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21/10/2021 | LUXEMBOURG | N°45871C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 octobre 2021, 45871C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45871C du rôle ECLI:LU:CADM:2021:45871 Inscrit le 8 avril 2021 Audience publique du 21 octobre 2021 Appel formé par Monsieur (A), …, et la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 3 mars 2021 (n° 40914a du rôle) ayant statué sur leur recours contre une décision de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT, Luxembourg, en présence de Madame (B), Luxembourg, et consorts en matière de préemption Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 45871C du rôle et déposée au g

reffe de la Cour administrative le 8 avril 2021 par Maître Georges KRIEGER...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45871C du rôle ECLI:LU:CADM:2021:45871 Inscrit le 8 avril 2021 Audience publique du 21 octobre 2021 Appel formé par Monsieur (A), …, et la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 3 mars 2021 (n° 40914a du rôle) ayant statué sur leur recours contre une décision de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT, Luxembourg, en présence de Madame (B), Luxembourg, et consorts en matière de préemption Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 45871C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 8 avril 2021 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, et de la société à responsabilité limitée (AB), établie et ayant son siège social à la même adresse, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant en fonctions, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 3 mars 2021 (n° 40914a du rôle) à travers lequel le tribunal a déclaré recevable mais non justifié leur recours en annulation de la décision du conseil d’administration de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT, inscrit au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro J2, représenté par le président de son comité de direction en fonctions, établi et ayant son siège social à L-1311 Luxembourg, 52, boulevard Marcel Cahen, du 25 janvier 2018, notifiée par courrier du 19 février 2018, portant exercice de son droit de préemption par rapport à un terrain inscrit au cadastre de la commune de Koerich, section C de …, sous le numéro …, au lieu-dit « … », d’une contenance de … hectare, … ares et … centiares ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, immatriculés près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, du 15 avril 2021 portant signification de cette requête d’appel à l’établissement public FONDS DU LOGEMENT, préqualifié, ainsi qu’à Madame (B), sans état connu, demeurant à L-…, à Madame (C), sans état connu, demeurant à L-…, à Monsieur (D), sans état connu, demeurant à L-…, à Madame (E), sans état connu, demeurant à L-…, et à Monsieur (F), sans état connu, demeurant à L-… ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mai 2021 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH S.A., inscrite à la liste V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 186.371, représentée aux fins 1de la présente procédure par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT, préqualifié ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 16 juin 2021 par Maître Georges KRIEGER au nom des appelants ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 16 juillet 2021 par Maître Christian POINT au nom de la société anonyme ARENDT & MEDERNACH S.A. pour compte de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Georges KRIEGER, et Martial BARBIAN, en remplacement de Maître Christian POINT, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2021.

En date du 14 septembre 2017, Monsieur (A), agissant en tant qu’acquéreur signa un compromis de vente avec clause de substitution portant sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Koerich, section C de …, sous le numéro …, au lieu-dit « … », d’une contenance de … hectare, … ares et … centiares, avec les propriétaires co-indivisaires (B), (C), (D), (E) et (F), ci-après « les consorts (BCDEF) », ledit compromis contenant une clause de substitution quant à la personne de l’acquéreur.

Monsieur (A) constitua en date du 24 novembre 2017, ensemble avec la société anonyme (AC), la société à responsabilité limitée (AB), ci-après « la société (AB) », censée se substituer à Monsieur (A) au moment de la passation de l’acte notarié, conformément au prescrit de la clause de substitution figurant dans le compromis de vente précité.

Le notaire instrumentant ayant informé tant l’administration communale de Koerich que l’établissement public FONDS DU LOGEMENT de la transaction envisagée, l’administration communale renonça et le FONDS DU LOGEMENT informa, par courrier du 19 février 2018, ledit notaire de sa décision du 25 janvier 2018 d’exercer son droit de préemption sur la parcelle sous compromis de vente précitée dans les termes suivants :

« Je fais suite à la confirmation de réception du dossier de notification de la vente du Consorts (BCDEF) dont vous êtes en charge, que le Fonds du Logement vous a adressée en date du 19 janvier 2018.

Conformément aux dispositions des articles 3 et 10 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, je vous informe que, lors de sa réunion du 25 janvier 2018, le Conseil d’Administration du Fonds du Logement a décidé d’exercer son droit de préemption, aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification que vous nous avez adressé en date du 22 décembre 2017, sur la ou les parcelle(s) situées entièrement ou partiellement dans une bande de 100 mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée et située à l’extérieur de ces zones, inscrite(s) au cadastre comme suit :

Commune de KOERICH section C de … Numéro …, lieu-dit « … », pré, d’une contenance de … hectare … ares et … centiares.

2Ce droit de préemption est exercé en vue de la réalisation de +/- 20 à 22 logements visés par les dispositions relatives aux aides à la construction d’ensembles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir procéder à la rédaction de l’acte authentique de vente, en application des dispositions de l’article 11 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes.

Un recours contre la présente décision est ouvert devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg, et est à introduire par un avocat à la Cour inscrit soit au barreau de Luxembourg, soit au barreau de Diekirch. Ce recours doit être introduit sous peine de forclusion dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente décision. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2018, sous le numéro 40914 du rôle, Monsieur (A) ainsi que la société (AB) introduisirent un recours en annulation contre la délibération précitée du 25 janvier 2018, par eux qualifiée de décision, matérialisée à travers le courrier précité du FONDS DU LOGEMENT du 19 février 2018 (n° 40915 du rôle).

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 40915 du rôle, Monsieur (A) et la société (AB) demandèrent encore à voir prononcer un sursis à exécution de la décision déférée en attendant la solution de leur recours au fond, demande dont ils furent déboutés par ordonnance présidentielle du 18 avril 2018.

Par jugement du 3 juin 2019 (n° 40914 du rôle), le tribunal se déclara incompétent ratione materiae pour connaître de ce recours en annulation au motif que l’écrit litigieux portant décision de préemption du FONDS DU LOGEMENT ne serait pas constitutif d’une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions administratives, au motif qu’en substance, l’on serait en présence d’une contestation portant sur un droit civil, l’exercice d’un droit de préemption portant conclusion immédiate, dès la décision de préemption du pouvoir préemptant, d’un contrat de vente en application de l’article 1583 du Code civil.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 9 juillet 2019, Monsieur (A) et la société (AB) firent régulièrement entreprendre le jugement précité du 3 juin 2019 dont ils sollicitèrent la réformation dans le sens de voir dire que le tribunal administratif était compétent ratione materiae pour connaître du litige lui déféré à travers leur recours en annulation du 16 mars 2018 sous analyse et de voir renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant les premiers juges avec mise de l’entièreté des frais d’appel à charge du FONDS DU LOGEMENT.

Par arrêt du 21 janvier 2020 (n° 43240C du rôle), la Cour administrative réforma le jugement précité du 3 juin 2019 pour dire que le tribunal administratif était compétent pour connaître du recours en annulation de la décision du conseil d’administration de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT du 25 janvier 2018 portant exercice de son droit de préemption, de sorte à renvoyer le dossier en prosécution de cause devant ledit tribunal.

Par jugement du 3 mars 2021, le tribunal déclara le recours en annulation des parties demanderesses recevable, mais non justifié, tout en les en déboutant, en rejetant leurs demandes respectives en paiement d’indemnités de procédure et en condamnant les parties demanderesses aux frais et dépens.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 8 avril 2021, Monsieur (A) et la société (AB) ont fait entreprendre le jugement précité du 3 mars 2021 dont ils sollicitent la 3réformation dans le sens de voir dire leur recours en annulation fondé et de voir en conséquence annuler la décision du conseil d’administration de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT du 25 janvier 2018 retranscrite dans un courrier du 19 février 2018 portant exercice du droit de préemption par rapport au terrain visé inscrit au cadastre sous le numéro … et de voir condamner ledit établissement public à une indemnité de procédure de 5.000.- €, de même qu’à l’entièreté des frais d’appel.

La question de la compétence d’attribution des juridictions de l’ordre administratif a été définitivement toisée à travers l’arrêt précité du 21 janvier 2020 d’après lequel il coule de source que c’est le juge naturel compétent pour connaître de la légalité et du bien-fondé des décisions administratives de nature à faire grief, à savoir le juge administratif, qui, sauf disposition contraire d’un ordre équivalent, est appelé à connaître d’un recours dirigé contre pareille décision d’exercice d’un droit de préemption prise par une personne de droit public en application des articles 3 et suivants de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, ci-après « la loi du 22 octobre 2008 ».

Aucune contestation n’ayant été élevée concernant la recevabilité de l’appel, celui-ci est à déclarer recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

De même aucune question concernant la recevabilité du recours initial de première instance n’a été élevée en cause.

La partie appelante a ciblé son argumentaire autour de trois séries de questions restées litigieuses en instance d’appel, toutes d’ores et déjà rencontrées en première instance.

Les parties appelantes estiment en premier lieu qu’aucun des cas d’ouverture prévu par la loi du 22 octobre 2008 ne se trouverait vérifié en l’espèce. En second lieu, elles concluent à une violation du même article 3, dernier alinéa, à défaut par le FONDS DU LOGEMENT, pouvoir préemptant, d’avoir démontré l’existence d’un projet concret ou, du moins, en voie de concrétisation s’inscrivant à suffisance dans un cadre d’intérêt général.

En troisième lieu, les parties appelantes concluent à une violation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 » au motif que le FONDS DU LOGEMENT, pouvoir préemptant, ne les auraient pas informées à suffisance de son intention d’exercer son droit de préemption.

Il convient en premier lieu d’analyser si la démarche du FONDS DU LOGEMENT, pouvoir préemptant, s’est inscrite valablement dans le cadre d’un ou de plusieurs cas d’ouverture prévus par la loi.

La loi applicable est en l’occurrence la loi du 22 octobre 2008 telle qu’elle a résulté de sa dernière modification opérée à travers la loi dite Omnibus du 4 mars 2017.

Le siège de la matière est inscrit à l’article 3 de la version ainsi pertinente de la loi du 22 octobre 2008.

Il se dégage des développements des parties ensemble les pièces versées en cause que seul le sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 en question peut apparaître a priori comme étant pertinent au regard des prétentions du FONDS DU LOGEMENT en tant que pouvoir préemptant.

4Ce sixième tiret s’énonce comme suit : « les pouvoirs préemptant et les biens soumis au droit de préemption sont : (…) – la commune et le fonds pour le développement du logement et de l’habitat pour toutes les parcelles situées entièrement ou partiellement dans une bande de 100 mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée et située à l’extérieur de ces zones ».

Les parties sont contraires sur la question de savoir si le terrain faisant l’objet du droit de préemption exercé par le FONDS DU LOGEMENT rentre dans les prévisions de ce sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 en question.

Le FONDS DU LOGEMENT, par confirmation du jugement dont appel, estime que tel est bien le cas, notamment au regard de l’objectif et de l’utilité de la disposition légale en question en vue de rendre possible la création de logements à coût modéré conformément au but de la loi.

Les appelants estiment, de leur côté, tout comme en première instance, que d’évidence le terrain litigieux, en ce qu’une partie est située en zone constructible le long de la …, ne rentre pas dans les prévisions dudit article de loi. Ainsi, en application du cinquième tiret du même alinéa 1er de l’article 3 en question, seule la commune serait habilitée à préempter des parcelles non construites situées dans des zones urbanisées ou destinées à être urbanisées sur le territoire communal.

Le principe fondamental de l’Etat de droit a été consacré par la Cour constitutionnelle à travers son arrêt du 28 mai 2019 (n° 00146 du registre) en tant qu’étant inhérent à la fois au principe démocratique de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg inscrit à l’article 1er de la Constitution et à celui du régime de la démocratie parlementaire applicable à partir de son article 51, paragraphe 1er.

En même temps, ledit arrêt de la Cour constitutionnelle a consacré les principes d’accès au juge et de recours effectif comme principes à valeur constitutionnelle découlant directement du principe fondamental de l’Etat de droit.

C’est dans la lignée de ces principes que la Cour, à travers son arrêt du 21 janvier 2020 précité, a qualifié la décision d’exercice du droit de préemption en tant qu’acte administratif individuel détachable soumis, de par sa nature d’exercice de droits exorbitants du droit commun par le pouvoir préemptant, au contrôle du juge administratif.

Il incombe au juge administratif, dans ce contexte d’application des principes découlant du principe fondamental de l’Etat de droit, de créer un juste équilibre entre les droits légitimes de l’administré, en l’occurrence son droit de propriété garanti par l’article 16 de la Constitution ainsi que par les dispositions de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), de même que les garanties fondamentales notamment du contradictoire, des droits de la défense et de la liberté contractuelle, d’un côté, et les attributions conférées par la loi en tant que droits et prérogatives exorbitants du droit commun reconnus à certaines personnes de droit public consistant dans l’exercice d’un droit de préemption en vue de réaliser plus particulièrement la mise en place notamment de logements à coût modéré, non générés à suffisance par le libre cours du marché immobilier.

S’agissant de prérogatives exorbitantes du droit commun conférées à des personnes de droit public, l’application de dispositions y relatives, concernant plus particulièrement des biens soumis au droit de préemption, est nécessairement de nature strict, sous peine de vider outrancièrement les attributs du droit de propriété des tenanciers des biens soumis à l’exercice du droit de préemption tel que sauvegardé à la fois par la Constitution et la CEDH.

Si la bande de terrain sur une profondeur de 100 mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à l’être fait bien partie de l’assiette des biens soumis au droit de préemption suivant le 5sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 sous analyse, cette même disposition précise que seule la bande de terrain située à l’extérieur des zones urbanisées ou destinées à être urbanisées peut-être utilement préemptée.

Dans cette lignée et d’après le libellé même du sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 sous analyse, la partie de la parcelle litigieuse portant le numéro cadastral … jouxtant la …, d’une contenance approximative d’une dizaine d’ares, située en zone urbanisée, n’apparaît pas a priori comme ayant pu faire valablement l’objet de l’exercice d’un droit de préemption de la part du FONDS DU LOGEMENT.

D’après le cinquième tiret de la même disposition légale, seule la commune aurait eu le droit de préempter cette parcelle non construite située dans une zone urbanisée.

D’ailleurs, en phase précontentieuse, la commune de Koerich avait bien rendu attentives les parties qu’elle estimait qu’aucun droit de préemption ne pouvait être valablement exercé par le FONDS DU LOGEMENT concernant du moins cette partie du terrain.

Or, le FONDS DU LOGEMENT, de manière confirmée par le jugement dont appel, a exercé son droit de préemption sur l’entièreté du terrain litigieux d’une contenance de … ha, … a et … ca, d’après les indications fournies au dossier, y compris la languette de terrain située en zone urbanisée le long de la ….

La Cour se rend compte qu’à l’évidence, malgré l’avertissement élevé par la commune, la question de l’assiette utilement préemptable par le FONDS DU LOGEMENT, concernant le terrain litigieux, n’a pas été discutée à suffisance de droit entre parties et que plus particulièrement le point de vue des tiers acquéreurs, les parties appelantes actuelles, n’a pas pu être utilement formulé lors de la procédure précontentieuse, ni a fortiori, n’en a-t-il pu être utilement tenu compte à l’époque, au moment de l’expression par le FONDS DU LOGEMENT de sa volonté d’exercer son droit de préemption tel que prévu par la loi.

Il est vrai qu’à l’époque, les parties partaient, du moins en général, de la prémisse que la décision d’exercice du droit de préemption d’une partie publique ne constituait pas un acte détachable équivalent à une décision administrative individuelle de nature à faire grief, ce dont reflètent à la fois l’ordonnance du président du tribunal administratif précitée du 18 avril 2018 et le jugement subséquent du tribunal, également précité, du 3 juin 2019 à travers lequel celui-ci s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en annulation des parties appelantes actuelles, réformé par la suite par l’arrêt précité du 21 janvier 2020.

En conséquence la Cour est ainsi amenée à analyser l’autre moyen maintenu par les parties appelantes consistant en une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant leurs droits de la défense, tels que par eux invoqués, avant que la décision d’exercice du droit de préemption par le FONDS DU LOGEMENT n’ait pu être valablement prise.

En substance, le FONDS DU LOGEMENT conclut à la confirmation du jugement dont appel ayant retenu que les dispositions de l’article 9 en question étaient certes applicables, mais s’agissant grosso modo de questions de légalité soulevées par les parties appelantes actuelles, il n’était pas rapporté à suffisance en preuve que leur droit d’être entendu n’aurait pas été valablement respecté.

Incidemment, la partie intimée met également en question l’applicabilité comme telles des dispositions dudit article 9, en ce que le FONDS DU LOGEMENT n’aurait pas agi en dehors de l’initiative de l’administré concerné mais bien dans le cadre d’un processus décisionnel non déclenché par lui, mais en réaction d’une demande du notaire commis formulée en raison du compromis de 6vente conclu entre les propriétaires originaires, les consorts (BCDEF), d’un côté, et les parties appelantes, de l’autre.

Les parties appelantes, de leur côté, estiment que l’article 9 en question doit trouver application en l’occurrence, ne fût-ce qu’en raison du principe fondamental du contradictoire sur toile de fond des exigences d’un Etat de droit, tandis qu’à leur avis les garanties y prévues n’ont pas été assurées à suffisance dans leur chef, étant entendu qu’elles n’ont pas pu exposer comme il aurait fallu, de manière effective, leur point de vue concernant notamment l’admissibilité du FONDS DU LOGEMENT à exercer son droit de préemption au regard du libellé strict du sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008.

L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose comme suit : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».

Tout d’abord, les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que l’exception du péril en la demeure ne se trouve pas vérifiée en l’espèce, étant donné qu’aucune situation d’urgence caractérisée au sens de l’article 9 en question ne se trouve vérifiée, encore que la procédure exige une certaine célérité.

De même, le premier cas de figure d’une révocation ou d’une modification d’office d’une décision antérieure visée par ledit article 9 ne se trouve point vérifié en cause, tel que les premiers juges l’ont encore retenu à bon escient.

La discussion des parties s’est dès lors cristallisée autour du deuxième cas d’ouverture prévu par ledit article 9 consistant en ce que l’autorité administrative visée se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée.

Il est vrai qu’en substance, tel que le souligne le FONDS DU LOGEMENT, l’exercice de son droit de préemption s’inscrit dans une procédure déclenchée en raison d’un compromis de vente conclu entre parties venderesse et acquéreuse, entraînant, de par les prévisions de la loi, que le notaire contacte les autorités publiques dotées, d’après la loi, d’un pouvoir de préemption.

Une analyse superficielle pourrait effectivement amener à la conclusion première suivant laquelle les dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne seraient du coup pas applicable dans le contexte de la procédure d’exercice d’un droit de préemption par une partie publique en application notamment de la loi du 22 octobre 2008. Pareille conclusion aboutirait à ce qu’aucune discussion ni aucun échange sur le caractère éventuellement vérifié d’un des six cas d’ouverture prévus par l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008, voire plus loin l’inclusion de l’assiette de l’objet du compromis de vente parmi les cas de figure ainsi visés ne se trouverait vérifiée dans le cas concret.

7Or, tout d’abord la pratique montre que les configurations des parcelles, dégagées à travers les décennies, sinon des siècles, sont éminemment hétéroclites et ne se laissent pas aisément conjuguer d’après les contours stricts tracés par les six cas d’ouverture prévisés. Ensuite, une pratique notariale, aisément retraçable, consiste à notifier un dossier à une partie publique dès qu’un premier soupçon d’existence éventuelle d’un droit de préemption semble pouvoir être dégagé du dossier, sans que toutefois l’adresse d’un dossier à une personne publique ne signifie ainsi, dans les circonstances données, que celle-ci bénéficie effectivement, au regard des termes stricts de la loi, de pareil droit de préemption.

Toutes ces données de fait, essentiellement complexes, induisent un besoin certain de discussion et d’éclaircissements.

En droit, les exigences de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont à lire non seulement au regard de l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse dont elles opèrent la mise en exécution, mais encore à l’aune des exigences mêmes du principe fondamental de l’Etat de droit, dont plus particulièrement le principe du contradictoire soutenant à la base l’ensemble des dispositions communément appelées procédure administrative non contentieuse telles que découlant de ladite loi et de son règlement grand-ducal d’application.

Ainsi, l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 indique clairement que les règles générales par lui visées, c’est-à-dire celles appelées à réglementer la procédure administrative non contentieuse, doivent assurer d’abord le respect des droits de la défense de l’administré en aménageant, dans la mesure la plus large possible, sa participation à la prise de la décision administrative comprenant notamment son droit d’être entendu et d’obtenir communication du dossier administratif en application de l’alinéa 3 du même article 1er.

Dès lors, en application des exigences du principe fondamental d’Etat de droit, dont plus particulièrement le principe du contradictoire et les dispositions formelles des alinéas 2 et 3 de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978, emportent le droit de l’administré d’être entendu et d’obtenir communication du dossier administratif dans la mesure la plus large possible, les termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont à appliquer, eux-aussi, de manière substantielle et non point simplement formelle.

C’est dires que bien que le pouvoir préemptant soit amené à exercer son droit sur notification du notaire, après communication du dossier afférent, il n’en reste pas moins que cet exercice du droit de préemption intervient en dehors de l’initiative de la partie concernée – ici le tiers acquéreur – étant entendu que la procédure aboutissant à l’exercice d’un droit de préemption s’opère nettement ex lege, en vertu des dispositions de la loi, à l’exclusion de la volonté propre des parties au compromis de vente dont s’agit, dont le but premier, en application des dispositions de l’article 1134 du Code Civil ensemble le principe de liberté contractuelle, consiste à voir exécuter la convention par eux conclue.

Il est vrai que l’article 7 de la loi du 22 octobre 2008 prévoit que pour le cas d’existence d’après la loi d’un droit de préemption dans le chef d’une partie publique, pareil compromis n’est conclu que sous condition suspensive de non-exécution du droit de préemption en question. Ce mécanisme emporte toutefois que toute la clarté puisse être faite à l’échelon le plus proche possible de la convention des parties, en cours de phase non contentieuse, compte tenu de la complexité inhérente à la matière, tant en ce qui concerne les cas d’ouverture du droit de préemption visé par la loi que, plus loin, l’assiette exacte des biens par eux visés.

8Dans le contexte donné un rôle particulier se trouve, par essence, dévolu au notaire instrumentant chargé par les parties venderesse et acquéreuse au compromis de passer l’acte notarié de vente. En tant qu’officier ministériel instauré par la loi, il lui incombe de veiller a priori à ce que la partie publique faisant part de son intention d’exercer son droit de préemption remplisse les obligations découlant de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et fasse part de son intention plus particulièrement au tiers acquéreur tel que se dégageant du compromis de vente à la base de l’opération conformément aux dispositions dudit article 9.

Il résulte de l’ensemble des données du dossier soumis à la Cour que pour le moins les parties appelantes et plus particulièrement la société (AB) appelée en définitive à acquérir le terrain litigieux, en vertu du compromis dont s’agit, n’ont pas pu valablement exercer leurs droits de la défense précontentieux face à l’initiative du pouvoir préemptant FONDS DU LOGEMENT d’acquérir la parcelle litigieuse dans son intégralité - l’exercice de ce droit posant pour le moins problème concernant la languette de parcelle située en zone urbanisée -, ni surtout qu’un délai adéquat d’au moins huit jours ait été conféré audit tiers acquéreur pour prendre position, voire demander à être entendu en personne, ces formalités étant essentielles aux termes mêmes dudit article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

En admettant que le droit de préemption du FONDS DU LOGEMENT ne pouvait tout au plus porter que sur la bande de 100 mètres longeant les surfaces constructibles à l’endroit, d’autres questions pour lesquelles aucune clé de solution ne se trouve d’ores et déjà au dossier, s’en dégagent nécessairement.

D’un côté, la question se pose si la bande de terrain de 100 mètres qui se trouve nécessairement en seconde ligne, reste intéressante pour le FONDS DU LOGEMENT, dont le droit de préemption n’embrasse a priori pas, d’après les termes mêmes du sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008, un accès vers la … et garde un intérêt suffisant en vue de créer objectivement les logements à coût modéré mis en avant par ladite personne publique.

Dans l’affirmative, la question des prix respectifs des terrains dans la zone constructible devant revenir au tiers acquéreur initial et des terrains non constructibles préemptables a priori se pose avec acuité emportant autant de besoins de discussion et d’échanges de positions non seulement avec le tiers acquéreur mais encore avec le vendeur initial.

L’utilité du module d’échange de position prévu par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans le chef de l’administré concerné et plus spécifiquement dans celui du tiers acquéreur se trouve ainsi amplement vérifiée.

Il est en effet vrai que la loi du 22 octobre 2008 ne prévoit pas de solution directe à des situations où le droit de préemption ne peut porter que sur partie du terrain, en ce qu’une partie du terrain se trouve en zone constructible, et n’est, en tant que telle, pas préemptable par le FONDS DU LOGEMENT d’après les dispositions univoques du sixième tiret de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008.

Il s’agit dans ces conditions d’échanger entre parties intéressées et de clarifier les points de vue respectifs chaque fois que le principe même du droit de préemption, puis les modalités afférentes concernant notamment l’assiette de l’objet de celui-ci, portent à discussion.

D’évidence et par essence, la prise de position du tiers acquéreur ne se limite en l’occurrence pas seulement à des arguments de pure légalité, dès le moment où il a remis en question l’existence 9même du droit de préemption du FONDS DU LOGEMENT, ne fût-ce que pour la languette de terrain située en zone constructible.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que par réformation du jugement dont appel, la décision d’exercice du droit de préemption litigieuse du 25 janvier 2018 de la part du conseil d’administration du FONDS DU LOGEMENT encourt l’annulation pour non-respect des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ensemble les exigences du principe fondamental de l’Etat de droit et de celles du principe du contradictoire sous-tendant les règles de la procédure administrative non contentieuse telles que cadrées par l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978.

Les parties appelantes sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 5.000.- € pour l’instance d’appel.

Cette demande est à écarter, les conditions légales afférentes ne se trouvant point remplies.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit justifié ;

réformant, annule la décision du conseil d’administration de l’établissement public FONDS DU LOGEMENT du 25 janvier 2018 ayant porté exercice du droit de préemption par rapport au terrain litigieux portant le numéro cadastral … ;

renvoie le dossier devant ledit conseil d’administration ;

écarte la demande en allocation d’une indemnité de procédure des parties appelantes ;

condamne la partie intimée aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELPORTE, président.

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 octobre 2021 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45871C
Date de la décision : 21/10/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-10-21;45871c ?

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