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01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46704C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 février 2022, 46704C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46704C ECLI:LU:CADM:2022:46704 Inscrit le 19 novembre 2021

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Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Monsieur (Z), alias (Z1), …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2021 (n° 45105 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46704C du rôle, déposé au greffe

de la Cour administrative le 19 novembre 2021 par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 46704C ECLI:LU:CADM:2022:46704 Inscrit le 19 novembre 2021

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Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Monsieur (Z), alias (Z1), …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2021 (n° 45105 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46704C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 19 novembre 2021 par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (Z), alias (Z1), né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-… …, …, …enberg, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 18 octobre 2021 (n° 45105 du rôle), l’ayant débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 septembre 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 décembre 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 25 janvier 2022.

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Le 5 août 2019, Monsieur (Z), alias (Z1), ci-après dénommé « Monsieur (Z) », fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », dans le cadre d’un programme de relocalisation au Luxembourg, après avoir introduit le 11 juillet 2019, une demande de protection internationale auprès des autorités italiennes.

1 Le 9 septembre 2019, Monsieur (Z) introduisit auprès du service compétent du ministère, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (Z) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée-police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 3 et 12 février 2020, Monsieur (Z) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale et déclara à cette occasion se nommer « (Z1) ».

Par décision du 15 septembre 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (Z) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 9 septembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Monsieur, notons que vous êtes venu au Luxembourg par le biais d’un programme de relocalisation depuis l’Italie en date du 9 septembre 2019 alors que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie le 11 juillet 2019.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport d’entretien effectué en Italie le 5 août 2019, le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 septembre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 3 et 12 février 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi qu’un acte de naissance versé à l’appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre récit que vous seriez né à … au Cameroun et que vous y auriez vécu avec votre mère. Vous auriez obtenu le diplôme de l’école secondaire en 2015 et auriez ensuite travaillé dans la ….

En ce qui concerne le départ de votre pays d’origine, vous évoquez avoir quitté le Cameroun le 12 août 2018 en direction du Niger avec une escale d’environ un mois au Nigeria.

Vous seriez ensuite parti en Libye, où vous auriez été kidnappé et emprisonné pendant quatre ou cinq mois, avant de vous enfuir et de rejoindre l’Italie par bateau.

2 Monsieur, vous évoquez avoir quitté votre pays d’origine en raison de la détérioration de la situation sécuritaire dans votre région d’origine suite au conflit entre les francophones et les anglophones, les « Ambazonians » « wanted to gain the independency of Southern Cameroon » (p.5/11 du rapport d’entretien). Dans ce contexte, vous évoquez que les « Ambazonians » vous auraient humilié et auraient proféré des menaces à votre égard à quatre reprises après votre refus de les rejoindre « to fight the trouble » (p.4/11 du rapport d’entretien). Ils vous auraient mis tellement de pression que vous auriez pris la fuite en direction de l’Europe.

Vous évoquez craindre d’être tué par les « Ambazonians » en cas d’un retour dans votre pays d’origine.

Vous indiquez ne pas avoir souhaité vous installer ailleurs au Cameroun parce que « I would be considered like a betrayer if I leave the Southern region. Another reason is that I was born and raised in … and I don’t know anyone in … or elsewhere […] If you go to the French Cameroon, the officers on the check points check your ID, they welcome you. But during the evening time, the Government has special forces who come to the houses, check your ID and take you with them. Some people are taken and never found » (p.7/11 du rapport d’entretien).

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant tout progrès en cause, notons que les problèmes rencontrés en Libye ne sont pas pris en considération dans le cadre de l’évaluation de votre demande de protection internationale. En effet, suivant l’article 2 de la Loi de 2015 sont pris en compte dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale uniquement les faits qui se sont déroulés dans le pays d’origine du demandeur respectivement les craintes exprimées en relation avec le pays d’origine. Etant donné que vous êtes de nationalité camerounaise, les faits qui se seraient déroulés en dehors de votre pays d’origine, c’est-à-dire le Cameroun, ne sauraient pas être pris en considération dans l’évaluation de votre demande de protection internationale.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

3 L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur vous indiquez craindre en cas de retour au Cameroun de subir des représailles de la part des « Ambazonians » qui vous auraient menacé et humilié après avoir refusé de les rejoindre. Ces craintes entrent dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Or, ils ne revêtent manifestement pas un degré de gravité tel qu’ils puissent être assimilés à une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève, puisqu’à part d’avoir été menacé oralement à quatre reprises, rien ne vous est arrivé.

Quand bien même ces faits seraient liés à l’un des critères énumérés par la Convention de Genève et qu’ils seraient suffisamment graves pour constituer un acte de persécution notons que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet il ne ressort pas du rapport d’entretien que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l’encontre des « Ambazonians ». Vous indiquez de manière claire et non équivoque que vous n’avez à aucun moment porté plainte contre les « Ambazonians », de sorte qu’on ne saurait reprocher une quelconque défaillance aux forces de l’ordre qui n’ont jamais été mises en mesure d’effectuer leur mission.

Ajoutons à titre d’information qu’« en juin 2018, le gouvernement camerounais lance un plan d’assistance humanitaire (The Government emergency humanitarian assistance plan in the North-West and South-West regions 2018-2019) aux populations touchées par le conflit.

Ce plan prévoit notamment une assistance humanitaire d’urgence aux populations dans le besoin, la réinsertion socioéconomique des populations affectées et la réhabilitation des infrastructures détruites »1.

Notons que le gouvernement camerounais est en train d’activement remédier à la « Crise anglophone », et ce entre autres par un dialogue national et par une médiation entre les deux camps : Le grand dialogue national s’est achevé le 4 octobre 2019 avec « Au final, un compromis sera finalement trouvé entre les deux parties. Selon le porte parole de l’événement (E), les principales mesures adoptées concernent, entre autres, le « retour à l’appellation ‘République unie du Cameroun’ (elle avait été abrogée en 1984 par le président (B) au profit de l’appellation ‘République du Cameroun’ ndlr), la rotation de la célébration de la fête nationale dans les régions, ainsi que l’accélération de la décentralisation avec un statut spécial pour les régions anglophones » »2. De plus, « Alors que le Grand dialogue national vient de se clôturer à …, l’ex-journaliste (J) a commencé les consultations dans le cadre d’une mission de médiation visant à trouver des solutions à la crise anglophone qui secoue le Cameroun. (B) 1 CGRA : COI Focus Cameroun, la crise anglophone : situation sécuritaire, octobre 2019, https://www.ecoi.net/en/file/local/2017515/coi_focus_cameroun._la_crise_anglophone._situation_securitaire.pdf, consulté en septembre 2020.

2 Jeune Afrique : Cameroun : Le Grand dialogue national s'achève avec un statut spécial pour les régions anglophones, 4 octobre 2019, https://www.jeuneafrique.com/838762/politique/cameroun-le-grand-dialogue-national-sacheve-avec-un-

statut-special-pour-les-regions-anglophones/, consulté en septembre 2020.

4a confié à l’ancien journaliste (J) (qui avait été son unique interviewer à la télévision), aujourd’hui patron de l’agence de communication (A), une mission de médiation dans la crise anglophone »3. Ceci confirme la volonté du gouvernement de trouver une solution durable à cette crise.

De plus, les forces de la sureté nationale camerounaises sont chargées de maintenir l’ordre public : « Le maintien de l’ordre public peut se définir comme un ensemble de mesures et de dispositions prises par les autorités compétentes, pour éviter le désordre social. Il vise à préserver la paix sociale, la tranquillité publique, la sécurité des personnes et des biens. Et lorsque cet ordre a été perturbé, des mesures adéquates sont prises pour un retour au calme »4.

Ainsi il convient de conclure que vous auriez aisément pu solliciter les autorités de votre pays d’origine pour dénoncer ces faits et chercher de l’aide. Ceci est d’autant plus vrai que vous êtes un homme adulte, libre de ses choix, de sorte qu’il n’existe aucune raison justifiant votre manque d’engagement dans ce contexte.

Il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’une infraction, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

De plus notons que vous auriez pu vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine pour être à l’abri de représailles des « Ambazonians ».

Relevons dans ce contexte qu’il ressort d’une analyse approfondie de la situation sécuritaire actuelle au Cameroun (voir COI Focus « Cameroun. La crise anglophone :

Situation sécuritaire » de 2019) qu’il s’agit d’un conflit plutôt localisé qui se limite principalement aux deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Depuis l’été 2018, le conflit s’est étendu à d’autres régions du pays, où la violence reste cependant relativement limitée. On a notamment rapporté une vingtaine d’incidents dans les régions francophones de l’Ouest et du Littoral. Il ressort toutefois clairement des informations que la violence liée à la crise anglophone est actuellement d’ampleur plutôt limitée dans la partie francophone du pays5, et qu’elle n’y prend pas un caractère au point de pouvoir affirmer qu’un civil, du seul fait de sa présence, y court un risque réel de persécution.

3 Jeune Afrique : Crise anglophone au Cameroun : (B) confie une médiation à l'ex-journaliste (J), 7 octobre 2019, https://www.jeuneafrique.com/mag/838839/politique/crise-anglophone-au-cameroun-paul-biya-confie-

une-mediation-a-lex-journaliste-eric-chinje/, consulté en septembre 2020.

4 Délégation générale à la sureté nationale : Le maintien de l'ordre public https://www.dgsn.cm/index.php/le-maintien-de-lordre-public/, consulté en septembre 2020.

5 CGRA : COI focus : Cameroun. La crise anglophone : situation sécuritaire, https://www.cgvs.be/sites/default/files/rapporten/coi_focus_cameroun._la_crise_anglophone._situation_securitaire.pdf, consulté en septembre 2020.

5 Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Cameroun parce que vous auriez refusé d’intégrer le groupe des « Ambazonians » raison pour laquelle vous auriez été menacé par ces derniers.

A cet égard, il est utile de rappeler que vous auriez pu requérir à la protection des autorités camerounaises.

A cela s’ajoute qu’il convient de constater que vous êtes majeur et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine, comme … ou Bafoussam, pour être à l’abri de représailles des « Ambazonians ». Répétons que cette crise s’étend principalement sur les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et que la violence dans la partie francophone du pays ne prend pas un caractère généralisé et aveugle au point de pouvoir affirmer qu’un civil, du seul fait de sa présence, y court un risque réel de subir une atteinte grave telle que visée à l’article 48 de la Loi de 2015.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

6 3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine au motif que « I would be considered like a betrayer if I leave the Southern region. Another reason is that I was born and raised in … and I don’t know anyone in … or elsewhere » (p.7/11 du rapport d’entretien).

De plus, « If you go to the French Cameroon, the officers on the check points check your ID, they welcome you. But during the evening time, the Government has special forces who come to the houses, check your ID and take you with them. Some people are taken and never found » (p.7/11 du rapport d’entretien).

Notons dans ce contexte qu’il n’existe d’après les informations en nos mains pas une volonté des autorités camerounaises d’empêcher des citoyens anglophones de rejoindre la partie francophone et qu’il leur est possible de quitter la partie anglophone malgré l’existence de postes de contrôle entre les deux territoires 6.

Force est dès lors de constater que ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.

De plus, nous estimons que vous auriez pu vous réinstaller à …, la capitale du Cameroun, ou à …, ville portuaire, la capitale économique du Cameroun, le principal centre d’affaires et la plus grande ville avec …, au lieu de vous enfuir en direction de l’Europe.

Répétons à nouveau que la crise s’étend principalement sur les régions anglophones et que la violence reste relativement limitée dans d’autres régions du pays.

A cela s’ajoute que l’économie camerounaise, qui est la plus diversifiée de la région, a connu ces dernières années des taux de croissance au-delà des 4%, il convient donc de souligner qu’étant votre âge et votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous êtes dans une position qui pourrait vous permettre à gagner votre vie dans une ville camerounaise, en particulier à …7 où les industries comme brasseries, scieries, menuiseries, tabac, papeteries, mécanique et matériaux de construction se sont installées.

6 Office of the Commissioner General for Refugees and Stateless Persons (Belgium), COI unit: Cameroun - La crise anglophone : situation sécuritaire, https://www.ecoi.net/en/file/local/2017515/coi_focus_cameroun._la_crise_anglophone._situation_securlta lre.pdf consulté en septembre 2020.

7 France Diplomatie : Présentation du Cameroun, 26 mai 2017, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-

pays/cameroun/presentation-du-cameroun/, consulté en septembre 2020 7 Notons à toutes fins utiles qu’un bureau camerounais de l’Organisation internationale pour la migration (OIM) est implanté à … et aide les Camerounais qui reviennent dans leur pays d’origine à se réintégrer. L’initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants lancée en 2017 « a pour objectif de contribuer au renforcement de la gestion des migrations et assurer la protection, le retour et la réintégration durable des Camerounais »8.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2020, Monsieur (Z) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 15 septembre 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 18 octobre 2021, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 19 novembre 2021, Monsieur (Z) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, il expose avoir quitté son pays d’origine, le Cameroun et, plus particulièrement, sa région d’origine en raison du conflit opposant les francophones aux séparatistes anglophones, dénommés les « Ambazoniens ». Après avoir refusé de rejoindre la cause des Ambazoniens, il aurait été victime d’humiliations, de violences physiques et de menaces de mort qui l’auraient poussé à quitter sa région pour préserver la vie de sa mère et de ses sœurs.

En droit, l’appelant reproche en substance aux premiers juges d’avoir fait une appréciation erronée des faits de la cause.

Il critique plus particulièrement les premiers juges pour avoir retenu que ses déclarations ne seraient corroborées par aucun document. Il explique l’absence de pièces par l’urgence dans laquelle il aurait dû quitter le Cameroun. Il estime que la cohérence de son récit et les dangers bravés pour rejoindre l’Europe démontreraient le sérieux des raisons ayant présidé à son départ. La gravité de la situation sécuritaire dans son pays d’origine serait documentée à suffisance par les médias internationaux et les rapports des organismes internationaux. Il précise que l’accord conclu entre le gouvernement camerounais et les Ambazoniens invoqué par le ministre peinerait à être mis en œuvre et que des violences continueraient à être perpétrées par les deux camps.

8 OIM: Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants : Deux ans au service des migrants au Cameroun, https://rodakar.iom.int/fr/news/initiative-conjointe-ue-oim-pour-la-protection-et-la-

reintegration-des-migrants-deux-ans-au-service-des-migrants-au-cameroun, consulté en septembre 2020.

8 Il insiste ensuite sur le défaut de protection de la part de ses autorités nationales, lesquelles auraient du mal à assurer la sécurité des populations vivant dans les zones visées par les séparatistes anglophones. Il conteste toute possibilité de fuite interne en renvoyant à un rapport d’Amnesty International de 2020 sur le Cameroun, lequel indiquerait que les personnes déplacées à l’intérieur du pays ne seraient pas à l’abri de représailles. Il ajoute que les premiers juges auraient négligé la fracture existant entre les populations camerounaises, les anglophones ayant de réelles difficultés à s’intégrer dans la partie francophone du pays, et notamment au niveau de la langue parlée.

L’appelant estime partant remplir les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié ou à tout le moins le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

9 Sur le vu des faits de la cause qui sont en substance les mêmes que ceux soumis aux premiers juges, la Cour arrive à la conclusion que les premiers juges les ont appréciés à leur juste valeur et en ont tiré les conclusions juridiques exactes.

L’appelant fonde sa demande de protection internationale essentiellement sur la situation sécuritaire régnant dans son pays d’origine en raison de la crise anglophone et sa crainte de faire l’objet de représailles à cause de son refus de rejoindre les rangs des séparatistes anglophones.

Concernant tout d’abord la situation générale régnant au Cameroun, et plus particulièrement la situation sécuritaire actuelle, la Cour a jugé récemment, dans un arrêt du 15 décembre 2021 (n°46597C du rôle) que le Cameroun est certes affecté par une crise appelée « crise anglophone », avec des affrontements entre l’armée et les groupes séparatistes dans la lutte contre les séparatistes anglophones, causant des victimes parmi la population civile, mais qu’il s’agit d’un conflit localisé qui se limite principalement aux deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, tandis que la partie francophone du pays n’est pas affectée par les violences liées à la crise anglophone, mis à part quelques incidents isolés, de sorte que l’on ne peut pas affirmer que la situation générale serait telle que tout ressortissant du Cameroun, du seul fait de sa présence, y courrait un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves.

Concernant la situation particulière de l’appelant, c’est à bon escient que les premiers juges ont conclu que l’appelant est resté et reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève ou un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour au Cameroun.

En effet, si l’appelant dit craindre des représailles de la part des Ambazoniens pour avoir refusé de rejoindre leur combat, il ne se dégage pas à suffisance de droit des éléments de la cause qu’il ne peut pas compter sur la protection des autorités camerounaises.

Les premiers juges ont ainsi rappelé à bon escient qu’il faut que le demandeur de protection internationale ait au moins tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte, ceci au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.

Les premiers juges ont encore pointé à juste titre que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Or, d’après les déclarations de l’appelant, celui-ci n’a ni déposé plainte, ni recherché une protection auprès d’une autorité de son pays à la suite des menaces qu’il dit avoir reçues de la part des indépendantistes. La seule explication avancée que les autorités camerounaises ne seraient pas présentes dans la région Sud du pays et qu’elles considéreraient tous les 10habitants de cette région comme étant des terroristes et des traîtres ne saurait justifier cette omission, ce d’autant plus qu’il ne se dégage pas de son récit qu’il aurait par le passé vécu une quelconque expérience négative avec les autorités camerounaises.

C’est dans ce contexte que les premiers juges ont fait le constat que les affirmations de l’appelant restaient à l’état de simple allégation, aucun document, tel qu’un rapport d’une organisation internationale n’ayant été versé, qui démontrerait que toute tentative d’obtenir une protection auprès des autorités camerounaises serait nécessairement vouée à l’échec. La critique formulée par l’appelant à l’adresse des premiers juges pour avoir retenu que ses déclarations n’étaient corroborées par aucune pièce ne saurait porter, dès lors que les premiers juges ont simplement constaté que l’appelant n’avait versé aucune documentation sur la situation générale prévalant au Cameroun. Ce constat reste vérifié en instance d’appel. D’un autre côté, il se dégage des recherches de la partie étatique en première instance – non utilement contredites par l’appelant – que l’Etat camerounais a combattu dans un premier temps les séparatistes anglophones avant de trouver un compromis le 4 octobre 2019, en s’accordant notamment sur l’accélération de la décentralisation avec un statut spécial pour les régions anglophones du pays et que des consultations ont commencé dans le cadre d’une mission de médiation visant à trouver des solutions à la crise dans les parties anglophones du pays, de sorte qu’il ne saurait être retenu que l’Etat camerounais reste passif face à cette crise.

L’appelant ne démontre partant pas plus en appel qu’en première instance, qu’il ne pourrait pas compter sur une protection adéquate de la part des autorités camerounaises.

Pour le surplus, la Cour est amenée à constater, à l’instar de l’autorité ministérielle, que l’appelant appert bénéficier d’une possibilité raisonnable de fuite interne, étant donné que ses craintes invoquées n’ont qu’un caractère local et qu’au vu de son âge et de son expérience professionnelle, il lui est possible de se réinstaller dans la partie francophone du Cameroun, et notamment à …, la capitale du Cameroun, ou bien à …, ville portuaire et capitale économique du Cameroun. L’argument invoqué par l’appelant qu’il ne parlerait pas le français et qu’il lui serait partant difficile de s’intégrer dans la partie francophone du Cameroun n’est pas suffisamment sérieux pour écarter une alternative de fuite interne. De même, l’affirmation de l’appelant, non autrement documentée, que des personnes déplacées auraient été prises pour cible, ne permet pas d’invalider ce constat.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet.

L’appelant sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de la protection internationale, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Dans la mesure où le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de protection internationale – statut de réfugié et protection subsidiaire – et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

11 Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 18 octobre 2021 ;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

… CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46704C
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-02-01;46704c ?

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