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15/07/2021 | LUXEMBOURG | N°45739C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 15 juillet 2021, 45739C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45739C Inscrit le 3 mars 2021 Audience publique du 15 juillet 2021 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 janvier 2021 (n° 42654 du rôle) en matière d’impôts Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 45739C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 3 mars 2021 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN S.A., établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, immatriculée au reg

istre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 209469, ins...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45739C Inscrit le 3 mars 2021 Audience publique du 15 juillet 2021 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 janvier 2021 (n° 42654 du rôle) en matière d’impôts Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 45739C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 3 mars 2021 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN S.A., établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 209469, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée pour les besoins de la présente par Maître Elisabeth ADAM, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro…, représentée par son collège de gérance actuellement en fonctions, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 22 janvier 2021 (n° 42654 du rôle), par lequel elle a été déboutée de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 29 janvier 2019 (n° du rôle …) ayant déclaré irrecevable pour tardiveté la réclamation dirigée contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2015, ainsi que de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, tous émis le 27 juin 2018, ainsi qu’à voir « (…) annuler la taxation d’office en raison de son caractère manifestement erroné et de son imposition contraire à la Convention, et dire qu’il y a lieu de fixer la cote d’impôt de la Requérante au titre de l’année d’imposition 2015 en excluant tous les revenus attribuables à la Succursale de la Requérante conformément à la déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 et au bilan fiscal de l’année 2015 de la Requérante, sinon renvoyer l’affaire devant Madame le Directeur des contributions directes en prosécution de cause afin de déterminer la base imposable de la Requérante pour l’année d’imposition 2015 conformément à la déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 et au bilan fiscal pour l’année 2015 de la Requérante (…) » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 avril 2021 ;

1Vu le mémoire en réplique déposé le 5 mai 2021 au greffe de la Cour administrative par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, préqualifiée, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves PRUSSEN, en remplacement de Maître Elisabeth ADAM, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2021.

Faute d’avoir déposé une déclaration pour l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial pour l’année 2015, la société à responsabilité limitée (AB), ci-après « la société (AB) », fit l’objet d’une taxation d’office sur le fondement du § 217 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à travers l’émission le 27 juin 2018, par le bureau d’imposition Sociétés 6, du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, du bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2015, du bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2016, ainsi que du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016.

Par un courrier du 24 octobre 2018, réceptionné le 26 octobre 2018 par l’administration des Contributions directes, ci-après « l’ACD », la société (AB) adressa au directeur de ladite administration, ci-après « le directeur », une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2015 et du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016.

Par une décision du 29 janvier 2019, répertoriée sous le numéro du rôle …, le directeur déclara la réclamation irrecevable au motif qu’elle avait été introduite tardivement.

Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Vu la requête introduite le 26 octobre 2018 par la dame …, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), avec siège social à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2015 et le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, tous émis en date du 27 juin 2018 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que l’introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires connexes, mais n’est pas incompatible en l’espèce avec les exigences d’une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi ; qu’il est, en principe, loisible au directeur des contributions de joindre ou non des affaires qui lui paraissent suffisamment connexes ;

2 Considérant qu’aux termes des §§ 228 et 246 AO, dont la règle a été reprise dans l’instruction sur les voies de recours figurant aux bulletins entrepris, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification ;

Considérant que les bulletins litigieux ont été émis en date du 27 juin 2018 et notifiés le 2 juillet 2018, de sorte que le délai a expiré le 2 octobre 2018 ; que les réclamations, introduites en date du 26 octobre 2018, sont donc tardives ;

Considérant qu’aux termes du § 83 AO ce délai est un délai de forclusion ;

Considérant que l’instruction n’a pas révélé de circonstances susceptibles de justifier un relevé de forclusion suivant les §§ 86 et 87 AO ; qu’en exécution du § 252 AO, les réclamations sont donc à qualifier de tardives ;

Considérant qu’il découle de tout ce qui précède que les réclamations introduites sont irrecevables ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2019, la société (AB) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 29 janvier 2019, ainsi qu’à voir « (…) annuler la taxation d’office en raison de son caractère manifestement erroné et de son imposition contraire à la Convention, et dire qu’il y a lieu de fixer la cote d’impôt de la Requérante au titre de l’année d’imposition 2015 en excluant tous les revenus attribuables à la Succursale de la Requérante conformément à la déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 et au bilan fiscal de l’année 2015 de la Requérante, sinon renvoyer l’affaire devant Madame le Directeur des contributions directes en prosécution de cause afin de déterminer la base imposable de la Requérante pour l’année d’imposition 2015 conformément à la déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 et au bilan fiscal pour l’année 2015 de la Requérante (…) ».

Dans son jugement du 22 janvier 2021, le tribunal administratif, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, reçut le recours en réformation en la forme, au fond le déclara non justifié et en débouta la demanderesse. Il rejeta encore sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et la condamna aux frais de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal retint que le recours introduit visait uniquement la décision directoriale et non pas les bulletins d’impôt litigieux, mais seulement l’imposition opérée par ces derniers, imposition que la société (AB) aurait voulu contester auprès du directeur, mais que ce dernier n’aurait pas examinée, faute de réclamation recevable. Le tribunal en conclut que le recours visait, d’une part, l’analyse de la décision directoriale quant à la tardivité de la réclamation et, d’autre part, au cas où le tribunal devrait arriver à la conclusion que la réclamation serait recevable, l’analyse de la validité de l’imposition opérée à travers les bulletins litigieux, et donc du bien-fondé de la réclamation.

3Le tribunal releva cependant que nonobstant ce constat, l’objet de la décision directoriale portait uniquement sur le constat de la tardiveté de la réclamation de la société (AB) et partant sur son irrecevabilité, de sorte que son analyse devait également se limiter à cette seule question.

Quant au fond, le tribunal, se référant au § 91 AO, releva que la décision fiscale ne devient opposable à son destinataire que lorsqu’elle lui est régulièrement notifiée et que l’ACD est tenue de notifier le bulletin d’impôt à la personne directement concernée par son contenu.

Il en déduisit que la possibilité de recourir à un mandataire pour réceptionner le bulletin au nom et pour le compte de son mandant est a priori exclue, mais que la possibilité d’une représentation par un mandataire est admise, de manière générale, en droit fiscal par le § 107 (1) AO prévoyant que : « Wer durch Abwesenheit oder sonst verhindert ist, Pflichten zu erfüllen, die ihm im Interesse der Besteuerung obliegen, oder Rechte wahrzunehmen, die ihm nach den Steuergesetzen zustehen, kann dies durch Bevollmächtigte tun ». Il en déduisit qu’un contribuable résident peut conférer mandat à une autre personne pour réceptionner les bulletins d’impôt à sa place. Il en conclut encore qu’en cas de mandataire dûment désigné et non expressément refusé par l’ACD en vertu du § 107 (2) AO, seule la notification au mandataire est à considérer comme notification régulière au sens du § 91 AO, de manière à faire courir le délai de réclamation, même si une notification simultanée au contribuable est également possible en vertu du § 107 (4) AO, une notification du bulletin d’impôt au seul contribuable n’étant pas de nature à faire courir le délai de réclamation.

Le tribunal examina ensuite la validité du mandat conféré à la société à responsabilité limitée (CD), ci-après « la société (CD) », et parvint à la conclusion que le signataire de la lettre de mandat n’avait pas pouvoir pour engager la société (AB), de sorte qu’il n’avait pas pu valablement mandater la société (CD) pour réceptionner les notifications adressées à la société (AB). Il releva également que le mandat en question était fondé sur le § 89 AO, qui concerne les seuls contribuables non-résidents, ce qui n’est pas le cas de la société (AB) dont le siège social se situe au Luxembourg, pour en conclure que le mandat était inopérant.

Le tribunal en conclut que le mandat n’avait pas été valablement conféré à la société (CD), de sorte que la notification des bulletins d’impôt litigieux à la société (AB) était régulière, conformément au § 91 AO, seul applicable en dehors de l’hypothèse d’un mandat valablement conféré à un tiers.

Enfin, se référant au § 211, alinéa (3) AO et à l’article 2 du règlement grand-ducal modifié du 24 octobre 1978 concernant la notification des bulletins en matière d’impôts, le tribunal retint que la notification des bulletins avait pu valablement être effectuée par simple lettre et que la notification des bulletins était présumée accomplie le troisième jour ouvrable qui suit celui de la date d’émission des bulletins, la société (AB) ne contestant pas avoir reçu l’envoi contenant la notification des bulletins litigieux. Il conclut que la notification est présumée intervenue le 2 juillet 2018 et que le délai de réclamation de trois mois, tel que prévu au § 228 AO, a expiré le 2 octobre 2018, de sorte que le directeur a pu à bon droit déclarer la réclamation introduite le 24 octobre 2018 irrecevable pour avoir été introduite tardivement.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 3 mars 2021, la société (AB) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle réexpose que sa société mère indirecte, la société à responsabilité limitée (ABB), ci-après « la société (ABB) », à travers son gérant Monsieur (A), 4qui serait également gérant de la société (AB), aurait signé la lettre par laquelle il a été donné mandat à Monsieur (B) de la société (CD) en vue de recevoir pour toutes les sociétés du groupe y listées, parmi lesquelles figure la société (AB), toutes les notifications émanant de l’ACD.

Cette dernière aurait été informée de l’existence de ce mandat par une lettre de la société (CD) du 26 octobre 2017 et encore par courriel du 30 octobre 2017. Les bulletins d’impôt litigieux auraient toutefois été notifiés au siège de la société (AB) et non à son mandataire, la société (CD).

L’appelante précise que sa déclaration fiscale pour l’année 2015 n’aurait pas pu être déposée dans les délais en raison d’une erreur dans les comptes sociaux au 31 janvier 2015.

Cette problématique aurait été discutée lors d’une réunion d’information entre la société (CD) et l’ACD en date du 10 octobre 2017. Lors de cette réunion, il aurait été convenu qu’elle allait mettre en place une procédure afin d’éviter ce genre d’erreur à l’avenir et qu’elle devrait, pour l’année fiscale 2015, procéder à un ajustement comptable et fiscal afin de rectifier cette erreur.

Pour éviter que sa situation ne soit analysée par le bureau d’imposition de manière isolée au regard de la seule déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 basée sur les comptes annuels de 2015 comportant l’erreur, elle aurait entendu remettre sa déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 ensemble avec celle pour l’année d’imposition 2017 au cours de laquelle l’erreur allait être corrigée. Ce serait dans ce contexte que la taxation d’office du 26 juin 2018 serait intervenue, bien que l’ACD eût été au courant de la situation, notamment en raison d’une lettre d’information du 9 février 2016 ainsi que de la réunion du 10 octobre 2017 et qu’elle aurait donc su que le retard dans le dépôt de sa déclaration fiscale pour l’année 2015 était liée à une erreur matérielle dans ses comptes annuels.

Elle reproche ainsi à l’ACD d’avoir notifié, en dépit de l’existence et de la connaissance du mandat de représentation, les bulletins d’impôt à son siège social en omettant de les notifier, avant tout, à la société (CD) qui n’aurait appris l’existence des bulletins d’impôt qu’au cours du mois d’octobre 2018.

L’appelante estime que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu’en cas de mandataire désigné, seule la notification à ce dernier est à considérer comme notification régulière au sens du § 91 AO faisant courir le délai de réclamation, même si une notification simultanée au contribuable lui-même est également possible et qu’ils ont conclu que la notification du bulletin d’impôt au seul contribuable n’a pas pu faire courir le délai de réclamation. Ce serait dès lors à tort que le directeur a déclaré sa réclamation irrecevable pour cause de tardiveté.

Elle reproche ensuite aux premiers juges d’avoir remis en cause la validité du mandat donné à la société (CD) au motif que la société (ABB) n’aurait pas eu qualité pour ce faire, d’une part, et que même à admettre la validité du mandat, sa portée devrait s’analyser au regard de l’article 1989 du Code civil, de sorte que la référence au § 89 AO faite dans le mandat exclurait en tout état de cause son application à l’appelante, d’autre part.

A titre principal, l’appelante sollicite l’annulation du jugement entrepris pour violation du principe du contradictoire, sur le fondement de l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin de 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au motif qu’il n’aurait pas appartenu au tribunal administratif de soulever d’office la question de la validité du mandat sans inviter les parties à en débattre contradictoirement.

5En se référant à l’article 1985 du Code civil, le tribunal se serait livré à une analyse de la question sous l’aspect du droit civil, ce qui n’aurait pas été débattu par les parties. S’il avait estimé que cet article était pertinent pour la solution du litige, il aurait dû demander aux parties d’examiner la question sous cet angle. Or, d’après l’appelante, l’article 1985 du Code civil ne règlerait pas le problème de la validité, mais seulement la question de la preuve du mandat, laquelle se ferait en l’espèce non pas selon les règles du droit civil, mais selon celles du droit commercial, les deux parties concernées étant des sociétés commerciales. En plus, il n’appartiendrait pas à un tiers, ni à l’ACD de contester la validité d’un mandat dont l’existence est confirmée par le mandant et le mandataire. L’appelante souligne que ledit article 1985 prévoirait justement que le mandat peut être verbal. Elle en conclut que la seule question à débattre aurait été celle de savoir si l’existence du mandat avait été portée à la connaissance de l’ACD.

L’appelante insiste encore sur l’objet du recours introduit devant le tribunal administratif, lequel aurait été limité à la contestation de l’irrecevabilité de la réclamation soulevée par le directeur en raison d’une prétendue tardiveté, mais qu’il n’aurait jamais été question d’une prétendue invalidité du mandat. Elle n’aurait ainsi pas pu prendre position par rapport à l’application de l’article 1985 du Code civil.

En ordre subsidiaire, l’appelante soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont déclaré le mandat comme étant non valide. Se référant aux articles 1984 et 1985 du Code civil, elle soutient que le mandat serait valide et que la preuve en matière commerciale, comme en l’occurrence, serait de toute façon libre.

Elle précise que Monsieur (A), agissant comme gérant de toutes les sociétés listées dans la lettre de mandat, aurait confirmé le mandat donné par écrit en son nom à la société (CD) le 25 octobre 2017 et que cette dernière l’aurait accepté. Si l’ACD avait eu des questions ou des objections par rapport à ce mandat, elle aurait dû en aviser le contribuable et demander des précisions. Toutes les parties intéressées au contrat ayant été d’accord quant à l’existence et au contenu du mandat, celui-ci serait valable en tant que tel, puisque le mandat serait un contrat consensuel.

Il n’y aurait partant aucune raison de remettre en cause la validité du mandat donné à la société (CD), d’autant plus que l’ACD aurait elle-même tenu compte du mandat en notifiant une sommation-astreinte visant la société (ABC) à la société (CD) et en notifiant les bulletins d’impôt pour l’année 2017 et d’autres documents concernant la société (AB) à la société (CD).

L’appelante insiste encore sur le fait qu’elle a donné son consentement à ce que la société (CD) soit son mandataire désigné pour les actes y visés et qu’elle maintient ce consentement, la société (CD) réaffirmant également avoir donné son accord à ce mandat. Le débat portant sur la validité du mandat ne serait donc pas pertinent en l’espèce.

Elle soutient ensuite que la portée du mandat donné à la société (CD) ne serait en rien limitée par son contenu. Elle critique ainsi les premiers juges d’avoir jugé que le mandat n’était pas opérant en ce qui la concerne, en ce qu’il est basé sur le § 89 AO, qui concerne les seuls contribuables non-résidents, alors que son siège social se situe au Luxembourg, en faisant valoir que la référence au § 89 AO procéderait d’une simple erreur matérielle.

L’appelante souligne encore que l’article 1989 du Code civil prévoyant que « le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat : le pouvoir de 6transiger ne renferme pas celui de compromettre », viserait uniquement à protéger le mandant dans l’hypothèse où le mandataire outrepasserait les limites du mandat lui confié et devrait être lu en combinaison avec l’article 1998 du Code civil qui rendrait inopposables les actes accomplis par le mandataire lorsque celui-ci agit au-delà des termes de son mandat. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, puisque les deux parties seraient d’accord quant à l’existence et à l’étendue du mandat consistant à recevoir toutes les notifications émanant de l’ACD et à la représenter dans ses échanges avec cette dernière.

Elle ajoute qu’en vertu du § 107, alinéa (2) AO, le contrat de mandat n’aurait pas à être accepté par l’ACD, mais que celle-ci devrait s’y conformer si elle décidait de ne pas rejeter le mandataire désigné par le mandat.

Elle rappelle ensuite que le mandat n’exigerait pas un écrit ad validitatem, de sorte que l’instrumentum, en l’occurrence les termes du mandat, ne pourrait pas être utilisé pour anéantir le negotium qui dominerait ici. La référence au § 89 AO ne pourrait donc pas constituer un élément déterminant pour délimiter la portée du mandat.

En ce qui concerne la taxation d’office opérée, l’appelante précise qu’elle constituerait un mode de détermination unilatéral de la base imposable par le bureau d’imposition et que son but ne serait pas de sanctionner le contribuable, mais de fixer la base imposable pour arriver à un montant qui correspond le plus à la réalité.

Elle conteste ainsi l’affirmation de la partie étatique faite en première instance selon laquelle le bureau d’imposition n’aurait pas eu les informations utiles sur l’existence de la succursale située aux Etats-Unis d’Amérique. Elle rappelle que par la lettre d’information du 9 février 2016 déposée par la société (CD), le bureau d’imposition aurait été informé de l’existence de cette succursale américaine, que les comptes annuels de 2015 auraient été déposés au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg le 3 mars 2017 et que lors de la réunion d’information avec la société (CD) du 10 octobre 2017, l’ACD aurait été informée de l’erreur matérielle dans les comptes annuels de l’exercice 2015 justifiant notamment le retard dans le dépôt de la déclaration fiscale afférente. Malgré cela, l’ACD aurait procédé le 27 juin 2018 à une taxation d’office pour l’année 2015 sans tenir compte de la lettre d’information faisant partie du dossier fiscal de la société, c’est-à-dire en ignorant l’existence de la succursale dont elle avait alors parfaitement connaissance. L’ACD se serait ainsi basée sur les comptes annuels déposés tout en sachant, depuis la réunion d’information du 10 octobre 2017, qu’ils contenaient une erreur matérielle et en ignorant la note aux comptes numéro 10 rappelant l’existence de la succursale américaine.

Dans ce contexte, l’appelante se prévaut du principe du contradictoire qui serait applicable dans le cadre de la procédure de taxation d’office, en renvoyant à la doctrine allemande à cet égard. Elle soutient que ce principe serait applicable au cas où le bureau d’imposition dispose, comme en l’espèce, des comptes annuels et décide d’en dévier en omettant une donnée y contenue relative à l’existence de la succursale.

Elle conclut que la violation du principe du contradictoire par le bureau d’imposition devrait entraîner la nullité des bulletins d’impôt litigieux. Elle fait valoir que contrairement à une jurisprudence qu’elle cite, la vérification du respect du délai de réclamation ne se situerait pas à un stade antérieur à celui de la vérification du principe du contradictoire. Se référant à la législation et la jurisprudence allemandes, elle considère que la nullité des bulletins de taxation pour violation du principe du contradictoire devrait pouvoir être contestée même en dehors du 7délai de réclamation. En droit luxembourgeois, la notion de la nullité s’appliquerait, non pas sur base d’un texte de loi, comme ce serait le cas en Allemagne, mais sur base du principe du contradictoire qui ferait partie intégrante des dispositions de l’AO, cumulé en l’espèce avec l’absence de prise en compte du dossier dont disposait le bureau d’imposition.

Enfin, l’appelante fait valoir que la taxation d’office opérée en l’espèce constituerait une sanction. Elle précise qu’en vertu des articles 7 (1), 7 (2) et 25 (2) de la Convention fiscale entre le Grand-Duché du Luxembourg et les Etat-Unis d’Amérique, les bénéfices de la succursale réalisés aux Etats-Unis seraient imposables dans cet Etat et seraient par conséquent exonérés d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal au Luxembourg. De plus, en application des articles 23 (2) et 25 (2) de ladite convention, les éléments d’actifs d’un établissement stable aux Etats-Unis seraient imposables dans cet Etat et seraient exonérés d’impôt sur la fortune au Luxembourg. Or, le bureau d’imposition, en ne tenant volontairement pas compte de l’existence de la succursale, aurait intégré de manière erronée le résultat attribuable à la succursale au résultat imposable de la société (AB) et aurait pris en compte les actifs lui alloués pour évaluer la fortune nette soumise à l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016. La différence entre l’impôt fixé par la taxation d’office d’un montant total de … € et l’impôt effectivement dû en tenant compte de l’existence de la succursale américaine d’un montant total de … €, s’élèverait à … €. Une telle différence d’impôt irait manifestement au-delà d’une simple marge de sécurité et matérialiserait une imposition qui ne correspondrait pas à la réalité de sa situation et s’inscrirait en plus en violation de ladite convention.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement reprend les faits et rétroactes de l’affaire, tout en précisant que l’ACD aurait été contrainte de procéder par la voie de la taxation d’office en émettant le 27 juin 2018 les bulletins d’impôt litigieux, faute pour la société (AB) d’avoir déposé sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2015, et ceci indépendamment de l’origine ou de la cause du retard, l’ACD étant tenue de remplir sa mission légale.

Le délégué déclare interjeter appel incident contre le jugement a quo, dans la mesure où les premiers juges n’ont pas suivi la position de l’Etat selon laquelle la notification au siège social d’une entreprise est en toutes circonstances opposable à cette dernière.

Il souligne ensuite que l’objet du litige serait délimité par le contenu de la décision directoriale qui aurait uniquement retenu l’irrecevabilité de la réclamation pour cause de tardiveté. Il s’ensuivrait que l’argumentation de la partie appelante portant sur la taxation d’office et qui viserait à critiquer le fond du litige n’aurait pas été tranchée par le directeur et ne pourrait pas être soumise au contrôle du juge administratif.

En outre, il soutient que l’argumentation de la partie appelante tendant à faire établir que la taxation d’office constituerait une sanction et à solliciter la nullité des bulletins d’impôt pour violation du principe du contradictoire aurait été soulevée pour la première fois en appel et constituerait une demande nouvelle prohibée en appel conformément à l’article 41, paragraphe (2), de la loi précitée du 21 juin 1999.

Quant à la demande d’annulation du jugement entrepris pour violation du principe du contradictoire, le délégué du gouvernement soutient que ce ne serait pas le tribunal qui aurait soulevé d’office la question de la validité du mandat, mais bien la partie appelante elle-même qui aurait soulevé la question dans son mémoire en réplique de première instance, de sorte qu’il ne saurait être question d’une quelconque violation du principe du contradictoire.

8 Concernant l’opposabilité de la notification des bulletins d’impôt au siège social de l’appelante, le délégué du gouvernement soutient, en se prévalant de la doctrine allemande, qu’il faudrait distinguer entre le régime du mandat lors de la phase d’imposition (§ 107 AO) et celui lors de la phase contentieuse (§ 254 AO), ces deux dispositions poursuivant des finalités distinctes. Lors de la phase d’imposition, la notification pourrait être effectuée directement au contribuable nonobstant la désignation d’un mandataire. Il n’en irait pas de même lors de la phase contentieuse. Le délégué se réfère encore, dans ce contexte, à un arrêt de la Cour administrative du 1er août 2018 (40799C du rôle) ayant retenu l’opposabilité de la seule notification du bulletin au siège social d’une entreprise nonobstant la nomination d’un liquidateur.

En ordre subsidiaire, le délégué du gouvernement conteste la validité du mandat conféré à la société (CD). Il soutient que les conditions du § 107, alinéa (1) AO pour nommer un mandataire ne seraient pas remplies en l’espèce, la partie appelante restant en défaut d’établir qu’elle aurait été dans l’impossibilité d’accomplir ses obligations fiscales. Il considère que l’appelante ne saurait légitimement se prévaloir d’une prétendue « rechtliche Unerfahrenheit oder Unkenntnis », alors qu’un groupe coté, employant plus de … personnes à travers le monde, devrait être en mesure de réceptionner des bulletins d’impôt ou de la correspondance de la part de l’ACD.

Il insiste encore sur le défaut de validité du mandat au motif que son signataire, la société (ABB), n’aurait pas eu qualité pour le signer. En outre, la partie appelante ne pourrait pas valablement se prévaloir de l’existence d’un mandat oral, alors que celui-ci serait contredit par tous les éléments écrits du dossier. Il s’ensuivrait qu’en l’espèce, aucun mandat valable n’aurait été conféré à la société (CD).

Dans son mémoire en réplique, la partie appelante se rapporte à la sagesse de la Cour concernant la recevabilité du mémoire en réponse, alors qu’il contiendrait des erreurs dans la désignation de la partie appelante et du numéro du rôle du jugement entrepris.

Elle conclut ensuite à l’irrecevabilité de l’appel incident de la partie étatique au motif que le délégué du gouvernement n’aurait pas versé le mandat du ministre des Finances pour faire appel, conformément à l’article 40, paragraphe (2), de la loi précitée du 21 juin 1999, cette condition devant également s’appliquer en cas d’appel incident.

En ordre subsidiaire, l’appelante conteste que son argumentation sur la taxation d’office constituerait une demande nouvelle, alors que la requête introductive de première instance aurait déjà contenu des développements quant au non-respect du § 217 AO et qu’il aurait été débattu de la question de la taxation d’office devant les premiers juges. Il ne s’agirait dès lors pas d’une demande nouvelle, mais tout au plus d’un moyen nouveau.

Elle insiste ensuite sur la violation du principe du contradictoire en soulignant que l’argumentation relative à l’article 1985 du Code civil aurait été débattue en première instance sous l’angle de la preuve de l’existence du mandat et de sa communication à l’ACD, mais que la question de la validité du mandat n’aurait pas été abordée par les parties, mais soulevée d’office par le tribunal, sans que les parties aient été invitées à en débattre.

La partie appelante réfute la distinction faite par le délégué du gouvernement entre les §§ 107 et 254 AO, estimant que les premiers juges ont retenu à bon droit que la notification 9des bulletins constitue la dernière étape de la phase d’imposition et la première étape de la phase contentieuse et admis la possibilité de charger un mandataire, en vertu du § 107 AO, pour réceptionner un bulletin d’impôt.

Ce serait également à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’existence d’un mandataire dûment désigné et non expressément refusé par l’ACD en vertu du § 107, alinéa (2) AO, entraînerait l’obligation pour l’ACD, afin de procéder à une notification régulière, de notifier les bulletins d’impôt au mandataire.

Quant à la question de la validité du mandat, la partie appelante soutient, tout en soulignant le fait qu’elle n’avait pas soulevé cette question et que celle-ci n’avait pas à être soulevée d’office par le tribunal administratif, quant à la prétendue absence de la condition de la « Abwesenheit » ou de la « Verhinderung » au sens du § 107, alinéa (1) AO, qu’il ne lui appartiendrait pas de prouver que les conditions de validité du mandat sont remplies, alors que ce dernier n’a à aucun moment été remis en cause par l’ACD. En s’appuyant sur la doctrine allemande, elle fait valoir que l’ACD devrait toujours s’adresser au mandataire et qu’elle ne serait pas dispensée de cette obligation en s’adressant directement au contribuable. Selon l’appelante, le recours à un mandataire spécialiste aurait été justement motivé par le souhait d’optimiser le suivi des échanges des nombreuses sociétés du groupe avec l’ACD afin de permettre à chacune de remplir au mieux ses obligations fiscales. L’argument du délégué du gouvernement que chaque dirigeant de société devrait être un spécialiste en droit fiscal ne ferait pas l’unanimité dans la doctrine. Ainsi, selon la doctrine allemande, les termes « wer durch Abwesenheit oder sonst verhindert ist » du § 107 AO seraient à comprendre dans un sens large, comme par exemple « die geschäftliche oder rechtliche Unerfahrenheit oder Unkenntnis ».

Elle en déduit que si les bulletins d’impôt pouvaient être notifiés directement au contribuable représenté, ils devraient en tout état de cause être notifiés au mandataire. En l’espèce, les bulletins d’impôt, notifiés par lettre simple à la société (AB) et non à son mandataire désigné, ne lui seraient pas opposables en vertu du § 91 AO, dès lors que leur notification ne serait pas régulière.

Enfin, la partie appelante fait plaider que l’ACD, au lieu de remettre désormais en question la validité du mandat, aurait dû suivre la procédure du § 254, alinéa (2) AO si elle estimait que le mandat n’était pas clair.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement développe encore ses moyens de défense. Il affirme, contrairement à ce qui serait prétendu par la partie appelante, que celle-ci aurait bien plaidé la question de la validité du mandat en première instance, tout en précisant que l’appelante aurait attendu jusqu’au dernier moment avant de demander l’autorisation de verser un mémoire supplémentaire, soit un an après le dépôt du mémoire en duplique. Le tribunal l’aurait néanmoins autorisée à produire une note écrite sur la question de la validité du mandat lors de l’audience des plaidoiries.

Le délégué soutient ensuite qu’aucune connaissance particulière en droit fiscal ne serait nécessaire pour la réception des bulletins d’impôt pour en déduire que la condition de la « Verhinderung » du § 107 AO ne serait pas remplie en l’espèce et que le recours à un mandataire ne serait pas valable à défaut de respecter les conditions du § 107 AO.

Enfin, il pointe le fait que l’appelante ne conteste pas l’affirmation que le mandat en cause a été signé par une personne tierce et que, même à admettre comme le soutient 10l’appelante, que le mandat aurait été signé par Monsieur (A) en sa qualité de gérant de la société (AB), ce dernier n’aurait pas eu le pouvoir d’engager la société par sa seule signature.

Sur l’admissibilité du mémoire en réponse La Cour est tout d’abord amenée à examiner la question de l’admissibilité du mémoire en réponse du délégué du gouvernement, la partie appelante s’étant rapportée à prudence de justice à cet égard, ce qui équivaut à une contestation.

S’il est exact que des erreurs se sont glissées dans le mémoire en réponse et, plus précisément, en ce qui concerne l’indication du numéro du rôle du jugement entrepris et la désignation du nom de la partie appelante, ces erreurs sont limitées à la première page du mémoire, de sorte qu’aucune méprise n’a pu en résulter et, à défaut de grief invoqué par la partie appelante concernant l’exercice de ses droits de la défense, ces simples erreurs matérielles ne sont pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du mémoire en réponse. Ce moyen est partant à rejeter.

Sur la recevabilité de l’appel incident Concernant la recevabilité de l’appel incident interjeté par la partie étatique contre le jugement a quo, en ce que les premiers juges n’ont pas suivi l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la notification d’un bulletin d’impôt au siège social d’une entreprise est en toutes circonstances opposable à cette dernière, la Cour est amenée à constater, au-delà du fait que la déclaration d’appel incident n’est pas reprise au dispositif du mémoire en réponse auquel la Cour peut seul avoir égard, que cet appel incident est en tout état de cause irrecevable comme tel, étant donné qu’une partie intimée ne peut pas valablement prétendre à interjeter appel incident contre un jugement aux termes du dispositif duquel elle a obtenu gain de cause, comme cela est le cas en l’espèce. Cette irrecevabilité n’empêche cependant pas que la Cour tienne compte de l’argumentaire sous-tendant l’appel incident en tant que moyen de défense de la partie intimée.

L’appel incident n’en étant pas un à proprement parler, il n’est pas besoin d’examiner la question soulevée par l’appelante quant à la nécessité pour le délégué du gouvernement de disposer d’un mandat du ministre des Finances pour interjeter appel incident.

Sur la demande principale tendant à l’annulation du jugement entrepris L’appelante sollicite, à titre principal, l’annulation du jugement entrepris pour violation du principe du contradictoire. Elle fait grief aux premiers juges d’avoir soulevé d’office la question de la validité du mandat conféré à la société (CD) eu égard aux dispositions de la preuve figurant à l’article 1985 du Code civil, sans inviter les parties à en débattre contradictoirement, conformément à l’article 30 de la loi précitée du 21 juin 1999.

La Cour se doit de relever, à la lecture des écrits de première instance, que la partie appelante, pour contester l’irrecevabilité de sa réclamation pour cause de tardiveté, a remis en question la régularité de la notification des bulletins d’impôt à son siège social, en se prévalant d’un mandat conféré à la société (CD) pour recevoir toutes les notifications émanant de l’ACD, pour en conclure qu’aucun délai de réclamation n’aurait commencé à courir à défaut de notification des bulletins à son mandataire. La partie étatique a ensuite contesté la validité du mandat conféré à la société (CD) au regard des §§ 89, 107 et 254 AO, tout comme elle a 11contesté l’acceptation du mandataire par l’ACD et la portée du mandat. La partie appelante a répliqué que la référence erronée au § 89 AO n’était pas de nature à remettre en cause la validité du mandat, en se prévalant de l’article 1985 du Code civil pour affirmer que le mandat n’était pas un contrat solennel mais reposait sur le consentement des parties, lequel ne faisait pas de doute en l’espèce. La partie appelante ne saurait dès lors être suivie en ce qu’elle prétend que les premiers juges auraient soulevé d’office la question de la validité du mandat eu égard aux dispositions de la preuve figurant à l’article 1985 du Code civil, sans qu’elle aurait pu en débattre, alors que c’est elle-même qui a invoqué le moyen.

Le moyen de nullité du jugement tiré d’une violation du principe du contradictoire laisse partant d’être fondé.

Sur la demande tendant à la réformation du jugement entrepris L’appelante conteste en substance l’irrecevabilité de sa réclamation pour cause de tardiveté, en soutenant que le délai pour réclamer n’aurait pas commencé à courir à défaut de notification des bulletins d’impôt à son mandataire désigné, la société (CD), tout en réfutant toute contestation quant à la validité du mandat conféré à cette dernière.

Conformément aux termes des §§ 228 et 245 AO, le délai de recours est de trois mois pour les réclamations. Ce délai de réclamation est, en vertu du § 83, alinéa (2) AO, ainsi que l’ont retenu à bon escient les premiers juges, un délai de forclusion.

Aux termes du § 246, alinéa (1) AO : « Die Frist zur Einlegung eines Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tags, an dem der Bescheid dem Berechtigten zugestellt oder, wenn keine Zustellung erfolgt, bekannt geworden ist oder als bekannt gemacht gilt ».

Il est constant en cause que les bulletins d’impôt litigieux du 27 juin 2018 ont été notifiés le 2 juillet 2018 par lettre simple à l’adresse du siège social de l’appelante situé à Luxembourg, 42-44, Avenue de la Gare, sur base du § 211, alinéa (3) AO, lequel admet que le pouvoir règlementaire « kann statt der Zustellung eine einfachere Form der Bekanntgabe zulassen » et du règlement grand-ducal précité du 24 octobre 1978, adopté notamment sur le fondement de cette disposition d’ordre légal.

La notion de la « Bekanntgabe » ou notification simple se trouve définie par le § 91 AO qui pose une règle générale de prise d’effet des actes décisionnels en matière d’impôts directs à travers leur communication dans les termes suivants : « Verfügungen (Entscheidungen, Beschlüsse, Anordnungen) der Behörden für einzelne Personen werden dadurch wirksam, dass sie demjenigen zugehen, für den sie ihrem Inhalt nach bestimmt sind (Bekanntgabe).

Öffentliche Bekanntmachung oder Auslegung von Listen genügt, wo sie nach den Steuergesetzen zugelassen ist. Zustellung ist nur erforderlich, wo sie ausdrücklich vorgesehen ist ».

Les premiers juges ont valablement dégagé de cette disposition que pour qu’une décision en matière fiscale puisse prendre effet (« wirksam werden »), elle doit être portée à la connaissance (« bekanntgeben ») de la personne à laquelle elle est destinée d’après son contenu (« demjenigen für den sie bestimmt ist; an den sie gerichtet ist »). En d’autres termes, la décision administrative en matière fiscale ne devient opposable à son destinataire que lorsqu’elle est régulièrement notifiée, une prise de connaissance du contenu de la décision par 12son destinataire par une autre voie ne pouvant pas être assimilée à une notification d’après les termes exprès du § 91 AO.

Cette disposition formule ainsi le principe selon lequel l’ACD doit notifier le bulletin d’impôt à la personne directement concernée par son contenu, à savoir le contribuable intéressé, de manière à exclure a priori la possibilité de mandater une personne pour réceptionner en son nom le bulletin d’impôt, étant relevé que l’hypothèse du § 89 AO qui prévoit l’obligation pour le contribuable non résident, au cas où l’ACD l’y invite, à désigner un mandataire fiscal habilité à réceptionner en son nom les écrits qui lui sont destinés, ne trouve pas s’appliquer, l’appelante étant un contribuable résident.

Il s’ensuit encore que dans le cas d’une société à responsabilité limitée, comme en l’occurrence, la notification des bulletins d’impôt par la voie de la lettre simple ou « Bekanntgabe » au sens du § 91 AO est a priori valablement faite à l’adresse du siège social de la société (cf. Cour 1er août 2018, n° 40799C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.).

Il se pose dès lors la question de la possibilité d’une représentation par un mandataire devant les instances d’imposition, étant relevé que la notification d’un bulletin d’impôt fait partie de la phase d’imposition et non point de la phase contentieuse, comme cela a été retenu à tort par les premiers juges.

A cet effet, il convient de se référer au § 107, alinéas (1) et (4) AO, qui admet la possibilité d’une représentation pendant la phase d’imposition sous certaines conditions, en ce qu’il prévoit ce qui suit :

(1) « Wer durch Abwesenheit oder sonst verhindert ist, Pflichten zu erfüllen, die ihm im Interesse der Besteuerung obliegen, oder Rechte wahrzunehmen, die ihm nach den Steuergesetzen zustehen, kann dies durch Bevollmächtigte tun.

(4) Die Steuerkontrollstellen können auch sonst Bevollmächtigte zulassen. Es bleibt ihnen aber unbenommen, sich neben dem Bevollmächtigten an den Steuerpflichtigen selbst zu wenden ».

Il se dégage ainsi de l’alinéa 1er du § 107 AO qu’un contribuable peut conférer mandat à une autre personne, notamment pour réceptionner les bulletins d’impôt qui lui sont destinés, s’il ne lui est pas possible de remplir lui-même ses obligations fiscales ou d’exercer ses droits, en raison de son absence ou s’il est autrement empêché. Dans cette hypothèse, lorsqu’un tel mandat a été porté à la connaissance de l’ACD, celle-ci est tenue de notifier les bulletins d’impôt au mandataire désigné à cette fin et c’est cette notification qui fait courir le délai de réclamation.

En l’espèce, l’appelante reste toutefois en défaut de démontrer qu’elle aurait été absente ou autrement empêchée pour réceptionner les bulletins d’impôt litigieux, de sorte qu’elle ne saurait rentrer dans les prévisions du § 107, alinéa (1) AO. En effet, ni l’hypothèse de l’absence, ni celle de l’empêchement n’est vérifiée en l’espèce. S’il est vrai que la doctrine allemande (Hübschmann, Hepp, Spitaler, RAO-Kommentar 1953, § 107, Anm. 2) plaide pour une interprétation extensive de l’expression « wer durch Abwesenheit oder sonst verhindert ist », en y englobant aussi une « geschäftliche oder rechtliche Unerfahrenheit oder Unkenntnis », il n’en demeure pas moins que la simple réception de la notification d’un bulletin d’impôt ne requiert aucune compétence ou connaissance spéciale en droit fiscal. D’ailleurs, il ressort des 13éléments de la cause que la gérante de la partie appelante a elle-même signé tant la déclaration fiscale pour l’année 2015 que la réclamation contre les bulletins d’impôt de l’année 2015.

A côté des cas de figure prévus par son alinéa 1er, le § 107 AO permet dans son alinéa (4) à l’ACD d’admettre la désignation d’un mandataire. S’il est vrai qu’au vœu de la seconde phrase dudit alinéa (4), il est loisible à l’ACD de s’adresser également au contribuable lorsqu’elle estime que cette sollicitation directe du contribuable est nécessaire en vue de l’instruction du cas d’imposition en question, il n’en reste pas moins que les rapports directs avec le contribuable ne doivent pas aboutir à écarter de la procédure le représentant choisi par le contribuable dans toute la mesure de la portée du mandat qui lui a été conféré. Il s’ensuit qu’une notification d’un bulletin d’impôt, qui constitue l’acte final de la procédure d’imposition, doit en toute occurrence être adressée au mandataire désigné par le contribuable pour autant qu’il est habilité afin de recevoir les notifications des actes décisionnels émis par l’ACD dans le cadre de la procédure d’imposition, sous peine de priver la première phrase de l’alinéa (4) de toute portée utile. Si l’ACD peut notifier en parallèle le bulletin d’impôt au contribuable lui-même, c’est la notification au mandataire désigné – et accepté par l’ACD en application du § 107, alinéa (4) AO - qui fait courir le délai de réclamation.

En l’espèce, la Cour constate, au-delà de toutes considérations quant à la validité du mandat, que la société (CD) a été notamment habilitée, à travers le mandat du 25 octobre 2017, « à recevoir toutes les notifications émanant de l’Administration des Contributions directes » pour le compte des sociétés du groupe au nombre desquelles figure la société (AB). Il convient également d’admettre que l’expression « toutes les notifications » y employée comprend la réception de bulletins d’impôt, à défaut d’indication expresse contraire.

Il ressort encore des éléments du dossier que ce mandat a été porté à la connaissance du bureau d’imposition Sociétés 6 par une lettre du 30 novembre 2017 ainsi que par deux courriels du 26 octobre 2017 et du 26 juillet 2018, sans qu’il ne résulte d’aucune manière des éléments de la cause que l’ACD aurait refusé la société (CD) comme mandataire, notamment en remettant en cause la validité du mandat, que ce soit lors de la réception de ces courriers lui communiquant le mandat ou ultérieurement, ou qu’elle aurait eu d’autres raisons pour ne pas s’adresser au mandataire.

Or, dans la mesure où le mandataire n’a pas été refusé par l’ACD et que celle-ci n’a pas non plus contesté la validité du mandat en question au moment de sa communication, elle doit être considérée comme ayant accepté le mandat et ne saurait partant être admise à vouloir remettre en cause sa validité en cours d’instance contentieuse. En outre, la Cour constate que les bulletins d’impôt de l’année 2017 ont par contre été notifiés à la société (CD), sans qu’aucune explication satisfaisante n’ait été donnée par la partie étatique sur ce point.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, dès lors que les bulletins d’impôt litigieux ont uniquement été notifiés à la société appelante et non pas également à son mandataire désigné à cette fin, cette notification doit être considérée comme incomplète, de sorte qu’elle n’a pas pu faire courir le délai de réclamation. Il suit de là que la réclamation introduite le 26 octobre 2018 n’est pas irrecevable pour cause de tardiveté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’appel sous examen est fondé et que le jugement entrepris du 22 janvier 2021 encourt la réformation en ce sens que c’est à tort que le directeur a déclaré 14irrecevable la réclamation de la société (AB) introduite le 26 octobre 2018 pour cause de tardiveté.

La société (AB) sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 10.000 euros.

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que les conditions d’application de l’article 33, auquel renvoie l’article 54 de la loi précitée du 21 juin 1999, ne sont pas remplies, l’appelante n’ayant pas démontré en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 22 janvier 2021, réforme la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 29 janvier 2019 (n° … du rôle) en ce sens que la réclamation du 26 octobre 2018 de la société à responsabilité limitée (AB) contre les bulletins d’impôt relatifs à l’année d’imposition 2015 n’est pas irrecevable comme étant tardive ;

renvoie l’affaire en prosécution de cause devant ledit directeur ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’appelante ;

condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2021 Le greffier de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45739C
Date de la décision : 15/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-07-15;45739c ?

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