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03/06/2021 | LUXEMBOURG | N°91/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 03 juin 2021, 91/21


N° 91 / 2021 du 03.06.2021 Numéro CAS-2020-00104 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Sandra KERSCH, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme de droit suisse C), demand

eresse en cassation, comparant par Maître Pierre GOERENS, avocat à la Cour, en l’étude d...

N° 91 / 2021 du 03.06.2021 Numéro CAS-2020-00104 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Sandra KERSCH, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme de droit suisse C), demanderesse en cassation, comparant par Maître Pierre GOERENS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société à responsabilité limitée I), défenderesse en cassation, comparant par Maître Ronnen GAITO, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 46/20, rendu le 2 avril 2020 sous le numéro 45248 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;Vu le mémoire en cassation signifié le 18 août 2020 par la société anonyme de droit suisse C) à la société à responsabilité limitée I), déposé le 21 août 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 25 septembre 2020 par la société I) à la société C), déposé le 5 octobre 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions de l’avocat général Sandra KERSCH ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, après s’être déclaré territorialement compétent pour connaître de la demande en paiement dirigée par la société C) contre la société I), avait condamné cette dernière à payer à la demanderesse le montant réclamé. La Cour d’appel a, par réformation, dit que les juridictions luxembourgeoises étaient territorialement incompétentes pour connaître de la demande en application d’une clause attributive de juridiction insérée dans le contrat signé par les parties.

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée La défenderesse en cassation conclut à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que la demanderesse en cassation ne précise pas les dispositions de l’arrêt attaqué.

L’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose :

« Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais déterminés ci-avant, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse, lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée. ».

La demanderesse en cassation ayant précisé que l’arrêt était entrepris en ce qu’il avait déclaré l’appel de la société I) fondé et dit que les juridictions luxembourgeoises étaient incompétentes pour connaître du litige, le mémoire répond aux conditions de l’article 10, alinéa 1, de la loi précitée.

Il en suit que le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé.

Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, pour défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel, par réformation du jugement de première instance, a - en jugeant que et ensuite en jugeant qu’ - appliqué la clause attributive de compétence en faveur des juridictions du Tribunal de commerce de Bruxelles insérée dans un contrat signée entre parties le 29 mai 2014, sans répondre au moyen présenté par la partie C) SA selon lequel le contrat du 29 mai 2014 ne serait pas applicable au litige introduit par l’assignation du 14 octobre 2015, comme ce contrat n’aurait nullement comme objet les prestations faisant l’objet des factures dont le paiement est demandé, à savoir des prestations de développement et de programmation appelées , mais porterait exclusivement sur la distribution du produit développé par C) et la rémunération de C) y relative sous forme de paiement de redevances appelées - , alors que selon l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile tout arrêt doit être motivé et que le fait pour la Cour d’appel de ne pas répondre aux moyens des plaideurs équivaut à un défaut de motivation. ».

Réponse de la Cour Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « L’appelante conteste que les parties litigantes aient été liées par un autre contrat que celui signé en date du 29 mai 2014 et conteste dès lors que la facture litigieuse puisse procéder de l’exécution d’un contrat différent.

Face à ces contestations, C) reste en défaut d’établir l’existence d’un contrat différent, dans lequel la facture litigieuse trouverait sa source.

Les attestations testimoniales versées par l’intimée sont soit trop imprécises sur ce point, soit étrangères à l’objet de la preuve à rapporter et ne permettent aucunement cette conclusion. », les juges d’appel ont répondu aux conclusions visées au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le deuxième, « tiré du défaut de base légale en relation avec l’article 1134 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a appliqué au litige entre les parties le contrat signé entre elles le 29 mai 2014 en constatant que d’une part la partie appelante invoque ce contrat à l’appui de sa défense afin de se prévaloir de la clause attributive de compétence y stipulé, et d’autre part que - en étant précisé que C) a formellement contesté que ce contrat s’appliquerait au litige dont la Cour était saisi -, et partant sans faire les constations en fait relatives à l’objet et à la cause du contrat et donc relatives à sa nature exacte par rapport à la demande initiale de la partie demanderesse, constations pourtant nécessaires pour pouvoir contrôler si le contrat dont se prévalait la partie appelante est effectivement applicable au litige se mouvant entre les parties, alors que l’article 1134 du Code civil dispose que et qu’en s’arrêtant au simple constat que la partie intimée n’aurait pas établi dans quel autre contrat la facture litigieuse trouverait sa source pour appliquer le contrat dont se prévalait la partie appelante, sans avoir examiné si ce contrat s’appliquait réellement à la demande, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil et prive la Cour de cassation d’exercer son contrôle. », et le troisième, « tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a fait application du contrat signé entre parties le 29 mai 2014 pour juger qu’en application de la clause attributive de compétence stipulée à l’article 26.2 , à savoir plus précisément la demande tendant au paiement d’une facture portant sur des prestations de développement informatique, alors que le contrat du 29 mai 2014 est un contrat de distribution d’un logiciel informatique, et partant étranger au litige introduit par C) suivant exploit du 14 octobre 2015, de sorte que la Cour d’appel a violé l’effet obligatoire des convention tel qu’il découle de l’article 1134 du Code civil. ».

Sous le couvert des griefs tirés du défaut de base légale et de la violation de l’article 1134 du Code civil, les moyens ne tendent qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des pièces versées et éléments de preuve produits par les parties qui les ont amenés à retenir qu’elles étaient liées par le seul contrat qu’elles avaient signé qui contenait une clause attributive de juridiction au profit d’une juridiction étrangère, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que les moyens ne sauraient être accueillis.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a jugé - en énonçant que - qu’il appartiendrait à C) de rapporter la preuve que le contrat du 29 mai 2014 ne serait pas applicable au litige, alors qu’en application de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile , de sorte qu’il appartenait à la partie appelante de prouver que le contrat dont elle se prévalait était applicable au litige, et non pas à C) de prouver le contraire. ».

Il ressort de la discussion du moyen que la demanderesse en cassation expose avoir fait valoir devant les juges d’appel que la demande en paiement n’était pas basée sur le contrat écrit litigieux, mais sur des relations commerciales continues et un accord oral entre parties concernant les prestations à effectuer et leurs rémunérations et qu’il aurait appartenu à la défenderesse en cassation d’établir que la demande en paiement était basée sur le contrat écrit.

En retenant, dans le passage de l’arrêt reproduit au premier moyen, que la demanderesse en cassation, qui faisait valoir avoir été liée à la défenderesse en cassation par un accord autre que celui résultant du contrat du 29 mai 2014 signé entre parties, était restée en défaut d’établir l’existence d’un contrat différent, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Ronnen GAITO, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de la société anonyme de droit suisse C) contre la société à responsabilité limitée I) s.àr.l.

(n° CAS-2020-00104 du registre) Par mémoire signifié le 18 août 2020 au siège social de la société I) s.à.r.l., et déposé le 21 août 2020, au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Pierre GOERENS, avocat à la Cour, a formé, au nom et pour le compte de la société anonyme de droit suisse C), un pourvoi en cassation contre l’arrêt no 46/20-IX-COM, rendu le 2 avril 2020 par la Cour d’appel, IXème chambre, siégeant en matière commerciale et statuant contradictoirement.

Selon les pièces versées au dossier, l’arrêt attaqué a été signifié par voie d’huissier de justice en date du 21 avril 2020 à la société C).

L’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose que « Le délai pour l’introduction du recours en cassation, qui courra pour les arrêts et jugements contradictoires du jour de la signification ou de la notification à personne ou à domicile, et pour ceux par défaut, du jour de l’expiration du délai pour y former opposition, est fixé à deux mois pour la partie demanderesse en cassation qui demeure dans le Grand-Duché. ».

Selon l’alinéa 2 du même article, celui qui demeure, comme en l’espèce, hors du Grand-

Duché, et plus particulièrement en Suisse, a, pour introduire le recours en cassation, outre le délai de deux mois le délai prévu à l’article 167 du Nouveau Code de procédure civile, soit 15 jours.

Par règlement grand-ducal du 25 mars 20201, les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions constitutionnelle, judiciaire, administrative et militaire ont été suspendus.

1 Règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales Le délai de deux mois et 15 jours ayant dès lors été suspendu, cette suspension a pris fin le 24 juin 2020 à 24 heures, conformément à l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise2. Le délai était partant suspendu entre le 26 mars 2020 et le 24 juin 2020, pour reprendre son cours le 25 juin 2020 et expirer le 9 septembre 2020. Le mémoire ayant été déposé le 21 août 2020, le délai légal a été respecté.

Le pourvoi est dès lors recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Maître Ronnen GAITO, avocat à la Cour, a fait signifier un mémoire en réponse en date du 25 septembre 2020 au nom et pour compte de la société I), et l’a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 5 octobre 2020.

Aux termes des articles 15 et 16 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, la partie défenderesse a, pour répondre, un délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire, dont il est question à l’article 10, le mémoire en réponse devant être, dans les délais déterminés, soit le délai de deux mois, signifié à la partie adverse à son domicile élu et déposé au greffe sous peine d’être écarté du débat.

Le mémoire prévu à l’article 10 ayant été signifié le 18 août 2020, le mémoire en réponse, déposé le 5 octobre 2020, a été introduit endéans le délai légal. Etant donné qu’il obéit également aux exigence de forme prévues par la loi précitée du 18 février 1885, il peut être pris en considération.

Faits et rétroactes Par exploit du 14 octobre 2015, la société anonyme de droit suisse C) a fait donner assignation à la société à responsabilité limitée I) à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, aux fins de l’entendre condamner à lui payer la somme de 145.510 CHF, outre les intérêts, du chef d’une facture impayée, ainsi qu’une indemnité de procédure.

La défenderesse a soulevé, en ordre principal, l’incompétence territoriale des juridictions luxembourgeoises et concluait à la compétence du tribunal de commerce de Bruxelles, sur base d’une clause attributive de juridiction contenue dans un contrat, signé le 29 mai 2014 entre les parties en cause.

2 La loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise déclaré par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, est entrée en vigueur le jour de sa publication (article 2), soit le 24 mars 2020, de sorte que l’état de crise a pris fin trois mois plus tard, soit le 24 juin 2020 à 24.00 heures Par jugement du 12 juillet 2017, le tribunal s’est déclaré territorialement compétent et a déclaré les demandes principale et reconventionnelle recevables, avant de déclarer la demande principale fondée.

Suite à l’appel relevé le 21 août 2017 par la société I) contre ce jugement, les juges d’appel ont, dans un arrêt du 2 avril 2020, retenu que la facture litigieuse trouvait sa source dans le contrat signé entre parties le 29 mai 2014 et qu’il y avait lieu de faire application de la clause attributive de juridiction y figurant. Par réformation du jugement entrepris, la Cour d’appel a par conséquent dit que les juridictions luxembourgeoises sont incompétentes pour connaître du litige.

Le pourvoi sous examen est dirigé contre l’arrêt précité du 2 avril 2020.

Quant au premier moyen de cassation La partie demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 89 de la Constitution, ainsi que l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile pour défaut de réponse à conclusions en omettant de répondre à son moyen d’une absence d’applicabilité du contrat du 29 mai 2014 au litige introduit par assignation du 14 octobre 2015, faute d’avoir comme objet les prestations, dont le paiement était réclamé. Elle se réfère à cet effet à ses conclusions notifiées en date du 19 décembre 2017 dans le cadre de l’instance d’appel.

Il y a tout d’abord lieu de noter que les juges d’appel ont reformulé ce moyen, comme suit 3:

« L’intimée soutient que les prestations convenues entre parties étaient de deux ordres, à savoir, d’une part, des prestations liées à l’adaptation du logiciel I), la mise en place de la solution C), la mise en œuvre des connexions externes et la surveillance de la solution informatique et, d’autre part, la mise à disposition d’une licence de la solution C) avec possibilité pour I) d’accorder des sous-licences à ses clients.

Selon l’intimée, seules les prestations décrites en second lieu auraient fait l’objet du contrat signé le 29 mai 2014.

La facture du 30 avril 2015 concernerait le premier type de prestations, lesquelles auraient fait l’objet d’un contrat différent. » Il est reproché à la juridiction d’appel d’avoir omis de prendre position sur ce point.

3 Page 4, de l’arrêt dont pourvoi Les articles visés au moyen sanctionnent l’absence de motifs, qui est un vice de forme pouvant revêtir la forme d’un défaut total de motifs, d’une contradiction de motifs, d’un motif dubitatif ou hypothétique ou d’un défaut de réponse à conclusion.

Le jugement est régulier en la forme dès qu’il comporte un motif exprès ou implicite, si incomplet ou vicieux soit-il, sur le point considéré.45. La pertinence, le caractère suffisant et le bien-fondé de cette motivation sont des questions étrangères à ce cas d’ouverture, de nature purement formelle.

Or sous l’intitulé « Appréciation de la Cour» la juridiction d’appel retient ce qui suit :

« L’appelante conteste que les parties litigantes aient été liées par un autre contrat que celui signé en date du 29 mai 2014 et conteste dès lors que la facture litigieuse puisse procéder de l’exécution d’un contrat différent.

Face à ces contestations, C) reste en défaut d’établir l’existence d’un contrat différent, dans lequel la facture litigieuse trouverait sa source.

Les attestations testimoniales versées par l’intimée sont soit trop imprécises sur ce point, soit étrangères à l’objet de la preuve à rapporter et ne permettent aucunement cette conclusion.

Aux termes de l’article 26.2 du contrat conclu le 29 mai 2014, les parties au litige ont expressément convenu de soumettre leurs relations contractuelles à la loi belge et leurs différends éventuels au tribunal de commerce de Bruxelles.

Concernant la juridiction compétente, les parties y ont stipulé ce qui suit : « Any dispute arising out of or in connection with this Agreement shall be submitted to the exclusive jurisdiction of Brussels Commercial Court. » La page sur laquelle figure cette clause est la dernière page du contrat, laquelle est paraphée et signée par les représentants des deux parties contractantes, avec mention de leurs fonctions respectives.

A la page précédente, l’article 26.1 fait pareillement référence à la loi belge en tant que loi applicable au contrat.

Les prétendues annexes au contrat du 29 mai 2014, invoquées par l’intimée et qui mentionnent une compétence des juridictions luxembourgeoises relèvent d’un document dénommé « sample ».

Il s’agit d’un simple modèle de document contractuel, lequel est dépourvu de la signature du représentant de l’appelante.

4 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, 5ème édition, no 77.31 5 Idem et loc.cit.

L’intimée n’établit nullement que l’appelante y aurait adhéré.

La clause attributive de juridiction figurant à l’article 26.2 du contrat, signé le 29 mai 2014, ne donne lieu à aucune divergence d’interprétation et ne prête à aucune équivoque.

Il convient partant d’en faire application et de dire, par réformation du jugement entrepris, que les juridictions luxembourgeoises sont incompétentes pour connaître du présent litige. » Les juges d’appel sont donc arrivés à la conclusion, qu’au vu des contestations de la partie appelante quant à l’existence de toute autre relation contractuelle entre parties et à défaut de rapporter la preuve de tout autre contrat conclu entre parties par la partie C), la facture litigieuse prenait nécessairement source dans le contrat conclu entre parties le 29 mai 2014. La juridiction d’appel était en d’autres termes d’avis que l’actuelle partie demanderesse en cassation n’avait pas réussi à rapporter la preuve de l’allégation de l’existence d’une source contractuelle autre que le contrat du 29 mai 2014, renfermant une clause d’attribution de juridiction.

L’arrêt attaqué est donc motivé sur le point considéré, même si c’est précisément cette motivation qui ne trouve pas l’accord de la demanderesse en cassation.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Quant au deuxième moyen de cassation La partie demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir omis de faire des constatations en fait, relatives à l’objet et à la cause du contrat et donc relatives à sa nature exacte par rapport à la demande initiale de la partie demanderesse, constatations qui auraient pourtant été nécessaires pour pouvoir contrôler l’applicabilité du contrat au litige se mouvant entre parties. Cette omission serait constitutive d’un défaut de base légale en relation avec l’article 1134 du Code civil.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi la décision attaquée encourt le reproche allégué.

Le moyen invoque une violation de l’article 1134 du Code civil pour défaut de base légale sans toutefois préciser quelles constatations de fait les juges du fond auraient dû retenir pour statuer comme ils l’ont fait, respectivement sans indiquer quelle condition légale d’application de l’article 1134 du Code civil les juges du fond auraient omis de vérifier.

Le moyen sous examen ne répond dès lors pas aux exigences de précision requises par la loi, de sorte qu’il est à déclarer irrecevable.

A titre subsidiaire :

Le défaut de base légale se définit comme « l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit ».6 Il suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis qui ne permettent pas à votre Cour d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi et il suppose donc la « prise en considération des conditions légales d’application de la règle de droit »7.

Il ressort des conclusions de la partie demanderesse en cassation, notifiées le 19 décembre 2017, qu’elle avait pris soin sous les points 2.1.1 et 2.1.2 de détailler les relations contractuelles entre parties. Si le contrat intitulé « Product Distribution Agreement » du 29 mai 2014 est certes versé à titre de pièce 8, la partie demanderesse en cassation n’a pas cru utile de verser la facture litigieuse dans le cadre de l’instance de cassation. Or l’absence de production des deux pièces aux débats met la Cour de cassation dans l’impossibilité d’analyser le bien fondé du moyen.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Quant au troisième moyen de cassation Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil.

La partie demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir appliqué le contrat du 29 mai 2014 à une situation qu’il ne devait pas régir, et plus particulièrement d’avoir appliqué un contrat de distribution d’un logiciel informatique à des prestations de développement informatique, et d’avoir de ce fait violé l’effet obligatoire des conventions découlant de l’article 1134 du Code civil.

Même si la partie demanderesse en cassation ne fait pas référence à la terminologie de dénaturation de la convention signée entre parties, la lecture du moyen montre cependant que telle en est la pensée sous-jacente.

Vous avez, jusqu’à présent, de manière constante refusé d’accueillir cette théorie9.

6 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°78.21 7ibidem, n° 78.73 8 Pièce 3 de la farde de pièces de la partie C) 9 Voir à titre d’il ustration : Cassation 4 avril 2019, n° 62/2019, numéro CAS-2018-00024 du registre (réponse à l’unique moyen), idem, 6 juin 2019, n° 99/2019, numéro CAS-2018-00069 du registre (réponse à la première branche du premier moyen), idem, 19 décembre 2019, n° 173/2019, numéro CAS-2019-00013 du registre (réponse aux premier, deuxième et quatrième moyens réunis) ; idem, 6 février 2020, n° 23/2020, numéro CAS-

2019-00026 du registre (réponse au premier moyen) ; idem 4 juin 2020, n° 76/2020, numéro CAS-2019-00091 Ce n’est que dans un arrêt, que vous avez accueilli et déclaré fondé le grief de dénaturation, tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil, en retenant que, par son interprétation d’une convention, la Cour d’appel avait violé cet article « en méconnaissant la convention des parties [qui comportait] des termes non équivoques »10. Si, dans les motifs de Votre arrêt, vous ne faites aucune référence à la notion de dénaturation, le moyen se fondait cependant sur ce cas d’ouverture, que Votre arrêt, contrairement à votre jurisprudence jusqu’alors constante, accueille et sanctionne.

En revanche, dans tous les arrêts postérieurs Votre Cour a à nouveau refusé d’accueillir ce cas d’ouverture, de sorte que l’on peut considérer l’arrêt du 31 octobre 2019 comme un arrêt d’espèce à caractère isolé.

Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation par les juges du fond des termes du contrat, qui les ont amenés à retenir que la clause attributive de juridiction trouvait application au litige dont ils étaient saisis, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Quant au quatrième moyen de cassation Dans le cadre du quatrième et dernier moyen, la partie demanderesse en cassation fait grief à la juridiction d’appel d’avoir procédé à un renversement de la charge de la preuve en demandant à la partie C) de prouver quel autre contrat serait applicable et d’avoir de ce fait violé l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile.

Selon l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions.

Concernant le point critiqué la Cour a retenu ce qui suit :

« L’appelante conteste que les parties litigantes aient été liées par un autre contrat que celui signé en date du 29 mai 2014 et conteste dès lors que la facture litigieuse puisse procéder de l’exécution d’un contrat différent.

Face à ces contestations, C) reste en défaut d’établir l’existence d’un contrat différent, dans lequel la facture litigieuse trouverait sa source.

du rôle ; idem, 30 juil et 2020, n° 115/2020, numéro CAS-2019-00067 du registre (réponse au troisième moyen) ;

idem, 8 octobre 2020, n° 119/2020, numéro CAS-2019-00135 du registre (réponse au quatrième moyen) ; idem, 26 novembre 2020, n° 160/2020, numéro CAS-2019-00147 du registre (réponses au premier moyen, pris en ses six branches, cinquième moyen, pris en sa troisième branche et septième moyen, pris en sa seconde branche) ;

idem, 10 décembre 2020, n° 166/2020, numéro CAS-2019-00176 du registre (réponse aux deux premiers moyens).

10 Cassation 31 octobre 2019, n° 138/2019, numéro CAS-2018-00097 du registre (réponse au premier moyen).

Les attestations testimoniales versées par l’intimée sont soit trop imprécises sur ce point, soit étrangères à l’objet de la preuve à rapporter et ne permettent aucunement cette conclusion. » Il ressort précisément de l’extrait cité ci-dessus que la société C) n’a pas réussi à rapporter la preuve de ses affirmations, à savoir de l’existence de relations commerciales continues, voire d’un accord oral concernant les prestations à effectuer. La partie I), qui a affirmé que la facture litigeuse trouvait exclusivement sa source dans le contrat du 24 mai 2014 a au contraire, selon la juridiction d’appel, rapporté la preuve de ses affirmations.

La Cour a dès lors pu décider, sans violer la disposition visée au moyen, que le contrat du 24 mai 2014 se trouvait à la base de la facture, dont le paiement était réclamé.

Par le biais de son quatrième moyen la partie demanderesse en cassation ne tend en réalité qu’à remettre en question le pouvoir d’appréciation de la juridiction du fond des éléments de preuve présentés par les parties à l’appui de leurs prétentions respectives, appréciation qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Sandra KERSCH 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 91/21
Date de la décision : 03/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-03;91.21 ?

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