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22/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45971C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 22 juin 2021, 45971C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45971C du rôle Inscrit le 30 avril 2021

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Audience publique du 22 juin 2021 Appel formé par Monsieur Z , …, contre un jugement du tribunal administratif du 30 mars 2021 (n° 43737 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45971C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 30 avril 2021 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux

embourg, au nom de Monsieur Z , né le … à … (Libye), de nationalité libyenne,...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45971C du rôle Inscrit le 30 avril 2021

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Audience publique du 22 juin 2021 Appel formé par Monsieur Z , …, contre un jugement du tribunal administratif du 30 mars 2021 (n° 43737 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45971C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 30 avril 2021 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Z , né le … à … (Libye), de nationalité libyenne, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 30 mars 2021 (n° 43737 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 septembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 28 mai 2021;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 15 juin 2021.

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Le 26 juillet 2018, Monsieur Z introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

1Le même jour, Monsieur Z fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 25 septembre, 6 et 13 novembre, 11 et 19 décembre 2018, 29 janvier et 5 et 6 février 2019, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 septembre 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 30 septembre 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été déclarée non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive et ce, à destination de la Libye ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.

Le ministre résuma les déclarations de Monsieur Z comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 26 juillet 2018, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 25 septembre, 6 et 13 novembre, 11 et 12 décembre 2018, et du 29 janvier et des 5 et 6 février 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Il en ressort que vous seriez né à … où vous auriez vécu avec votre mère, votre frère et vos sœurs et où vous auriez travaillé pendant quatorze ans à différents postes au sein d'un ….

Ainsi, en 2010, vous auriez travaillé pour le « …Y… », et de 2011 à 2012, « le nom a changé de 2010 à 2011 à cause de la révolution », pour le …rieur « …Y… … ». Après relecture, vous vous rappelez qu'en fait, vous n'auriez plus travaillé après la révolution mais « peut être » encore en juillet ou août 2011, sous l'ancien régime. De même, alors que vous prétendez d'abord avoir occupé un grade « d'échelon douze » au sein de la …, vous dites par la suite que vous auriez quitté votre travail lorsque vous auriez été « à l'échelon dix ». Vous précisez avoir été le responsable du « bureau … » et vous dites aussi avoir travaillé pour le « bureau … ».

Vous précisez ensuite avoir été engagé dès 2007 au sein du « … » appartenant « directement à Kadhafi » et avoir eu comme mission d'authentifier des lettres et des documents reçus; « je vous donne un exemple: si le … voulait l'adresse du …, il devait nous contacter pour la lui donner » (p. 19 du rapport d'entretien), respectivement « Dès qu'on recevait des lettres, ma fonction était de les classer ».

A partir de 2011 ou 2012 et le début de la « révolution », vous auriez quitté votre emploi et votre ville, « j'ai commencé à changer. Je partais, je revenais » (p. 2 du rapport d'entretien).

La dernière fois que vous vous seriez trouvé à … aurait été il y a « un an et demi », à savoir vers 2016, tandis que vous prétendez par la suite avoir une dernière fois résidé dans cette ville en 2011.

En 2011 ou 2012, après que les rebelles seraient entrés à …, ils auraient commencé à arrêter des gens qui auraient travaillé pour l'ancien régime. Dans ce contexte, vous auriez été arrêté en septembre 2011, respectivement « enlevé » et enfermé dans une réserve d'eau souterraine pendant une cinquantaine de jours par la milice « Al Lajna Al Amniya ». Pendant votre enfermement, vous auriez été régulièrement interrogé. Vous auriez alors confirmé avoir travaillé pour Kadhafi et exigé un avocat. Après que votre famille aurait payé une rançon de 245000.- euros, vous auriez été libéré et vous auriez en date du 26 octobre 2011 changé d'adresse en quittant … pour « où je suis né ». Trois jours plus tard, en octobre 2011 ou avril 2012, vos kidnappeurs seraient revenus vous chercher à votre maison parentale, dans laquelle ils auraient pénétré de force.

Vous auriez vécu les cinq à dix prochains mois à , mais seriez à trois reprises parti à Malte pour rendre visite à un ami. En octobre 2012, la « guerre » ou « guerre civile » aurait atteint et des milices seraient venues de « partout » et auraient « bombardé » la ville parce que la majorité de ses habitants aurait été du côté de Kadhafi. Vous seriez par la suite parti à où vous seriez resté pendant un an avant que la « même histoire » s'y serait répétée avec l'affrontement entre les milices Daesh et Ansar Al-Sharia d'un côté et Al-Saeka et l'armée de l'autre. En juillet 2013, vous seriez parti pendant une semaine en Afrique du Sud, mais comme vous n'auriez « pas aimé » ce pays, vous seriez retourné à . Or, comme vous vous seriez trouvé « au milieu » de ce conflit, fin 2013, vous seriez parti à ….., ville se trouvant à quelques minutes de …. Vous précisez qu'à ce moment, … aurait déjà été contrôlée par les milices et que celles-

ci auraient « entendu » que vous auriez été à et conclu que vous auriez participé au combat dans cette ville.

Vous clarifiez par la suite qu'en fait, personne n'aurait été au courant de votre présence à …… Néanmoins, vous auriez ensuite appris que vous seriez recherché par les « milices armées » et auriez alors décidé de rester habiter chez un ami jusqu'en 2016 ou 2017. Entre 2016 et 2017, vous n'auriez d'ailleurs pas pu sortir dans la rue alors que la guerre civile aurait gagné les zones de ….. et …… Vous précisez ensuite que vous seriez resté habiter chez votre ami jusqu'à votre départ définitif de Libye en mars 2017, respectivement en septembre 2017.

Vous précisez encore que votre ami vous aurait fait comprendre que si vous sortez dans la rue et que vous passez un contrôle des milices, vous seriez arrêté alors que votre nom se trouverait sur une liste du fait que vous auriez travaillé dans le « ….. de Kadhafi ».

Vous expliquez ensuite qu'en fait, vous seriez recherché parce que vous auriez travaillé pour la « W » où vous auriez été responsable de la « … ». Ainsi, vous auriez rejoint, voire cofondé cette organisation en 2007 en tant que « coordinateur des informations ». Vous précisez qu'elle aurait été créée par une dizaine de personnes, dont vous-même, et qu'elle aurait eu trois fonctions principales: la « coordination générale », la « coordination de tout ce qui était administratif et financier », ainsi que la « coordination des informations ». Le but de l'organisation serait par ailleurs de montrer les principes du livre vert, de travailler avec d'autres organisations dans le domaine des aides humanitaires, de participer à des séminaires internationaux et à des célébrations nationales et arabes, ainsi que de documenter les discours de Kadhafi. Vous signalez encore que suite au changement de régime, une partie de cette dizaine de collègues de travail aurait été arrêtée, tandis que d'autres auraient été « torturés » ou tués. Enfin, vous précisez que votre association aurait compté des milliers de membres.

En 2016 et en mai 2017, « ils », prétendument des membres d'une milice, seraient venus vous chercher sur votre lieu de travail au …… à ….

Le 16 ou 17 septembre 2017, vous auriez quitté la Libye par avion depuis l'aéroport de … en direction de la Tunisie où vous seriez monté à bord d'un autre avion qui vous aurait amené en Italie. Vous précisez avoir eu un visa de touriste pour entrer en Italie et y avoir résidé jusqu'au 24 juillet 2018, date de votre départ pour le Luxembourg.

3Vous expliquez que vous risqueriez la mort ou la prison en cas d'un retour en Libye. Les gens actuellement au pouvoir ainsi que les miliciens seraient des anciens prisonniers et membres de groupes islamiques qui voudraient désormais se venger en menaçant, en enlevant et en tuant toute personne qui se mettrait « entre eux » et qui aurait « travaillé sous l'ancien régime ».

Vous présentez un passeport libyen établi le 17 novembre 2011 et prolongé le 8 mai 2016 et vous avez versé les documents suivants à l'appui de votre demande:

 La copie de votre prétendue carte de membre de la « W », remplie à la main et dont votre photo se trouve collée au-dessus du texte et au-dessus du tampon.

 La copie d'une lettre du …….

 Les copies de photos d'une personne en uniforme.

 La copie d'une carte indiquant différentes rues.

 Deux attestations de salaire du « Comité populaire des finances dans le District de … », respectivement « Comité populaire général de la sécurité publique », datées au 29 novembre 2005 et 10 novembre 2008, indiquant que vous seriez un employé de ce comité populaire « à la conférence » et que vous auriez reçu un salaire en octobre 2005.

 Une attestation de salaire du « bureau … » de la « …..» du 10 novembre 2008, concernant le salaire qui vous a été versé en octobre 2008.

 La copie de l'acceptation de votre démission par le ……, faite à votre demande, datée au 3 septembre 2012.

 Deux documents provenant du « Comité d'évaluation des catastrophes », datés au 26 décembre 2012.

 Une réponse du « Département du registre foncier » du 4 août 2015, vous informant que votre demande au sujet d'un terrain a été transmise au conseil municipal de …… Etant donné que le Département du registre n'aurait pas encore de réponse, il n'aurait pas pu accéder à votre demande.

 La copie d'un certificat de « propriété pour la propriété d'usufruit » délivré à votre demande, renseignant du fait que vous détiendriez des parts d'une terre agricole à …. (…) ».

Le ministre considéra ensuite que la demande de protection internationale de Monsieur Z ne serait pas fondée sur un des critères de fond prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par la « Convention de Genève », et par la loi du 18 décembre 2015, respectivement que les faits mis en avant par Monsieur Z ne seraient pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution. Le ministre releva plus particulièrement dans ce contexte, que depuis son enlèvement en 2011, Monsieur Z , d’une part, aurait vécu, sans incident, dans différentes villes libyennes jusqu’à son départ de son pays d’origine en 2017, et, d’autre part, qu’il aurait effectué plusieurs séjours à Malte, en Afrique du Sud et finalement en Italie, sans y avoir déposé une demande de protection internationale. Le ministre en conclut, en invoquant encore les propos de Monsieur Z selon lesquels il aurait tout perdu en Libye, que la demande de protection internationale de ce dernier serait plutôt justifiée par des motifs économiques. Le ministre mit encore en doute la crédibilité des déclarations de Monsieur Z au sujet de son travail, en tant que fonctionnaire, pour le régime de l’ancien dictateur libyen KADHAFI au regard de l’absence de précision non seulement quant à l’institution publique auprès de laquelle 4il aurait travaillé, mais également quant à son grade, quant à la date de terminaison de sa relation de travail et quant à ses tâches concrètes, lesquelles n’auraient pas, selon le ministre, à les supposer établies, été d’une telle importance pour exposer l’intéressé à des actes de persécutions. A cela s’ajouterait que Monsieur Z aurait accompli des démarches administratives en Libye en 2015 et 2016 en relation avec le registre foncier et pour renouveler son passeport, ce qui serait en contradiction avec ses déclarations qu’il se serait caché les dernières années avant son départ de son pays d’origine, par crainte de se faire arrêter par des milices. Par ailleurs, le ministre mit en doute les affirmations de Monsieur Z au sujet d’une association dénommée « W » qu’il aurait cofondée en 2007, dans la mesure où, d’une part, l’authenticité de sa carte de membre devrait être mise en cause, et, d’autre part, il n’existerait aucune trace officielle confirmant l’existence d’une telle association, l’autorité ministérielle relevant encore, dans ce cadre, l’absence de précision quant au fonctionnement de cette association et quant aux tâches y prétendument assumées par Monsieur Z . Finalement, le ministre retint qu’il ne serait pas plausible que Monsieur Z risquerait de faire à nouveau l’objet d’un enlèvement par des milices, en cas de retour dans son pays d’origine, alors que son premier enlèvement daterait de septembre 2011, tout en soutenant que la motivation de ses ravisseurs aurait été purement lucrative, de sorte à ce que ces faits ne pourraient pas être considérés comme étant basés sur un des critères de fond de la Convention de Genève.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre retint que Monsieur Z n’apporterait aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le ministre relevant, dans ce contexte, que la situation sécuritaire en Libye, bien que précaire, ne serait pas telle que toute personne présente sur le territoire dudit pays risquerait de subir des menaces et atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne, d’autant plus que Monsieur Z aurait vécu en Libye jusqu’en 2017 sans faire état d’un incident concret.

En tout état de cause, il considéra que Monsieur Z aurait pu profiter d’une fuite interne, plus particulièrement, à ….., à ou à ….., des villes où il aurait vécu sans incident.

En conséquence, il constata que la demande de protection internationale de Monsieur Z ne serait pas fondée et que son séjour sur le territoire luxembourgeois serait partant illégal et qu’il était appelé à quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2019, Monsieur Z fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 27 septembre 2019 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

Par jugement du 30 mars 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en condamnant ce dernier aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 30 avril 2021, Monsieur Z a régulièrement fait entreprendre le jugement du 30 mars 2021.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première 5instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

En substance, il réexpose être de nationalité libyenne et de confession musulmane et explique avoir été fonctionnaire, sous le régime du dictateur KADHAFI, auprès du …… libyen, avoir été un des membres fondateurs de l’association « W » et avoir vécu, ensemble avec sa mère, ses deux frères et sa sœur à … jusqu’en octobre 2011. Suite à la chute du régime de KADHAFI, les anciens opposants audit régime le prendraient pour cible du fait de ses activités passées. Ainsi, il aurait fait l’objet d’un enlèvement par une milice se nommant « Al Lajna Amina », laquelle l’aurait séquestré pendant plus de 50 jours, avant de le relâcher, après le paiement d’une rançon de 45.000.- € par sa famille. Les milices auraient ensuite pris possession de sa maison et il se serait caché dans plusieurs villes libyennes, et, plus particulièrement, à , à et à ….., jusqu’à son départ de la Lybie en 2017, de peur d’être à nouveau enlevé par des milices et pour échapper aux affrontements militaires entre des milices et les autorités libyennes.

Il aurait été contraint de mener une vie de fugitif en Libye et y aurait tout perdu, de même qu’il aurait subi de lourds préjudices moraux et psychologiques.

Sur ce, il reproche aux premiers juges d’avoir commis une erreur manifeste d'appréciation en rejetant sa demande de protection internationale et soutient remplir les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

En effet, le tribunal aurait clairement versé dans l’erreur en qualifiant ses craintes de faire à nouveau l'objet d'un enlèvement, respectivement d'attaques de la part de milices de purement hypothétiques, alors qu’il aurait de réelles raisons de craindre d'être à nouveau kidnappé et séquestré en cas de retour dans son pays d'origine.

En effet, son activité de fonctionnaire et de membre co-fondateur de l'association « W » l’exposerait toujours aux exactions des milices armées en place qui chercheraient à se « débarrasser des partisans et soutiens de KADHAFI ». Selon l’appelant, il apparaîtrait clairement que le but de ses arrestation, séquestration et emprisonnement n'aurait pas été financier, mais que le but principal de ses tortionnaires aurait été d'arrêter les personnes ayant travaillé pour le régime de KADHAFI.

Il aurait subi un enlèvement en septembre 2011 et craindrait avec raison que cela se reproduise à nouveau.

Dans ce contexte, il reproche aux premiers juges de s’être livrés à une analyse biaisée de ses propos et il serait patent que seule sa vie de fugitif isolé et caché lui aurait permis de ne plus avoir été victime d'un autre incident jusqu’à son départ de Libye.

Il serait toujours recherché par les miliciens et craindrait avec raison de devoir retourner dans un pays divisé et en proie à des conflits armés.

Les actes qu’il aurait vécus en Libye seraient en outre incontestablement d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et constitutifs de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, il ne saurait compter sur une quelconque protection de la part des autorités de son pays d'origine eu égard à la situation politique en Libye depuis 2011.

6 Il serait partant en droit de revendiquer le statut de réfugié.

Subsidiairement, les faits, globalement considérés seraient aussi d'une gravité suffisante au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rien ne permettrait d'écarter le risque qu’ils se reproduisent.

Par ailleurs, la situation politique actuelle de la Libye constituerait un risque évident et certain de subir des menaces et atteintes graves telles que définies au susdit article 48 et ce serait à tort que les premiers juges ont retenu le contraire.

Il y aurait partant lieu de constater que l'ensemble des conditions pour pouvoir bénéficier du statut de la protection subsidiaire seraient remplies.

Le jugement a quo serait partant à réformer et le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire devrait lui être accordé.

En conséquence, l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois devrait à son tour être réformé, son retour en Libye l’exposant à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

7Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Il s’y ajoute que par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du juge administratif devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur de protection avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, c’est à tort que l’appelant entend critiquer les premiers juges en ce qu’ils ont conclu au sujet de son enlèvement en 2011 par la milice « Al Lajina Amina » et de sa séquestration subséquente que les auteurs apparaissaient comme étant motivés non pas par des considérations politiques mais par des considérations principalement financières.

La Cour rejoint et se fait sienne l’analyse des premiers juges tablant sur le fait que l’intéressé a lui-même déclaré que « (…) Il y avait les rebelles à …. Ils ont commencé à arrêter les gens qui ont travaillé avec l’ancien régime. Après ils m’ont arrêté, j’ai passé cinquante ou cinquante-cinq jours en prison. J’ai payé quarante-cinq mille euros pour ma liberté. (…) Ils ont continué à me suivre, pour cela j’ai quitté …. (…) Ils me menaçaient toujours pour les payer encore plus. Comme j’ai travaillé avec l’ancien régime, ils se disaient que j’étais riche.

(…) ».

L’incident indubitablement grave s’inscrit partant dans le contexte particulier d’une extorsion de fonds et le risque que pareille situation ne se reproduise à l’avenir ne peut pas être qualifié comme ayant trait à un acte de persécution motivé par un des critères de fond définis à l’article 2, sub f) de la loi du 18 décembre 2015.

A cela s’ajoute qu’en tant que personne qui n’a tout au plus joué qu’un rôle secondaire sous le régime de KADHAFI, l’appelant n’est pas suffisamment plausible en ce qu’il entend mettre en balance un risque concret de faire actuellement encore l’objet d’actes de persécution en raison de son activité au sein de la libyenne.

Concernant les activités de l’appelant dans l’association « W », la Cour partage les analyses et conclusions développées par le ministre et les premiers juges au sujet du caractère plus que douteux des prétendues activités, ce constat s’imposant face au caractère vague de la description des fonctions de ladite association et de l’absence de la moindre preuve de l’existence même de pareille association, d’une part, et la carte de membre de ladite association exhibée par l’appelant à titre de preuve n’apparaissant guère authentique dans la mesure où la photo de l’intéressé est collée au-dessus d’un tampon prétendument officiel, d’autre part.

Les craintes de l’appelant de faire à nouveau l’objet d’un enlèvement, voire d’attaques de la part de milices en place en Libye, s’analysent partant en l’expression d’un simple 8sentiment d’insécurité, mais non pas en l’expression d’une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans la mesure où la demande en obtention d’un statut de protection subsidiaire au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 est basée sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre de la demande d’un statut de réfugié, elle est à son tour à rejeter du fait qu’il n’est pas établi que l’appelant risque concrètement de faire à nouveau l’objet d’un enlèvement, les premiers juges étant critiqués à tort en ce qu’ils ont retenu que l’incident date de 2011 et qu’entre 2011 et 2017, il ne s’est plus reproduit et encore pointé le fait éloquent que l’appelant est volontairement retourné à plusieurs reprises en Libye, notamment après ses séjours à Malte et en Afrique du Sud, d’une part, parce que les craintes mises en avant par l’appelant globalement considérées restent essentiellement hypothétiques, d’autre part, et que l’existence d’une situation de violence aveugle risquant de mettre en péril la vie de toute personne par le simple fait de sa présence sur le territoire libyen n’est pas vérifiée, de troisième part.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, ont retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies dans le chef de l’appelant.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut revendiqué de la protection internationale et que le refus d’octroi de ce statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 30 avril 2021 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 30 mars 2021;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

9Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 juin 2021 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45971C
Date de la décision : 22/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-22;45971c ?

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