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03/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46853C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 03 mars 2022, 46853C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46853C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46853 Inscrit le 3 janvier 2022 Audience publique du 3 mars 2022 Appel formé par Madame (AA) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2021 (n° 44893 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46853C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 3 janvier 2022 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (AA), née le … à â€

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46853C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46853 Inscrit le 3 janvier 2022 Audience publique du 3 mars 2022 Appel formé par Madame (AA) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 29 novembre 2021 (n° 44893 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46853C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 3 janvier 2022 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (AA), née le … à … (Irak), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de ses enfants mineurs, (BA), née le … à … et (CA), né le … à …, tous de nationalité irakienne, demeurant ensemble à L-…, dirigée contre le jugement rendu le 29 novembre 2021 (n° 44893 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 3 février 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 24 février 2022.

1Le 20 mai 2019, Madame (AA), accompagnée de ses enfants mineurs, (BA) et (CA), introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (AA) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée/police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 2 juillet 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 22 juillet 2020, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été déclarée non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive et ce, à destination de l’Irak ou de tout autre pays dans lequel elle serait autorisée à séjourner.

Cette décision ministérielle est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 20 mai 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Avant tout autre développement, il convient de mentionner que votre fils aîné, s'est vu octroyer le statut de réfugié en date du 20 avril 2018. Vous avez rejoint votre fils dans le cadre d'une procédure de regroupement familial et vous avez introduit votre demande de protection internationale en date du 20 mai 2019.

Vous êtes accompagnée de vos enfants mineurs (BA), née le … à …/Irak et (CA), né le … à …/Irak, tous les deux de nationalité irakienne.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 mai 2019 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 2 juillet 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de …, d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite.

2 Vous indiquez que vous auriez fait la connaissance de votre mari en 2001 et que vous vous seriez mariés en 2002. Vous expliquez qu'il serait de confession musulmane sunnite et que votre mariage aurait eu lieu sans le consentement de vos familles respectives. Suite à votre mariage, vous auriez coupé tout lien avec votre famille sauf avec votre beau-frère.

Vous précisez que vous auriez vécu à …, plus précisément dans le quartier « … » et que vous auriez donné naissance à votre premier enfant en 2004.

Vous indiquez ensuite que vous auriez vécu paisiblement jusqu'en 2010, jusqu'à ce que des milices se manifestent dans votre quartier et vous mentionnez que vous auriez découvert « antisunnitische Sätze » sur la façade de votre maison (p.6/12 du rapport d'entretien).

En 2012, une nuit votre maison aurait été touchée par des tirs d'armes à feu. Votre époux serait sorti inspecter les alentours de votre domicile mais n'aurait vu personne.

En août 2014, votre mari serait revenu un soir du travail avec une blessure au cou et vous indiquez qu'il aurait été menacé par des milices. Vous ajoutez que votre belle-famille aurait également été menacée et qu'elle se serait rendue au Kurdistan irakien.

Vous vous seriez rendue avec vos enfants à Bagdad et vous auriez séjourné quelques jours dans le quartier « … ». Ensuite votre mari aurait exprimé son souhait de quitter l'Irak, ce qu'il aurait fait vers fin août 2014. Vous expliquez qu'il était supposé faire les préparatifs nécessaires afin que vous puissiez le rejoindre. Or en février 2015, il aurait essayé de passer la frontière gréco-

turque et vous avancez que vous n'auriez plus eu de ses nouvelles depuis.

Vous précisez que rien ne vous serait arrivé en Irak après le départ de votre époux en 2014, mais que vous auriez eu peur à cause de la situation sécuritaire de votre pays d'origine.

Vous faites état d'une tentative échouée de quitter l'Irak en 2016 en transitant par l'Iran.

Vous précisez que vous auriez perdu votre fille (DA) lors de cette tentative. Deux passeurs vous auraient donné des faux passeports. Ils auraient passé avec votre fille (DA) le contrôle à la frontière à l'aéroport avant vous. Lors de votre passage avec vos deux autres enfants, le policier aurait remarqué que les photos dans les passeports de vos enfants ne correspondaient pas. Vous auriez donc été arrêtée et interrogée avant d'être renvoyée en Irak. Vous n'auriez plus jamais revu votre fille cadette depuis cet incident alors que vous auriez perdu tout contact avec ces passeurs.

Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en date du 6 septembre 2017 et vous vous seriez rendue en Turquie. Vous seriez restée sur place jusqu'à votre arrivée au Luxembourg en date du 18 mai 2019 dans le cadre d'une procédure de regroupement familial.

Madame, vous présentez votre carte d'identité irakienne et votre passeport irakien.

32. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention de Genève et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, vous déclarez: « Im Jahr 2002 hat er mir einen Heiratsantrag gemacht.

Angesichts seiner Religionszugehörigkeit hat meine Familie seinen Antrag abgelehnt. In unserer Tradition in Irak, ist eine Eheschließung zwischen Schiiten und Sunniten fast unmöglich. Gegen den Willen meiner Familie habe ich im Jahr 2002 meinen Ehemann standesamtlich geheiratet. Ich will auch dazu sagen, dass die Eltern meines Ehemanns auch gegen unsere Heirat waren. Nach unserer Eheschließung wurden die Beziehungen zu beiden Familien abgebrochen, bis auf die Beziehung mit meinem Schwager. » (p.4&5/12 du rapport d'entretien).

Il échet de préciser que ce motif pourrait a priori entrer dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors qu'il est lié à votre religion. Or, force est de constater que ce fait remonte à 2002 et qu'il est ainsi beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2020.

Ceci est d'autant plus vrai alors qu'il ressort clairement de vos déclarations que vous n'auriez vécu aucun incident lié à ce fait depuis cette époque. En effet, vous affirmez qu'il ne se serait rien produit à part le fait que vous auriez coupé le contact avec votre famille.

Ainsi, il appert que vous n'avez rencontré aucun problème à ce sujet et ce pendant près de 18 ans, ce qui démontre clairement l'absence de l'existence d'une quelconque crainte de persécution future dans votre chef.

4Concernant votre crainte par rapport aux milices, vous déclarez: « Im Viertel … wurden wir von Milizen belastet, da mein Mann Sunnit war und die Milizen dort an der Macht waren. » (p.5/12 du rapport d'entretien). Notons que ce motif pourrait a priori entrer dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Or, vous concédez ne jamais avoir été personnellement et directement menacée par une quelconque milice et qu'aucun incident impliquant votre personne ne se serait produit pendant votre séjour en Irak, de sorte que vous restez en défaut d'établir l'existence dans votre chef d'une peur respectivement d'une crainte de persécution. Ainsi, il y a lieu de conclure que vos prétendues craintes sont purement hypothétiques.

Vous indiquez ensuite que les deux seuls incidents dont vous auriez été témoin seraient les écritures sur la façade de votre maison en 2010 et les impacts des tirs sur le mur de votre domicile en 2012. Il ressort clairement de votre récit que vous ne disposez pas la moindre information sur les auteurs de ces incidents, de sorte qu'on ignore les auteurs et a fortiori on ignore également leurs motivations.

Ainsi, force est de conclure qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution, respectivement d'une crainte de persécution au sens des dispositions prévues par la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Quand bien même ces faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d'une gravité suffisante, quod non, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne quant aux incidents survenus de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d'être persécutée respectivement que vous risquez d'être persécutée en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

5 • Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande en reconnaissance du statut du réfugié.

Concernant votre mariage en 2002 sans l'assentiment de vos familles respectives, rappelons qu'il s'agit d'un fait beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection subsidiaire en 2020. De plus, vous indiquez ne plus avoir rencontré le moindre problème dans ce contexte depuis près de 20 ans.

Quant à votre peur par rapport aux milices, retenons que vous n'avez pas été personnellement ciblée de sorte qu'il y a lieu de constater qu'il s'agit d'une crainte purement hypothétique et non pas d'une crainte fondée d'être victime d'atteintes graves.

Concernant les écritures sur la façade de votre maison en 2010 et les impacts de tirs sur le mur de votre domicile en 2012, rappelons que non seulement on ignore les auteurs et leurs motifs mais à cela s'ajoute que vous n'auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d'origine de sorte qu'aucun reproche ne peut être fait aux forces de l'ordre irakiennes.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

6 Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2020, Madame (AA), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses deux enfants mineurs (BA) et (CA), fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 22 juillet 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire.

Par jugement du 29 novembre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en condamnant celle-ci aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 3 janvier 2022, Madame (AA), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses deux enfants mineurs (BA) et (CA), a régulièrement fait entreprendre le jugement du 29 novembre 2021.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelante réitère en substance son exposé des faits tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et elle soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

En substance, elle expose être de nationalité irakienne, de confession musulmane chiite et d’ethnie arabe. Elle indique avoir présenté une demande de protection internationale, ensemble avec ses enfants mineurs, dans le contexte d’une procédure de regroupement familial avec son fils aîné (EA) ayent obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle du 20 avril 2018. Elle expose ensuite que le vécu des différents membres de sa famille aurait été particulièrement traumatisant.

Ainsi, son époux aurait disparu en février 2015 en essayent de passer la frontière gréco-turque et elle aurait été séparée de sa fille mineure (DA) portée disparue depuis 2016 à la suite d’un contrôle à la frontière entre l’Irak et l’Iran. L’appelante explique qu’elle aurait dû quitter son pays d’origine en raison de son mariage avec un homme de confession sunnite et que tant leurs familles respectives que la communauté environnante n’auraient pas accepté leur union. Elle n’aurait ainsi plus aucun lien avec sa propre famille depuis son mariage. Finalement, elle fait état de plusieurs incidents dans ce contexte. Ainsi, en 2010, des inscriptions anti-sunnites auraient été inscrites sur la façade de son habitation, en 2012, sa maison aurait été visée par des tirs d’arme à feu et en 2014, son époux serait rentré au domicile familial avec une blessure au cou qui lui aurait été causée par des miliciens. Depuis lors, son fils (CA) et elle-même nécessiteraient un suivi psychologique.

7 Sur ce, Madame (AA) reproche aux premiers juges une appréciation erronée des circonstances de fait à la base de sa demande et soutient remplir les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

Selon l’appelante, le tribunal aurait à tort retenu l’absence dans son chef d’un risque de subir des actes de persécution sinon des atteintes graves en cas de retour en Irak. Ainsi, elle serait en droit de se prévaloir de la présomption inscrite à l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 en raison des faits subis avant son départ de son pays d’origine et la partie étatique serait restée en défaut d’établir l’existence de bonnes raisons de penser que les actes de persécution subis ne se reproduiront plus. Elle critique encore le tribunal en ce que celui-ci aurait relevé qu’elle n’aurait rencontré aucun problème durant la période s’étalant entre le mois d’août 2014 et le mois de septembre 2017, alors qu’elle aurait vécu pendant ces trois années dans un état d’anxiété particulièrement aigu et que sa crainte de subir des violences en raison de son mariage mixte aurait toujours été présente. Elle se prévaut dans ce contexte d’un rapport publié par la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada du 29 janvier 2018, intitulé « Iraq: Inter-sect marriage between Sunni and Shia Muslims, including prevalence; treatment of inter-sect spouses and their children by society and authorities, including in Baghdad; state protection available (2016-January 2018) », ainsi que du rapport d’information sur les pays d’origine publié par le « European Asylum Office » (EASO) en mars 2019.

Les craintes de persécutions en cas de retour en Irak seraient partant réelles et graves et justifieraient qu’une protection internationale, principale ou subsidiaire, lui soit conférée.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

8 L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Il s’y ajoute que par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du juge administratif devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur de protection avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, c’est à tort que l’appelante entend critiquer les premiers juges en ce qu’ils ont conclu au sujet des faits mis en avant qu’elle n’a plus rencontré le moindre problème pendant la période s’étalant d’août 2014 au 5 septembre 2017 lorsqu’elle résidait à Bagdad avant de quitter son pays d’origine.

La Cour rejoint et fait sienne l’analyse des premiers juges qu’il se dégage des propres déclarations de l’intéressée que les craintes mises en avant s’analysent en l’expression d’un sentiment général d’insécurité et qu’elle ne saurait se prévaloir de la présomption prévue à l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où il se dégage desdites déclarations qu’aucun incident concret n’est plus survenu à son égard, respectivement à l’encontre de membres de sa famille, depuis son déménagement vers la capitale irakienne et jusqu’au départ de son pays d’origine.

Cette conclusion se trouve encore renforcée par le constat que l’appelante vit séparée de son époux depuis l’année 2015, de sorte que le risque d’être persécutée en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son mariage mixte n’est de toute façon plus d’actualité.

Les craintes de l’appelante de subir à nouveau des actes de persécution en Irak s’analysent partant en l’expression d’un simple sentiment d’insécurité, mais non pas en l’expression d’une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

9 Dans la mesure où la demande en obtention d’un statut de protection subsidiaire au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015 est basée sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre de la demande d’un statut de réfugié, elle est à son tour à rejeter du fait qu’il n’est pas établi que l’appelante risque concrètement de faire à nouveau l’objet de traitements ou sanctions inhumains ou dégradents en raison de son mariage mixte, étant donné que les craintes mises en avant restent essentiellement hypothétiques.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, ont retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies dans le chef de l’appelante.

Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale prononcée par le ministre, comme le refus d’octroi du statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

Finalement, il convient de relever que les risques que l’appelante semble lier à son éventuel éloignement ont déjà été analysés et toisés dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est à rejeter à son tour.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 3 janvier 2022 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 29 novembre 2021 ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

10 Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46853C
Date de la décision : 03/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-03;46853c ?

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