La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46740C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 février 2022, 46740C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46740C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46740 Inscrit le 29 novembre 2021

___________________________________________________________________________

Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Monsieur (C), …, contre un jugement du tribunal administratif du 26 octobre 2021 (n° 46408a du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46740C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 29 novembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (C), né l...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46740C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46740 Inscrit le 29 novembre 2021

___________________________________________________________________________

Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Monsieur (C), …, contre un jugement du tribunal administratif du 26 octobre 2021 (n° 46408a du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46740C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 29 novembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (C), né le … à … (Algérie) et de nationalité algérienne, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 26 octobre 2021 (n° 46408a du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 août 2021 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, décision prise dans le cadre d’une procédure accélérée et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 24 décembre 2021;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 25 janvier 2022.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 7 juin 2021, Monsieur (C) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après reprise par les termes la « loi du 18 décembre 2015 ».

1 Les déclarations de Monsieur (C) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 15 juin 2021, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 août 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après le « ministre », résuma les déclarations de Monsieur (C) comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 juin 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 15 juin 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Vous déclarez être de nationalité algérienne, d'ethnie berbère, célibataire et originaire de …, où vous auriez vécu avec votre mère, votre frère et votre sœur dans un « logement de fonction ». Vous auriez quitté l'Algérie parce que vous y auriez été « persécuté » par votre famille à cause de votre orientation sexuelle.

Vous affirmez en effet être homosexuel depuis l'âge de quinze ans et avoir eu, en 2001, une relation avec un dénommé (X). En 2012, vous auriez rencontré votre voisin gay, un dénommé (Y), que vous auriez fréquemment vu. En octobre 2014, vous auriez été « attrapé en flagrant délit » par votre oncle (M) lorsque vous auriez embrassé (Y) dans une voiture devant votre logement. Par la suite, « tout » aurait basculé alors que le lendemain, en allant au travail, des personnes cagoulées seraient apparues, vous auraient mis une cagoule sur la tête et vous auraient emmené avec leur voiture dans la « caserne des renseignements » qui se trouverait à …. Vous auriez été placé dans une cellule, où votre oncle (K), qui serait « lieutenant des renseignements », se serait adressé à vous pour vous signaler que vous auriez fait honte à la famille et que vous devriez en assumer les conséquences. Vous auriez alors été enfermé dans une « cave » pendant six mois, au cours desquels vous auriez été frappé et privé de sommeil, vous vous seriez fait mordre par un chien, fait lacérer le visage, entailler la peau et administrer de force des cachets. Vous dites qu'on n'aurait pas voulu vous tuer mais vous rendre fou. Après six mois, vers mai 2015, on vous aurait laissé partir parce que vous auriez arrêté de parler et qu'on aurait du coup estimé que vous auriez « perdu la tête » (p. 7 du rapport d'entretien) et vous seriez allé vous cacher chez (Y). Pendant ce temps, un médecin serait venu vous soigner, vous auriez vidé vos comptes, vous vous seriez procuré un visa pour la Turquie et vous auriez quitté le pays.

Par contre, vous prétendez aussi qu'après votre libération, « tout a commencé avec mes oncles » (p. 4 du rapport d'entretien) haut-placés, les dénommés (M), qui serait maire d'…-

Centre et (B), le maréchal d'…-Centre, qui aurait « effacé les traces » pour vous empêcher de déposer plainte. Ensuite, vous changez toutefois de version, en expliquant que ces personnes seraient à l'origine de vos problèmes alors que votre oncle (M) vous aurait justement dénoncé auprès de votre famille après vous avoir vu embrasser (Y), ce qui aurait conduit à votre enlèvement. Quant au dénommé (B), il aurait fait « taire la police » après que vous auriez voulu déposer plainte à une date inconnue pour un fait non précisé: « Je voulais déposer plainte auprès de la police mais ils m'en ont empêché » (p. 7 du rapport d'entretien). Ainsi, 2vous prétendez selon toute apparence, avoir voulu déposer plainte contre votre oncle maire d'… et l'autre qui serait maréchal, tout en affirmant en même temps que « Tu ne peux pas demander d'aide à l'Etat quand ta famille est l'Etat » (p. 8 du rapport d'entretien).

Vous précisez que l'homosexualité serait interdite en Algérie et que la loi en question serait toujours appliquée bien qu'en pratique « ce genre d'affaires se règle en famille » (p. 5 du rapport d'entretien). En plus, il y aurait beaucoup de salafistes dans le … de … qui s'en prendraient aux homosexuels. En cas d'un retour en Algérie, vous craindriez mourir.

En 2015, vous auriez quitté l'Algérie moyennant un visa émis par les autorités turques, à bord d'un avion en direction de la Turquie. Après trois ou quatre mois passés en Turquie, vous auriez quitté ce pays pour une raison inconnue en direction de la Grèce, où vous seriez resté plusieurs mois de façon clandestine avant de quitter ce pays pour une raison inconnue pour les Balkans. Après six mois et après avoir payé 6.000 euros à un passeur, vous auriez gagné l'Autriche, où vous seriez resté deux ou trois mois, avant de partir pour l'Allemagne, puis la Belgique, en y séjournant à chaque fois quelques mois avant de quitter ces pays pour des raisons inconnues. Vous vous seriez ensuite installé pendant quelque temps en France avant de retourner vivre en Belgique. Par la suite, vous auriez gagné l'Allemagne et la Pologne à la recherche d'un emploi, pour finalement vous diriger vers l'Ukraine, en passant de nouveau par l'Autriche puis la Hongrie, après qu'une amie vous y aurait trouvé un travail dans la construction. Vous n'auriez eu aucun mal à traverser toutes ces frontières et vous n'auriez à aucun moment pendant ces cinq années été contrôlé par qui que ce soit. Vers 2018, vous seriez retourné vivre en Pologne et en Allemagne, où vous seriez resté quatre mois, avant de retourner en Belgique « dans le cadre d'un emploi » (p. 4 du rapport d'entretien). Après de nombreux aller-retours entre la Belgique et la France, vous prétendez être arrivé au Luxembourg le 4 juin 2021, à bord d'un train depuis la Belgique. Vous précisez ne jamais avoir recherché une protection internationale dans les nombreux pays européens visités parce que « Je n'en ai pas eu besoin vu que j'avais du travail la plupart du temps » (p. 4 du rapport d'entretien). Vous prétendez par contre aussi que vous n'y auriez jamais entrepris des quelconques démarches pour rechercher une protection parce que vous auriez estimé qu'on ne pourrait pas introduire une demande de protection internationale si son pays d'origine n'est pas en guerre.

Vous ne présentez pas de pièce d'identité en précisant que vous auriez été en possession de tous vos documents pendant les cinq ans passés en Europe, mais qu'ils vous auraient été volés quelques minutes avant le départ de votre train pour le Luxembourg, raison pour laquelle vous n'auriez pas pu déposer plainte.

En juin 2021, vous avez versé un certificat médical établi à votre demande en date du 11 juin 2021 et énumérant des cicatrices se trouvant sur votre corps pour une raison inconnue.

Le 26 juin 2021, votre mandataire a encore versé un article de presse du 24 novembre 2017, informant que le maire sortant d'…-Centre, (M), a été réélu, un autre article paru en octobre 2018, informant que le maire d'…, le dénommé (P), a promis de « dynamiser la capitale », un article de juillet 2020, informant sur la nomination d'un dénommé (O) en tant que directeur des unités républicaines de sécurité et un article d'août 2020, informant sur la vie de (O).

(…) ».

Le ministre informa ensuite Monsieur (C) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a), de la loi du 18 décembre 2015 et que 3sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre motiva sa décision par la mise en doute de la sincérité des propos de Monsieur (C) au vu du caractère incohérent, improbable et non plausible de ses dires, de son comportement adopté depuis son départ d'Algérie et du fait qu’il ne serait pas en mesure de prouver ses dires par des preuves objectives ou concrètes.

Ainsi, le fait d’avoir, depuis son départ d’Algérie en 2015, voyagé d’un pays à l’autre en Europe sans déposer de demande de protection internationale ne serait évidemment et manifestement pas le parcours d'une personne persécutée dans son pays d'origine et qui serait à la recherche d'une protection dans un pays sûr. Au contraire, son périple à travers l'Europe pendant six années entières s'inscrirait très clairement dans un contexte purement économique, d'autant plus qu’il aurait confirmé avoir entrepris ces voyages à la recherche d'un emploi. Ce constat serait encore renforcé par les explications contradictoires de Monsieur (C) selon lesquelles il n'aurait tout simplement pas songé à introduire une demande protection internationale pendant les six dernières années parce qu’il n’en aurait pas eu besoin vu qu’il aurait eu du travail la plupart du temps, tout en affirmant avoir estimé ne pas pouvoir introduire une telle demande de protection alors que son pays d'origine ne se trouverait pas en guerre.

A cela s'ajouterait que Monsieur (C) ne fournirait aucune pièce pour corroborer ses dires et pour établir ses allégations concernant son identité, sa vie familiale, ses liens de famille, sa vie sociale ou professionnelle, voire sa relation prétendument homosexuelle avec son voisin, le ministre relevant encore que l’explication quant à l’absence de tout élément de preuve, notamment quant à son identité, ne serait manifestement pas convaincante.

Dans ce contexte, le ministre estima que les quatre articles de presse relatifs aux dénommés (M), (P) et (O) ne seraient d’aucune pertinence pour ne pas concerner les craintes mises en avant par le demandeur de protection et à défaut de prouver le lien de famille avec ces derniers, d’autant plus que le récit de Monsieur (C) ne serait pas concordant, notamment en ce qui concerne les noms et fonctions exacts de certains d’entre eux.

Par ailleurs, les déclarations de Monsieur (C) sur les éléments-clefs de son récit seraient totalement vagues, superficielles et incohérentes, notamment en ce qui concerne la chronologie et le déroulement exact des faits.

Ainsi, selon une première version, Monsieur (C) aurait été enlevé après avoir été surpris par son oncle au moment d’embrasser son petit-ami, auprès duquel il se serait caché après sa libération jusqu’à son départ de l’Algérie, tandis que dans une seconde version, ce ne serait qu’après sa libération que tout aurait commencé avec ses oncles, contre lesquels il aurait même tenté de porter plainte, mais qui auraient fait en sorte d’effacer les traces des infractions commises à son encontre, tout en empêchant la police de recevoir sa plainte.

Le ministre nota, au-delà de ces incohérences, qu'il ne serait tout simplement pas crédible qu’une personne prétendument homosexuelle dans un pays où l'homosexualité serait interdite par la loi, aurait voulu déposer plainte contre le maire d’…-Centre, qui aurait rendu son homosexualité publique, ainsi que contre son oncle « maréchal », d’autant plus que Monsieur (C) aurait affirmé qu'en Algérie, il ne serait pas possible de demander de l'aide à l'Etat quand sa « famille est l'Etat ».

4Ce constat vaudrait d'autant plus au motif que Monsieur (C) n’expliquerait pas pourquoi il aurait voulu déposer plainte contre le maire d'…-Centre, respectivement quelles traces ce dernier aurait bien pu « effacer » pour ainsi l’en empêcher, tout comme il resterait totalement incompréhensible pourquoi ledit « maréchal » aurait dû « faire taire » des policiers, alors même que Monsieur (C) n'aurait jamais été en mesure de déposer une plainte auprès de ces derniers.

Il ne serait manifestement pas non plus crédible que deux personnes homosexuelles décideraient en Algérie, où l'homosexualité serait donc interdite par la loi, de s'embrasser en plein jour aux yeux de tous et devant leurs logements respectifs, et que l’oncle de Monsieur (C), maire d'…-Centre, se serait trouvé par hasard dans la ville de ce dernier.

Ensuite, le ministre s’interrogea sur les raisons exactes qui ont finalement amené Monsieur (C) à quitter son pays d’origine, étant donné qu’il aurait été libéré par sa famille et qu’il n’aurait plus fait état d'autres problèmes, ni même de menaces, par la suite et pendant les mois qu’il aurait vécu chez son voisin et petit-ami, soit à quelques mètres de la maison familiale et dans la maison même de son petit-ami dont l'homosexualité aurait également été dénoncée, respectivement, dévoilée au même moment.

Enfin, le départ officiel depuis un aéroport ne ferait pas de sens non plus pour une personne se prétendant persécutée, respectivement craignant prétendument des persécutions futures par sa propre famille dont ferait partie le maire d'…, un « maréchal » et le chef des renseignements.

Finalement, le fait que Monsieur (C) aurait entretenu une seule relation homosexuelle pendant toute sa vie ne ferait d'ailleurs que confirmer les doutes évidents quant à sa prétendue orientation sexuelle, d'autant plus qu’il ne ferait pas non plus état d'une quelconque relation homosexuelle qu’il aurait entretenue depuis les six ans qu’il vivrait désormais en Europe, où il aurait pourtant pu vivre librement son homosexualité.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2021, Monsieur (C) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 août 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de celle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 26 octobre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en condamnant ce dernier aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 29 novembre 2021, Monsieur (C) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 26 octobre 2021.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

Ainsi, il réexpose être originaire d’Algérie et avoir quitté son pays d'origine au courant de l'année 2015 du fait des problèmes y subis en relation avec son homosexualité et qu’il serait dans l’impossibilité d’y vivre ouvertement.

5 En effet, son oncle (M) ayant découvert son orientation sexuelle, l’aurait fait séquestrer et gravement violenter avec la complicité d’autres membres de sa famille, (coups de bâtons, de pieds, de bouteille et de couteaux, privation de sommeil, administration forcée de cachets, etc.).

Il se trouverait partant dans une position de particulière vulnérabilité dans son pays d'origine, en raison de son homosexualité, qui y serait interdite, d’une part, et du fait que les personnes à l'origine des violences par lui subies occuperaient de hautes fonctions dans l'Etat algérien, d’autre part.

Il précise qu’après avoir quitté son pays d'origine en 2015, il aurait traversé plusieurs pays européens dans lesquels il aurait séjourné et travaillé de manière clandestine, trouvant ainsi une manière de se protéger par ses propres moyens, étant précisé que ses démarches, notamment auprès de l'OFPRA en France, l'auraient dissuadé de solliciter une protection internationale au motif que son pays d’origine ne serait pas en guerre.

Sur ce, il reproche aux premiers juges d'avoir retenu que c'est à bon droit que le ministre a considéré que les faits à la base de sa demande de protection internationale manqueraient de pertinence au regard des critères sur base desquels se détermine le droit à l'a protection internationale et que partant sa demande a été rejetée dans le cadre d'une procédure accélérée.

Selon l’appelant, tant le recours à la procédure accélérée que la décision de rejet d’un statut de protection seraient viciés.

Dans ce contexte, il fait valoir que la prétendue incrédibilité de son récit reposerait sur une mauvaise appréciation des éléments de la cause et des dispositions légales applicables, soutenant que l’appréciation de la crédibilité du récit d’un demandeur de protection internationale devrait se faire au regard de sa situation personnelle mais encore de celle générale existant dans son pays d'origine.

Sur ce, concernant la situation générale des homosexuels en Algérie, il dépeint une situation d’homophobie générale s’inscrivant dans un cadre légal de sorte qu’elle serait difficilement à combattre.

Se référant à différentes sources internationales, il pointe le fait que les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe resteraient érigées en infractions pénales et insiste sur des discriminations notamment des homosexuels qui seraient quotidiennes, de même que des brimades, harcèlements et autres exactions.

Concernant les prétendues incohérences ou invraisemblances au niveau de son récit, il estime les avoir expliquées et dissipées à suffisance par ses explications.

Ensuite, il estime que l’on ne devrait pas lui reprocher l’absence d’éléments de preuve tangible, reprochant à l’autorité ministérielle de ne pas avoir activement coopéré avec lui au niveau de l'évaluation de sa demande en vue de la réunion de l'ensemble des éléments de nature à l’étayer sa demande.

Plus concrètement, il expose qu’en raison de la rupture de sa relation avec les membres de sa famille, qui réprouveraient son homosexualité, ils existeraient des raisons légitimes quant 6à son impossibilité de produire des éléments de preuve additionnels à ceux par lui fournis, dont un certificat médical et des articles de presse au sujet de Messieurs (M) ou (P) et (O).

Sur ce, il soutient que tous les membres de sa famille, dont il ferait état dans ses déclarations, seraient suffisamment identifiés pour permettre de retenir qu'ils appartiennent à sa famille.

Il réaffirme avoir effectivement et vainement tenté de porter plainte contre sa séquestration et réaffirme que son récit à propos de son périple correspondrait bien à la réalité des choses.

Concernant le fait de ne pas avoir recherché une protection internationale dès son arrivée en Europe en 2015, il réaffirme le fait d’en avoir été dissuadé par le personnel de l'OFPRA.

Son récit devrait être considéré comme avéré, ne serait-ce qu’au regard du bénéfice du doute, comme suffisamment détaillé et non point lacunaire ou flou, et comme ayant trait à des actes d’une gravité indéniable justifiant l’octroi d’une mesure de protection internationale.

Le jugement a quo serait partant à réformer et le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire, devrait lui être accordé et l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois devrait à son tour être rapporté.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

7 Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Enfin, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

En l’espèce, si le recours à la procédure accélérée pour examiner et trancher la demande de protection internationale de l’appelant n’est pas à analyser à nouveau par le juge appelé à examiner le bien-fondé de la demande de protection internationale de l’intéressé, l’issue de la cause dépend néanmoins de l’analyse de la même question que celle qui a motivé le ministre à se placer dans le cadre de l’article 27, paragraphe (1), point a), de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la crédibilité générale de l’appelant, laquelle a été intégralement mise en doute par la partie gouvernementale.

Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que la crédibilité générale du récit de l’appelant est fondamentalement affectée par un récit vague et truffé de contradictions, d’imprécisions et d’incohérences patentes.

La Cour ne saurait par ailleurs point suivre l’appelant en ce qu’il soutient que ces explications renverseraient ce constat.

Dans ce contexte, c’est à bon escient que les premiers juges ont pointé le fait que le récit que l’appelant a présenté lors de son audition est confus au niveau de la chronologie et du déroulement exact des évènements-clefs de son récit.

Ainsi, après avoir soutenu, dans un premier temps, avoir été séquestré après avoir été surpris par son oncle en train d’embrasser son ami et s’être caché après sa libération pour ensuite quitter son pays d’origine dès l’obtention d’un visa, il change de version pour soutenir par après que c’est seulement suite à sa libération que ses problèmes avec ses oncles auraient commencé, étant donné qu’ils l’auraient empêché de déposer une plainte, fait dont il n’a pas initialement été question, ses oncles ayant profité de leurs positions pour effacer des traces, d’ailleurs non autrement spécifiées, et pour faire taire la police, qui n’aurait pourtant jamais pu être concrètement saisie.

L’intéressé reste aussi essentiellement vaseux en ce qui concerne le nom et la fonction du cousin de son prétendu oncle, et partant a priori nécessairement du cousin de son propre 8père, que l’appelant a initialement dénommé (B), occupant la fonction de « maréchal d’…-

Centre », alors que les articles de presse, versés par lui-même, concernent un certain (O), occupant la fonction de directeur des unités républicaines de sécurité. Faute de production de la moindre pièce relativement au lien de parenté allégué, la prétendue identité de ces deux personnes reste douteuse.

Les explications de l’intéressé relativement à sa prétendue impossibilité d’établir son lien de parenté avec (O), voire celui avec (M), en raison de sa rupture avec sa famille ne sont en tout cas pas convaincantes.

Les premiers juges sont encore à confirmer en ce qu’ils ont insisté sur l’absence du moindre effort de l’appelant, ne serait-ce pour documenter son identité et pour voir remplacer le passeport prétendument lui volé, dont il a bien disposé et qui lui a permis de quitter officiellement l’Algérie.

Le constat de non-crédibilité du récit que suscite l’ensemble des approximations et contradictions au niveau du récit de l’appelant est singulièrement renforcé par l’omission de l’intéressé de solliciter une protection internationale pendant quelques six années suite à son départ d’Algérie et un séjour dans plus d’une dizaine de pays européens différents. Les explications de ne pas avoir introduit une demande de protection internationale dès qu’il en avait la possibilité laissent de convaincre. En effet, l’appelant a séjourné dans plusieurs autres pays et séjourné en Europe pendant pratiquement deux années avant d’arriver en France, d’une part, et avec un vécu comme celui invoqué, c’est-à-dire après avoir frôlé d’être exécuté et après avoir tenté de se suicider du fait des exactions subies, l’on ne se laisse guère dissuader définitivement par un organisme d’un des Etats où l’on cherche refuge, d’autre part.

Il s’ensuit que le rejet ministériel de la demande de protection internationale de l’appelant se trouve justifié, l’intéressé faute de présenter un récit crédible, est resté en défaut de présenter des faits d’une quelconque pertinence pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 29 novembre 2021 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

9 Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46740C
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-02-01;46740c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award