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01/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45824C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 juin 2021, 45824C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45824C du rôle Inscrit le 26 mars 2021

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Audience publique du 1er juin 2021 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 mars 2021 (n° 44485 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45824C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 26 mars 2021 par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne,...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45824C du rôle Inscrit le 26 mars 2021

___________________________________________________________________________

Audience publique du 1er juin 2021 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 mars 2021 (n° 44485 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45824C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 26 mars 2021 par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 11 mars 2021 (n° 44485 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 mai 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 26 avril 2021;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Frank GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, parvenue au greffe de la Cour administrative le 14 mai 2021;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 18 mai 2021.

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Le 8 août 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 118 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée/police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 20 septembre 2019, il passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Le 5 novembre 2019, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 11 mai 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé en date du 14 mai 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été déclarée non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive et ce, à destination de l’Irak ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.

Cette décision ministérielle est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 8 août 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Il convient de mentionner que vous êtes né le … à …/Irak et que vous êtes arrivé seul au Luxembourg.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 août 2019, le rapport d'entretien Dublin III du 20 septembre 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 5 novembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Irak, d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite.

2 Vous indiquez qu'en 2017, alors que vous aviez … ans, vous auriez fait la connaissance d'une fille lors des cours d'appuis en mathématiques avec laquelle vous auriez entamé une relation en juin 2017.

En février 2018 vous auriez fait votre première demande en mariage en compagnie de votre père et de votre oncle auprès de sa famille. Vous expliquez que votre demande aurait été refusée par la famille de la jeune fille au motif que vous seriez trop jeune et sans emploi. Vous ajoutez que vous auriez néanmoins continué à la fréquenter en cachette.

Une semaine plus tard vous vous seriez retrouvés dans un parc et vous auriez été repérés par ses frères et cousins. Ils vous auraient regardés de façon bizarre et vous vous seriez éloignés des lieux.

En février 2019 vous vous êtes inscrit dans un club de … en vue de participer à un à … [sic]. Vous ajoutez que votre père s'est occupé des modalités afin que vous puissiez effectuer ce voyage.

En juin 2019 vous auriez fait une deuxième demande en mariage en présence de plusieurs membres de votre clan auprès de la famille de votre copine. Votre deuxième demande aurait également été refusée pour les mêmes raisons. Les frères et cousins de votre copine vous auraient ensuite demandé comment vous auriez osé la fréquenter en cachette.

En date du 2 juin 2019, elle vous aurait téléphoné et vous auriez décidé de vous rendre ensemble dans la maison de votre tante le 5 juin 2019. Vous auriez passé la nuit chez votre tante et vous seriez rentrés chez vous le lendemain. Sur le chemin du retour, des connaissances de votre copine vous auraient repérés ensemble dans le taxi. Son frère se serait rendu à votre domicile le jour-même et aurait commencé à vous menacer. Il serait reparti après que vous ayez accepté de ne plus fréquenter sa sœur.

Par conséquent, votre père vous aurait conduit dans la ville d'… afin que vous séjourniez auprès des proches jusqu'à votre départ de l'Irak prévu pour le 6 juillet 2019 pour participer audit tournoi sportif.

Un ou deux jours plus tard, des membres de la famille de votre copine se seraient rendus à votre domicile et auraient enjoint votre famille de quitter le quartier dans les prochains mois.

Une altercation aurait eu lieu et votre oncle ainsi que votre cousin auraient été blessés.

Cet incident serait survenu quinze à vingt jours avant votre départ d'Irak. Votre père vous aurait ensuite informé que vous auriez été renié par votre clan et vous ajoutez :

« Nachdem ihr Klan festgestellt hat, dass ich mich versteckt halte, waren sie sich sicher, dass ich etwas Schlimmes mit dem Mädchen gemacht habe. Sie haben mich beschuldigt. Zu dieser Zeit wusste ich, dass es das Ende meines Lebens ist und dass ich sterben werde. » (p.6/12 du rapport d'entretien).

Enfin, vous indiquez que votre père vous aurait conseillé de ne plus retourner en Irak après le tournoi à … et de vous rendre au Luxembourg afin d'y déposer une demande de protection internationale.

3 Vous avez finalement quitté votre pays d'origine comme prévu en date du 6 juillet 2019.

Vous auriez pris l'avion à … et vous vous êtes rendu à … en transitant par le Qatar. Vous auriez quitté la France avant la fin du tournoi et vous seriez allé en Belgique. Vous auriez ensuite pris le train à … pour vous rendre au Luxembourg.

Vous présentez votre carte d'identité irakienne, un document intitulé « Objet/Décision de Renvoi » ainsi qu'un document qui serait établi par le « Commissariat de Police d’… » avec leurs traductions respectives.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Monsieur, vous laissez entendre que vous craindriez des représailles de la part de la famille de votre copine, parce que vous auriez entretenu une relation qui n'aurait pas rencontré l'assentiment de sa famille, respectivement de son clan. A cet égard, vous indiquez: « Bis heute bin ich gesucht seitens des anderen Klans und die Probleme sind immer noch nicht gelöst. » (p.6/12 du rapport d'entretien).

Force est de constater que ce motif n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève car il ressort clairement de vos dires qu'il n'est pas lié à votre race, 4votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

On ne saurait dès lors retenir dans votre chef l'existence d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution alors qu'il s'agit en l'espèce d'un conflit privé et familial.

Même à supposer que ce fait soit lié à un des critères de fond, il y a lieu de souligner que vos craintes, à savoir le fait que vous auriez été menacé par le frère de votre copine, l'altercation qui aurait eu lieu entre votre famille et la famille de votre copine, incident lors duquel vous n'auriez même pas été présent, l'exclusion par votre clan et le fait que la famille de votre copine aurait réclamé que la vôtre déménage du quartier, sont exemptes d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution au sens des prédits textes.

A cela s'ajoute que vous avez attendu le tournoi pour quitter l'Irak de manière légale muni d'un visa, de sorte qu'il y a lieu de conclure que ni vous ni votre famille n'avez estimé la situation suffisamment grave et nécessitant un départ immédiat.

Quand bien même ces faits seraient liés à l'un des critères de fond de la Convention de Genève et qu'ils seraient d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que vous n'avez à aucun moment porté plainte auprès d'une quelconque autorité irakienne contre les prétendus agissements de la famille respectivement du clan de votre copine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

5 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. Vous déclarez que vous auriez été renié par votre clan et que vous seriez dans le collimateur d'un autre clan pour avoir entretenu une relation amoureuse avec une fille dudit clan sans leur assentiment.

Force est de constater que les faits dont vous faites état ne revêtent pas un degré de gravité tel qu'ils puissent être assimilés à une atteinte grave au sens du prédit texte.

Rappelons également que vous n'auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d'origine, ainsi aucun reproche ne peut être fait aux forces de l'ordre irakiennes.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) ».

6 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2020, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 11 mai 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire.

Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en condamnant ce dernier aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 26 mars 2021, Monsieur … a régulièrement fait entreprendre le jugement du 11 mars 2021.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance son exposé des faits tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

En substance, il expose être de nationalité irakienne, de confession musulmane chiite et appartenir au clan …. Il précise avoir vécu dans la ville de …, où en 2017, il serait tombé amoureux d’une jeune fille, …, qui appartiendrait à un autre clan, et qu’il voulait épouser. Sa demande en mariage, formulée en février 2018, aurait été refusée par la famille de sa copine, en raison de son jeune âge, 16 ans, et parce qu’il était sans travail. Il aurait néanmoins continué sa relation secrètement et formulé, encore en vain, une deuxième demande en mariage. En juin 2019, il aurait été aperçu, après avoir passé la nuit avec sa copine et les foudres de la colère de la famille de sa copine se seraient abattues sur lui. Avec l’aide de son père, il aurait quitté sa ville d’origine et il aurait profité de sa participation à un tournoi de … à … pour venir chercher refuge au Luxembourg. En effet, il serait désormais recherché par les membres du clan de sa copine et même répudié de son propre clan en raison de son comportement vis-à-vis de sa copine et qui requerrait que son sang soit versé. Il ajoute que le …, la police irakienne aurait émis un mandat d'arrêt et d'enquête à son encontre « en raison d'une affaire tribale contre lui ».

Sur ce, l’appelant reproche aux premiers juges une appréciation erronée des circonstances de fait à la base de sa demande et soutient remplir les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

En effet, le tribunal aurait méconnu le pouvoir des différents clans irakiens, véritables groupes sociaux, contre lequel les autorités étatiques resteraient impuissantes. Or, comme l’honneur serait un élément clé du fonctionnement des clans et des tribus, son comportement serait perçu comme déshonorant pour tout son clan, de sorte qu’il risquerait d’être sévèrement châtié tant par son clan que par celui de sa copine, sans pouvoir compter sur le secours des autorités policières, lesquelles le rechercheraient activement. Il risquerait même de trouver la mort.

Ses problèmes ne seraient pas d’ordre privé, mais d'ordre clanique et les autorités en charge de la sécurité et de l’ordre seraient parfaitement impuissantes pour assurer une protection efficace et les auteurs de crimes perpétrés dans pareil contexte resteraient impunis.

7Les craintes de persécutions en cas de retour en Irak seraient partant réelles et graves et justifieraient qu’une protection internationale, principale ou subsidiaire, lui soit conférée.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Il s’y ajoute que par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du juge administratif devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur de protection avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

8 En l’espèce, c’est à tort que l’appelant entend critiquer les premiers juges en ce qu’ils ont conclu au sujet des menaces, notamment de mort, émanant de membres de la famille ou du clan de sa copine …, en raison du fait qu’ils auraient entretenu une relation amoureuse et intime, menaces que l’appelant tente de rattacher à son appartenance à un groupe social déterminé, au sens de l’article 43, paragraphe (1), point d), de la loi du 18 décembre 2015, que ces craintes ne rentrent pas dans la définition de groupe social édictée par ledit article.

En effet, les menaces en question ne sauraient être rattachées à son appartenance à un groupe social, étant donné que le simple fait de faire l’objet de menaces et d’une agression de la part de la famille de la fille avec laquelle il aurait entretenu une liaison amoureuse ne permet pas de retenir l’appartenance à un groupe social au sens de l’article 43, paragraphe (1), point d), de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’y ajoute qu’aucun élément d’appréciation soumis en cause ne permet d’établir un rapport des faits avec un des autres critères de rattachement énumérés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951.

Il s’ensuit que les craintes afférentes mises en avant par l’appelant n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, respectivement de l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité ou les opinions politiques, mais ainsi que l’ont relevé à bon escient les premiers juges, elles relèvent plutôt d’un conflit d’ordre familial.

C’est partant à juste titre que le ministre d’abord, les premiers juges ensuite, ont rejeté la demande de reconnaissance du statut de réfugié de Monsieur ….

La même conclusion s’impose au niveau des prétendus risques émanant de son propre clan, qui l’aurait renié et qui risquerait à son tour de le persécuter. En effet, la Cour, à l’instar des premiers juges, constate le défaut de justification par l’appelant du moindre lien desdites craintes avec un des critères de la Convention de Genève, de sorte que le tout s’insère encore dans le contexte d’un conflit d’ordre privé.

Les faits invoqués ne sauraient de la sorte justifier l’octroi du statut de réfugié à Monsieur ….

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse pertinente des premiers juges au sujet du risque dans le chef de Monsieur …, en cas de retour dans son pays d’origine, de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

D’une part, le reniement par son propre clan, tel qu’allégué par l’appelant, ne présente en effet pas une gravité suffisante au vu de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et les risques de châtiment voire de mort restent essentiellement hypothétiques, spécialement alors que l’appelant a lui-même déclaré avoir quitté son village et son pays avec l’aide de son père et de proches.

D’autre part, si les risques et menaces émanant du clan auquel appartient sa copine …, dont les membres entendent rétablir l’honneur familial par la violence, présentent certes une certaine gravité au vu du contexte décrit par l’appelant, il n’en reste pas moins que l’appelant 9continue de rester en défaut d’établir avec suffisance que les autorités irakiennes ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements des membres dudit clan ou qu’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

Dans ce contexte, les premiers juges ont relevé à bon escient le fait que Monsieur … a quitté son pays d’origine sans avoir à aucun moment sollicité la moindre protection des autorités policières ou judiciaires contre les menaces proférées contre lui par les membres du clan de sa copine …. En outre, si les éléments d’appréciation soumis en cause documentent une certaine réticence des autorités policières à s’immiscer dans les conflits tribaux, ils renseignent néanmoins que ces types de conflits se situent essentiellement dans le sud de l’Irak, et ne concernent dès lors a priori pas la situation de Monsieur …, qui est originaire de ….

En tout état de cause, il ne ressort point à suffisance de droit des éléments de la cause que les autorités irakiennes compétentes seraient dans l’incapacité ou refuseraient de lui fournir une protection appropriée.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par la mise en balance du fait que l’appelant aurait été convoqué par la police d’… et ferait l’objet d’un mandat d’amener, cette convocation et ledit mandat ne remettant pas en cause l’existence d’une protection dans son pays d’origine, mais documentant la volonté des policiers irakiens de s’investir dans des enquêtes même dans le cadre des conflits familiaux.

En l’absence d’autres éléments mis en avant, notamment en rapport avec l’existence d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international en Irak, c’est encore à juste titre que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, ont refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef de Monsieur ….

La légalité de l’ordre de quitter le territoire, conséquence automatique du refus de protection internationale, n’ayant pas été autrement discutée en instance d’appel, la Cour est partant amenée à rejeter l’appel et à confirmer le jugement dont appel.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 26 mars 2021 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 11 mars 2021;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

10Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour … s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 2 juin 2021 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45824C
Date de la décision : 01/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-01;45824c ?

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