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25/01/2022 | LUXEMBOURG | N°46648C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 25 janvier 2022, 46648C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46648C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46648 Inscrit le 8 novembre 2021

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Audience publique du 25 janvier 2022 Appel formé par Monsieur (L), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2021 (n° 45293 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46648C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 8 novembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (L), déclarant...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46648C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46648 Inscrit le 8 novembre 2021

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Audience publique du 25 janvier 2022 Appel formé par Monsieur (L), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2021 (n° 45293 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46648C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 8 novembre 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (L), déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 4 octobre 2021 (n° 45293 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 octobre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 décembre 2021;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 11 janvier 2022.

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Le 1er octobre 2019, Monsieur (L) déposa une demande de protection internationale en Italie.

Le 5 novembre 2019, il y passa un premier entretien pour la relocalisation depuis l’Italie vers le Luxembourg, avec des agents du ministère des Affaires étrangères luxembourgeois, direction de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministère ».

1Le 19 novembre 2019, Monsieur (L) introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en dates des 19 février et 13 mars 2020 par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 octobre 2020, notifiée par un courrier recommandé expédié le 29 octobre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 19 novembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Monsieur, notons que vous êtes venu au Luxembourg par le biais d'un programme de relocalisation depuis l'Italie où vous avez introduit une demande de protection internationale le 1er octobre 2019.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport d'entretien effectué en Italie le 5 novembre 2019, le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 novembre 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 19 février et du 13 mars 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que l'attestation que vous avez bénéficié d'un suivi psychologique au Luxembourg et un certificat attestant de trois cicatrices au niveau du front, du pli inguinal et de la fesse droite.

Il résulte de vos explications que vous seriez d'ethnie basse et de confession chrétienne.

Vous seriez né à … au Cameroun où vous auriez vécu avec votre oncle et votre mère jusqu'en 2016. Vous seriez ensuite allé à … et … avant de quitter votre pays d'origine. Vous auriez travaillé en tant que … et dans une société ….

En ce qui concerne votre départ du Cameroun, vous expliquez que vous auriez quitté votre pays d'origine le 5 janvier 2016 avec votre compagne (E). Vous vous seriez d'abord rendus au Nigéria, où vous auriez travaillé de façon irrégulière pendant un mois. Par la suite, vous seriez passés par le Niger pour arriver en Algérie. Vous y auriez séjourné pendant environ un an avant de partir en direction de la Libye. Vous y auriez « travaillé un peu » avant de 2continuer votre chemin en direction de l'Italie avant de tous les deux venir au Luxembourg par le biais d'un programme de relocalisation.

Lors de l'entretien avec les autorités italiennes et lors du 1er entretien en Italie avec les autorités luxembourgeoises, vous indiquez avoir quitté votre pays d'origine parce que vous auriez eu des problèmes avec la famille de votre petite amie (D) avec laquelle vous auriez eu une relation et qui serait tombée enceinte. Sa famille « voulait que je m'occupe d'elles et venait vivre avec elle. Et de prendre en charge le suivi médical […] Si je prends en charge la fille, il faut aussi prendre en charge la mère ((D)) et je ne le veux pas » (p.2/3 de rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie), raison pour laquelle vous auriez été frappé et menacé par les membres de la famille de votre ex-copine (D). En 2015, vous auriez fait la connaissance d'(E), avec laquelle vous êtes venu au Luxembourg.

Le jour de l'introduction de votre demande de protection internationale vous indiquez sur votre fiche de motifs que vous auriez quitté votre pays d'origine à cause de problèmes avec la famille de votre ex-copine qui aurait voulu vous forcer à l'épouser. De plus, votre famille aurait rejeté votre compagne actuelle parce qu'elle « était mon aîné et quelle [sic] venait d'une famille très pauvre » (fiche de motifs).

Lors de l'entretien avec l'agent du ministère, vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine à cause de problèmes avec la famille musulmane de votre ex-copine (T) qui auraient surgi après que cette dernière serait tombée enceinte et que vous auriez refusé de l'épouser et de vous convertir à l'islam en 2011. Vous auriez ensuite régulièrement été frappé et menacé par les frères de votre ex-copine, et ce à la maison et à vos lieux d'emploi à … et …. Vous auriez fait connaissance d'(E), votre compagne actuelle en 2015 et après de nouveau avoir été tabassé par la famille de votre ex-copine, (E) vous aurait proposé de porter plainte auprès de la police.

Une policière vous aurait dit « d'arranger l'histoire à l'amiable » (p.7/16 du rapport d'entretien) et après vous être plaint de façon répétée, des policiers vous auraient mis « en dehors du commissariat ». Vous et (E) auriez ensuite décidé d'aller vivre et travailler ensemble à …, jusqu'à ce que votre maison aurait pris feu et que vous auriez de nouveau été frappé, cette fois-ci par « toute la population » (p.7/16 du rapport d'entretien) après que deux motards vous auraient accusé d'avoir volé une mototaxi.

S'y ajoute que la famille d'(E) aurait aussi commencé à vous menacer « comme ils n'acceptaient pas qu'elle ait marié un chrétien » (p.7/16 du rapport d'entretien) et que votre mère aurait rejeté (E) en raison de sa religion musulmane.

Vous mentionnez en outre que votre père aurait été empoisonné quand vous étiez un enfant et qu'il serait décédé des suites de l'empoisonnement. Vous aussi auriez été empoisonné, mais vous auriez survécu. Vous indiquez dans ce contexte que « Mon père était le plus grand cultivateur de …. dans l'arrondissement de …. Le frère de mon père m'a empoisonné parce qu'il voulait hériter la richesse que mon père a fait. J'étais le seul garçon et donc le seul héritier de mon père » (p.9/16 du rapport d'entretien).

Vous ne présentez aucun document d'identité.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout progrès en cause, notons que les prétendus problèmes rencontrés en Libye ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'évaluation de votre demande de protection 3internationale. En effet, suivant l'article 2 de la Loi de 2015 sont pris en compte dans le cadre de l'examen d'une demande de protection internationale uniquement les faits qui se sont déroulés ou les craintes en relation avec le pays d'origine du demandeur. Etant donné que vous êtes de nationalité camerounaise, les faits qui se seraient déroulés en dehors de votre pays d'origine, c'est-à-dire le Cameroun, ne sauraient pas être pris en considération dans l'évaluation de votre demande de protection internationale.

• Quant à la crédibilité de votre récit Monsieur, il convient de souligner que l'analyse du votre dossier administratif nous a conduit à la conclusion que votre récit quant à votre prétendu vécu au Cameroun n'est absolument pas crédible et que l'ensemble de vos propos sont remis en question pour les motifs énoncés ci-après.

En effet à la lecture de votre dossier il convient de constater que de nombreuses incohérences, imprécisions, lacunes ou encore invraisemblances entachent votre récit ce qui nous amène à conclure que vous avez manifestement menti et inventé votre histoire de toutes pièces.

Interrogé lors de l'entretien effectué en Italie le 5 novembre 2019 quant aux raisons vous ayant conduit à quitter votre pays d'origine vous mentionnez de manière claire et non équivoque uniquement que vous auriez eu des problèmes avec la famille de votre petite amie (D) avec laquelle vous auriez eu une relation et qui serait tombée enceinte.

Or, lors de l'entretien avec l'agent du ministère luxembourgeois, vous avez dit que la mère de votre enfant s'appelle (T), deux noms totalement distincts. Interrogé quant à cette incohérence, vous expliquez que « le nom musulman était dur à prononcer pour moi » et que « J'ai oublié le nom en Lybie [sic] » (p.7/16 du rapport d'entretien), des explications qui ne sauraient emporter la conviction et qui constituent une première tentative vaine de rattraper vos erreurs. En effet il est évident que lorsqu'on invente un récit on oublie les détails qu'on a donné auparavant et lorsqu'on est confronté avec ces incohérences manifestes on essaye de s'en sortir comme on peut et on s'empêtre dans des chemins sinueux ce qui a manifestement été votre cas.

A cela s'ajoute que vous n'avez à aucun moment mentionné le problème de religion en Italie et sur votre fiche de motifs. Or il s'agit des éléments que vous mettez en avant lors de votre audition au Luxembourg, trois mois après y avoir introduit votre demande de protection internationale. Dans ce contexte il convient de souligner qu'il est tout simplement impossible que vous ayez omis de faire part de ces éléments clés aux autorités italiennes et aussi luxembourgeoises de sorte qu'il est indéniable que vous avez inventé ces éléments pour les ajouter à vos problèmes d'ordre familial dans le seul but d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

Il ressort clairement de vos dires que vous avez étoffé votre récit par une composante religieuse, mais qu'en réalité vous n'avez tout simplement pas eu envie de vous occuper de votre enfant et de sa mère, ce que vous confirmez en Italie lorsque vous n'avez pas encore eu le temps d'amplifier votre histoire en disant que « Si je prends en charge la fille, il faut aussi prendre en charge la mère ((D)) et je ne le veux pas » (p.2/3 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie).

4De plus, vous mentionnez que votre père et vous auriez été empoisonnés, mais que votre père serait décédé tandis que vous auriez survécu après avoir été traité par un médecin (p.9/16 du rapport d'entretien). Notons que cet empoisonnement aurait été aisé à prouver puisqu'on dispose nécessairement de documents médicaux attestant cet empoisonnement. Or, vous restez en défaut de présenter un tel document.

Ceci étant dit Monsieur, vous avez au plus tard perdu toute crédibilité quand il apparaît que quelques clics et recherches ont suffi pour établir que vous avez induit en erreur les autorités en ce qui concerne votre identité.

En effet, lors de l'entretien avec l'agent du ministère vous prétendez être né et avoir grandi à …, d'être allé à l'école à … dans l'arrondissement … et à … et d'avoir travaillé en tant que … contrairement à ce que révèle un de vos nombreux comptes Facebook. Sur votre page Facebook au nom de « (L) » par contre vous avez indiqué être né et avoir vécu à …, être allé au « lycée … » et avoir travaillé chez « … ». Interrogé sur ces incohérences, vous expliquez que « C'est un ami qui a créé ma page, je ne connaissais pas » (p.14/16 du rapport d'entretien).

Il s'agit là clairement d'un mensonge culotté surtout si on prend en considération que nous avons encore trouvé un bon nombre d'autres pages Facebook qui ont été mises à jour régulièrement bien après votre arrivée au Luxembourg ce qui nous laisse partir du principe que vous êtes vous-même responsable pour les mises à jour.

Il ressort en outre des réseaux sociaux que vous êtes « single », et ce sur au moins deux de vos nombreuses pages Facebook, notamment ceux aux noms de « …. » et « … », et non pas, comme vous tentez de faire croire, en relation avec (E).

Relevons en outre le détail que vous expliquez lors de l'entretien que « Je ne sais pas écrire, je n'ai pas fait d'études » (p.2/16 du rapport d'entretien) quand l'agent du ministère vous a demandé de noter sur une feuille les noms de personnes et des villes dans lesquelles vous auriez vécu. Mettons de nouveau en évidence qu'il s'agit d'un énième mensonge alors que vous mettez à jour de manière plus que régulière vos nombreux profils sur les réseaux sociaux.

Ceci montre clairement que vous avez menti en ce qui concerne votre identité et vos problèmes que vous auriez eus au Cameroun.

Votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Quand bien même votre récit serait crédible, il s'avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, respectivement pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain 5groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous évoquez que vous auriez quitté votre pays d'origine à cause de problèmes avec la famille de votre ex-copine, notamment parce que vous auriez refusé de prendre en charge votre enfant et parce que vous auriez refusé de vous convertir à l'islam et à cause de problèmes avec la famille de votre amie actuelle qui n'aurait pas accepté « qu'elle ait marié un chrétien » (p.7/16 du rapport d'entretien). Il convient de constater que ces faits tombent dans le champ d'application de la Convention de Genève alors qu'ils sont liés à votre religion.

Or, il faut noter que ces faits ne sont pas d'une gravité suffisante pour être qualifiés d'actes de persécution.

A cela s'ajoute qu'il convient de rappeler que vous êtes âgé de … ans et êtes donc parfaitement capable de vivre indépendamment de la famille de votre ex-copine et de celle de votre compagne actuelle au Cameroun de sorte que vos craintes de subir d'avantages de représailles de la part des familles sont purement hypothétiques alors que rien ne vous obligerait à retourner auprès d'eux alors que vous pouvez librement vous installer avec votre nouveau compagnon et reprendre le cours de votre vie. En tenant compte du fait qu'il ressort clairement de vos dires que vous auriez travaillé en tant que … et dans une société … sans être dépendant financièrement, il convient de constater qu'il n'existe aucun risque futur de persécution dans votre chef au Cameroun Même à supposer que ces faits seraient d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

A cet égard, vous évoquez que vous auriez porté plainte au sujet de ces incidents à plusieurs reprises au « commissariat du deuxième arrondissement de … à … », mais une policière vous aurait dit « d'arranger l'histoire à l'amiable » (p.7/16 du rapport d'entretien), raison pour laquelle vous auriez décidé de déménager à ….

Or cette simple réponse ne saurait suffire pour remettre en question le fonctionnement de l'ensemble de l'institution. En effet relevons d'abord que le comportement de quelques policiers n'est pas représentatif pour toute l'institution. Le fait que des agents de police d'un commissariat ne vous auraient pas aidé de manière suffisante ne veut pas dire que toutes les autorités du pays seraient dans l'incapacité de vous fournir de l'aide. Hormis le fait que vous n'apportez aucune preuve d'avoir recherché de l'aide, notons ensuite que vous auriez par exemple pu vous adresser à un autre poste de police pour faire valoir vos droits.

6Concernant votre maison qui aurait pris feu, force est de constater que ce fait n'est pas lié aux critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015 alors que vous ignorez qui aurait été l'auteur et par conséquence vous ignorez les motifs ayant conduit cette personne non autrement identifié à incendier le bâtiment. Vous vous bornez à émettre des suppositions « Je sais que c'est le monsieur [Rem.: le père de votre ex-copine] qui a mis le feu à la maison » (p.7/16 du rapport d'entretien), sans pouvoir étayer vos dires par des pièces et sans vraiment pouvoir identifier les auteurs.

Monsieur, vous évoquez ensuite que vous auriez été frappé par deux motards et « toute la population » (p.7/16 du rapport d'entretien) après que les deux motards vous auraient accusé d'avoir volé une mototaxi. Notons que, aussi déplorable et condamnable que cet acte puisse être, il ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'il n'est pas lié à l'un des critères figurant dans le champ d'application de la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Quand bien même ces faits seraient liés à l'un des motifs de la Convention de Genève et qu'il serait suffisamment grave pour constituer un acte de persécution, notons que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, il convient de constater que vous n'avez à aucun moment ne serait-ce que contacté les autorités de votre pays d'origine après que votre maison aurait été incendiée et après que vous auriez été frappé par les deux motards et encore moins vous n'avez porté plainte contre ces personnes respectivement recherché de l'aide dans votre pays d'origine. On ne saurait ainsi reprocher une quelconque défaillance aux forces de l'ordre qui n'ont jamais été mises en mesure d'effectuer leur mission.

Monsieur, vous indiquez en outre que votre père et vous auriez été empoisonnés quand vous étiez petit parce que vous auriez été « le seul héritier de mon père » (p.9/16 du rapport d'entretien). Notons que ce fait daterait des années 1990 et qu'il doit donc être considéré comme appartenant au passé et comme étant trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi du statut de réfugié en 2020 c'est-à-dire plus de 30 ans plus tard.

A cela s'ajoute que ce fait ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'il ne répond à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

7• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 1, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2020, Monsieur (L) fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 octobre 2020.

Par jugement du 4 octobre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en condamnant ce dernier aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 8 novembre 2021, Monsieur (L) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 4 octobre 2021.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première 8instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

Ainsi, il réexpose être originaire du Cameroun et être de confession chrétienne et avoir quitté son pays d'origine en janvier 2016 en raison des agressions et menaces qu'il aurait subies de la part de la famille de son ex-concubine, ainsi que celle de sa concubine actuelle, Madame (E), et parce qu’il aurait acquis la conviction qu'il ne pourrait obtenir la moindre protection de la part des autorités camerounaises et ne pas pouvoir se réfugier dans une autre partie du Cameroun.

Il reproche aux premiers juges d’avoir partagé les doutes de l'autorité ministérielle quant à la véracité de son récit, soutenant que leur « approche des faits » aurait été trop rigoureuse et qu’elle ne tiendrait pas compte de sa situation personnelle, En effet, en la matière, il conviendrait d’avoir égard à la vulnérabilité du demandeur d'asile et des difficultés pratiques et psychologiques auxquelles il peut être confronté lorsqu'il s'agit d'établir un risque et de réunir des preuves.

Dans ce contexte, il insiste qu’au moment de ses déclarations, il aurait été dans un état de fragilité mentale, en raison duquel il aurait d’ailleurs fait l'objet d'un suivi psychologique au Luxembourg.

Selon l’appelant, une approche plus réaliste des faits de l'espèce à l'aune de son état de santé mentale, impliquerait qu’il se voie accorder le bénéfice du doute par application de l'article 37, paragraphe 5), de la loi du 18 décembre 2015 et partant que soient retenues comme suffisantes ses déclarations et explications.

Or, la véracité de son récit une fois admise, il conviendrait de lui reconnaître une protection internationale en raison de la nature et de la gravité des faits.

Le jugement a quo serait partant à réformer et le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire, devrait lui être accordé et l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois devrait à son tour être rapporté.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes 9puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite point à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que la crédibilité générale du récit de l’appelant est fondamentalement affectée par un certain nombre d’incohérences et de contradictions notamment dans les déclarations de l’intéressé.

En effet, les explications fournies par l’appelant ne sont pas de nature à renverser cette analyse, son histoire paraissant au contraire évoluer au fil du temps et des besoins ressentis pour rectifier le tir lorsqu’il se trouve confronté à des contradictions patentes.

L’on voit aussi mal comment ces « erreurs » pourraient s’expliquer par d’éventuels problèmes psychologiques de l’intéressé.

Ainsi, les premiers juges ont pointé à bon escient que si à l’occasion de son entretien de « relocalisation » depuis l’Italie et au moment du dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, l’appelant a en substance fait état, au titre de ses motifs de fuite du Cameroun, du fait d’avoir eu un enfant avec une dénommée (D), qu’il ne voulait pas épouser et qu’il ne voulait et ne pouvait pas soutenir financièrement, ce pourquoi la famille de celle-ci lui en voulait, il est très curieux de constater que par la suite, lors de l'entretien avec l'agent du 10ministère, il indique que son ancienne copine et mère de son enfant se serait dénommée (T) et qu’elle aurait été musulmane, d’une part, et que lui-même étant de religion chrétienne, la famille de sa copine lui en aurait voulu pour des motifs religieux, d’autre part.

Les explications de l’intéressé confronté notamment avec la discordance au niveau du prénom, à savoir qu’il aurait oublié le prénom de sa campagne, mère de son enfant, respectivement que son nom musulman aurait été difficile à prononcer, ne sont guère de nature à convaincre, l’intéressé n’apparaissant en réalité que tenter de rectifier des incohérences, en rapport avec des inventions de toute pièce, au niveau de ses déclarations successives.

L’appelant n’est pas non plus crédible en ce qu’il fait valoir en dernier lieu, au niveau de ses déclarations devant l’agent ministériel luxembourgeois, des motivations religieuses ayant mû la famille musulmane de son actuelle compagne, (E), en leurs prétendues exactions, alors que dans ses déclarations initiales, il n’a pas été question d’un quelconque problème dû à une différence de religion.

Le prétendu mauvais état mental avancé par l’appelant n’est pas de nature à expliquer pourquoi il a omis de faire état d’un élément-clé dès le début, étant rappelé qu’il se dégage de ses réponses qu’il appert avoir tout à fait saisi la portée de la question lui posée relativement aux raisons de son départ de son pays d’origine.

L’intéressé s’est encore fondamentalement contredit, sans explication convaincante, en déclarant dans un premier temps ne jamais s’être adressé à la police et ne jamais avoir eu de problème avec les autorités camerounaises, pour ensuite invoquer avoir essayé vainement de porter plainte contre la famille de (D) à un commissariat de …, les policiers l’ayant même mis dehors et menacé de le frapper s’il tentait d’entrer à nouveau dans le commissariat.

Les premiers juges ont encore pointé à bon escient une autre contradiction singulière consistant dans le fait que l’appelant prétend d’une part ne pas savoir lire ou écrire, tout en ayant lui-même rédigé la fiche de renseignements lors du dépôt de sa demande de protection internationale.

Il s’ensuit que le récit du vécu de l’appelant n’est pas crédible et il ne saurait suffire pour justifier l’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

11 Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 8 novembre 2021 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 4 octobre 2021;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 janvier 2022 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46648C
Date de la décision : 25/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-01-25;46648c ?

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