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08/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46825C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 février 2022, 46825C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46825C ECLI:LU:CADM:2022:46825 Inscrit le 24 décembre 2021

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Audience publique du 8 février 2022 Appel formé par Monsieur (N), …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 novembre 2021 (n° 44688 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46825C du rôle, déposé au greffe d

e la Cour administrative le 24 décembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46825C ECLI:LU:CADM:2022:46825 Inscrit le 24 décembre 2021

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Audience publique du 8 février 2022 Appel formé par Monsieur (N), …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 novembre 2021 (n° 44688 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46825C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 24 décembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (N), né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 23 novembre 2021 (n° 44688 du rôle), l’ayant débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 janvier 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 1er février 2022.

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Le 19 novembre 2019, Monsieur (N) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (N) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la Police Grand-Ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En dates des 17 janvier et 5 février 2020, Monsieur (N) fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 21 avril 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (N) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 novembre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 janvier et du 5 février 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi qu’un certificat médical attestant l’existence d’une cicatrice à la jambe et au front.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez né à … en Côte d’Ivoire et que vous y auriez vécu avec vos parents, les deux autres femmes de votre père et vos dix frères et sœurs sous le même toit. Après avoir obtenu le baccalauréat, vous auriez fréquenté une école privée à « … », mais vous seriez retourné à … après trois mois parce que « L’école était trop en brousse. C’était une filière qui ne m’a pas plu ». Par la suite, vous auriez aidé votre « grand frère à vendre [Rem. : du …] au marché » (p.2/16 du rapport d’entretien) et auriez travaillé « dans le commerce de mon père » (p.3/16 du rapport d’entretien).

Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine parce que votre famille n’aurait pas accepté votre volonté de vous convertir au christianisme. Vous précisez que la religion catholique permet plus de libertés dans la vie que la religion musulmane en disant que « J’avais des amis qui étaient catholiques. Mes amis étaient dans les scouts. Leur manières [sic], la liberté qu’ils ont tous, c’est cela qui m’a motivé […] Ils sont plus indépendants, ils font ce qu’ils veulent, ils rentrent quand ils veulent, ils sortent quand ils veulent, c’était dix fois plus que chez nous » (p.10/16 du rapport d’entretien).

Vous continuez votre récit en évoquant que votre famille vous aurait insulté de « Kafri.

C’est quelqu’un qui ne croit pas dans la religion » (p.9/17 du rapport d’entretien) et qu’en décembre 2018, le … dénommé (Y) et d’autres personnes vous auraient frappé et menacé de mort parce qu’ils auraient peur que votre volonté de vous convertir au christianisme puisse salir le nom de la famille au village.

Vous auriez porté plainte mais le policer vous aurait dit qu’il s’agirait d’un problème familial et que « je ne vais jamais avoir raison sur la famille » (p.8/17 du rapport d’entretien).

Vous seriez retourné à la maison et un jour, vous auriez entendu que lors d’une réunion, les anciens de votre famille auraient décidé de vous tuer, raison pour laquelle vous auriez fait vos bagages et auriez quitté votre maison et la Côte d’Ivoire fin février 2019.

Vous mentionnez en outre lors de votre entretien que « je voudrai continuer les études s’il y a possibilité » (p.3/16 du rapport d’entretien).

Quant à votre trajet, vous évoquez que vous auriez pris l’avion à … en direction du Maroc avec un « faux billet » procuré par « un vieux père » (p.7/17 du rapport d’entretien) avec qui vous auriez fait connaissance à la gare à …. Vous auriez séjourné à … et à … avant de rejoindre l’Espagne par bateau le 26 août 2019. Après un séjour de deux mois en Espagne, vous auriez pris le train en direction de la France, où vous seriez resté pendant quatre jours avant de venir au Luxembourg.

Vous ne présentez aucun document d’identité pour étayer vos dires et déclarez avoir perdu votre passeport au Maroc et avoir laissé votre carte d’identité à ….

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Monsieur, il faut d’abord soulever que votre comportement depuis votre départ de la Côte d’Ivoire est incompatible avec celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr. Vous expliquez que vous auriez quitté la Côte d’Ivoire pour vous rendre au Maroc et en Espagne, où vous auriez vécu pendant deux mois sans introduire de demande de protection internationale parce qu’« ils [Rem. : les passeurs] sont à ma recherche encore » (p.7/17 du rapport d’entretien). Vous expliquez que « Pour monter sur le bateau, il fallait donner le nom de son passeur, mais moi je n’avais pas de passeur, je suis entré par infiltration. Alors j’ai donné le nom d’un passeur qui connait (I) [Rem.: une personne que vous auriez croisé dans la forêt au Maroc]. Tous les passeurs ont quelqu’un là-bas qui prend l’argent, en France aussi, Belgique aussi. Si je reste dans un pays comme ça, ils risquent de me trouver » (p.7/17 du rapport d’entretien).

En effet, le fait que vous n’avez introduit une demande en obtention d’une protection internationale que presque une année après avoir quitté votre pays d’origine est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée qu’elle introduise une telle demande dès qu’elle a l’occasion de le faire, c’est-à-dire dans le premier pays sûr rencontré et dans les délais les plus brefs. Le prétexte selon lequel en Espagne et en France, les passeurs pourraient être à votre recherche ne saurait excuser votre inactivité.

Ainsi, il y a lieu de constater que votre comportement montre un désintérêt pour la procédure de protection internationale incompatible avec l’existence dans votre chef d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention et loi précitées.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous déclarez que votre famille n’aurait pas toléré votre volonté de vous convertir au christianisme. Ce fait pourrait a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Or, notons que 34% de la population ivoirienne est de foi chrétienne et que « Traditionally, the north of the country is associated with Islam and the south with Christianity, although members of both religious groups live throughout the country »1.

Rappelons que vous venez de … au Sud de la Côte d’Ivoire, donc le territoire de foi majoritairement chrétienne.

Relevons également que le simple fait que votre famille n’accepte pas votre volonté de vous convertir au christianisme, la bagarre que vous auriez eue avec le … (Y) et les injures et menaces dont vous auriez été la cible, ne revêtent pas un caractère de gravité tel qu’ils puissent être assimilés à une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève.

Ce constat est corroboré par le fait qu’à part cet incident isolé en 2018, rien ne vous est arrivé. A cela s’ajoute que mis appart (sic) le comportement condamnable du … (Y) et des membres de votre famille à votre égard, vous déclarez que votre mère « m’a un peu soigné » (p.8/16 du rapport d’entretien).

Quand bien même ces faits seraient d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’acte de persécution, notons que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, vous indiquez vous être rendu à un poste de police pour dénoncer ces agressions, mais le policier « m’a dit que c’est un problème familial et que je ne vais jamais avoir raison sur la famille » (p.8/16 du rapport d’entretien). Relevons d’abord que le comportement regrettable d’un policier n’est pas représentatif pour toute l’institution.

Le fait qu’un agent de police ne vous aurait pas aidé ne veut pas dire que toutes les autorités du pays seraient dans l’incapacité de vous fournir de l’aide. Hormis le fait que vous n’apportez aucune preuve d’avoir recherché de l’aide, notons que vous auriez par exemple pu vous adresser à un autre poste de police pour faire valoir vos droits.

Notons à titre d’information que les articles 345 et 346 du Code pénal ivoirien indiquent clairement que « Quiconque, volontairement, porte des coups ou faits des blessures ou commet toute autre violence ou voie de fait est puni: 1. De l’emprisonnement de cinq à vingt ans, lorsque les coups portés et les blessures faites, même sans intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée; 2. D’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 50.000 à 500.000 francs lorsque les violences ont occasionné une mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre, la cécité ou la perte d’un oil (sic) ou toute autre infirmité permanente; 3. D’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs lorsqu’il en est 1 US Department of State: 2018 Report on International Religious Freedom : Côte d'Ivoire, https://www.state.gov/reports/2018-report-on-international-religious-freedom/cote-divoire/ consulté en avril 2020.

résulté une maladie ou incapacité totale de travail personnel pendant plus de dix jours; 4. D’un emprisonnement de six jours à un an et d’une amende de 10.000 à 100.000 francs lorsqu’il n’en est résulté aucune maladie ou incapacité de travail de l’espèce mentionnée à l’alinéa précédent. Article 346 Lorsque les coups ont été portés ou les blessures faites sur la personne des père ou mère, ou les parents adoptifs de l’auteur ou sur ses ascendants, les peines sont aggravées comme suit : 1. L’emprisonnement à vie, dans le cas prévu par l’article 345 1.; 2.

L’emprisonnement de cinq à vingt dans les cas prévus par l’article 345 2.; 3. L’emprisonnement de cinq à dix ans et une amende de 50.000 à 500.000 francs, dans les cas prévus par l’article 345 3.; 4. L’emprisonnement d’un à trois ans et une amende de 20.000 à 200.000 francs dans les autres cas »2.

De plus, vous auriez aussi pu faire part de vos doléances auprès du médiateur de la Côte d’Ivoire (A), qui « a pour rôle de régler par la médiation, sans préjudice des compétences reconnues par les lois et règlements aux institutions et structures de l’Etat, les différends de toutes natures »3.

Soulevons également que le U.S. Department of State souligne dans son « 2018 Report on International Religious Freedom : Côte d’Ivoire » que la constitution ivoirienne garantit la liberté de religion et de culte religieux, conformément à la loi et interdit la discrimination religieuse : « The constitution stipulates a secular state that respects all beliefs and treats all individuals equally under the law, regardless of religion. It prohibits religious discrimination in public and private employment and provides for freedom of conscience, religious belief, and worship consistent with the law, the rights of others, national security, and public order. It prohibits "propaganda" that encourages religious hatred ». En outre, il convient de soulever que la constitution « recognizes the right of political asylum in the country for individuals persecuted for religious reasons »4.

De plus, le gouvernement ivoirien combat activement la discrimination religieuse:

« Local authorities in … arrested Imam (T), a Muslim preacher, on July 4 […] he discouraged Muslim parents from enrolling their children in Christian schools […] He was charged on July 9 with xenophobia, discrimination, inciting hatred »5 et applique le principe de l’égalité entre les religions: « The government continued to supervise and organize Hajj pilgrimages for Muslims and fund pilgrimages to Israel, Portugal, Spain, and France for Christians, as well as fund local pilgrimages for members of independent African Christian churches »6.

A cela s’ajoute qu’en Côte d’Ivoire, le respect sociétal envers la liberté religieuse est élevé: « Individuals regularly celebrated each other’s religious holidays by attending household or neighborhood gatherings, regardless of their own faith. For example, in August Minister of Urban Areas Albert Francois Amichia, who is Christian, attended the Eid al-Adha celebration at the Treichville mosque with Muslim believers »7.

2 Code pénal ivoirien, https://www.apdhci.org/images/documents_pdf/instruments_ivoiriens_des_droits_de_homme/code_penal_ci.pdf, consulté en avril 2020.

3 … Net: Médiateur de la République: (A) remplace N'Golo Coulibaly, https://news.abidjan.net/h/635079.html, consulté en avril 2020.

4 US Department of State: 2018 Report on International Religious Freedom: Côte d'Ivoire, https://www.state.gov/reports/2018-report-on-international-religious-freedom/cote-divoire/ consulté en avril 2020.

5 idem 6 idem 7 idem Mettons en evidence que « Practitioners of various religions live peacefully together.

Conversions are frequent and tolerated »8.

Notons, en effet, qu’en cas de retour dans votre pays d’origine vous seriez en mesure d’y vivre indépendamment de votre famille car vous êtes majeur.

Partant, notons qu’il n’existe aucun risque futur dans votre chef de devenir victime d’une persécution.

Monsieur, a cela s’ajoute que des motifs économiques et de pure convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale. Ainsi vous affirmez lors de votre entretien que « je voudrai continuer les études s’il y a possibilité » (p.3/16 du rapport d’entretien). Or, ces motifs ne sauraient pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne sont nullement liés aux critères définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

8 EASO Country of Origin Information Report: Côte d'Ivoire, Country Focus, June 2019, https://www.ecoi.net/en/file/local/2009965/2019_EASO_COI_Cotedivoire_EN.pdf consulté en avril 2020.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine au motif que « Mon père est connu, il est un commerçant très connu » (p.13/16 du rapport d’entretien).

Or, ce motif ne constitue pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.

Ainsi, il n’est pas établi en l’espèce que vous n’auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à …, la capitale économique de la Côte d’Ivoire qui génère 60 % du produit intérieur brut. Vu la situation économique à … qui connaît une forte croissance caractérisée par une forte industrialisation et une urbanisation galopante, vous pouvez trouver un travail dans une des industries établies. Vous ne soulevez ainsi pas de raison valable qui puisse justifier l’impossibilité d’une fuite interne.

Rappelons que « les chrétiens vivent en majorité dans le sud. …, Bouaké, Gagnoa et Korhogo sont les sièges des archidiocèses catholiques »9, de sorte que vous avez la possibilité d’y pratiquer votre foi sans aucun problème.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Côte d’Ivoire, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2020, Monsieur (N) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Par un jugement du 23 novembre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.

9 L’Observatoire de la Liberté religieuse : Côte d’Ivoire, https://www.liberte-religieuse.org/cote-divoire/, consulté en avril 2020.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 décembre 2021, Monsieur (N) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, il renvoie, en ce qui concerne les faits de la cause, à son exposé tel que figurant dans sa requête introductive de première instance et aux pièces du dossier administratif, et notamment à son rapport d’audition. L’appelant fait valoir en substance qu’il serait de nationalité ivoirienne et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison des difficultés rencontrées avec des membres de sa famille à cause de sa conversion, respectivement son projet de conversion à la religion chrétienne, et ce alors que les membres de sa famille seraient tous musulmans et que certains occuperaient mêmes des fonctions éminentes comme celle d’Imam.

Il dit ainsi risquer la mort en cas de retour dans son pays d’origine.

En droit, l’appelant reproche en substance aux premiers juges d’avoir fait une appréciation erronée des faits de la cause.

Il déclare ensuite renoncer à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, limitant ainsi sa demande à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, tout en soulignant qu’il aurait déjà subi des actes de violences avant son départ de la Côte d’Ivoire, en se référant à un coup de couteau reçu au niveau de la jambe. Il ajoute que le fait de devoir vivre dans la peur de subir de tels traitements inhumains constituerait un traitement dégradant tout comme le fait de vouloir l’amener à renoncer à ses croyances religieuses par des violences.

Il fait encore valoir qu’il ne pourrait pas compter sur la protection des autorités ivoiriennes au motif que l’Etat ivoirien serait fragilisé à ce point que sa plainte qu’il aurait voulu déposer après avoir reçu le coup de couteau n’aurait pas été enregistrée. Cette incapacité sinon absence de volonté des autorités ivoiriennes serait confortée par la situation générale prévalant en Côte d’Ivoire largement marquée par un accès insuffisant aux autorités de police et judiciaires lesquelles seraient affectées par des problèmes de corruption et de manque d’impartialité. A cet égard, il renvoie à un rapport de mission en République de Côte d’Ivoire de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA) de 2019 et à des articles de presse dont il cite des extraits. Il considère ainsi, à la différence des premiers juges, que l’on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir insisté auprès d’autres services de police pour obtenir une protection au vu de « l’état de déliquescence » de l’Etat ivoirien.

Il estime partant remplir les conditions pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

Enfin, il conteste toute possibilité de fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, et ce pour des considérations pratiques, alors qu’il se trouverait dans un état de dénuement complet, tout en soulignant que la charge de la preuve quant à l’existence d’une telle possibilité reposerait sur la partie étatique qui devrait procéder à une appréciation in concreto. Or, sa situation personnelle permettrait raisonnablement d’exclure qu’il puisse s’installer dans une autre partie de son pays d’origine, alors qu’une telle réinstallation exigerait des moyens financiers dont il ne disposerait pas.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel.

Il échet tout d’abord de donner acte à l’appelant de ce qu’il renonce à sa demande principale de reconnaissance du statut de réfugié et qu’il ne maintient que sa demande de protection subsidiaire.

Le litige sous examen est légalement cadré par l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Si les actes invoqués répondent à la qualification d’atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, ils doivent encore émaner de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’Etat ou des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

C’est à bon escient que les premiers juges ont précisé que les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, de sorte que le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que la demande de protection subsidiaire n’est pas justifiée.

En l’espèce, l’appelant ne faisant valoir ni un risque de subir la peine de mort, ni l’exécution ou encore la torture, ni encore l’existence d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, les craintes invoquées par lui appellent la Cour à examiner s’il est ou non fondé à faire état d’une crainte de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) de l’article 48 de la même loi.

Ceci dit, au vu des faits de la cause qui sont en substance les mêmes que ceux soumis aux juges de première instance, la Cour arrive à la conclusion que les premiers juges les ont appréciés à leur juste valeur et en ont tiré des conclusions juridiques exactes.

L’appelant se prévaut en substance de violences et de menaces de mort émanant de membres de sa famille et de son entourage qui seraient opposés à sa conversion au christianisme.

La Cour considère toutefois, à l’instar des premiers juges, et au-delà de toutes considérations relatives à la gravité de ces actes, que l’appelant ne saurait prétendre à la reconnaissance du statut de protection subsidiaire que s’il ne peut pas compter sur la protection de ses autorités nationales.

C’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’inaction des policiers du commissariat auxquels l’appelant s’était adressé suite à l’agression au couteau ne saurait, à elle seule, permettre de conclure à un défaut de protection des autorités ivoiriennes, dès lors que l’appelant aurait pu avoir recours à d’autres instances compétentes pour réagir contre les éventuels écarts des policiers locaux, voie non empruntée par l’appelant. La Cour renvoie pour le surplus aux développements exhaustifs et pertinents y afférents des premiers juges, qui n’ont pas été ébranlés fondamentalement par les conclusions de l’appelant.

Cette conclusion n’est pas invalidée par les extraits de rapports internationaux et les articles de presse produits en cause, documentant notamment un problème général de corruption sévissant en Côte d’Ivoire, essentiellement faute d’une mise en relation des constats généraux s’en dégageant avec la situation personnelle et concrète de l’appelant.

Il n’appert partant pas à suffisance que l’appelant soit démuni de toute possibilité d’obtenir une aide et une protection étatiques en cas de retour en Côte d’Ivoire si jamais ses proches allaient s’en prendre à lui.

Il suit de ce qui précède que l’appelant reste toujours en défaut de démontrer à suffisance de droit un défaut de protection de la part de ses autorités nationales.

Pour le surplus, la Cour est amenée à constater, à l’instar de l’autorité ministérielle, que l’appelant appert bénéficier d’une possibilité raisonnable de fuite interne, étant donné que ses craintes invoquées n’ont qu’un caractère local et qu’au vu de son âge et de son expérience professionnelle, il lui est possible de se réinstaller dans une autre partie de la Côte d’Ivoire, le seul argument opposé par l’appelant relatif à un manque de moyens financiers rendant matériellement impossible une telle réinstallation n’étant guère convaincant au regard de sa fuite à l’étranger.

Au vu de cette conclusion, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause. En effet, dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut conféré par la protection subsidiaire et que le refus d’octroi de ce statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est encore à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, donne acte à l’appelant qu’il renonce à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 23 novembre 2021, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 février 2022 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46825C
Date de la décision : 08/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-02-08;46825c ?

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