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01/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45651C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 juin 2021, 45651C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45651C du rôle Inscrit le 15 février 2021 Audience publique du 1er juin 2021 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 6 janvier 2021 (n° 43359 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur « K », …, en matière de garantie de salaire Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45651C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 février 2021 par Maître Paul SCHINTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, agissant en sa qualité de ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45651C du rôle Inscrit le 15 février 2021 Audience publique du 1er juin 2021 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 6 janvier 2021 (n° 43359 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur « K », …, en matière de garantie de salaire Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45651C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 février 2021 par Maître Paul SCHINTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, agissant en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’emploi, représenté par son Ministre d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation, sinon par son ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, dont les bureaux sont établis à L-2763 Luxembourg, 26, rue Ste Zithe, dirigée contre le jugement rendu le 6 janvier 2021 (n° 43359 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré fondé le recours introduit par Monsieur « K », …, demeurant à L-… …, …, …, et, en conséquence, a annulé la décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 8 mai 2019 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur « K » dans le cadre de la faillite de la société anonyme « L » ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2021 par Maître Luc TECQMENNE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur « K » ;

Vu le courrier de Maître Virginie VERDANET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, du 23 mars 2021 portant information qu’elle occupe pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en remplacement de Maître Paul SCHINTGEN ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 mars 2021 par Maître Virginie VERDANET pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

1Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 23 avril 2021 par Maître Luc TECQMENNE au nom de Monsieur « K » ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 20 mai 2021.

En date du 9 mars 2016, Monsieur « K » constitua, à parts égales, avec la société à responsabilité limitée « D », la société à responsabilité limitée « L1 » et à la même date, il fut nommé gérant unique de ladite société.

En date du 28 décembre 2017, la société à responsabilité limitée « L1 » fut transformée en société anonyme « L », ci-après « la société « L »», et procéda en même temps à une augmentation de capital. Le même jour, Monsieur « K » fut nommé administrateur de la société, ensemble avec deux autres administrateurs et il fut encore désigné par le conseil d’administration administrateur-délégué de la société « L » pour une durée de 6 ans, mandat qu’il occupa jusqu’à la faillite de la société.

Le 1er mars 2018, Monsieur « K » signa avec la société « L » un contrat de travail à durée indéterminée précisant qu’il serait embauché comme « Directeur Général ».

Par jugement du 7 janvier 2019, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, prononça la faillite de la société « L ».

Le 7 février 2019, Monsieur « K » déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg sa déclaration de créance définitive dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de ….- € du chef d’arriérés de salaires pour les mois de septembre à décembre 2018, du salaire du mois de survenance de la faillite, ainsi que du mois subséquent, ensemble les indemnités résultant de la mise en faillite de la société « L ». Lors de l’audience de vérification des créances du 26 avril 2019, le curateur de la société « L », ensemble avec le juge-commissaire, admirent la déclaration de créance de Monsieur « K » pour le montant déclaré de ….- € au passif privilégié de la société faillie.

Par décision du 8 mai 2019, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés respectivement par « le directeur » et « l’ADEM », informa Monsieur « K » de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« (…) Faisant suite à votre demande de remboursement dans l'affaire émargée, je me dois de vous informer que les articles L.125-1 et L.126-1 du Code du Travail ne s'appliquent qu'aux 2seuls travailleurs salariés, alors que Monsieur « K » est affilié auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale en tant qu'artisan/commerçant.

Dans ces conditions, il m'est impossible de réserver une suite favorable à la déclaration de créance introduite. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2019, Monsieur « K » fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision directoriale précitée du 8 mai 2019.

Par jugement du 6 février 2021, le tribunal administratif déclara recevable et fondé le recours en annulation et, en conséquence, annula la décision précitée du directeur de l’ADEM du 8 mai 2019, tout en condamnant l’Etat aux frais de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal retint en premier lieu que l’ADEM était en droit de procéder à son propre examen des créances lui soumises et que dans l’hypothèse de refus du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombait à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen, par le juge administratif, de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement. Il en déduisit qu’il appartenait en l’occurrence à l’Etat, ayant refusé de prendre en charge la créance pourtant acceptée par le curateur et le juge-commissaire, de rapporter la preuve du bien-fondé de la décision de refus.

Le tribunal releva ensuite que l’Etat faisait état d’une situation excluant un lien de subordination en raison du pouvoir de contrôle de Monsieur « K » dans la société en faillite, fondée sur le fait (i) que l’autorisation d’établissement de la société « L » était établie au nom du demandeur, (ii) que ce dernier détenait des actions de ladite société, et (iii) qu’il aurait été affilié auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale en tant qu’« artisan/commerçant » du 2 mai 2016 et jusqu’au 31 janvier 2019 inclus. Sur ce, les premiers juges rappelèrent qu’il appartenait à la partie étatique d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique et de fait qu’elle allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à voire conclure que, vu les circonstances de l’espèce, le demandeur avait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination est inconcevable, et, une fois cette preuve rapportée, qu’il appartenait cependant au demandeur d’établir que malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant a priori l’existence d’un lien de subordination, il se trouvait en réalité lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination et correspondant à une convention réelle et sérieuse.

Le tribunal nota ensuite que si Monsieur « K » avait effectivement été administrateur-délégué de la société « L » et ceci jusqu’au 7 janvier 2019, date à laquelle la société a été déclarée en état de faillite, il ressortait cependant du dossier administratif qu’il faisait partie d’un conseil d’administration composé de trois membres et qu’il avait seulement un pouvoir de signature conjoint avec un autre membre du conseil d’administration, de sorte que son pouvoir décisionnel était forcément dilué.

3Il releva encore qu’il se dégageait des éléments du dossier que le capital social de la société « L » était, au moment de sa constitution, détenu à raison de 50 % par Monsieur « K » et que suite à une augmentation de capital de la société en date du 28 décembre 2017, la participation de Monsieur « K » avait été ramenée à une participation minoritaire d’approximativement 2 % dans le capital social de la société « L », fait non autrement contesté par la partie étatique, et que compte tenu de cette participation minoritaire, il y avait lieu de conclure que celui-ci était révocable ad nutum sans avoir la possibilité d’influencer ce vote lors d’une assemblée générale.

Tout en admettant que Monsieur « K » exerçait certes une certaine influence sur la gestion de la société « L », le tribunal releva, au vu de ce que son pouvoir d’engager la société était dilué à cause de la présence de deux autres administrateurs, le demandeur n’ayant eu aucun pouvoir de signature individuel et n’ayant eu qu’une participation minime au regard de la répartition du capital social, que la situation juridique décrite par la partie étatique n’était pas telle à exclure ipso facto l’existence d’un lien de subordination devant se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte, analyse non plus énervée par le fait que Monsieur « K » était le détenteur de l’autorisation d’établissement de la société, ni par son affiliation comme « artisan/commerçant » auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale, ci-après « le CCSS », ces circonstances n’étant pas non plus de nature à exclure la réalité d’un lien de subordination dans le chef de Monsieur « K ».

Le tribunal arriva dès lors à la conclusion que le directeur de l’ADEM avait à tort refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale de Monsieur « K » et il annula en conséquence la décision de refus déférée du 8 mai 2019, tout en renvoyant le dossier devant ledit directeur afin de voir déterminer la créance salariale du demandeur conformément à la motivation du jugement.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 février 2021, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, agissant en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’emploi, a régulièrement relevé appel du jugement du 6 janvier 2021.

A l’appui de son appel, l’Etat soutient que Monsieur « K » aurait joué un rôle non négligeable au sein de la société « L » pour avoir détenu au moment de la constitution de ladite société 50 % des parts sociales et avoir occupé à l’époque la fonction de gérant unique avec pouvoir de signature individuel. Suite à l’assemblée générale du 28 décembre 2017, l’intimé aurait accepté le mandat d’administrateur pour une durée de 6 ans et aurait été désigné comme administrateur-délégué pour signer en date du 1er mars 2018 un contrat de travail à durée indéterminé avec la société « L ».

En droit, la partie étatique concède qu’un administrateur social peut être considéré comme exerçant une fonction de salarié parallèlement à sa fonction de mandataire social s’il remplit cumulativement les deux conditions (i) d’être soumis à un lien de subordination et (ii) d’exercer effectivement à côté de son mandat social une fonction technique dissociable de son mandat social.

Or, dans le cas d’espèce, Monsieur « K » n’aurait pas été soumis à un lien de subordination, alors que l’autorisation d’établissement de celle-ci était établie au nom de l’intimé, que celui-ci détenait des actions de ladite société et qu’il était affilié en tant qu’« artisan/commerçant » auprès du CCSS du 2 mai 2016 au 31 janvier 2019 et non pas en tant que « salarié ». En se référant à l’article 14 4des statuts de la société « L », l’Etat signale que ladite société « sera engagée vis-à-vis des tiers par la signature collective de deux (2) administrateurs ou la seule signature ou les signatures conjointes de toute(s) personne(s) à laquelle (auxquelles) pareils pouvoirs de signature auront été délégués par le conseil d’administration » et que « dans le cadre de la gestion journalière, la société sera représentée par la signature d’un administrateur-délégué à l’exception de toute opération d’un montant supérieur à … euros (…,- EUR) pour laquelle la signature conjointe de deux administrateurs-délégués sera requise » pour relever que l’intimé pouvait engager celle-ci par sa seule signature pour un grand nombre d’opérations et non pas pour des tâches de faible importance, de sorte à avoir exercé un contrôle déterminant sur les activités de ladite société.

Partant, ce serait à tort que le tribunal a retenu que Monsieur « K » aurait seulement eu un pouvoir de signature conjoint et que son pouvoir d’engager la société aurait été dilué. La partie étatique relève encore qu’en vertu de son contrat de travail, Monsieur « K » n’aurait dû rendre des comptes qu’au seul conseil d’administration composé de trois personnes, dont il faisait lui-même partie, et que son affirmation que la société « L » était contrôlée effectivement par l’autre administrateur-

délégué, Monsieur « N », resterait à l’état de pure allégation.

Finalement, l’Etat relève l’absence de l’accomplissement de fonctions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat social de Monsieur « K », étant donné que celui-ci aurait été engagé comme « directeur général » avec comme affectation « la responsabilité de l’organisation, de la supervision et de la gestion de l’intégralité des départements de l’employeur », voire « à coordonner les tâches des salariés rattachés aux départements, et plus généralement, à représenter l’Employeur dans le cadre des relations avec ses clients, employés, fournisseurs et autres cocontractants », tâches ne se distinguant pas et n’allant pas au-delà des fonctions accomplies en tant que mandataire social de la société « L ».

L’intimé demande, dans son mémoire en réponse, la confirmation du jugement entrepris.

Il soutient que la seule condition légalement exigée pour obtenir l’indemnité prévue à l’article L.126-1 du Code du travail serait l’existence d’un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination, mais que l’ADEM, dans la décision déférée, se serait limitée à constater qu’il avait été affilié au CCSS en tant qu’« artisan/commerçant », affiliation qui serait attribuée aux personnes bénéficiant de l’autorisation de faire le commerce, mais qui ne serait pas déterminante pour qualifier l’existence ou non d’une « relation de travail salariale ».

Concernant plus précisément l’existence d’une relation salariale effective et sérieuse avec la société « L », Monsieur « K » soutient en premier lieu que son affiliation au CCSS en tant qu’« artisan/commerçant » aurait uniquement prouvé qu’il pouvait exercer des mandats sociaux, ce qui ne serait pas incompatible avec des fonctions de salarié. Il signale que suite à l’augmentation du capital de la société « L » en date du 28 décembre 2017, il n’aurait plus possédé que 2 % des actions de la société et que malgré son titre d’administrateur-délégué, il n’aurait plus eu qu’une marge décisionnelle très limitée, la société ayant été contrôlée par l’autre administrateur-délégué, Monsieur « N », représentant légal de l’actionnaire majoritaire, dont il aurait dû suivre les instructions. Partant, lui-même aurait préféré devenir salarié de la société « L » et être limité à l’exécution des directions lui données par Monsieur « N » avec lequel il aurait signé son contrat de travail le 1er mars 2018. Ledit contrat de travail prévoirait un certain nombre de contraintes, telles l’obligation de passer un examen médical tous les deux mois, une période d’essai de 6 mois, 5l’obligation de rendre compte à l’employeur, des horaires et une durée de travail fixes et l’obligation de présenter un certificat de maladie en cas d’absence pour cause de maladie, obligations reflétant l’existence d’un lien de subordination propre aux salariés. Pour le surplus, il aurait profité d’avantages liés à sa fonction salariale, à savoir une rémunération mensuelle fixe, un régime complémentaire de santé et de pension, une assurance professionnelle, une voiture de fonction, ainsi que des congés payés à hauteur de 26 jours par an.

L’intimé soutient ensuite avoir exercé des fonctions effectives et distinctes de celles découlant de son mandat social en relevant, d’une part, qu’il aurait perçu une rémunération au titre de sa fonction de salarié en vertu de son contrat de travail et non pour l’exécution de son mandat social, et, d’autre part, qu’en tant que directeur général, il aurait été en charge de la gestion des ressources humaines constituant en soi une tâche à part entière nécessitant des compétences techniques distinctes du mandat d’administrateur-délégué et dissociables de l’exécution de ce mandat.

Quant à l’existence d’un lien de subordination effectif, Monsieur « K » signale avoir reçu mensuellement des fiches de salaire faisant état d’un salaire fixe, après impôts, salaire soumis à indexation, et relevant les jours de présence et les heures prestées, ainsi que les congés payés, fiches complétées par une fiche de retenue d’impôts pour l’année 2018. Il relève ensuite que son pouvoir de signature individuel n’aurait concerné que des montants pouvant être engagés pour la gestion journalière de la société pour pourvoir à des tâches de faible importance ne nécessitant pas l’intervention du conseil d’administration et qu’au regard de « la faiblesse de sa part de capital », soit 2 %, son pouvoir aurait été très largement dilué dans celui des deux autres membres dudit conseil, ne pouvant même pas convoquer une assemblée générale. Finalement, il précise encore qu’en sa qualité de directeur général, il aurait eu une autorité sur les autres employés et il aurait représenté la société envers les tiers, constat qui serait compatible avec l’existence d’un contrat de travail avec son employeur.

L’article L.126-1 du Code du travail dispose :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail. (…).

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi. Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal 6de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). (…) ».

Il se dégage de l’article L.126-1 du Code du travail que seules peuvent faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale, le paragraphe (6) précisant que les versements sont effectués sur la base de relevés de créances présentés par le curateur, visés par le juge-commissaire et vérifiés par l’ADEM, de sorte que cette dernière est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises. Dans la mesure où la garantie salariale prévue par l’article L.126-1, paragraphe (1), du Code du travail s’applique aux créances résultant du contrat de travail, sa mise en œuvre est conditionnée par l’existence d’un contrat de travail qui est caractérisé par un lien de subordination. L’ADEM a dès lors non seulement le droit, mais l'obligation de vérifier en premier lieu l'existence de la qualité de salarié au jour de la survenance de la faillite dans le chef du demandeur de la garantie salariale et partant l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et son employeur failli qui est caractérisée par l’existence d’un lien de subordination (cf. Cour adm. 2 avril 2015, n° 35724C, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 6 et autres références y citées).

En cas de refus de remboursement par l'ADEM d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, la charge de la preuve des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen par le juge administratif de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (cf. Cour adm. 7 mars 2019, n° 42058C, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 7 et autres références y citées).

Ceci étant rappelé, les premiers juges ont considéré à bon droit que le contrat de travail s’analyse en une convention par laquelle une personne, le salarié, s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre, l’employeur, à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique, d’une part, et qu’un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats, d’autre part (cf. Cour adm. 16 juin 2011, n° 27974C, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 9 et autres références y citées). Si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée ou d’administrateur d’une société anonyme et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, pour qu’il y ait rapport de subordination juridique, élément essentiel de tout contrat de travail, il faut cependant que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats, et, d’autre part, au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat social, que la subordination 7trouve sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction du salarié (cf. Cour adm.

17 avril 2012, n° 29701C, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 9).

Concernant en premier lieu la circonstance que l’autorisation d’établissement de la société « L » était émise au nom de Monsieur « K », la Cour considère que cela n’est pas un argument décisif pour conclure à l’inexistence d’un lien de subordination de l’intimé envers ladite société. En effet, le fait que l’autorisation d’établissement est octroyée à une société sous condition que la personne visée assure la direction effective de la société n’est pas incompatible avec un statut de salarié, étant donné qu’une telle hypothèse est expressément prévue à l’article 4, point 3, de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales (cf. Cour adm. 9 juin 2016, n° 37437C, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 14). Dans ce contexte, c’est à bon escient que l’intimé argumente qu’il aurait été affilié auprès du CCSS en tant qu’« artisan/commerçant » précisément en raison du fait que l’autorisation d’établissement de la société « L » aurait reposé sur sa seule personne jusqu’au jour du prononcé de la faillite le 7 janvier 2019, étant rappelé que Monsieur « K » détenait 50 % des parts sociales de ladite société entre le 9 mars 2016 et le 30 mai 2017 et en était le gérant unique entre le 9 mars 2016 et le 28 décembre 2017, date à laquelle la société « L » a changé de forme sociale et où la part de Monsieur « K » dans le capital social fut ramenée à 2 %.

La Cour est encore amenée à constater qu’il se dégage des pièces du dossier qu’à partir du 28 décembre 2017 le capital social de la société « L » s’élevait à ….- € divisé en 2.640 actions d’une valeur nominale de ….- €, que Monsieur « K » ne détenait que 50 actions et qu’il faisait partie d’un conseil d’administration de trois personnes composé de lui-même, de Monsieur « O », représentant l’actionnaire « D » ayant souscrit à 1.229 actions, et de Monsieur « N » représentant l’actionnaire « C » ayant également souscrit à 1.229 actions dans le capital social de la société « L », ce dernier ayant également occupé la fonction d’administrateur-délégué. Au vu de cette participation tout à fait minoritaire de l’intimé dans le capital social de la société « L », la Cour partage la conclusion des premiers juges que celui-ci était révocable ad nutum sans avoir le moindre pouvoir décisionnel au moment de la tenue d’une assemblée générale, ne disposant même pas du pouvoir de convoquer pareille assemblée générale.

S’il est certes exact, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, que Monsieur « K » pouvait, dans le cadre de la gestion journalière, représenter la société pour toute opération d’un montant inférieur ou égal à ….- €, force est cependant de relever, d’une part, que Monsieur « N », en tant que deuxième administrateur-délégué, disposait des mêmes pouvoirs, et, d’autre part, que pour toute opération excédant le montant de ….- €, la société n’était engagée vis-à-vis des tiers que par la signature conjointe de deux administrateurs, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal a conclu à un pouvoir de décision fortement dilué dans le chef de l’intimé dans le contexte de la gestion journalière de la société « L ».

Pour le surplus, il convient encore de noter que Monsieur « K » a versé un contrat de travail daté au 1er mars 2018 ayant toutes les apparences d’une convention réelle et sérieuse et caractérisée par un véritable lien de subordination. En effet, ledit contrat est signé par l’autre administrateur-délégué Monsieur « N », représentant de l’un des deux actionnaires principaux de la société « L », et contient un certain nombre de contraintes et avantages classiques caractérisant 8la fonction d’un directeur général responsable pour l’organisation, la supervision et la gestion d’une entreprise vis-à-vis des clients, salariés, fournisseurs et autres cocontractants, à savoir, d’un côté, l’obligation de passer un examen médical tous les deux mois, une période d’essai de 6 mois, l’obligation de rendre compte à l’employeur, des horaires et une durée de travail fixes, l’obligation de présenter un certificat de maladie en cas d’absence pour cause de maladie et une clause de confidentialité, et, de l’autre côté, une rémunération mensuelle fixe de …- € brut, ainsi que la perception d’un pécule de vacances et d’un treizième mois, une gratification annuelle, une voiture de fonction, un régime complémentaire de couverture sociale, le remboursement des frais professionnels, une assurance accident, ainsi que des congés payés à hauteur de 26 jours ouvrables par an, étant relevé dans ce contexte que la réalité de l’exécution de ce contrat de travail se trouve encore documentée par la production des fiches de salaire versées au dossier.

Finalement, la Cour tient encore à relever que les tâches de la fonction de directeur général, telles qu’énumérées à l’article 3 du contrat de travail du 1er mars 2018, nécessitent des compétences techniques distinctes de celles d’un mandat en tant qu’administrateur-délégué et sont dissociables de l’exécution de pareil mandat, étant relevé dans ce contexte que ni la détention d’un pouvoir de direction effectif ni la jouissance d’une certaine autonomie dans l’accomplissement des tâches par un « cadre supérieur » ne sont, par principe, incompatibles avec la qualité de salarié.

A l’instar des premiers juges, la Cour arrive partant à la conclusion que la partie étatique n’a pas davantage qu’en première instance prouvé que Monsieur « K » avait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de nature à exclure dans son chef un lien de subordination.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel laisse d’être fondé et que la partie appelante doit en être déboutée.

Monsieur « K » sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de ….- €.

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que les conditions d’application de l’article 33, auquel renvoie l’article 54 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ne sont pas remplies, l’intimé n’ayant pas démontré en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;

reçoit l'appel du 15 février 2021 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 6 janvier 2021 ;

9rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Monsieur « K » ;

condamne l’Etat aux dépens de l'instance d'appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

…s.

s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 1er juin 2021 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45651C
Date de la décision : 01/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-01;45651c ?

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