Au vu de ces considérations, la demande du délégué du gouvernement à voir écarter la pièce en question des débats est à rejeter.

Quant au fond Moyens des parties Après avoir retracé les faits et rétroactes retranscrits ci-avant, l’appelante explique que les demandes de remboursement des retenues d'impôt à la source seraient fondées sur l'article 149, alinéa (4a), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR », tout en soulignant que les conditions de l'article 147 LIR seraient remplies, à savoir que les revenus perçus seraient visés par l'article 97, alinéa (1), n° 1 LIR, qu’ils auraient été alloués par des organismes à caractère collectif résidents pleinement imposables et revêtant une des formes énumérées à l'article 166, alinéa (10), LIR et qu'elle même serait un organisme à caractère collectif visé par l'article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, ci-après la « directive 2011/96 ».

Elle aborde ensuite la « problématique des Cum/Ex » en expliquant qu’elle serait certes importante mais « extérieure au dossier d’espèce », qu’il n’y aurait pas de « preuve effective que le Luxembourg ait été touché par ce type de transactions » et que l’administration aurait dû interroger la banque (BANK), ci-après la « (BANK) », si elle avait des doutes sur la validité des « tax vouchers » qu’elle a soumis à l’appui de sa demande de remboursement.

En droit, l’appelante critique le jugement pour avoir confirmé la décision du directeur du 15 novembre 2018 sur base de la considération que les preuves fournies par elle ne démontreraient pas à suffisance la détention d'une participation pour un prix d'acquisition de 1.200.000 euros pour une période ininterrompue de 12 mois.

Le premier moyen de l’appelante consiste à affirmer qu’elle aurait prouvé à suffisance sa détention des participations dans les sociétés (O), (Q) et (P).

Tout en admettant que conformément aux dispositions du § 171, alinéa 1er, de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », il appartiendrait au contribuable de rapporter la preuve de nature à justifier sa demande, l’appelante souligne que l'obligation de preuve à charge du contribuable serait limitée par ce qui peut être raisonnablement exigé de lui.

L’appelante donne à considérer que pour ce qui est des différentes participations détenues dans les sociétés (O), (Q) et (P), elle aurait produit des rapports journaliers (« daily position reviews ») de (O) participations et un graphique résumant le seuil de détention, pièces qui démontreraient sa détention d'une participation dans ces sociétés pour une période ininterrompue de 12 mois pour un prix d'acquisition supérieur au seuil de 1,2 million d'euros.

La détention des actions ressortirait en outre (i) de (O) propres comptes annuels audités au titre des exercices 2014 et 2015, (ii) de la déclaration pour l'impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et l'impôt sur la fortune au titre des exercices 2014 et 2015, (iii) des annexes 3bis de (O) déclarations pour l'impôt sur le revenu des collectivités et l'impôt commercial communal au titre des exercices 2014 et 2015 reprenant le détail des dividendes reçus de la part des sociétés (O), (Q) et (P). A cet égard, l’appelante souligne qu'elle aurait même fourni à l'administration des Contributions directes, sur demande, des détails quant aux montants repris dans les annexes 3bis de (O) déclarations fiscales et que cette réponse aurait été jugée satisfaisante par les services de l’administration, de sorte qu'il serait invraisemblable que cette même administration adopte une position différente pour le même dividende quant à l'application de l'article 166 LIR et le bénéfice de l'exonération de la retenue à la source sur le dividende.

La détention des actions ressortirait encore des pièces justificatives fournies au soutien de sa demande de remboursement des retenues à la source supportées par elle sur les distributions reçues des sociétés (O), (Q) et (P), l’appelante se référant, pour chaque société, aux pièces afférentes, à savoir (i) le modèle 901bis relatif à la demande de remboursement de retenue à la source, (ii) des courriers adressés au bureau d'imposition qui confirmeraient l'éligibilité aux dispositions de l'article 147, alinéa (2), LIR et cela à la date de la mise à disposition des dividendes, (iii) une confirmation de paiement émise par la (BANK), l’appelante précisant que ladite banque n'aurait pas produit ce type de document pour les exercices antérieurs à l’année 2015, de sorte qu'elle ne serait pas en mesure de fournir un tel document pour les distributions de dividendes perçues en 2014, et, enfin, (iv) des confirmations écrites signées par la (BANK) indiquant le montant des dividendes perçus ainsi que les retenues à la source y relatives, ces confirmations constituant, d’après l’appelante, des « tax vouchers » en bonne et due forme, les originaux de ces documents ayant été remis à l'administration des Contributions directes.

L’appelante estime que c’est à tort que les juges de première instance auraient retenu que les documents qu’elle a produits seraient des « documents unilatéraux » émis par elle-même, alors que « la preuve de la détention journalière et les tax vouchers » auraient été fournis par la (BANK). De plus, elle considère qu’il faudrait tenir compte des « modes actuels de production des documents bancaires », de sorte que contrairement à ce qu’alléguerait la partie étatique, l’on ne saurait écarter les rapports journaliers de participation et les « tax vouchers » simplement parce qu’ils auraient été générés informatiquement et ne seraient pas signés. L’appelante nie l’existence de formalités relatives aux « tax vouchers » et déplore que ni l’administration, ni le tribunal n’aient utilisé leurs pouvoirs d’enquête en interrogeant la (BANK) pour vérifier si les indications des « tax vouchers » étaient correctes.

En outre, en lui demandant de prouver le « lien de détention le long de la chaîne », l’administration lui imposerait une preuve non exigée par la loi fiscale et impossible à rapporter par un investisseur comme l’appelante « en considération du nombre d’intermédiaires entre l’émetteur des actions et le teneur de comptes ». Elle explique avoir des « relations conflictuelles » avec la (BANK) car cette dernière lui reprocherait de ne pas l’avoir informée concernant des « transactions déjà planifiées, mais non encore juridiquement contraignantes ». L’appelante serait de ce fait dans une « incapacité subjective » de s’acquitter de la charge de la preuve imposée par l’administration car, à défaut de coopération de la (BANK), il serait évident que l’appelante n’aurait pas accès aux informations permettant d’établir la « chaîne de paiements ». Le seul moyen d’obtenir ces informations serait de contraindre la (BANK) à produire les informations nécessaires et à contacter les autres intermédiaires, ce qui nécessiterait la nomination par la Cour d’un « expert avec pouvoir contraignant ».

L’appelante souligne encore que le procès l’opposant à la (BANK) et ayant fait l’objet d’un jugement du tribunal d’Amsterdam daté du 4 mars 2016 serait relatif à une transaction intervenue le 29 janvier 2016, donc postérieure aux années pour lesquelles les demandes de remboursement de retenue à la source ont été introduites, de sorte que ce contentieux ne remettrait aucunement en cause les opérations précédentes de l’appelante et n’affecterait pas la valeur probante des documents issus de la (BANK).

L’appelante ayant « rempli autant que possible sa charge de la preuve », il s'ensuivrait que la preuve de la détention de participations qualifiant pour le remboursement de la retenue à la source serait fournie.

Dans son second moyen, relatif à la question de sa qualité de bénéficiaire effectif, l’appelante donne à considérer qu'aucune disposition ne subordonnerait le remboursement de la retenue à la source à la preuve par le bénéficiaire du dividende de sa qualité de bénéficiaire effectif. Elle estime que c’est à tort que le tribunal aurait indiqué que « la qualité de bénéficiaire effectif est inscrite en sous-jacent dans l’esprit de l’article 147 LIR du fait de la référence à la notion de bénéficiaire ». En effet, seul le droit conventionnel connaîtrait la notion de bénéficiaire effectif en matière de retenue à la source sur les revenus de capitaux, notion qui serait distincte de celle de propriétaire économique au sens du § 11 de la loi d'adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG ». En l’absence d’un « élément d’extranéité », comme le droit fiscal serait d’interprétation stricte, la notion de bénéficiaire effectif serait à exclure « dans le cadre de la qualification en droit domestique ».

De surcroît, comme il ressortirait des rapports journaliers que l’appelante aurait la propriété juridique des actions, il n’y aurait pas lieu de remettre en cause sa propriété économique de ces actions. Elle précise que les actions qu’elle détenait auraient été sur un « compte omnibus » de la (BANK) qui aurait permis à cette dernière « d’utiliser les actions pour effectuer des opérations de prêt d’actions ». Comme ces opérations n’auraient pas été soumises à l’approbation de l’appelante, celle-ci n’en aurait pas nécessairement eu connaissance, « exclusion faite, en cas de « stock lending », d’un paiement de compensation représentant 100% du dividende ». L’appelante admet avoir reçu des compensations de paiements de dividendes, mais souligne qu’elle ne demanderait pas le remboursement des retenues à la source relativement à ces paiements de compensation. De plus, même en cas de prêt d’actions détenues par l’appelante, celle-ci aurait continué à être le propriétaire économique des actions prêtées. En effet, une telle opération « porte[rait] sur un titre et la remise d’un titre similaire », donc l’appelante conserverait « l’ensemble des risques en lien avec l’action et les revenus afférents à l’action ».

Même à admettre qu'une condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif devrait être remplie, l’appelante donne à considérer qu’on ne saurait lui refuser le bénéfice de l’article 147 LIR, au motif que l’applicabilité de l’article 166 LIR n’aurait pas été remise en cause par la partie étatique relativement aux dividendes reçus par l’appelante et que le champ d’application de l’article 166 LIR serait « sensiblement le même » que celui de l’article 147 LIR.

Enfin, dans son troisième moyen, l’appelante fait valoir qu’en exigeant des preuves impossibles à rapporter pour les actions dématérialisées, l'Etat « crée[rait] une discrimination entre des titulaires d'actions de sociétés non cotées et ceux d'actions cotées ». La position de l’Etat serait totalement injustifiée car l'article 147 LIR permettrait une exonération de retenue à la source à compter d'un prix d'acquisition de 1,2 million d'euros, sans prendre en compte le taux de participation. Or, un investissement d'un tel montant pour une participation inférieure à 10 % du capital se ferait essentiellement dans le cadre d'une société dont les titres sont cotés.

Si les exigences de l’administration devaient être suivies, tout titulaire de titres dématérialisés se trouverait dans l'impossibilité de demander un remboursement de retenue à la source.

Dans l'hypothèse où la Cour ne suivrait pas sa position quant à la preuve requise, l’appelante demande à la Cour de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : « Est-il conforme à l’article 101 de la Constitution de subordonner l’acceptation d’une demande de remboursement de retenue à la source sur dividendes introduite par le bénéficiaire de dividendes relatifs à des titres dématérialisés, à la mise à disposition, par ce bénéficiaire, de l’ensemble des flux de paiements intervenus entre les différents intermédiaires impliqués dans la chaîne de détention des titres dématérialisés, alors qu’une telle condition n’est pas imposée au titulaire de titres non dématérialisés ? ».

Le délégué du gouvernement demande la confirmation intégrale du jugement du 9 décembre 2020.

Il rappelle qu’en vertu du § 171 AO, il incomberait au contribuable d’établir la véracité de (O) déclarations sur base de pièces objectives et probantes. Or, l’appelante ne développerait aucun argumentaire pour remettre en cause le constat des premiers juges quant au caractère probant insuffisant, voire inexistant des pièces versées. Ces dernières seraient des documents unilatéraux émanant de l’appelante, sauf trois types de documents, à savoir les « daily position reviews », les « tax vouchers » et les « confirmations de paiement » qui proviendraient de la (BANK). Cependant, celle-ci aurait remis en question ces pièces dans le cadre du procès l’opposant à l’appelante, de sorte que lesdites pièces devraient être rejetées faute de valeur probante certaine.

De plus, les rapports journaliers ne seraient que de simples extraits informatiques ne reflétant qu’une « image ponctuelle et incomplète des positions et transactions » de l’appelante, « vraisemblablement en fin de journée à la clôture des marchés », et ne permettraient pas de « déceler à quel titre (propriétaire juridique ou économique) » ni pendant quelle durée les titres auraient été détenus de manière ininterrompue. En outre, rien n’empêcherait d’effectuer plusieurs transactions pendant la même journée sans que ces transactions apparaissent dans les rapports journaliers, et l’appelante n’aurait pas versé de preuve quant à « l’envergure des opérations qu’elle pouvait effectuer en vertu de son compte de titres ». Les « tax vouchers » ne sauraient pas non plus servir de preuve concluante en raison de l’absence de signature, des incohérences entre les retenues déclarées et les retenues figurant sur les « tax vouchers », ainsi que des incohérences concernant la date de réception alléguée des dividendes entre la requête d’appel et les « tax vouchers ». Ces contestations vaudraient également pour les confirmations de paiement.

L’appelante ne prouverait pas non plus à suffisance qu'au moment du paiement des dividendes, elle était le propriétaire des actions sous-jacentes.

En l'espèce, les paiements litigieux seraient liés à des dividendes attachés à des actions émises par les sociétés (P), (O) et (Q), qui seraient des titres fongibles et dématérialisés. Or, la dématérialisation des titres serait à l'origine de profondes mutations ayant concerné tant les aspects juridiques et organisationnels que les moyens techniques mis en œuvre pour assurer les transactions.

Depuis la loi du 6 avril 2013 relative aux titres dématérialisés, les titres de capital que les émetteurs souhaitent émettre sous forme dématérialisée ne seraient matérialisés que par la simple inscription en compte-titres du propriétaire qui chargerait un intermédiaire financier de la gestion de ce compte-titres.

Le traitement des titres ferait intervenir plusieurs acteurs, à savoir (i) l’agent payeur, qui serait un établissement financier mandaté par l'émetteur des titres pour payer les dividendes attachés aux actions sous-jacentes, qui serait également chargé de payer la retenue à la source au receveur luxembourgeois, et qui en général ne connaîtrait pas les détenteurs finaux des titres, (ii) le teneur de comptes central ou dépositaire central, qui aurait pour rôle la conservation de la position des intermédiaires agréés et la garde des informations sur la propriété des titres, qui gérerait globalement les avoirs de (O) adhérents sans connaître les détenteurs finaux des titres et qui pourrait être assimilé à une banque centrale des titres, ouvrant sur (O) livres des comptes d’adhérents aux intermédiaires (conservateurs ou dépositaires locaux), (iii) le teneur de comptes ou conservateur (« custodian »), qui assurerait la fonction de tenue du compte-titres des clients investisseurs, se chargerait de la conservation et de l'administration des titres et qui constituerait un établissement agréé disposant d'un compte ouvert auprès du dépositaire central, et enfin, (iv) en fonction des établissements dépositaires utilisés par un établissement conservateur, il pourrait arriver que les dividendes soient versés non seulement par l'intermédiaire du dépositaire central mais aussi par l'intermédiaire de sous-dépositaires ou de dépositaires locaux.

Dès lors, le crédit d'un paiement de dividendes sur actions dématérialisées en compte-courant du propriétaire des actions auprès de l'établissement conservateur serait « toujours le résultat d'un paiement en chaîne depuis le compte-courant de l'émetteur auprès de l'agent payeur », le délégué du gouvernement illustrant la chaîne des flux de paiement par un diagramme afférent.

En se référant à une pièce de l’appelante intitulée « support écrit pour les besoins d'une réunion avec l’ACD le 25 octobre 2016 », le délégué du gouvernement affirme qu'il ressortirait des propres pièces de l’appelante que des opérations pourraient intervenir avec des tiers dans le cadre de la chaîne des paiements, en ce sens qu'il pourrait y avoir des ventes à terme, des mises en gage ou autres opérations. Suivant cette même pièce, l’appelante se baserait tantôt sur sa qualité de propriétaire juridique, tantôt sur celle de propriétaire économique des titres pour revendiquer le remboursement de la retenue à la source.

Concernant la preuve de la qualité de propriétaire juridique conformément au § 171 AO, le délégué du gouvernement fait valoir que dans la mesure où la retenue à la source sur dividendes serait effectuée par l'agent payeur, qui ne connaîtrait pas les détenteurs finaux des titres, l'administration serait en droit d'exiger la preuve de la réconciliation des paiements effectués par l'agent payeur avec les paiements reçus par le prétendu propriétaire des titres.

Autrement dit, l’administration serait en droit d'exiger un justificatif de la chaîne entière des paiements. Or, un tel justificatif ne serait pas produit en l'espèce.

A cet égard, le délégué du gouvernement donne à considérer que l’administration serait régulièrement confrontée à deux types de demandes en restitution de la retenue à la source sur dividendes sur des mêmes positions d’actions, à savoir des demandes concurrentes basées sur la propriété juridique des titres et celles basées sur la propriété économique de ces mêmes titres. Dans la mesure où les titres sous-jacents seraient dématérialisés et fongibles, à défaut de justifier la chaîne de paiements, l’administration serait dans l'impossibilité de savoir si pareilles demandes concernent les mêmes actions et a fortiori dans l'impossibilité de toiser à quelle demande accéder.

D'autre part, le délégué du gouvernement fait valoir que l'établissement conservateur des titres pour compte de l’investisseur serait en mesure de demander au dépositaire local sinon central un état de l'ensemble des dividendes crédités en compte qu’il détiendrait auprès du dépositaire local voire central, le dépositaire local étant à son tour en mesure de demander au dépositaire central un état de l'ensemble des dividendes crédités en compte qu’il détient auprès du dépositaire central, ce dernier détenant, d’après le délégué du gouvernement, les informations sur la totalité des actions et leur ventilation entre les différents intermédiaires.

Dès lors, pour être en mesure de toiser utilement la demande en restitution du contribuable, l’administration serait en droit d'exiger (i) la documentation de la chaîne de paiements et (ii) la preuve du paiement de chaque intermédiaire financier de la chaîne depuis l'émetteur jusqu'à l'investisseur. Or, en l’espèce, l’appelante se bornerait à prouver le dernier maillon dans la chaîne de paiements.

Pour ce qui est de la preuve de la qualité de propriétaire économique conformément au § 171 AO, l’administration serait en droit d'exiger, outre la preuve des éléments requis au titre de la preuve de la propriété juridique, un certificat établi par le propriétaire juridique des actions et certifiant qu'il est le propriétaire juridique des actions dont se prévaut le propriétaire économique pour demander la restitution des retenues sur dividendes sous-jacents.

En effet, conformément au § 11 StAnpG, lorsque la propriété économique et la propriété juridique divergent, ce serait entre les mains du propriétaire économique qu'un paiement serait à imposer. De la même manière, ce serait entre les mains du propriétaire économique que les retenues sous-jacentes seraient à rembourser. De plus, celui qui se prétendrait propriétaire économique d'une chose au sens du § 11 StAnpG devrait justifier, entre autres, le contrôle effectif sur ladite chose. S’agissant de titres dématérialisés fongibles, la notion de contrôle effectif devrait passer par l'identification du propriétaire juridique des titres en question au moment du paiement. Or, l’appelante se bornerait à prouver le dernier maillon dans la chaîne de paiements et resterait, par ailleurs, en défaut d'identifier le propriétaire juridique des titres au moment du paiement des dividendes.

Le délégué du gouvernement estime que l’appelante se retranche en vain derrière l’allégation infondée que la charge de la preuve des conditions des articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR serait impossible à rapporter. Il convient qu’il s’agirait « certainement d’un travail fastidieux et chronophage », mais estime qu’il n’est « en aucun cas impossible d’apporter les preuves nécessaires pour attester du respect des conditions pour l’obtention du remboursement d’impôt sur les dividendes ».

De plus, comme l’appelante resterait en défaut d’étayer une quelconque demande infructueuse de sa part pour obtenir les pièces auprès de la (BANK), et qu’il n’appartiendrait ni à la partie étatique, ni à la juridiction saisie de suppléer à la carence de l’appelante dans l’administration de la preuve, la demande de l’appelante visant à faire procéder par voie d’expert à des vérifications supplémentaires serait à rejeter.

Enfin, la partie étatique conteste toute discrimination et conclut, par ailleurs, au caractère non pertinent de la question préjudicielle suggérée, qui serait mal formulée puisqu’elle ne désignerait pas quelle disposition légale devrait être examinée quant à sa conformité par rapport à la Constitution.

Analyse de la Cour L’article 146 LIR dispose comme suit :

« Sont passibles de la retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu, les revenus indigènes ci-après:

1.

les dividendes, parts de bénéfice et autres produits visés sub 1 de l'article 97, alinéa 1er;

2.

les parts de bénéfice visées sub 2 de l'article 97, alinéa 1er;

3.

les arrérages et intérêts d'obligations et d'autres titres analogues visés sub 3 de l'article 97, alinéa 1er, lorsqu'il est concédé pour ces titres un droit à l'attribution, en dehors de l'intérêt fixe, d'un intérêt supplémentaire variant en fonction du montant du bénéfice distribué par le débiteur, à moins que ledit intérêt supplémentaire ne soit stipulé simultanément avec une diminution passagère du taux d'intérêt sans qu'au total le taux initial soit dépassé.

Les revenus soumis à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux comprennent également les indemnités spéciales et avantages alloués à côté ou en lieu et place des allocations spécifiées à l'alinéa 1er.

Les revenus énumérés ci-avant sont à considérer comme indigènes, lorsque le débiteur est l'Etat grand-ducal, une commune, un établissement public luxembourgeois, une collectivité de droit privé qui a son siège statutaire ou son administration centrale dans le Grand-Duché, ou une personne physique qui a dans le Grand-Duché son domicile fiscal ».

Selon l’article 147, alinéa (2), LIR, tel qu’en vigueur durant les années d’imposition litigieuses, la retenue d'impôt faisant l'objet de l'article 146 LIR n'était pas à opérer « lorsque les revenus visés par l'article 97, alinéa 1er, numéro 1 sont alloués par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, ou par une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, à:

a) un autre organisme à caractère collectif visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, b) une autre société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, c) l'Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou aux exploitations de collectivités de droit public indigènes, d) un établissement stable d'un organisme à caractère collectif visé aux lettres a, b ou c, e) un organisme à caractère collectif pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités qui est un résident d'un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions, ainsi qu'à son établissement stable indigène, f) une société de capitaux qui est un résident de la Confédération suisse assujettie à l'impôt sur les sociétés en Suisse sans bénéficier d'une exonération, g) une société de capitaux ou une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne et qui est pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités, h) un établissement stable d'une société de capitaux ou d'une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne.

et que, à la date de la mise à la disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s'engage à détenir, sous les conditions prévues à l'article 149, alinéa 4, directement pendant une période ininterrompue d'au moins douze mois, une participation d'au moins 10 pour cent ou d'un prix d'acquisition d'au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des revenus. La détention d'une participation à travers un des organismes visés à l'alinéa 1er de l'article 175 est à considérer comme détention directe proportionnellement à la fraction détenue dans l'actif net investi de cet organisme ».

Quant à l’article 149, alinéa (4a), LIR, il énonce que : « En l'absence d'un engagement par le bénéficiaire des revenus, le débiteur des revenus est tenu de déclarer et de verser l'impôt retenu à la source dans le délai de huit jours à partir de la date de la mise à la disposition des revenus. Le remboursement peut être demandé par le bénéficiaire des revenus dès qu'il prouve que la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n'est pas descendu au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d'acquisition au-dessous de 1.200.000 euros ».

L’article 149, alinéa (4a), LIR consacre le droit à un remboursement ultérieur en faveur du bénéficiaire d’une attribution de dividendes qui satisfaisait au moment de la distribution à toutes les conditions posées par l’article 147 LIR pour une exemption de retenue d’impôt sauf celle de la période de détention de douze mois dans l’hypothèse où, sans s’être engagé au moment de l’attribution des dividendes à respecter la période de détention, il établit ex post qu’il a respecté ladite période pour avoir détenu la participation respectant le seuil de détention au plus tard à la date d’attribution des dividendes et pour l’avoir maintenue à un niveau suffisant dans son patrimoine durant les douze mois subséquents (Cour adm., 20 septembre 2018, n° 39950C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 499).

C’est à juste titre que le tribunal a constaté que le litige entre les parties s’articule autour de la preuve du respect des conditions de l’article 147 LIR, et, plus particulièrement, de la qualité de bénéficiaire des paiements de dividendes dans le chef de l’appelante et de la condition de détention pendant la période requise par la loi, ainsi que de la charge de cette preuve afférente.

Comme justement énoncé par le tribunal, l’obligation de preuve à charge du contribuable est, en la présente matière, plus spécifiquement circonscrite par l’article 149, alinéa (4a), LIR, précité, qui exige que le bénéficiaire des revenus de capitaux ayant introduit une demande de restitution de la retenue à la source opérée et payée au Trésor public par le débiteur des revenus, prouve que la condition tenant à la durée de détention est remplie et que pendant toute la durée de détention le taux de participation n’est pas descendu au-dessous du seuil de 10 % ou le prix d’acquisition au-dessous de 1,2 million d’euros.

En outre, comme rappelé à bon escient par les premiers juges, le § 171 AO, aux termes duquel « 1) Auf Verlangen (§ 205 Absätze 1 und 2) hat der Steuerpflichtige die Richtigkeit seiner Steuererklärung nachzuweisen. Wo seine Angaben zu Zweifeln Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel den Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat. (…) », impose une obligation de collaboration à charge du contribuable, qui doit établir le caractère exact de (O) déclarations, cette obligation étant toutefois limitée à ce qui peut raisonnablement lui être imposé selon les circonstances (« soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann »).

Pour obtenir le remboursement de la retenue à la source sur dividendes sur base de l’article 149, alinéa (4a), LIR, l’appelante doit donc prouver avoir rempli toutes les conditions suivantes :

1) en tant que bénéficiaire des dividendes, 2) elle a directement détenu une participation, 3) dans une entité visée à l’article 147, alinéa (2), LIR, 4) pendant 12 mois ininterrompus comprenant la date de la mise à disposition des dividendes, 5) et cette participation représentait au moins 10% du capital social de l’entité, ou avait un prix d’acquisition d’au moins 1,2 million d’euros.

Les demandes de remboursement ont initialement été refusées pour défaut de la preuve par l’appelante de sa qualité de bénéficiaire effectif. L’appelante considère que cette notion de « bénéficiaire effectif » ne serait pas applicable en l’espèce et que la discussion devrait porter sur sa qualité de « propriétaire juridique » et de « propriétaire économique », qualités que le délégué du gouvernement refuse cependant de lui reconnaître.

La Cour tient d’abord à souligner que les expressions « bénéficiaire effectif » et « propriétaire économique » ne sont pas des notions identiques. En effet, la distinction entre propriété juridique et propriété économique, entrevue dans le cadre de l’interprétation de la notion de la détention de la participation au sens de l’article 147 LIR, porte sur l’actif lui-même (en l’espèce, les actions dans les sociétés (O), (P) et (Q)), tandis que la discussion sur la qualité de bénéficiaire effectif est attachée aux revenus générés par l’actif (en l’espèce, les dividendes liés aux actions dans les sociétés (O), (P) et (Q)).

Ensuite, quant à la condition que la participation doit être « détenue » par la société invoquant l’exonération des revenus provenant de cette participation, la Cour a déjà relevé par rapport à l’article 166 LIR que, même si la notion de détention ne se trouve pas autrement définie par cette disposition, de manière que l’on pourrait se référer en principe à la disposition générale du § 11 StAnpG concernant l’imputation personnelle de revenus et de biens, il se dégage cependant clairement des travaux parlementaires relatifs à la loi du 23 décembre 1997 modifiant certaines dispositions de la loi concernant l’impôt sur le revenu, de la loi sur l’évaluation des biens et valeurs et de la loi générale des impôts, ci-après la « loi du 23 décembre 1997 », laquelle a remplacé le texte de l’article 166 LIR par une nouvelle version seulement modifiée et complétée par des lois subséquentes, que « tout comme dans le passé, le régime des sociétés mères et filiales s’applique exclusivement aux titres détenus en pleine propriété. Ni la directive, ni l’article 166, ni le règlement grand-ducal du 24 décembre 1990 portant exécution de l’article 166, alinéa 5 b) ne prévoient une habilitation visant à étendre l’exonération aux participations démembrées en usufruit et en nue-propriété » (projet de loi modifiant certaines dispositions de la loi concernant l’impôt sur le revenu, de la loi sur l’évaluation des biens et valeurs et de la loi générale des impôts, doc. parl. n° 4361, p. 40) (Cour adm., 7 mars 2013, n° 31343C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 669). Le législateur luxembourgeois avait partant clairement exprimé en l’année 1997 l’intention de définir la notion de détention en ce sens qu’elle implique dans le chef du bénéficiaire des revenus la qualité de titulaire de tous les droits inhérents à la pleine propriété des titres constituant la participation afin de pouvoir bénéficier de l’exonération des revenus produits par la participation.

Il y a pourtant lieu de relever que la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », a interprété l’article 3 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, ci-après la « directive 90/435 », entretemps remplacée par la directive 2011/96 en ayant opéré la refonte, en ce sens qu’une société de capitaux qui est le nu-propriétaire d’une participation, tout en ayant cédé l’usufruit à une autre société pour une certaine durée, se trouve par rapport à la société filiale dans un rapport juridique d’associé du fait de (O) parts dans le capital de cette dernière qui entraîne que cette participation « remplit, de façon évidente, le critère d’une «participation dans le capital» au sens de l’article 3 de la directive 90/435 et cette société, pourvu qu’elle remplisse également les autres critères fixés par cette directive, doit être considérée comme une «société mère» au sens dudit article 3 ». En revanche, d’après la CJUE, l’article 3 de la directive 90/435 « n’envisage pas la situation dans laquelle la société mère transfère à une tierce personne, en l’occurrence à un usufruitier, un rapport de droit avec la société filiale, en vertu duquel cette tierce personne pourrait être également considérée comme une société mère » et « le législateur communautaire a considéré que la « société mère » au sens de la directive 90/435 est une seule et même société » (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-48/07, Etat belge c/ Les Vergers du Vieux Tauves SA, EU:C:2008:758). Cette interprétation de l’article 3 de la directive 90/435 doit être appliquée également dans le cadre de l’interprétation de l’article 3 de la directive 2011/96 dont la teneur pertinente au présent litige ne s’écarte guère de celle de l’ancienne directive.

Dans la mesure où l’article 166 LIR transpose, entre autres, en droit luxembourgeois d’abord la directive 90/435 et ensuite la directive 2011/96 ayant pris sa relève et au vu des enseignements de l’arrêt de la CJUE du 22 décembre 2008, la Cour est appelée à interpréter le droit national, suivant l’application du principe de l’interprétation conforme d’une législation nationale ayant transposé une directive de l’Union européenne, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de la directive transposée pour atteindre le résultat visé par celle-ci (CJUE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, ECLI:EU:C:1984:153).

En revanche, il y a lieu de constater qu’en l’espèce, la demande de restitution de la retenue d’impôt sur les dividendes émane d’une société résidente au Luxembourg par rapport à des dividendes distribués par une autre société résidente au Luxembourg, de sorte qu’elle correspond à une situation purement interne ne relevant pas directement du champ d’application de la directive 2011/96.

Néanmoins, dans la mesure où le champ d’application de l’article 166 LIR englobe non seulement les situations intra-communautaires rentrant dans le champ de la directive 2011/96, mais également des situations purement internes et des situations impliquant des sociétés résidentes d’Etats tiers, la Cour considère que l’article 166 LIR ne saurait faire l’objet d’une interprétation différente selon qu’il s’applique à une situation intra-communautaire ou à une situation autre. En effet, l’article 166 LIR a pour l’objet d’éliminer la double imposition économique des distributions de bénéfices entre sociétés mères et filiales (cf. projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 57116, avis du Conseil d’Etat, ad art. 242 : « Cette disposition a pour objet de reconduire le régime des sociétés mères et filiales faisant l’objet du § 9 de la loi actuellement en vigueur. Ce régime se justifie par la considération que les bénéfices sociaux produits par une société filiale et traversant une société mère avant d’être distribués aux actionnaires de celle-ci, sont exposés à une triple imposition qu’il faut éviter pour des raisons d’équité fiscale et d’ordre économique »). Or, la directive 2011/96 a pareillement pour objectif « d’exonérer de retenue à la source les dividendes et autres bénéfices distribués par des filiales à leur société mère, et d’éliminer la double imposition de ces revenus au niveau de la société mère » (considérant n° 3) dans un but d’« assurer la neutralité fiscale » (considérant n° 8). Au vu de cette similarité des objectifs de la directive 2011/96 et de l’article 166 LIR et dans un souci d’assurer la cohérence de l’interprétation de cette dernière disposition et le respect de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi inscrite à l’article 10bis de la Constitution, il y a lieu d’interpréter l’exigence de la détention de la participation inscrite à l’article 166 LIR dans un même sens tant dans des situations intra-

communautaires que dans des situations purement internes ou impliquant une société mère résidente d’un Etat tiers.

Par conséquent, l’article 166 LIR doit être interprété en ce sens qu’une participation est en principe à considérer comme étant détenue par le bénéficiaire des revenus de participation lorsque ce dernier a la qualité de propriétaire juridique de la participation. Le détenteur de la participation est en effet celui qui est placé dans un rapport juridique direct avec la société filiale – sous la réserve de l’alinéa (3) de l’article 166 LIR – qui lui confère les droits inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire de cette société. Un rapport juridique du bénéficiaire des revenus avec une personne morale tierce qui porte sur certains de ces droits reste sans influence sur la reconnaissance de la détention de la participation par le bénéficiaire tant que ce dernier rapport juridique n’a pas pour effet de transférer à la personne morale tierce l’exercice de l’essentiel des droits et risques inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire par rapport à la société filiale. Ce ne serait que dans cette dernière hypothèse que la personne morale tierce pourrait se prévaloir de la qualité de détenteur de la participation, en tant que propriétaire économique, et se substituer de la sorte au propriétaire juridique en tant que détenteur de la participation.

Etant donné que les articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR utilisent ce même critère de la détention que l’article 166 LIR et s’inscrivent dans la même logique (projet de loi portant modification de l'article 147, numéro 2, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, tel qu'il a été modifié et complété par l'article 14, numéro 19 de la loi du 27 décembre 1973 et par l'article 1er, numéro 1 de la loi du 14 juin 1983, doc. parl. 2988/00, p. 2), il y a lieu de faire application des mêmes principes d’interprétation dans ce contexte.

La question de la détention directe de la participation renvoie à la deuxième condition énumérée ci-avant.

En revanche, la discussion sur la qualité de bénéficiaire effectif est à mener par rapport à la première condition énumérée ci-avant relative au bénéficiaire des dividendes.

Selon les premiers juges, encore que ni l’article 147 LIR, ni d’ailleurs l’article 166 LIR, ne mentionnent expressis verbis le terme « effectif » comme qualité qui devrait être vérifiée dans le chef du « bénéficiaire », cette exigence découlerait néanmoins nécessairement de l’esprit de cette disposition qui pose les conditions afférentes dans le chef du « bénéficiaire » des paiements, le terme de « bénéficiaire » étant encore repris par l’article 149, alinéa (4a), LIR. Le droit à la restitution d’un impôt payé mais qui finalement s’avère ne pas être dû – en l’espèce dans les conditions de l’article 147 LIR –, ne saurait pas naître au bénéfice d’un demandeur qui n’est pas le bénéficiaire effectif des revenus sur lesquels une retenue à la source a été opérée, et qui alors forcément n’a pas été payée au Trésor public pour son compte, au risque de conduire à des enrichissements indus.

Au contraire, l’appelante soutient que la notion de « bénéficiaire effectif » ne serait pas à prendre en compte hors du contexte de l’application d’une convention fiscale, de sorte qu’elle ne trouverait pas à s’appliquer dans la situation présente.

La Cour note que d’après les commentaires de l’article 10 du « modèle de convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune » élaboré par le comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économique, ci-après le « modèle de convention fiscale de l’OCDE », tels qu’ils se lisent depuis le 15 juillet 2014 :

« 12.1. Étant donné que le terme ‘bénéficiaire effectif’ a été ajouté pour résoudre les difficultés susceptibles de résulter de l’utilisation des termes ‘payés […] à un résident’ au paragraphe 1, il est censé être interprété dans ce contexte et ne pas faire référence à une quelconque signification technique qu’il aurait pu avoir selon le droit interne d’un pays donné (de fait, lorsqu’il a été ajouté au paragraphe, ce terme n’avait pas de signification précise dans le droit de nombreux pays). Par conséquent, le terme ‘bénéficiaire effectif’ n’est pas utilisé dans une acception étroite et technique (comme le sens que lui attribue le droit des fiducies de nombreux pays de common law), mais doit être entendu dans son contexte, et notamment en lien avec les mots ‘payés […] à un résident’, et à la lumière de l’objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion et la fraude fiscales. (…) 12.3. Il serait également contraire à l’objet et au but de la Convention que l’État de la source accorde une réduction ou une exonération d’impôt à un résident d’un État contractant qui agit, autrement que dans la cadre d’une relation d’agent ou autre mandataire, comme un simple relais pour le compte d’une autre personne qui bénéficie réellement du revenu en cause. Pour ces raisons, le rapport du Comité des affaires fiscales intitulé ‘Les conventions préventives de la double imposition et l’utilisation des sociétés relais’ conclut qu’une société relais ne peut pas être considérée normalement comme le bénéficiaire effectif si, bien qu’étant le propriétaire du revenu dans la forme, elle ne dispose dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées.

12.4. (…) Lorsque le récipiendaire d’un dividende a effectivement le droit d’utiliser le dividende et d’en jouir sans être limité par une obligation contractuelle ou légale de céder le paiement reçu à une autre personne, il est le ‘bénéficiaire effectif’ de ce dividende (…) ».

La notion de « bénéficiaire effectif », telle que définie négativement au point 12.3 et positivement au point 12.4 des commentaires précités, est donc a priori un concept autonome trouvant à s’appliquer dans un contexte conventionnel. Or, en l’espèce, l’appelante ne fonde pas sa demande de remboursement à la source sur une disposition conventionnelle.

Pour autant, cette circonstance ne permet pas de conclure automatiquement que l’idée fondamentale à la base de cette notion et tenant à la vérification d’un lien juridique et économique d’une certaine intensité entre une personne et un certain revenu, en l’occurrence des dividendes, ne saurait découler d’autres dispositions applicables en matière de remboursement de la retenue à la source sur les revenus de capitaux.

En effet, en premier lieu, ni la version initiale de la LIR, ni sa version actuelle, ne comportent de mention du « bénéficiaire effectif », mais tant la version initiale que la version actuelle de la LIR font de multiples références au « bénéficiaire ». Ainsi, dans sa version actuelle, l’article 11, alinéa (3), LIR inclut parmi les revenus nets les revenus réalisés après la cessation de l’activité ou la relation de droit qui les a générés, et ce, « même s’ils sont recueillis par l’ayant cause du bénéficiaire ». L’article 102, alinéa (11), LIR, prévoit que dans les situations d’échange de terrains lors d’un remembrement effectué en vertu d’une loi ou d’échange de titres, « [e]n cas de paiement d’une soulte, la soulte diminue le prix d’acquisition à considérer dans le chef du bénéficiaire de la soulte ». L’article 109bis, alinéa 1er, numéro 3, LIR, dispose que sont à considérer comme dépenses spéciales « [l]es arrérages de rentes et de charges permanentes payés à un conjoint divorcé, à condition que les rentes et charges soient fixées par décision judiciaire dans le cadre d’un divorce prononcé avant le 1er janvier 1998 et que le débiteur et le bénéficiaire de la rente en fassent une demande conjointe ». Quant à l’article 149, alinéa (2), LIR, il pose que « [l]e bénéficiaire des revenus [de capitaux mobiliers] est débiteur de l’impôt ».

Or, en matière d’impôt sur le revenu, un élément de revenu ou une dépense doivent être imputés fiscalement à la personne qui réunit les faits constitutifs de la réalisation du revenu en cause ou de la dépense en question, ce principe découlant nécessairement des articles 6, paragraphe (1), 159, paragraphe (2), et 160, paragraphe (1), LIR (Cour adm., 28 mai 2020, n° 43749C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 678).

Dès lors, en employant, notamment dans les dispositions ci-avant relevées, le terme « bénéficiaire », le législateur ne pouvait que désigner la personne qui retire en réalité l’avantage économique constitué par les revenus visés par chacune des dispositions en question, et non la personne qui ne fait que formellement percevoir les revenus sans pouvoir en disposer véritablement, dans le sens notamment de pouvoir en déterminer librement l’affectation. Autrement dit, celui qui ne fait que collecter les ressources d’une autre personne n’est pas le bénéficiaire du « revenu » que représentent ces ressources.

Par conséquent, seule la personne ayant le pouvoir de disposer des dividendes peut être considérée comme percevant des revenus de capitaux mobiliers, puisque la rémunération éventuelle du « bénéficiaire formel » de dividendes n’est pas allouée en raison de son investissement de l’intermédiaire en question dans une participation, mais constitue une compensation pour sa prestation de services d’intermédiaire.

En deuxième lieu, il y a lieu de tenir compte, également en ce qui concerne la notion du bénéficiaire des revenus de dividendes, des exigences découlant du droit de l’Union.

Ainsi, dans un arrêt du 26 février 2019 (Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps, affaires jointes C-116/16 et C-117/16), relatif aux conditions instaurées par la directive 90/435 pour bénéficier d’une exonération de retenue à la source sur des dividendes, la juridiction de renvoi avait posé plusieurs questions à la CJUE concernant l’interprétation de la notion de « bénéficiaire effectif » (point 48 de l’arrêt). En l’espèce, en raison du déroulement de son raisonnement juridique, la CJUE a estimé qu’il n’y avait pas lieu de répondre à ces questions (point 94 de l’arrêt), mais a indiqué que les mécanismes de la directive 90/435, et en particulier son article 5, sont « conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition (…). De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union » (point 113 de l’arrêt). La CJUE a donc elle-même fait référence au « bénéficiaire effectif » en interprétant la directive 90/435.

Par ailleurs, la CJUE a précisé la notion de bénéficiaire dans deux arrêts dans lesquels elle a été amenée à se prononcer sur l’interprétation de la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents, ci-après la « directive 2003/49 ». Alors que l’article 1er de la directive 2003/49 ne faisait référence qu’au « bénéficiaire » d’intérêts, et bien que l’article 4, paragraphe (2), de la même directive ait visé le « bénéficiaire effectif » des intérêts, ce qui aurait pu laisser entendre que le « bénéficiaire » et le « bénéficiaire effectif » étaient deux notions distinctes, la CJUE a constaté dans un arrêt du 21 juillet 2011 (Scheuten Solar Technology GmbH contre Finanzamt Gelsenkirchen-Süd, aff. C-397/09) que « l’article 2, sous a), de la directive 2003/49 définit lesdits intérêts comme ‘les revenus des créances de toute nature’ », en a déduit que « seul le bénéficiaire effectif peut percevoir des intérêts qui constituent les revenus de telles créances » (point 27 de l’arrêt), et a dès lors fait une lecture de l’article 1er de la directive 2003/49 par référence au « bénéficiaire effectif » des intérêts (point 28 de l’arrêt). De même, dans un arrêt du 26 février 2019 (N Luxembourg 1 e.a. contre Skatteministeriet, affaires jointes C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16), la CJUE a rappelé que « dès lors que l’article 2, sous a), de cette directive définit les intérêts comme ‘les revenus de créances de toute nature’, seul le bénéficiaire effectif peut percevoir des intérêts qui constituent les revenus de telles créances » (point 87) et a estimé que « le terme ‘bénéficiaire’ vise non pas un bénéficiaire identifié formellement, mais bien l’entité qui bénéficie économiquement des intérêts perçus et dispose dès lors de la faculté d’en déterminer librement l’affectation » (point 89 de l’arrêt).

La Cour déduit des motifs précités des arrêts susvisés de la CJUE que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes est une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la directive 90/435. De plus, dans le second arrêt précité du 26 février 2019, relatif à la directive 90/435, la CJUE a précisé qu’« en vue de refuser de reconnaître à une société la qualité de bénéficiaire effectif de dividendes (…), une autorité nationale n’est pas tenue d’identifier la ou les entités qu’elle considère comme étant les bénéficiaires effectifs de ces dividendes » (point 120 de l’arrêt).

Par voie de conséquence, dans la mesure où les articles 147, 149, alinéa (4a) et 166 LIR transposent, entre autres, en droit luxembourgeois d’abord la directive 90/435 et ensuite la directive 2011/96 ayant pris sa relève, la Cour se voit amenée, tout comme dans le cadre de l’analyse ci-avant de la notion de détention d’une participation, toujours au vu du principe de l’interprétation conforme d’une législation nationale ayant transposé une directive de l’Union européenne et de la similarité des objectifs de la directive 2011/96 et des articles 147, 149, alinéa (4a) et 166 LIR, à interpréter la qualité de bénéficiaire des dividendes inscrite dans ces dispositions dans un même sens tant dans des situations intra-communautaires que dans des situations purement internes ou impliquant une société mère résidente d’un Etat tiers et ce dans un souci d’assurer la cohérence de l’interprétation de cette dernière disposition et le respect de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi inscrite à l’article 10bis de la Constitution.

La Cour en déduit que le « bénéficiaire » de dividendes visé par les articles 147 et 149, alinéa (4a), LIR est bien l’entité qui bénéficie économiquement des dividendes perçus et dispose dès lors de la faculté d’en déterminer librement l’affectation.

Il ressort de ce qui précède que la qualité de « bénéficiaire effectif » des dividendes est une condition posée par l’article 149, alinéa (4a), LIR.

Comme déjà rappelé supra par la Cour, il appartient à l’appelante, en tant que demandeur du remboursement de retenues à la source sur revenus de capitaux mobiliers, d’établir que les conditions d’une restitution de la retenue à la source sont remplies dans son chef.

Par conséquent, il convient à présent de vérifier si l’appelante a rapporté la preuve de sa qualité de bénéficiaire effectif des dividendes.

C’est à juste titre que le tribunal a relevé que les éléments de preuve fournis par l’appelante représentent en grande partie des documents unilatéraux, émanant de l’appelante elle-même. Or, de tels documents, en l’occurrence la demande de remboursement suivant le modèle 901bis, les courriers des 13 mai 2014 et 22 avril 2015 visant la société (O), le courrier du 29 septembre 2015 visant la société (Q) et les courriers des 5 mai et 29 septembre 2015 visant la société (P) adressés par l’appelante au bureau d’imposition, de même que les déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune des années 2014 et 2015, ensemble les annexes 3bis jointes à ces déclarations, ne sont pas de nature à rapporter la preuve requise, mais ne font que matérialiser les déclarations de l’appelante qu’il appartient à celle-ci de prouver par des éléments objectifs.

Pour ce qui est ensuite des documents que l’appelante entend qualifier de « tax vouchers », c’est à bon escient que le tribunal a indiqué rejoindre le directeur dans son constat que les documents figurant au dossier administratif et dont le directeur a cité le libellé dans sa décision n’établissent pas la détention continue des participations, ni la mise à disposition effective des dividendes au profit de l’appelante en cette qualité, dans la mesure où lesdits documents renseignent uniquement le montant du dividende payé suivant une délibération des actionnaires, le nombre d’actions correspondantes et le montant de la retenue à la source, de même que l’échéance du paiement avec indication d’un compte, sans mentionner le bénéficiaire effectif des paiements, les documents, certes adressés à l’appelante, ne mentionnant notamment pas en quelle qualité les documents lui sont adressés.

De plus, plusieurs incohérences conduisent la Cour à refuser une valeur probante à ces « tax vouchers ».

Premièrement, des « tax vouchers » ont d’abord été versés comme annexes de la réclamation du 17 mai 2018, puis comme pièces en première instance. Or les soi-disant « tax vouchers » versés comme annexes de la réclamation du 17 mai 2018 ont un format et un contenu différents de ceux versés en première instance, alors que l’appelante affirme à chaque fois que « sur base d’échanges » avec la (BANK), il s’agirait de « tax vouchers » en « bonne et due forme ». A cet égard, la Cour souligne que de tels échanges avec la (BANK) ne sont pas suffisamment établis. L’associé unique et gérant de l’appelante indique dans l’attestation testimoniale versée en appel comme pièce n° 13 que « [d’]autres preuves peuvent être trouvées dans les courriels envoyés par (BANK) à (ACC) à l’époque (annexes 5 et 6) », mais il n’apparaît pas en quoi ces échanges entre la (BANK) et l’ancien réviseur d’entreprises de l’appelante prouveraient la validité des « tax vouchers » et, en tout état de cause, ces annexes n’ont pas été communiquées à la Cour.

Deuxièmement, concernant les « tax vouchers » versés ultérieurement en première instance, la Cour constate d’abord une différence entre le « tax voucher » fourni lors de la réclamation du 17 mai 2018 et celui fourni en première instance par rapport au dividende attribué en avril 2015 en relation avec les actions dans la société (O) : le « tax voucher » fourni lors de la réclamation indique qu’un dividende de 1,18 euros par action aurait été attribué en date du 20 avril 2015, tandis que le « tax voucher » fourni en première instance indique qu’un dividende de 1,003 euros par action aurait été attribué à cette même date, les montants bruts des dividendes et des retenues effectuées différant également en conséquence. Ensuite, le numéro client de l’appelante figurant sur les soi-disant « tax vouchers » est différent d’une année à l’autre par rapport aux versements provenant de la même société (numéro 1720 pour le « tax voucher » relatif aux dividendes versés par la société (O) en 2014 mais numéro 0539609293 pour le « tax voucher » relatif aux dividendes versés par la société (O) en 2015, la même incohérence se répétant pour les dividendes versés par la société (Q)), et au sein d’une même année, selon la société ayant versé les dividendes (les documents émis en 2015 relatifs aux dividendes versés par les sociétés (O) et (Q) indiquant le numéro client 0539609293, tandis que le « tax voucher » émis en 2015 relatif aux dividendes versés par la société (P) renseigne le numéro client 1720). Finalement, la Cour constate l’apparition sur tous ces documents de la mention « tax voucher », ainsi que l’utilisation de caractères de polices et de tailles différentes, sans que ces différences de présentation pour des documents standardisés émis par un professionnel ne soient expliquées d’une quelconque manière par l’appelante.

S’agissant ensuite des confirmations de paiement émises par la (BANK) dont se prévaut l’appelante, force est de constater qu’un tel document n’a pas été produit pour l’année 2014, l’appelante se contentant d’avancer que la (BANK) ne produisait pas ce type de document pour les exercices antérieurs à l’année 2015.

Pour ce qui est des documents des confirmations de paiement visant l’année 2015 (pièces n° 19, 23 et 27 versées en première instance), le tribunal a constaté à juste titre que les montants des retenues y renseignés au titre de l’année 2015 pour des participations dans les sociétés (O), (Q) et (P) correspondent à ceux figurant dans les demandes de remboursement introduites par l’appelante et que ces documents renseignent le paiement de ces sommes sur le compte de l’appelante. Or, comme relevé à bon droit par les premiers juges, ces documents pourraient tout au plus prouver les paiements sur le compte de l’appelante, mais ne permettent pas de prouver que celle-ci a perçu ces sommes en tant que bénéficiaire effectif des dividendes, ni d’ailleurs la qualité de détenteur des actions, ni encore la durée de cette détention. Les rapports journaliers versés en bloc sans explication et les graphiques de détention fournis sans aucune indication de leur auteur ne permettent pas davantage de prouver ces éléments.

Dès lors, comme correctement retenu par le tribunal, le constat s’impose que ces documents ne permettent pas à eux seuls de prouver que l’appelante revêt la qualité de bénéficiaire effectif des paiements visés.

L’argumentation de l’appelante revient encore à vouloir fonder la reconnaissance de sa qualité de bénéficiaire effectif des dividendes litigieux sur sa détention des actions des sociétés (O), (Q) et (P) visées dans les demandes de remboursement en qualité de propriétaire juridique qui se doublerait de la propriété économique.

Or, la Cour note qu’en l’espèce, l’appelante a fait elle-même état d’éléments qui indiquent de manière aisément retraçable qu’une dissociation entre la propriété juridique et la propriété économique des participations dans les sociétés (O), (Q) et (P) était susceptible d’avoir eu lieu. En effet, selon l’appelante, la (BANK) pouvait utiliser les actions détenues par l’appelante pour faire du prêt d’actions sans que l’appelante ne doive approuver le prêt ni même en avoir connaissance, et bénéficiait d’un nantissement sur l’ensemble des actions détenues par l’appelante. L’appelante avance dans son mémoire en réplique d’appel que : « Il convient de noter dans le cas d’espèce que la Société n’avait pas la possibilité de réaliser des opérations de « stock lending ». En revanche, les actions étant sur un compte omnibus d’AACB, cette dernière avait la possibilité d’utiliser les actions pour effectuer des opérations de prêt d’actions dans laquelle la Société ne pouvait être que dans une situation de prêteur et non d’emprunteur. Ces opérations n’étaient pas soumises à l’approbation de la Société, qui n’en avait donc pas nécessairement connaissance, exclusion faite de la mise à disposition, en cas de « stock lending », d’un paiement de compensation représentant 100% du dividende. En effet selon les notes aux état[s] financier[s] audités de la Société il y a lieu de noter que AACB bénéficiait d’un nantissement sur l’ensemble des actions de la Société ».

Les extraits journaliers des comptes titres concernant la détention des actions dans les sociétés (O), (Q) et (P), versés en cause par l’appelante, renseignent pour les actions de ces trois sociétés qu’elles ont été inscrites en partie et pour certaines périodes sur des comptes de dépôt « pool », de sorte à corroborer l’indication de l’appelante quant à l’existence afférente d’un compte omnibus impliquant la possibilité pour la (BANK) d’utiliser à sa guise ces actions.

Par conséquent, puisqu’en l’espèce la possibilité d’une dissociation entre la propriété juridique et la propriété économique des actions a été inférée par l’appelante elle-même, il y a lieu d’examiner, conformément aux principes ci-avant dégagés, si l’appelante s’était engagée durant les années 2014 et 2015 avec la (BANK) dans un rapport juridique qui aurait eu pour effet de transférer à cette dernière ou à une autre société tierce l’exercice de l’essentiel des droits inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire par rapport aux sociétés (O), (Q) et (P).

Quant à l’effet du prêt d’actions sur la propriété juridique, la Cour relève que selon l’article 1874 du Code civil, il convient de distinguer le prêt à usage du prêt de consommation, le prêteur demeurant propriétaire de la chose prêtée dans le cadre du prêt à usage (article 1877 du Code civil) tandis que l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée dans le cadre du prêt à consommation (article 1893 du Code civil).

Quant à l’effet du prêt d’actions sur la propriété économique, la Cour note que la doctrine luxembourgeoise penche en faveur de l’attribution de la propriété économique des titres prêtés à l’emprunteur, alors que l’appelante se prévaut précisément de sa qualité de prêteur :

« 41. D’après les principes dégagés par la doctrine (32) ainsi que par l’administration fiscale allemande (33), en présence d’un contrat de prêt de titres, la propriété économique des titres est transférée à l’acheteur ou l’emprunteur des titres. En matière de prêt de titres, l’analyse allemande se fonde sur une analyse combinée du paragraphe 39 de l’Abgabenordnung allemand et des dispositions de droit civil allemand (en particulier les paragraphes 607 et suivants du Code civil allemand relatifs au prêt de biens [Sachdarlehen]) qui prévoient un transfert de la propriété juridique à l’emprunteur et sa capacité à disposer librement de la chose prêtée, à charge pour lui de rendre un bien de même nature.

42. Au Luxembourg, une analyse similaire se dégage du Code civil qui distingue le prêt à usage (ou commodat) et le prêt de consommation. Ce dernier est défini comme étant un contrat par lequel une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre de même espèce et qualité (34). Par l’effet de ce prêt, l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée et en subit tous les risques (35).

43. Selon l’avis exprimé par la doctrine luxembourgeoise (36), l’attribution de la propriété économique devrait suivre l’analyse du droit privé et rejoindre également l’analyse allemande » (Thierry LESAGE, Yvan STEMPNIERWSKY, « Réflexions sur les aspects comptables et fiscaux des opérations de prêt/emprunt et de mise en pension de titres », in Droit fiscal luxembourgeois - livre jubilaire de l'IFA, Legitech, 2018, p. 545).

Or, si l’appelante affirme certes que le placement des actions en cause sur un compte omnibus et les opérations de « stock lending » n’auraient pas affecté leur détention dans son chef, il n’en reste pas moins qu’elle reste en défaut de soumettre les documents relatifs à sa relation contractuelle avec la (BANK), dont en particulier le « Master Clearing Agreement standard » conclu avec cette dernière. La Cour se doit en effet de relever que le « Master Clearing Agreement » versé en cause par l’appelante constitue de toute apparence un modèle de contrat renseignant une autre société comme cocontractante et n’ayant pas été signé. En outre, ledit document comporte la mention « Master Clearing Agreement version 1 july 2010 ». Alors même que l’appelante affirme que ce modèle de document correspondrait à celui conclu par elle avec la (BANK), la Cour ne saurait considérer ce document préparatoire qui ne présente aucun lien juridique avec l’appelante comme preuve du contenu des relations contractuelles de celle-ci avec la (BANK) concernant le compte titres dans lequel les actions dans les sociétés (O), (Q) et (P) étaient enregistrées. La Cour n’est en conséquence pas à même d’apprécier si les termes de ces opérations ont entraîné un transfert à l’emprunteur de la seule propriété juridique des actions prêtées, sinon un transfert de la seule propriété économique, voire même un transfert de la propriété à la fois juridique et économique.

Finalement, la Cour suit le tribunal dans son rejet de l’argumentation de l’appelante relative à l’exigence d’une preuve qui serait impossible à fournir. En effet, au-delà de simples contestations et de la simple affirmation que l’administration exigerait une preuve impossible à fournir, l’appelante est restée en défaut de justifier qu’elle ait entrepris les démarches nécessaires afin d’obtenir de la part des différents intervenants dans la chaîne des paiements des documents permettant de justifier sa qualité de détenteur des participations pendant la durée et à concurrence des seuils requis par la loi. De plus, l’appelante elle-même invoque une « incapacité subjective », laissant entendre qu’en l’absence de conflit avec la (BANK), elle serait à même de rapporter la preuve exigée par l’Etat. Les premiers juges ont donc rejeté à bon droit le moyen fondé sur le reproche que l’Etat exigerait la fourniture d’une preuve impossible, l’appelante n’ayant pas justifié à suffisance une telle impossibilité. En conséquence, c’est aussi à bon droit que le tribunal, considérant que la question préjudicielle que la société (BA) lui demandait de soumettre à la Cour constitutionnelle était fondée sur la prémisse non vérifiée qu’une preuve impossible à fournir serait exigée, a rejeté cette demande de question préjudicielle.

Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments de preuve fournis par l’appelante, étant relevé que l’offre de preuve par voie d’expertise ne permet pas de suppléer à la carence de l’appelante dans l’administration de la preuve, c’est à bon droit que le tribunal a déclaré le recours non-fondé et l’a rejeté.

Il s’ensuit que l’appel sous examen est à rejeter comme étant non justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 19 janvier 2021 en la forme, au fond, rejette la demande de soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, déclare l’appel non justifié et en déboute la société appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 9 décembre 2020, condamne la société appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 31 mars 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 27


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45526C
Date de la décision : 08/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-08;45526c ?

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