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01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46393C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 février 2022, 46393C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46393C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46393 Inscrit le 24 août 2021

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Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Madame (R), …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 juillet 2021 (n° 43726 du rôle) ayant statué sur son recours contre deux actes de la commission d’examen de fin de stage pédagogique et une décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de stage pédag

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46393C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46393 Inscrit le 24 août 2021

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Audience publique du 1er février 2022 Appel formé par Madame (R), …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 juillet 2021 (n° 43726 du rôle) ayant statué sur son recours contre deux actes de la commission d’examen de fin de stage pédagogique et une décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de stage pédagogique

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Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 46393C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 24 août 2021 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (R), demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre un jugement du 13 juillet 2021 (n° 43726 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation formé contre le bilan de fin de formation à la pratique professionnelle daté du 27 mars 2019 lui attribuant la note globale de …/200 points et constatant son échec à la première session d'examen, de la décision de la commission de validation du 4 avril 2019 ayant mis en compte la note de …/20 pour la première session du bilan de fin de formation, ainsi que contre la décision implicite de refus du ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse suite au recours hiérarchique du 30 avril 2019 introduit contre les résultats de la première session, rejeta comme irrecevable le recours subsidiaire en annulation, tout en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 octobre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 novembre 2021 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelante ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

1 Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 13 janvier 2022.

Par un arrêté du 21 juillet 2016 du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après « le ministre », Madame (R) fut admise au stage pédagogique pour les fonctions de professeur au Lycée (X) à partir du 1er septembre 2016.

Le 21 septembre 2016, le ministre rapporta son arrêté du 21 juillet 2016, tout en admettant Madame (R) au stage pédagogique pour les fonctions de professeur au Lycée (Y) à partir du 1er septembre 2016.

Après avoir réussi à l’évaluation des deux premières années de stage en dates des 15 mai 2017 et 2 juillet 2018, la commission de validation prévue à l’article 44, paragraphe (7), de la loi modifiée du 30 juillet 2015 portant création d’un Institut de formation de l’éducation nationale, ci-après dénommées respectivement « la commission de validation » et « la loi du 30 juillet 2015 », arrêta le 27 mars 2019 le bilan de fin de formation à la pratique professionnelle de Madame (R) avec comme résultat une note moyenne de …points sur 20.

Le 5 avril 2019, la commission de validation décida que Madame (R) devait se présenter à une seconde session dans les épreuves suivantes :

« Bilan de fin de formation (à passer jusqu’au 24 juin 2019) o Conception de deux séquences de six leçons consécutives et observations de deux leçons d’examen o Evaluation des apprentissages o Entretien sur le développement professionnel (dossier) ».

Par courrier du 30 avril 2019, Madame (R) introduisit un recours gracieux auprès du ministre contre son « évaluation » dans le cadre du bilan de formation à la pratique professionnelle.

Suite à un échange de courriers électroniques avec le directeur de l’Institut de formation de l’éducation nationale au sujet de la date de la réunion préliminaire de la 2e session du bilan de fin de formation à la pratique professionnelle, Madame (R) s’adressa au ministre, par courrier du 13 mai 2019, dans les termes suivants :

« (…) Suite à ma lettre de recours du 30 avril dernier concernant mon évaluation à la première session du bilan de formation à la pratique professionnelle et des remarques y figurant, je ne me sens pas en mesure de me présenter à la deuxième session du bilan devant le même jury. En effet, il me semble que, suite au recours, les conditions d'une évaluation objective ne soient pas données.

C'est donc avec regret, et malgré ma motivation non entamée à exercer le métier d'enseignante, que je me vois contrainte de vous adresser par la présente ma demande de cessation de stage au 15 juillet 2019. (…) ».

Par arrêté du 24 mai 2019, le ministre accorda la démission volontaire à Madame (R) de ses fonctions de stagiaire-professeur au Lycée (Y), avec effet à partir du 15 juillet 2019.

2 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2019, Madame (R) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bilan de fin de formation à la pratique professionnelle du 27 mars 2019 lui attribuant la note globale de …/200 points et constatant son échec à la première session d'examen, de la décision de la commission de validation du 4 avril 2019 ayant mis en compte la note de …/20 pour la première session du bilan de fin de formation, ainsi que contre la décision implicite de refus du ministre suite au recours hiérarchique du 30 avril 2019 introduit contre les résultats de la première session.

Dans son jugement du 13 juillet 2021, le tribunal, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, déclara irrecevable le recours subsidiaire en annulation pour défaut d’intérêt à agir et le rejeta, tout en écartant la demande en allocation d’une indemnité de procédure de Madame (R) et en condamnant celle-ci aux frais de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal rappela tout d’abord que l’intérêt pour agir est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter et que l’intérêt doit non seulement exister au jour de l’introduction du recours, mais encore subsister jusqu’au prononcé du jugement. Il constata ensuite que Madame (R) avait démissionné de son stage avant même l’introduction de son recours contentieux et qu’elle n’avait donc plus la qualité de stagiaire-professeur, son stage pédagogique ayant définitivement cessé. Il en déduisit que même en cas d’annulation des actes litigieux, l’intéressée ne pouvait plus être remise dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant la prise de ces actes et qu’elle ne pouvait dès lors plus tirer le moindre profit d’une éventuelle annulation des actes déférés. Il déclara partant le recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 août 2021, Madame (R) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle renvoie, en ce qui concerne les faits et rétroactes de l’affaire, au jugement entrepris et à sa requête introductive de première instance.

En droit, elle soutient que son recours serait recevable en ce qu’elle aurait un intérêt à agir. Elle expose qu’elle justifierait non seulement d’un intérêt moral mais également d’un intérêt matériel à agir. Elle aurait un intérêt moral à voir constater l’illégalité des décisions critiquées. Elle se prévaut de la jurisprudence selon laquelle un jugement d’annulation du juge administratif permettrait plus facilement d’agir en responsabilité civile contre l’Etat devant le juge judiciaire. Elle met également en exergue un intérêt matériel à agir, dans la mesure où elle aurait pris un congé sans solde auprès de la (Z) ((Z)), après une carrière de 13 ans, pour devenir enseignante dans l’enseignement secondaire. Si elle avait bien retrouvé son poste à la (Z) après son éviction illégale du stage, bien qu’elle eût réussi les deux premières années de stage, elle aurait néanmoins perdu trois années de carrière en raison du congé sans solde pris auprès de la (Z).

Elle ajoute que sa démission du stage pédagogique, sur laquelle les premiers juges se seraient fondés pour lui dénier un intérêt à agir, n’aurait pas été volontaire, mais qu’elle y aurait été poussée du fait que les conditions de passage de l’examen de rattrapage devant le même jury d’examen que celui qui lui avait attribué une note insuffisante lors de la première session d’examen, n’auraient plus garanti l’indépendance et l’impartialité requises pour une telle épreuve.

3Elle précise encore qu’elle aurait réussi avec brio l’examen d’admission au stage ainsi que les deux premières années de stage et que le 15 mai 2021, elle aurait démissionné de la (Z) pour travailler dans la formation, en donnant notamment des cours d’appui pour les enfants et jeunes adultes et/ou des formations continues.

En conclusion, elle estime avoir au minimum un intérêt moral à agir aux fins de faire reconnaître l’illégalité de la procédure d’examen et pour agir en responsabilité contre l’Etat pour défaillance de ses services.

Le délégué du gouvernement soutient que l’appelante n’a pas intérêt à agir. Il conteste tout préjudice matériel, et notamment la perte de trois années de carrière auprès de la (Z), en faisant valoir que l’appelante aurait été rémunérée durant son stage en tant que stagiaire-professeur. Il souligne que le choix de l’appelante d’entamer une carrière d’enseignante aurait été volontaire. Quant à un prétendu préjudice moral, le délégué du gouvernement exprime avoir du mal à suivre l’argumentaire de l’appelante, alors qu’elle se limiterait à expliquer les raisons pour lesquelles elle aurait choisi de se diriger vers une carrière d’enseignante et à invoquer la réussite des deux premières années de stage qui, selon elle, entraînerait automatiquement la réussite de la troisième année de stage. Le délégué considère par ailleurs faux de prétendre que l’appelante aurait été poussée à la démission. Il souligne que ce serait la démission de l’appelante qui serait à l’origine de la cessation de son stage et partant du préjudice allégué.

Le délégué du gouvernement rappelle encore que l’intérêt à agir devrait s’analyser au regard de la situation au jour de l’introduction du recours et que l’intérêt à voir annuler un acte supposerait que l’annulation soit susceptible par elle-même d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi par son résultat procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. Or, comme l’appelante aurait mis un terme à son stage, l’annulation des actes déférés ne permettrait plus de retrouver la situation dans laquelle elle se trouvait avant la prise de ces actes, de sorte qu’elle ne pourrait tirer aucun profit d’une éventuelle annulation des actes déférés. Ce serait partant à bon droit que les premiers juges ont déclaré le recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

En termes de réplique, l’appelante précise que contrairement à ce qui serait soutenu par le délégué du gouvernement, elle n’aurait jamais prétendu que « la réussite des deux premières années de stage (…) entraînerait automatiquement la réussite de la 3e année de stage ». Elle explique qu’elle aurait effectivement mis entre parenthèses, durant trois ans, sa carrière au sein de la (Z), ce qui entraînerait nécessairement des conséquences sur l’évolution de sa carrière.

Après avoir réussi les deux premières années, ce serait lors de la troisième année de stage qu’un jury, pour des motifs qu’elle conteste, aurait considéré qu’elle n’était pas capable d’enseigner, alors qu’elle aurait enseigné depuis trois ans à la satisfaction de ses élèves et de ses supérieurs.

Elle précise encore qu’elle n’entend pas faire annuler les décisions litigieuses afin d’être titularisée comme enseignante, mais qu’elle entend faire constater qu’elle a été victime d’une décision sinon d’une procédure manifestement illégale.

Le fait que les juridictions administratives luxembourgeoises, contrairement aux juridictions françaises, ne puissent pas attribuer des dommages et intérêts ne devrait pas priver l’administré de la reconnaissance des fautes, le juge administratif étant avant tout le juge de la légalité.

En conclusion, elle estime avoir un intérêt suffisant à agir.

4 L’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’un recours administratif ne doit pas seulement être né et actuel, effectif et légitime, mais encore personnel et direct. Il s’analyse au jour du dépôt de la requête introductive d’instance.

En l’espèce, pour justifier son intérêt au recours, l’appelante se prévaut non seulement d’un intérêt matériel mais également moral. Elle estime avoir un intérêt moral à voir constater l’illégalité des décisions contestées, en soutenant que celles-ci auraient été prises à l’issue d’une procédure d’examen irrégulière. S’il est vrai qu’un intérêt moral consistant uniquement à entendre dire que l’on a raison ne suffit pas en règle générale, il n’en demeure pas moins que l’appelante conserve un intérêt à agir suffisamment caractérisé compte tenu des spécificités de l’espèce, dès lors que les actes attaqués lui font grief en ce qu’ils retiennent son échec à la première session d’examen de la troisième année du stage pédagogique et qu’elle s’estime ainsi victime d’une profonde injustice en ce que la commission d’examen aurait retenu qu’elle n’était pas capable d’enseigner, alors qu’elle aurait réussi son examen d’admission et enseigné durant trois ans à la satisfaction de ses élèves et de ses supérieurs. Elle excipe ainsi en quelque sorte d’une atteinte à son honneur, alors que l’enseignement aurait été sa vocation. La circonstance qu’elle a démissionné du stage pédagogique et qu’une éventuelle annulation des actes attaqués ne lui permettra pas d’être réadmise au stage pédagogique ne saurait lui dénier un intérêt suffisamment caractérisé pour voir contrôler la légalité des décisions litigieuses en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, c’est dès lors à tort que les premiers juges ont dénié à Madame (R) un intérêt à agir, de sorte qu’il y a lieu de réformer le jugement dans cette mesure.

Comme le tribunal administratif a déclaré le recours initial irrecevable, il y a lieu de renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal administratif pour y voir statuer plus en avant sur l’affaire, eu égard aux exigences du double degré de juridiction ensemble celles du respect des droits de la défense, conformément aux conclusions principales de la partie appelante, la partie étatique ne se prononçant pas.

L’appelante sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de … euros pour la première instance et de … euros pour l’instance d’appel.

Au stade actuel du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance est à réserver.

Quant à la demande en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, elle est à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

confirme le jugement entrepris du 13 juillet 2021 en ce que le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

par réformation dudit jugement, dit que c’est à tort que le tribunal administratif a déclaré le recours subsidiaire en annulation irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ;

5 renvoie le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause ;

réserve la demande en allocation d’une indemnité de procédure de l’appelante pour la première instance ;

déboute l’appelante de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel ;

condamne l’Etat aux dépens de l'instance d’appel et réserve les frais de première instance.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46393C
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-02-01;46393c ?

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