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03/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46240C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 03 mars 2022, 46240C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46240C ECLI:LU:CADM:2022:46240 Inscrit le 15 juillet 2021

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Audience publique du 3 mars 2022 Appel formé par M. (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 juin 2021 (n° 43913 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sou...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46240C ECLI:LU:CADM:2022:46240 Inscrit le 15 juillet 2021

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Audience publique du 3 mars 2022 Appel formé par M. (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 juin 2021 (n° 43913 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46240C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2021 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Jordanie), de nationalité jordanienne, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 18 juin 2021 (n° 43913 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours en réformation introduit contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 novembre 2019 rejetant sa demande de protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire, tout en le condamnant aux frais et dépens ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT déposé au greffe de la Cour administrative le 14 octobre 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 28 octobre 2021.

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Le 10 mai 2016, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il déclara à cette occasion être entré en Europe avec un visa néerlandais avant de venir au Luxembourg, information confirmée par une recherche effectuée dans la base de données VIS.

Le 14 juin 2016, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 21 juin 2016, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la prise en charge de Monsieur (A) sur le fondement de l’article 12, paragraphe (4), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières par courrier du 8 juillet 2016.

Par décision du 11 juillet 2016, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 12 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (4), du règlement Dublin III.

Le même jour, le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, fut chargé d’organiser le transfert de Monsieur (A) vers les Pays-Bas avec la mention de ne pas procéder audit transfert avant le 22 juillet 2016.

En raison de la disparition de Monsieur (A), les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités néerlandaises de la suspension temporaire de son transfert par courrier du 22 septembre 2016.

Par courrier du 26 septembre 2016, le ministre pria la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur (A).

Par courrier du 11 avril 2018, le ministre pria la police grand-ducale de biffer ledit signalement.

Monsieur (A) se présenta de nouveau au ministère et, par courrier du 2 novembre 2018, le ministre l’informa que sa décision de transfert du 11 juillet 2016 était rapportée.

En date des 19 décembre 2018 et 12 février 2019, Monsieur (A) fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 19 novembre 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 26 novembre 2019, le ministre résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 mai 2016, le rapport d'entretien Dublin III du 14 juin 2016, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 19 décembre 2018 et 12 février 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il ressort de vos dires que vous auriez quitté la Jordanie parce que vous seriez persécuté par l'Etat jordanien pour vos activités en tant que journaliste et activiste politique.

Vous seriez l'auteur de nombreux articles qui critiquent la famille royale jordanienne, le gouvernement et la corruption en Jordanie. En tant que membre de l'« association 24 mars », vous auriez également participé à plusieurs manifestations à Amman entre 2011 et 2015 dans le cadre du « Printemps arabe ».

Selon vos dires, vous auriez été arrêté à trois reprises par les services de renseignement. Ainsi, ils vous auraient arrêté en 2014 pour votre prétendue activité politique dans le cadre de l'« association 24 mars » et vous auriez été arrêté début 2015 pour avoir publié des articles concernant le régime politique en Jordanie. Après que des inconnus auraient détruit votre bureau au mois de juin 2015, un général des services de renseignement vous aurait appelé et vous vous seriez retrouvés à l'hôtel Sheraton à Amman. Il vous aurait dit que vous devriez arrêter d'écrire des articles sur la famille royale et il vous aurait proposé de « travailler dans les services d'information du palais royal » (page 8 du rapport d'entretien). En juillet 2015, vous auriez été arrêté par les services de renseignement. Vous auriez été en prison pendant 3 mois pendant lesquels vous auriez été torturé.

A votre sortie de la prison, vous auriez dû comparaître devant un tribunal militaire, mais « il n'y a pas eu de condamnation » (page 9 du rapport d'entretien). Vous auriez dû signer un document selon lequel vous arrêteriez de publier des articles.

Après votre détention, vous auriez vécu en Jordanie pendant 7 mois durant lesquels vous n'auriez « pas eu de problèmes avec les services de renseignements » (page 13 du rapport d'entretien). Vous auriez travaillé auprès du Ministère de la Santé jusqu'à votre départ en Europe. Avant de quitter la Jordanie, vous auriez appelé un service du gouvernement jordanien afin de vous assurer que vous pourriez voyager librement en Europe: « ils m'ont dit que je n'avais rien à me reprocher » (page 13 du rapport d'entretien).

A votre arrivée en Europe avec un visa néerlandais, vous n'auriez pas introduit une demande de protection parce que vous auriez eu peur d'être transféré en Jordanie. Vous seriez resté 3 jours à Amsterdam pour partir ensuite en Allemagne où vous auriez vécu chez des amis pendant 2 semaines. Par la suite, vous seriez allé à Paris pour rendre visite à une amie et visiter un musée (page 3 du rapport d'entretien Dublin III) et seriez venu au Luxembourg en passant par Nancy.

Vous déclarez que vous avez sciemment disparu avant votre transfert vers les Pays-Bas parce que vous auriez eu peur que les autorités néerlandaises vous transfèrent en Jordanie.

Vous auriez décidé d'attendre jusqu'à ce que « Dublin ne s'appliquerait plus, donc j'ai préféré 3 2 attendre deux ans pour venir de nouveau ici » (page 7 du rapport d'entretien). Pendant ces deux ans vous auriez vécu, travaillé et étudié au Luxembourg.

Vous présentez les documents suivants :

Un passeport jordanien ;

Une carte d'identité jordanienne ;

Une carte d'auditeur libre de l'Université de Luxembourg dont la date d'expiration a été effacée; 15 articles en langue arabe publiés sur divers sites d'information entre 2011 et 2014 dont 4, datant de 2011, sont accompagnés d'une traduction effectuée par un traducteur;

Un rapport psychologique du 8 mars 2016 en langue arabe accompagné d'une traduction en langue française. (…) ».

Le ministre informa ensuite Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre émit, de prime abord, des doutes quant à la crédibilité du récit de Monsieur (A), au motif qu’il n’existerait aucune preuve quant aux faits invoqués et que son récit contiendrait également des incohérences. Ainsi, le ministre estima que le comportement de Monsieur (A) de venir en Europe en avril 2016 par le biais d’un visa néerlandais et, sans déposer une demande de protection internationale aux Pays-Bas, de voyager en Allemagne et en France avant de venir déposer une demande de protection internationale au Luxembourg en mai 2016 ne correspondrait pas au comportement d’une personne réellement persécutée, impression renforcée par le fait que le demandeur aurait sciemment disparu suite à la décision de transfert aux Pays-Bas pour contourner les règles de compétences établies par le règlement Dublin III.

Il estima par ailleurs que le demandeur, en affirmant ne plus avoir eu d’autre choix que de demander la protection internationale après avoir été exclu des études à l’Université du Luxembourg, aurait avoué que des raisons économiques giseraient à la base de sa demande.

Le ministre émit ensuite des doutes quant à la qualité de journaliste, voire d’opposant politique de Monsieur (A), alors que son nom ne ressortirait d’aucun article ou rapport international, lesquels citeraient généralement des noms de vrais activistes en Jordanie, que les recherches ministérielles n’auraient pas permis de trouver une quelconque trace d’une participation de sa part lors du « Printemps arabe », qu’il n’aurait pas déposé de copie de sa carte de journaliste tel qu’annoncé lors de l’entretien au ministère, que les articles prétendument publiés de sa part, pour la plupart non traduits, ne refléteraient pas le contenu qu’il aurait prétendu lors de son entretien et qu’il resterait en défaut de prouver ses activités sur les réseaux sociaux, ce qui serait d’autant plus suspect, alors que, de nos jours, ce genre de publications pourrait parfaitement être conservé et rester accessible partout dans le monde.

Il estima encore que le comportement de Monsieur (A) depuis son arrivée en Europe ne reflèterait pas celui d’un activiste, alors qu’il ne verserait aucune preuve de la continuation de son travail de journaliste opposant depuis son départ de la Jordanie.

Le ministre remit encore en doute la réalité de l’emprisonnement de Monsieur (A), alors qu’il ressortirait des recherches ministérielles qu’il aurait été actif sur les réseaux sociaux pendant la même période, ce comportement rendant improbable un emprisonnement concomitant, non établi, par ailleurs, par des pièces.

Quand bien même le récit de Monsieur (A) serait crédible, le ministre rejeta sa demande de protection internationale, au motif qu’il ne risquerait pas de subir des atteintes graves ou des persécutions de la part des autorités jordaniennes, alors qu’il aurait affirmé lui-même qu’il n’aurait pas été condamné, qu’il n’aurait pas eu de problèmes avec le service de renseignement les sept mois précédant son départ du pays, qu’il aurait travaillé pour le ministère jordanien de la Santé jusqu’à son départ et que les autorités jordaniennes, à savoir le service appelé de sa part contrôlant si un citoyen était concerné par un jugement ou une accusation de la part de la sûreté nationale, lui auraient affirmé qu’il pourrait voyager sans restrictions.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2019, Monsieur (A) fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 19 novembre 2019 portant rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que de celle portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Dans son jugement du 18 juin 2021, le tribunal a dministratif reçut e n la for me le recours en réformation introduit par Monsieur (A) contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 novembre 2019 rejetant sa demande de protection De int ernationale et lui ordonnant de quitter le territoire et au fond le déclara non justifié pour en tout dé bouter le demandeur. Le tribunal condamna le demandeur aux frais de l’instance.

ce qui précè Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2021, de, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel du jugement précité.

les condi L’appelant renvoie à l’exposé des faits qu’il a soumis dans le cadre de son recours de tions première instance devant le tribunal. Il rappelle qu’il serait de nationalité jordanienne, perm d’origine palestinienne et de confession religieuse musulmane. Il fait valoir qu’avant son ett déant part de la Jordanie en 2016, il y aurait été chroniqueur journaliste et opposant politique.

la Selon ses dires, il aurait été journaliste et rédacteur en chef du journal jordanien … et recon présentateur d’une émission de radio diffusée de manière hebdomadaire sur les ondes naiss jordaniennes (…) dans le courant de l’année 2013. Il affirme être membre de l’association des anc éc e rivains jordaniens depuis 2011. A la même période, il dit avoir publié des articles en réaction du aux printemps arabes intervenus dans de nombreux pays arabes, participé aux manifestations statut qui se seraient déroulées à … et contribué à la création d’une association regroupant des confé opposants au régime jordanien dénommée « 24 mars ». Il affirme que l’ensemble de ces ré a ctivités avait notamment pour but de dénoncer la corruption de la famille royale jordanienne.

par la En raison de son engagement politique, Monsieur (A) soutient avoir été arrêté et prot e e mprisonné par les services secrets jordaniens pendant trois mois, période durant laquelle il cti auon rait subi des violences physiques et mentales. Il explique avoir été ensuite condamné par un subsi tribunal militaire secret du chef de « tentative de renverser le gouvernement, de violation de diai la r loi sur la criminalisation de l’électronique et de la presse et diffamation contre des e pe ne rsonnalités ».

sont pas Selon lui, ce serait à tort que les premiers juges ne lui ont pas accordé le statut de re rémpl fugié alors que les actes de persécution dont il aurait été victime seraient d’une gravité suffisante et qu’ils ies.

émaneraient d’agents de l’Etat qui seraient à qualifier d’acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Il réitère que du fait de son engagement politique et de son appartenance ethnique, il aurait été victime de persécutions de la part des services Votre de se ma crets jordaniens. Du fait de la nature et du caractère répété de ces actes de persécution, il y nde 5 de prote ction inter aurait lieu de retenir qu’ils s’analyseraient en une violation grave des droits fondamentaux. En outre, l’appelant dit craindre avec raison d’être persécuté en cas de retour en Jordanie du fait de ses opinions politiques, de sorte qu’il remplirait également les conditions d’octroi du statut de réfugié. Il fait valoir que ses activités journalistiques ne feraient aucun doute en ce qu’elles seraient corroborées par la présentation d’une carte de visite au sein d’un journal jordanien, d’une copie de sa carte de presse et par la soumission d’articles qu’il aurait rédigés dénonçant certains hommes politiques corrompus en Jordanie. Il souligne à cet égard que la Jordanie se trouverait au 128ème rang (sur 180) au classement mondial de la liberté de la presse et cite de manière abondante des extraits d’articles de presse relatant les violences subies par certains journalistes jordaniens en opposition au régime jordanien ainsi que leur détention arbitraire.

En ce qui concerne la crédibilité de son récit, l’appelant réitère qu’il aurait bel et bien été détenu pendant trois mois contrairement aux dénégations de la partie étatique se fondant sur le caractère actif de son compte Facebook durant la période alléguée de sa détention. S’il ne conteste pas que des messages ont bien été soumis depuis son profil sur ladite plateforme sociale, l’appelant affirme que son compte aurait été usurpé, de sorte que des commentaires issus de son profil ont été rédigés sur ladite plateforme durant la période de sa détention. Quant au fait qu’il a travaillé pour le ministère de la Santé jordanien durant sept mois avant son départ de Jordanie et qu’il a pu quitter son pays d’origine sans difficulté, l’appelant estime que ces éléments ne sauraient pour autant affecter la crédibilité de son récit. D’après Monsieur (A), ses explications seraient cohérentes en ce que le jugement du tribunal militaire jordanien l’aurait certes condamné à ne plus publier d’articles ainsi qu’au paiement d’une caution, mais que ledit jugement n’aurait pas été assorti d’une interdiction de quitter le territoire.

De son côté, la partie étatique souligne, avant tout progrès en cause, que l’appelant aurait dissimulé sa véritable identité et qu’il utiliserait un nom qui ne correspondrait pas à celui figurant sur le passeport qu’il a déposé deux ans après l’introduction de sa demande de protection internationale. Conformément aux nom et prénoms figurant sur son passeport, à savoir (A-A), la partie étatique indique avoir procédé à la modification des prénoms et nom de l’appelant au sein du registre national des personnes physiques et demande à la Cour de reprendre l’identité modifiée de l’appelant dans son arrêt.

Quant au fond, l’Etat demande la confirmation pure et simple du jugement entrepris et relève qu’aucun élément nouveau susceptible d’infirmer la décision ministérielle n’aurait été apporté par l’appelant. Il relève enfin que l’appelant n’a pas pris position face aux reproches formulés par le ministre à la suite de sa disparition délibérée pour mettre en échec son transfert vers les Pays-Bas conformément au règlement Dublin III.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l'octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu'au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l'article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d'origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

A titre liminaire et en réponse à la demande du délégué du gouvernement, la Cour relève qu’il n’existe pas de différence manifeste entre l’identité sous laquelle l’appelant s’est initialement présenté et celle issue des mentions figurant sur le passeport qu’il a remis au ministre deux ans après le dépôt de sa demande de protection internationale.

S’il est vrai que l’appelant a initialement indiqué avoir détruit son passeport pour ensuite se rétracter et le remettre quelques années plus tard au ministre, il n’en reste pas moins que ce dernier ayant été authentifié, il doit pouvoir faire foi dans l’établissement de l’identité du demandeur d’asile.

La Cour note que le prénom et le nom donnés par l’appelant pour le traitement de sa demande de protection internationale sont strictement identiques à ceux figurant sur son passeport.

Le seul fait que l’appelant n’ait pas communiqué ses deuxième et troisième prénoms lors du dépôt de sa demande de protection ne saurait s’analyser en une dissimulation d’identité, de sorte que les ajouts réalisés au sein du registre national des personnes physiques par l’Etat s’analysent tout au plus en un simple complément d’identité de l’appelant.

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder aux compléments d’identité requis par la partie étatique alors que l’identité de l’appelant ne fait aucun doute entre les parties à ce stade de la procédure devant la Cour.

Avant tout autre progrès en cause, la Cour constate que l’appelant admet avoir volontairement disparu à la suite de sa reconduite programmée vers les Pays-Bas dans l’espoir de mettre en échec la compétence des autorités néerlandaises pour l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III. S’il explique que cette disparition délibérée se justifiait par sa crainte d’être renvoyé en Jordanie, il n’en reste pas moins qu’elle témoigne du mépris de l’appelant pour le système européen de l’asile et que c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que cette attitude constituait un indice pouvant affecter la crédibilité du récit global de l’appelant.

Quant au fond, la Cour relève que l’appelant se dit éligible à un des statuts de la protection internationale en raison de ses activités journalistiques, de ses engagements politiques en opposition au pouvoir dirigeant en Jordanie et du fait de son appartenance ethnique.

Quant aux activités journalistiques de l’appelant La Cour relève que la décision ministérielle litigieuse admet que Monsieur (A) a été à l’origine de diverses publications sur plusieurs sites internet de langue arabe de 2011 à 2014.

C’est partant à tort que les premiers juges ont retenu que l’appelant restait en défaut de démontrer la publication desdits articles revenant ainsi sur un élément factuel sur lequel les parties ne sont pas en désaccord.

En effet, il n’appert aucunement de la décision ministérielle précitée que serait remise en cause la diffusion sur internet des publications de l’appelant, de sorte que leur publication doit être considérée comme acquise en l’état actuel d’instruction du dossier.

La Cour relève en outre que l’appelant a présenté durant l’instance contentieuse la copie d’une carte de presse dont l’authenticité n’a pas été contestée par la partie étatique.

Quant au contenu des publications que l’appelant a soumises à l’appui de sa demande de protection internationale, il est vrai, comme le souligne le délégué du gouvernement, que sur les quinze articles déposés par l’appelant, seuls quatre ont fait l’objet d’une traduction en langue française. Devant la Cour, l’appelant s’est limité à indiquer, dans sa requête d’appel, quinze liens de site internet censés mener vers des articles publiés en langue arabe. Or, aucune copie de ces articles ni leur traduction n’ont été déposés devant la Cour.

En procédant de la sorte, l’appelant n’a guère mis la Cour en mesure de prendre connaissance du contenu desdits articles, de sorte qu’elle n’a pas pu valablement exercer son contrôle à l’égard de ces articles et que toute référence y relative doit être rejetée pour manquer de pertinence.

En ce qui concerne plus particulièrement les quatre publications accompagnées d’une traduction en langue française, la Cour ne peut que constater le caractère polémique de ces écrits dans lesquels l’appelant critique ouvertement la corruption et la mainmise de certains hommes politiques jordaniens sur les richesses nationales.

Toutefois, la Cour n’a su déceler une quelconque critique à l’endroit des membres de la famille royale dans les quatre articles qu’elle a examinés contrairement aux affirmations multiples de l’appelant.

En outre, malgré l’existence incontestée des quatre publications précitées, la Cour nourrit des doutes quant à la véracité des fonctions journalistiques que l’appelant prétend avoir exercées auprès du média ….

S’il ne peut être remis en cause qu’il a bien publié au moins quatre articles sur internet, dont ceux soumis à la Cour, il ne peut être tenu pour établi qu’il aurait été rédacteur en chef dudit journal, média dont l’existence reste à ce stade à l’état de pure allégation.

Eu égard à l’importance d’une telle fonction au sein d’un journal qu’il présente comme ayant été dans l’opposition et diffusant des informations en provenance de divers contributeurs, dont l’appelant prétend avoir relu le travail avant d’en autoriser la diffusion, il semble difficilement compréhensible que l’appelant ne soit pas en capacité de démontrer de manière circonstanciée l’existence dudit journal, durant ses années d’activité, et la matérialité des fonctions qu’il y aurait exercées.

Le dépôt d’une carte de visite au nom de l’appelant sur laquelle figure le nom du journal n’est pas de nature à en corroborer l’existence et cela d’autant plus que ledit média et l’appelant ne semblent jouir d’aucune notoriété publique attestée par des publications externes.

Pareil constat peut être dressé en ce qui concerne le fait que l’appelant aurait animé une émission de radio en 2013 avant qu’elle ne soit arrêtée à la demande des services secrets jordaniens.

Là aussi, ce récit n’est soutenu par aucune indication qui témoignerait du caractère plausible de cette activité journalistique.

Enfin, la Cour relève que l’appelant n’a pas su démontrer la continuité de ses activités journalistiques depuis son départ de la Jordanie.

En tout état de cause et tel que l’affirme l’Etat, l’existence de ces articles ne sauraient à elle seule corroborer les persécutions que l’appelant dit avoir subies aux mains des services secrets jordaniens et de la police dès 2014.

La Cour constate à cet égard que l’appelant ne fait aucunement preuve d’un récit circonstancié et convaincant permettant de tenir pour établies les violences dénoncées et le fait qu’il aurait été détenu durant trois mois dans une prison jordanienne et condamné en 2015 par un tribunal qu’il dit secret.

A cet égard, l’appelant se contredit lorsqu’il affirme avoir été condamné par ledit tribunal au paiement d’une caution conséquente alors qu’il a préalablement démenti avoir été condamné au paiement de ladite caution durant ses auditions devant la direction de l’Immigration.

De plus, le fait qu’il aurait continué à travailler pour le ministère de la Santé jordanien, en tant que psychologue à temps partiel durant la survenance de ces évènements, laisse de convaincre la Cour.

Il en est de même concernant l’argument selon lequel les messages soumis depuis son compte sur le réseau social Facebook durant la période présumée de sa détention proviendraient de l’usurpation de son compte sur ledit réseau social.

A cela s’ajoute que l’appelant a été en mesure de quitter la Jordanie au départ de l’aéroport d’… sans être aucunement inquiété par les autorités de son pays auprès desquels il dit avoir au préalable signalé son départ afin de s’assurer qu’il était en droit d’effectuer ce voyage vers les Pays-Bas pour les besoins d’une conférence à laquelle il devait assister.

Partant, c’est à bon droit que les premiers juges ont pu douter de la crédibilité des déclarations de l’appelant quant à l’intensité de ses activités journalistiques et aux persécutions qui s’en seraient suivies de la part des renseignements généraux jordaniens.

Quant aux engagements politiques de l’appelant La Cour considère que l’appelant n’a pas su démontrer qu’il aurait agi en tant que membre actif et fondateur du mouvement d’opposition politique dit « association 24 mars ».

En effet, pour un individu s’attribuant un rôle aussi essentiel dans l’organisation d’un mouvement national, il est surprenant que l’appelant ne soit pas en mesure d’apporter les preuves circonstanciées de cet engagement politique.

En outre, bien que l’appelant affirme avoir été très actif sur les réseaux sociaux en vue d’y diffuser ses prises de position contre la corruption institutionnelle et l’emprise de la famille royale jordanienne sur le gouvernement et les richesses nationales, il n’a pas été en mesure de recueillir les preuves de ce militantisme et d’en faire état devant la Cour.

Quant à la soumission d’une photo sur laquelle l’appelant semble arborer une banderole rédigée en langue arabe, la Cour relève qu’aucune traduction ni explication n’ont été soumises par l’appelant à l’appui de ce cliché, de sorte qu’il ne saurait constituer une preuve de son prétendu engagement politique.

La Cour n’ayant point tenu pour crédible le récit de l’appelant quant à son engagement politique, elle ne saurait partant accorder une quelconque vraisemblance aux déclarations selon lesquelles il aurait fait l’objet de persécutions par les services secrets jordaniens du fait de ce prétendu engagement politique.

Partant, c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges ensuite, ont pu valablement douter de la crédibilité du récit de l’appelant en ce qui concerne son engagement politique.

Quant à l’appartenance ethnique de l’appelant L’appelant affirme enfin que du fait de son origine palestinienne, il craint d’être persécuté, en cas de retour en Jordanie, en raison du racisme qui subsisterait à l’endroit des citoyens jordaniens d’origine palestinienne.

La Cour relève que malgré l’invocation de cette discrimination alléguée, l’appelant manque de faire état d’un récit individualisé et circonstancié des discriminations qu’il aurait personnellement subies du fait de son appartenance ethnique.

Il est vrai à cet égard que l’appelant va même jusqu’à se contredire en affirmant lors de ses auditions devant la direction de l’Immigration qu’il n’a jamais personnellement fait l’objet d’une différence de traitement du fait de son origine ethnique.

Dans ces conditions, la Cour ne saurait partant percevoir l’existence d’un risque de persécution du fait des origines ethniques de l’appelant.

Il y a lieu, dans ces conditions, d’écarter l’existence de motifs de persécution repris par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

La Cour relève, en outre, que les déclarations de l’appelant n’ont pas permis de tenir pour établie l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour en Jordanie.

En effet, la Cour ne dégage pas non plus du récit de l’appelant, qui renvoie aux mêmes motifs soumis à l’appui de sa demande en obtention du statut de réfugié, un risque concret d’être exposé, en cas de retour en Jordanie, à une condamnation à la peine de mort, à l’exécution, à la torture, à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou encore à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que les conditions pour admettre l’appelant au statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouvent pas non plus remplies en l’espèce.

Partant, il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges ont rejeté la demande en reconnaissance du statut de la protection internationale en faveur de l’appelant.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 15 juillet 2021 en la forme, au fond, le déclare non fondé et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 18 juin 2021, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 3 mars 2022 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46240C
Date de la décision : 03/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-03-03;46240c ?

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