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01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46585C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 février 2022, 46585C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46585C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46585 Inscrit le 19 octobre 2021 Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (P), …, contre un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2021 (n° 44954 du rôle) dans un litige l’opposant au ministre de l’Economie et au ministre des Finances en matière d’aides en faveur du secteur des classes moyennes Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 46585C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 19 octobre 2021 par Maî

tre Marc KERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46585C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46585 Inscrit le 19 octobre 2021 Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par la société à responsabilité limitée (P), …, contre un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2021 (n° 44954 du rôle) dans un litige l’opposant au ministre de l’Economie et au ministre des Finances en matière d’aides en faveur du secteur des classes moyennes Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 46585C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 19 octobre 2021 par Maître Marc KERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (P), établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 20 septembre 2021 (no 44954 du rôle) l’ayant déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du Ministre de l’Economie et du Ministre des Finances du 17 juillet 2020 portant refus d’octroi d’une aide gouvernementale au titre de la loi modifiée du 9 août 2018 relative à un régime d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 19 novembre 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 18 janvier 2022.

1Le 25 septembre 2019, la société à responsabilité limitée (P), ci-après « la société (P) », introduisit auprès du ministère de l’Economie une demande en obtention d’aides étatiques pour des prestations de conseil et de restructuration d’entreprise de la part de la société de droit belge (M) NV, ci-après « la société (M) ».

Sur demande du ministre des Classes moyennes, ci-après « le ministre », formulée par courrier du 14 octobre 2019, la société (P) transmit au ministère de l’Economie des pièces supplémentaires par courrier du 5 février 2020, à savoir deux factures accompagnées des avis de débit correspondants, ainsi qu’un document intitulé « operational audit » de la société (M) de janvier 2020.

Par un courrier du 17 juillet 2020, le ministre informa la société (P) du refus du ministre de l’Economie et du ministre des Finances, compétents pour l’octroi de l’aide sollicitée en vertu de l’article 1er, paragraphe (2), de la loi modifiée du 9 août 2018 relative à un régime d’aides en faveur de petites et moyennes entreprises, ci-après « la loi du 9 août 2018 », de faire droit à sa demande précitée du 1er octobre 2019 en considération de la motivation suivante :

« (…) Après délibération, la Sous-commission PME Artisanales et Commerciales établie par le Règlement grand-ducal du 12 octobre 2018 déterminant la composition et le fonctionnement de la Commission consultative chargée de l’examen des demandes d’aides a émis un avis défavorable.

Etant donné que votre demande n’a pas été soumise avant le commande, respectivement avant le début des travaux, l’effet incitatif exigé à l’article 15 de la loi n’a pas été respecté.

Sur base de ce qui précède, les Ministres de l’Économie et des Finances ne peuvent réserver une suite favorable à votre demande. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2020, la société (P) fit introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 17 juillet 2020.

Par jugement du 20 septembre 2021, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçut en la forme le recours subsidiaire en annulation, le déclara non justifié au fond pour en débouter la société (P), tout en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais.

Pour ce faire, le tribunal, après avoir cité l’article 15 de la loi du 9 août 2018, nota que ladite loi ne s’appliquait qu’aux aides ayant un effet incitatif et qu’une aide était réputée avoir un tel effet si le bénéficiaire avait présenté une demande d’aide écrite avant le début des travaux liés au projet ou à l’activité en question.

Il releva ensuite qu’il convenait d’analyser si, avant l’introduction de sa demande, la société (P) avait pris un « (…) engagement rendant l’investissement irréversible (…) », au sens de l’article 2, point 7., de la loi du 9 août 2018, celle-ci argumentant qu’une facture du 16 juin 2019 de la société (M) sur ….- €, réglée en date du 9 septembre 2019, serait à qualifier de facture d’acompte et que 2si le projet ne s’était pas réalisé, elle aurait récupéré l’argent ainsi versé à travers une note de crédit, tel que cela se dégagerait encore d’une attestation d’un dénommé …, « MD (M) », aux termes de laquelle « (…) invoice Fact. N° … (herewith attached) is to be considered as deposit invoice =

FACTURE D’ACOMPTE ! in case that the deal would not be concluded the client will be credited the total amount (…) ».

Sur ce, le tribunal retint que même à admettre que la somme de ….- € faisant l’objet de ladite facture soit effectivement à qualifier, non pas de contrepartie de travaux d’ores et déjà effectués, mais d’acompte, il n’en restait pas moins qu’en procédant au paiement de cette somme à titre d’acompte en date du 9 septembre 2019, soit avant l’introduction de sa demande d’aide, la société (P) avait déjà commencé à exécuter le contrat et qu’elle s’était irrévocablement engagée envers son cocontractant, c’est-à-dire qu’elle avait pris un engagement rendant l’investissement irréversible, au sens de l’article 2, point 7., de la loi du 9 août 2018.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 19 octobre 2021, la société (P) a fait régulièrement relever appel de ce jugement.

A l’appui de cet appel, elle soutient qu’il se dégagerait du dossier qu’elle n’avait pas pris d’engagement rendant l’investissement irréversible. Ainsi, aux yeux de la société (P), un acompte serait parfaitement remboursable d’après l’intention des parties contractantes, notamment pour l’hypothèse où l’aide étatique ne serait pas accordée.

L’appelante critique encore les premiers juges en ce que ceux-ci ont retenu que la faculté de se départir du contrat ne serait pas prouvée à suffisance de droit. Ainsi, il se dégagerait de la déclaration de la société (M) que ledit fournisseur affirmerait sa créance et confirmerait en même temps que la facture litigieuse du 16 juin 2019 était à considérer comme facture d’acompte à recréditer au client au cas où le contrat ne serait pas conclu respectivement exécuté.

Finalement, elle conteste encore l’affirmation des premiers juges selon laquelle le caractère réversible de l’investissement ne serait pas prouvé puisqu’une inexécution contractuelle serait un événement indépendant de la volonté d’un demandeur d’une aide à l’investissement, pareille affirmation n’énervant pas les conditions de l’article 2, point 7., de la loi du 9 août 2018.

La partie étatique demande la confirmation pure et simple du jugement entrepris à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus.

Aux termes de l’article 15 de la loi du 9 août 2018 :

« (1) Les demandes d’aide doivent être présentées aux ministres.

(2) La présente loi s’applique exclusivement aux aides ayant un effet incitatif pouvant induire une modification du comportement du bénéficiaire de l’aide d’une façon telle que ce dernier entreprend des activités qu’il n’exercerait pas en l’absence d’aide ou qu’il exercerait de façon plus limitée.

3(3) Une aide est réputée avoir un effet incitatif si le bénéficiaire a présenté une demande d’aide écrite avant le début des travaux liés au projet ou à l’activité en question. (…) ».

La notion de « début des travaux » est définie par l’article 2, point 7., de la loi du 9 août 2018 comme visant « (…) soit le début des travaux de construction liés à l’investissement, soit le premier engagement juridiquement contraignant de commande d’équipement ou tout autre engagement rendant l’investissement irréversible, selon l’événement qui se produit en premier (…) ».

Tel que relevé à bon escient par les premiers juges, l’aide sollicitée par l’appelante visait des prestations de conseil et de restructuration d’entreprise et non pas des travaux de construction ou des commandes d’équipement, de sorte qu’il convient d’analyser si la société (P), avant l’introduction de sa demande en date du 25 septembre 2019, avait pris un « (…) engagement rendant l’investissement irréversible (…) ».

Il convient de constater ensuite que la société (P), au niveau de l’exécution du contrat conclu avec la société (M), a réglé une première facture datée au 16 juin 2019 par un virement du 9 septembre 2019, soit antérieurement à la présentation de sa demande en obtention d’aides étatiques du 25 septembre 2019, ladite facture portant la mention « consultancy project basic fee project opening ».

A défaut d’existence vérifiée d’un contrat écrit entre les sociétés (P) et (M) décrivant les modalités d’exécution de la relation contractuelle et des engagements réciproques, il appartient à la Cour, au vu des circonstances du cas d’espèce, de décider si par le paiement de la facture du 16 juin 2019 l’appelante a pris un engagement rendant l’investissement irréversible au sens de l’article 2, point 7., de la loi du 9 août 2018.

Si la société (P) affirme à l’heure actuelle que le virement sur ….- € effectué en date du 9 septembre 2019, constituait uniquement un acompte à faire valoir sur la totalité du montant du marché s’élevant à ….- €, il n’en reste pas moins que l’appelante, ce faisant, n’a pas seulement documenté son engagement antérieurement pris, à défaut d’un contrat écrit, mais a déjà exécuté partiellement sa contrepartie, même si la société (M) n’avait, selon les dires de l’appelante, pas encore effectué les services sollicités.

La Cour, à l’instar des premiers juges, arrive dès lors à la conclusion que la société (P), en réglant la « basic fee project opening », et sans émettre la moindre réserve, avait pris un engagement rendant l’investissement irréversible.

Cette solution se trouve encore corroborée par le fait que la société (P) s’était vu adresser par la société (M) en date du 2 septembre 2019, soit antérieurement au paiement du 9 septembre 2019, un document intitulé « devis » concernant la même « basic fee » avec une durée de validité de 3 mois et comprenant la mention « bon pour accord et exécution du devis ». Même si les parties au litige ne se sont pas prononcées sur la question de savoir si ledit devis a effectivement été signé ou non, il n’en reste pas moins que l’appelante, en procédant au paiement du montant de ….- € a exécuté partiellement sa contrepartie du contrat tel que se dégageant de la facture du 16 juin 2019 et du devis du 2 septembre 2019.

4 Cette conclusion n’est ébranlée ni par la déclaration postérieure non datée de la société (M) que l’appelante, en cas de non-réalisation du contrat, aurait été créditée du montant de ….- €, ni par l’attestation testimoniale datée au 19 octobre 2021 de l’administrateur-délégué de la société (M), dans laquelle celui-ci affirme que « la facture nr … est à considérer comme un acompte, au cas où le contrat ne pourrait pas être réalisé, le client aurait été crédité du montant total de l’acompte (…) ».

En effet, ces déclarations, produites sur le tard, de la part de la société (M) ne suffisent pour énerver utilement le constat que l’appelante s’était à l’époque définitivement engagée vis-à-vis de son cocontractant par le paiement du montant de ….- € et avait déjà partiellement exécuté le contrat entre parties, étant relevé pour le surplus que l’affirmation de « créditer » le client du montant de l’acompte en cas de non-réalisation du contrat ne signifie pas nécessairement que la société (P) se serait vu rembourser le montant payé. Pour le surplus, la Cour note encore dans ce contexte qu’il se dégage de la deuxième facture n° … de la société (M) du 8 janvier 2020, payée le 24 janvier 2020, que la mission confiée à celle-ci était déjà clôturée à cet instant, cette deuxième facture portant la mention « consultancy project basic fee project closing ».

La Cour arrive dès lors à la conclusion que la demande en obtention d’une aide gouvernementale du 25 septembre 2019 de la société (P) n’a pas été introduite avant le début des travaux au sens des articles 2, point 7. et 15, paragraphe (3), de la loi du 9 août 2018, de sorte que c’est à juste titre que le ministre, dans sa décision du 17 juillet 2020, a pu considérer que l’effet incitatif exigé à l’article 15 de ladite loi n’a pas été respecté pour rejeter la demande d’aide de l’appelante.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel laisse d’être justifié et que le jugement dont appel est à confirmer dans toute sa teneur.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de débouter l’appelante de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 19 octobre 2021 en la forme ;

le dit cependant non fondé et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 20 septembre 2021 ;

déboute l’appelante de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la société à responsabilité limitée (P) aux dépens de l’instance d’appel.

5 Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46585C
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-02-01;46585c ?

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