GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45731C du rôle Inscrit le 2 mars 2021
_____________________________________________________________________________
Audience publique du 11 mai 2021 Appel formé par Monsieur …, … (Brésil), contre un jugement du tribunal administratif du 10 février 2021 (43278 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de la Justice en matière de certificat de nationalité luxembourgeoise Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 45731C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2021 par Maître Marc FEYEREISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, salarié, demeurant à … – province de … au Brésil, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 10 février 2021 (n° 43278 du rôle) à travers lequel le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, tout en déclarant recevable et non fondé le recours subsidiaire en annulation de la décision du ministre de la Justice du 23 mai 2019 ayant porté refus de délivrance d’un certificat par lui sollicité attestant dans son chef la qualité de descendant d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900 ;
Vu la requête en abréviation des délais déposée au greffe de la Cour administrative le même jour ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 4 mars 2021 entérinant l’accord des parties et fixant en conséquence un calendrier d’instruction de l’affaire et la date des plaidoiries ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2021 par Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY ;
Vu le courrier de Maître FEYEREISEN du 12 avril 2021 informant la Cour que finalement il n’entendait pas fournir de réplique ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc FEYEREISEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mai 2021.
Par le biais d’un courrier de son mandataire du 19 décembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du ministère de la Justice, une demande en matière de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise, sur le fondement de l’article 89 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, ci-après « la loi du 8 mars 2017 », en vue plus particulièrement de 1se voir délivrer un certificat attestant dans son chef la qualité de descendant d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900.
Par décision du 23 mai 2019, le ministre de la Justice, ci-après « le ministre », informa Monsieur … qu’il n’était pas en mesure de lui délivrer un certificat attestant dans son chef la qualité de descendant d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900 et qu’en conséquence, il ne lui était pas possible de souscrire à une déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise devant l’officier de l’état civil, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Par la présente, je me permets de vous informer des résultats de votre demande en recouvrement de la nationalité luxembourgeoise que vous avez introduite le 19 décembre 2018 au nom et pour compte de Monsieur ….
Aux termes de l’article 89 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, votre mandant doit rapporter la preuve qu’il descend en ligne directe d’une personne qui était en vie le 1er janvier 1900 et qui possédait à cette date la qualité de Luxembourgeois.
Vous faites état des aïeux suivants dans le chef de votre mandant :
Monsieur Johann KALBUSCH, né en 1754 à Lieler/Weiswampach, père de Monsieur Thomas KALBUSCH, né en 1795 à Ouren (Belgique), père de Monsieur Mathias KALBUSCH, né en 1830 à Ouren (Belgique) et toujours vivant au 1er janvier 1900.
- L’article 89 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise Pour tomber dans les prévisions de l’article 89, l’aïeul en question doit cumulativement remplir les deux conditions suivantes :
être en vie à la date du 1er janvier 1900 ;
posséder à la date du 1er janvier 1900 la nationalité luxembourgeoise.
Monsieur Johann KALBUSCH, né en 1754 à Lieler/Weiswampach, et Monsieur Thomas KALBUSCH, né en 1795 à Ouren (Belgique), n’étaient plus en vie le 1er janvier 1900, de sorte qu’ils ne peuvent pas être pris en considération dans le cadre de l’article 89 précité.
Monsieur Mathias KALBUSCH, né en 1830 à Ouren (Belgique), était toujours vivant au 1er janvier 1900. Se pose la question si celui-ci possédait la nationalité luxembourgeoise.
Possédait la qualité de Luxembourgeois aux termes de l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815, celui qui remplissait cumulativement les trois conditions suivantes :
être né au Grand-Duché de Luxembourg ;
résider au Grand-Duché de Luxembourg ;
avoir des parents domiciliés au Grand-Duché de Luxembourg.
Vous faites l’affirmation suivante : « Or contrairement à ce qu’on peut découvrir sur certains sites Internet, la localité OUREN n’a pas été transférée à la Prusse mais a continué à 2rester sous les auspices de la loi fondamentale des Pays-Bas. » Toutefois, vous ne versez aucune pièce susceptible d’établir que la localité d’Ouren faisait partie de territoire du Grand-Duché de Luxembourg au moment de l’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815.
À la suite du Congrès de Vienne de 1815, la région d’Eupen, Malmedy et Sankt Vith (dont fait partie Ouren comme appendice méridional), a été rattachée au Royaume de Prusse.
Vu que Monsieur Mathias KALBUSCH n’était pas né au Grand-Duché de Luxembourg, celui-ci ne remplissait pas les exigences de l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815, de sorte qu’il ne possédait pas la nationalité luxembourgeoise.
Votre mandant ne justifie donc pas d’être le descendant d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900, tel que requis.
- L’article 7 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise L’article 7 est applicable aux personnes nées au Grand-Duché avant le 19 avril 1941.
Monsieur Johann KALBUSCH ne tombe pas sous les prévisions de l’article 7, parce qu’il était né à un moment où le Grand-Duché de Luxembourg n’existait pas encore.
Monsieur Thomas KALBUSCH et Monsieur Mathias KALBUSCH ne remplissent pas les conditions de l’article 7 pour le motif qu’ils sont nés sur le territoire du Royaume de Prusse.
Dès lors, aucun des trois aïeuls en question ne possédait la nationalité luxembourgeoise.
Dès lors, je ne suis pas en mesure de vous délivrer un certificat attestant que votre mandant est le descendant d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900.
Il en résulte que votre mandant ne peut pas souscrire une déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise devant l’officier de l’état civil.
La présente décision est susceptible d’un recours devant le tribunal administratif à introduire, par requête signée d’un avocat à la cour, dans les trois mois à compter de la notification. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2019, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 mai 2019 refusant la délivrance dans son chef d’un certificat attestant sa descendance d’un aïeul possédant la nationalité luxembourgeoise au 1er janvier 1900.
Par jugement du 10 février 2021 le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, tout en déclarant le recours subsidiaire en annulation recevable mais non fondé et en déboutant la partie demanderesse, tout en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens de l’instance.
3Pour justifier cette solution, le tribunal arriva à la conclusion, à partir de l’ensemble des éléments de fait et de droit lui présentés, que l’appelant actuel n’avait pas réussi à établir l’existence d’un aïeul ayant eu la qualité de Luxembourgeois à la date butoir du 1er janvier 1900 prévue par la loi pertinente sans commettre d’erreur en droit et sur base d’une appréciation correcte des faits de l’espèce, de sorte que le ministre avait décidé de ne pas faire droit à sa demande de délivrance d’un certificat attestant dans son chef la descendance d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900 avec la conséquence qu’il ne peut pas souscrire à une déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise auprès de l’officier de l’état civil.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2021, Monsieur … a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 10 février 2021 dont il sollicite la réformation pour, en ordre principal, voir accueillir son recours en réformation et voir dire qu’il possède la nationalité luxembourgeoise, ainsi que voir dire qu’il est le descendant en ligne directe d’un aïeul ayant possédé la nationalité luxembourgeoise à la date du 1er janvier 1900 et voir renvoyer le dossier en conséquence devant le ministre afin de voir établir soit un certificat de nationalité soit un certificat d’aïeul luxembourgeois à son profit, sinon, en ordre subsidiaire, dans le cadre de son recours subsidiaire en annulation voir annuler la décision ministérielle querellée du 23 mai 2019 avec renvoi du dossier devant le même ministre.
L’Etat conclut tout d’abord à la confirmation du jugement dont appel en ce que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour connaître du recours principal en réformation.
La partie appelante estime avoir formé une demande en revendication de la nationalité luxembourgeoise sur base de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017 et avance que le ministre, en procédant tel qu’il l’a fait, aurait définitivement décidé de refuser irréversiblement la possibilité de revendiquer cette même nationalité. Dès lors, ce serait à tort que les premiers juges auraient déclaré le recours principal en réformation irrecevable, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer le jugement a quo sur ce point, ceci aux fins de ne pas se limiter à analyser la légalité de la décision querellée, mais aux fins de juger également de son opportunité.
Il est constant en cause que la décision ministérielle querellée a pour objet le refus de délivrance d’un certificat attestant que la partie appelante actuelle serait la descendante d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900, document par elle sollicité en vue de pouvoir faire une déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise devant l’officier de l’état civil en application de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017.
La Cour rejoint l’analyse des premiers juges suivant laquelle la démarche de la partie appelante ne s’analyse pas en action en revendication de la nationalité luxembourgeoise, étant constant qu’un refus ministériel afférent donnerait lieu à un recours en réformation devant le tribunal administratif sur base de l’article 74 de la loi du 8 mars 2017, mais s’inscrit dans le cadre de la procédure spécifique, ouverte temporairement jusqu’au 31 décembre 2018, prévue à l’article 89 de la même loi, prévoyant dans le chef d’un descendant d’un aïeul luxembourgeois au 1er janvier 1900 la possibilité de recouvrer dans ce délai la nationalité luxembourgeoise lui acquise de la sorte en raison de sa dite descendance directe.
Dans la mesure où aucune disposition de la loi n’ouvre un recours en réformation contre une décision de refus de délivrance ministérielle d’un certificat attestant la descendance d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900 en vue d’un recouvrement de nationalité au sens de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017, c’est à bon droit que le tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation et a uniquement porté son analyse sur le recours 4subsidiaire en annulation de la partie appelante actuelle.
Tel que le délégué du gouvernement le met en exergue à bon escient, la partie appelante ne peut pas non plus invoquer utilement les dispositions transitoires de l’article 106 de la loi du 8 mars 2017 qui sont inapplicables à son cas de figure, étant donné que sa demande en délivrance du certificat litigieux est postérieure à celle de l’entrée en vigueur de la loi du 8 mars 2017, en l’occurrence le 1er avril 2017, et que, par ailleurs, aucune demande n’a été actée par un officier de l’état civil jusqu’à ce jour.
Dès lors, le chef principal du présent appel tendant à voir réformer le jugement dont appel pour ne pas avoir accueilli le recours en réformation de la partie appelante est d’ores et déjà à rejeter.
Au niveau de l’analyse du recours en annulation, la partie appelante admet dorénavant le fait mis en avant par le ministre et confirmé par les premiers juges, suivant lequel la localité d’Ouren, ayant certes fait partie de l’ancien Duché de Luxembourg, pour être incorporée par la suite dans le département de l’Ourthe à partir du 1er octobre 1795, n’a jamais, par la suite, fait partie du Grand-Duché de Luxembourg.
En effet, il est constant en cause, qu’en application du Traité de Vienne du 9 juin 1815, la localité d’Ouren a d’abord fait partie du Royaume de Prusse, puis de l’Empire allemand à partir de 1871, pour enfin rejoindre le Royaume de Belgique en application du Traité de Versailles du 28 juin 1919, sans ne jamais avoir depuis lors rejoint le Grand-Duché.
En ordre subsidiaire, la partie appelante critique le jugement dont appel en ce qu’il n’a pas accueilli ses moyens invoqués à l’encontre de la décision ministérielle querellée du 23 mai 2019 dans le cadre d’une violation de la loi, dont notamment la loi du 8 mars 2017 et, plus particulièrement de son article 89, sinon dans le cadre d’un excès de pouvoir pour erreur d’appréciation manifeste.
Le point de départ du raisonnement de la partie appelante reste le même qu’en première instance : son aïeul direct Johann KALBUSCH est né au Duché de Luxembourg en 1754, plus exactement à Lieler. N’étant décédé qu’en 1829, il était encore vivant sous l’Empire du Grand-Duché de Luxembourg tel que mis en place par le Traité de Vienne de 1815. La partie appelante estime que Johann KALBUSCH et sa famille ont résidé au Grand-Duché en 1815 et durant les années subséquentes, dans la mesure où l’on retrouve des membres de la famille KALBUSCH lors des recensements luxembourgeois de 1855 et 1858, notamment à Beiler voire à Weiswampach. Elle admet que les membres de cette famille ont continuellement changé de domicile dans la mesure où on les retrouve tantôt à Ouren et à Reuland, à l’époque faisant partie du Royaume de Prusse, tantôt à Beiler ou Weiswampach. Même pour le cas où Johann KALBUSCH ne devait plus habiter le Grand-Duché de Luxembourg en 1815, ce qui ne serait actuellement plus retraçable, il aurait néanmoins acquis la nationalité luxembourgeoise pour avoir été né sur ce territoire, anciennement Duché de Luxembourg, même si à l’époque le concept de nationalité luxembourgeoise n’avait pas été forgé avec la même clarté que par la suite.
La partie appelante conteste les affirmations des premiers juges suivant lesquelles le constat que leur aïeul Johann KALBUSCH aurait soi-disant automatiquement acquis, en 1815, la nationalité luxembourgeoise du fait de sa naissance sur le territoire de l’ancien Duché de Luxembourg, devenu Grand-Duché en 1815, serait resté en tout état de cause à l’état de pure allégation en ce qu’il lui serait reproché de simplement supposer une telle acquisition sans toutefois 5établir à quel titre exactement sondit aïeul aurait acquis la nationalité de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.
Dans ce contexte, la partie appelante déclare rejoindre les affirmations de la partie étatique ayant retenu en première instance que « si, sur le papier, le Grand-Duché de Luxembourg était devenu en 1815 un Etat distinct des Pays-Bas, en réalité, le roi des Pays-Bas Guillaume 1er, n’a pas fait de distinction entre ces deux entités, de sorte à avoir gouverné le Grand-Duché comme s’il s’agissait de la 13e [sic] province de son royaume. En conséquence, la loi fondamentale des Pays-Bas a été étendue au Grand-Duché de Luxembourg et l’article 8 de cette loi a été le texte fondateur de la nationalité luxembourgeoise. ».
Elle estime toutefois erroné de vouloir affirmer que seules les personnes nées après le congrès de Vienne sur le territoire du Grand-Duché actuel auraient pu obtenir la nationalité luxembourgeoise, étant entendu que le concept de nationalité n’existait pas à cette époque où l’on employait plutôt le terme de « naturels », et que toutes les personnes habitant sur ce territoire en 1815 étaient à considérer comme ayant été sans nationalité ou de nationalité non déterminable.
Si l’on suivait cette analyse, le Grand-Duché de Luxembourg, au moment de la signature du Traité de Vienne le 9 juin 1815, aurait compté zéro personne considérée comme « naturel luxembourgeois » et partant zéro personne susceptible d’être nommée membre des Etats généraux ou admissible à une quelconque fonction pendant 21 ans au moins au regard de l’âge légal requis.
Suivant la partie appelante, il coulerait plutôt de source que toutes les personnes nées sur le territoire anciennement nommé « Duché de Luxembourg », devenu « Grand-Duché de Luxembourg », étaient à considérer dès 1815 comme des « naturels luxembourgeois ».
Pour avoir été né en 1754 à Lieler, localité ayant fait partie de l’ancien Duché de Luxembourg, puis du Grand-Duché de Luxembourg, Johann KALBUSCH serait, sur cette seule base, à considérer comme ayant été de nationalité luxembourgeoise.
Dans l’hypothèse où une analyse plus conséquente devrait s’imposer, il y aurait lieu de déterminer la base légale sur laquelle la nationalité luxembourgeoise était à attribuer par rapport à un cas de figure tel celui de Johann KALBUSCH.
La partie appelante déclare être d’accord avec le fait que la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815 a été étendue au Grand-Duché de Luxembourg et que son article 8 a été le texte fondateur de la nationalité luxembourgeoise. Suivant la partie appelante, ce texte devant être lu comme ayant accordé la nationalité luxembourgeoise implicitement à toutes les personnes nées sur le territoire correspondant au Grand-Duché depuis 1815 ou y vivant, ne se prononcerait plus sur les critères d’attribution de la nationalité des enfants à naître.
Elle estime que c’est l’article 9 du Code civil qui est devenu applicable à partir de l’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815 jusqu’à son abrogation par la loi du 23 avril 1934 sur l’indigénat luxembourgeois. Ledit article 9 dispose qu’« est Luxembourgeois l’enfant né d’un père luxembourgeois ».
La partie appelante renvoie encore à la version du Code civil des Français du 21 mars 1804 prévoyant dans son article 10 que « Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est Français », en remplaçant « Français » par « Luxembourgeois ».
6En partant de ce que Johann KALBUSCH était, sinon est devenu Luxembourgeois au plus tard en 1815, la partie appelante estime qu’il a transmis sa nationalité à Thomas Théodore KALBUSCH qui lui-même l’a transmise à Mathias KALBUSCH qui lui l’a transmise à Nikolau KALBUSCH chaque fois de père en fils en application de l’article 9 du Code civil, sinon de l’article 10 du même Code dans sa version originaire de 1804.
A partir de l’ensemble de ces éléments, il aurait été possible au ministre de considérer que Mathias KALBUSCH, sinon son fils Nikolau KALBUSCH avait la nationalité « grand-ducale luxembourgeoise » avec toutes les conséquences de droit à la date butoir du 1er janvier 1900.
En conséquence, la décision ministérielle querellée serait à annuler pour violation de la loi, sinon, dans le cadre d’un excès de pouvoir invoqué, pour erreur d’appréciation manifeste.
Pour le cas où le Code civil ne serait pas applicable en l’espèce, mais que la Constitution des Pays-Bas du 24 août 1815 le serait, dont plus particulièrement son article 8, il y aurait lieu de se pencher sur le cas de Nikolau KALBUSCH, né le 9 avril 1858.
La partie appelante souligne que les parents de Nikolau KALBUSCH, à savoir Mathias KALBUSCH et Catharina KOHNEN, ayant contracté mariage en 1857 à Weiswampach, ont encore vécu à Weiswampach en 1858 suivant le recensement de cette même année. Mathias KALBUSCH aurait déjà été recensé dans cette même localité en 1855.
S’il était vrai que Nikolau KALBUSCH est né à Ouren, ayant fait partie à l’époque du Royaume de Prusse, l’explication en serait que sa mère avait rejoint ses parents dans cette localité voisine de Weiswampach en vue de l’accouchement de Nikolau et qu’elle est retournée après sa naissance à Weiswampach. Ce fait ne changerait en rien que Nikolau KALBUSCH serait à considérer comme ayant été Luxembourgeois.
La partie appelante admet que la Constitution luxembourgeoise du 12 octobre 1842 vise dans son article 6 la notion de « Luxembourgeois de naissance ou naturalisé », mais souligne qu’elle ne contient aucune disposition plus spécifique sur la façon d’acquérir la nationalité luxembourgeoise, de sorte que l’on serait encore appelé à se rapporter soit à la Constitution de 1815 soit au Code civil. Aux yeux de la partie appelante, en application de chacune de ces deux sources, Nikolau KALBUSCH serait Luxembourgeois pour être né de père en père d’un aïeul luxembourgeois, en l’occurrence Johann KALBUSCH né à Lieler en 1754. Dès lors, également sous cet angle de vue, la décision ministérielle querellée encourrait l’annulation pour violation de la loi, sinon, dans le cadre d’un excès de pouvoir invoqué, pour erreur d’appréciation manifeste.
La partie étatique plaide d’abord pour une interprétation stricte non seulement des dispositions de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017 prévoyant la possibilité de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise en raison de la vérification de celle-ci dans le chef d’un aïeul ayant vécu à la date butoir du 1er janvier 1900, mais encore par rapport aux dispositions légales applicables au moment de la naissance des ancêtres de la partie appelante. Elle fait valoir que les dispositions en question n’auraient de toute façon été prévues par la loi que de façon transitoire pour un délai de 10 ans à partir du 1er janvier 2008 concernant les demandes en certification de la descendance d’un aïeul luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900.
La partie étatique met encore en exergue les différences prévues par la loi au niveau des conditions à remplir pour acquérir la nationalité luxembourgeoise par la voie ordinaire – condition de résidence, condition de connaissance de la langue luxembourgeoise et participation au dispositif 7« vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg ». Pour les candidats passant par le mécanisme de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017 ayant pris le relais de celui de l’article 29 de la loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise, aucune de ces conditions ne serait requise et la seule certification de la descendance d’un aïeul ayant revêtu la nationalité luxembourgeoise à la date butoir du 1er janvier 1900 serait suffisante.
Le représentant étatique souligne encore que la plupart des candidats ayant pu acquérir la nationalité luxembourgeoise successivement sur base de l’article 29 de la loi précitée du 23 octobre 2008, puis de l’article 89 de la loi du 8 mars 2017 seraient des non-résidents, beaucoup d’entre eux non-citoyens de l’Union européenne, un nombre important des candidats étant ressortissants des Etats-Unis d’Amérique ou du Brésil.
Par rapport à l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815, la partie étatique souligne que seul celui qui remplissait cumulativement les trois conditions suivantes étaient à considérer à l’époque comme Luxembourgeois : il lui fallait être né au Grand-Duché de Luxembourg, résider au Grand-Duché de Luxembourg et avoir des parents domiciliés au Grand-Duché de Luxembourg.
Johann KALBUSCH étant né en 1754, sa naissance se situerait à un moment où le Grand-Duché de Luxembourg n’existait pas encore. N’étant pas né sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, tel qu’il a été créé par le congrès de Vienne de 1815, Johann KALBUSCH n’aurait pas rempli les conditions de l’article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas du 24 août 1815.
Son fils Thomas KALBUSCH étant né en 1795 en la localité d’Ouren n’ayant jamais fait partie du Grand-Duché de Luxembourg, il n’aurait rempli à plus forte raison les conditions de l’article 8 en question.
Son fils Mathias KALBUSCH étant mentionné dans les recensements de 1855 et 1858 plus particulièrement à Beiler, commune de Weiswampach, sans indication de nationalité, la partie étatique estime que vraisemblablement des personnes n’ayant pas eu la nationalité luxembourgeoise, avaient également été recensées. Par ailleurs, Mathias KALBUSCH n’aurait introduit aucune procédure d’acquisition volontaire de la nationalité luxembourgeoise par voie de naturalisation. Une attribution automatique de la nationalité luxembourgeoise sur le fondement d’une résidence au Grand-Duché n’aurait pas existé à l’époque, tandis qu’un certificat de décès brésilien dudit Mathias KALBUSCH, décédé le 12 décembre 1907 dans l’Etat de … au Brésil indiquerait comme « naturalidade » la mention « alemanha ».
La partie étatique conclut enfin que ledit article 8 de la loi fondamentale du 24 août 1815 n’aurait plus été applicable à Monsieur Nikolau KALBUSCH, né après le 1er janvier 1842, pour avoir été relayé par les dispositions de la Constitution du 12 octobre 1841.
Ce serait encore à tort que la partie appelante ferait état de la possession d’état de Luxembourgeois dans le chef de Monsieur Nikolau KALBUSCH, étant donné que seulement la loi du 23 avril 1934 aurait consacré, par son article 29, le concept de possession d’état de Luxembourgeois. Dans une considération subsidiaire, l’Etat plaide qu’une simple résidence au Grand-Duché de Luxembourg n’établit pas à suffisance de droit la possession d’état de Luxembourgeois.
8En ce qui concerne les dispositions invoquées du Code civil, la partie étatique estime qu’à défaut de dispositions expresses prévoyant une rétroactivité afférente, les dispositions invoquées du Code civil n’ont pas pu rétroagir de manière à s’appliquer à des naissances qui se sont produites avant l’année 1815.
La partie étatique déclare enfin rejoindre les premiers juges ayant retenu que l’affirmation de la partie appelante suivant laquelle son aïeul Johann KALBUSCH, né à Lieler en 1754, aurait acquis de manière automatique la nationalité luxembourgeoise en 1815, restait en tout état de cause à l’état de pure allégation, sinon de supposition en ce qu’il n’aurait pas été établi à quel titre exactement cet aïeul avait acquis la nationalité de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.
En conclusion, ce serait à juste titre que le ministre aurait refusé la délivrance du certificat de nationalité querellé.
Dans un premier stade, il convient de dégager les éléments de fait constants en cause invoqués par la partie appelante à partir des pièces qui sont les mêmes que celles versées en première instance.
La partie appelante s’appuie sur quatre générations d’aïeux masculins issues de Johann KALBUSCH, né à Lieler en 1754, indiqué comme ayant eu son centre d’intérêts à Lieler sinon Weiswampach et encore vivant en 1815 pour avoir été cité dans un acte notarié en 1820.
En second lieu vient Thomas KALBUSCH, fils de Johann KALBUSCH et Katharina RADIX, né à Ouren en 1795 et décédé à Ouren.
En troisième génération la partie appelante cite Mathias KALBUSCH, fils de Thomas KALBUSCH, né à Ouren en 1830 et décédé au Brésil le 12 décembre 1907 laissant sept enfants dont Nikolau KALBUSCH, né à Ouren le 9 avril 1858, décédé au Brésil le 4 novembre 1926.
Il est constant en cause qu’à la date butoir du 1er janvier 1900, les deux aïeux en vie, dans le chef desquels la nationalité luxembourgeoise devrait être vérifiée pour que la démarche de la partie appelante soit couronnée de succès, étaient Mathias et Nikolau KALBUSCH.
Le seul facteur de rattachement vérifié de Mathias et Nikolau KALBUSCH par rapport au Grand-Duché de Luxembourg est, pour le premier, la double mention au niveau des recensements de 1855 et 1858, en tant qu’habitant du Grand-Duché dans la commune de Weiswampach, de même que pour le jeune enfant Nikolau cité au recensement de 1858.
La partie appelante entend induire de la naissance de son aïeul plus lointain Johann KALBUSCH dans une localité du Duché de Luxembourg restée acquise par la suite au Grand-Duché, à savoir Lieler, la qualité de Luxembourgeois en faisant valoir que celui-ci aurait vécu sa plus grande partie de sa vie sur le territoire devenu Grand-Duché en 1815, plus particulièrement à Lieler.
Or, aucune pièce versée au dossier ne permet de corroborer ces affirmations. Au contraire, les pièces versées tendent à ce que, du moins à partir de la naissance de son fils Thomas en 1795, Johann KALBUSCH ait été établi à Ouren.
9Tout d’abord, il est constant en cause que Johann KALBUSCH était établi à Ouren lors de la naissance de sondit fils Thomas. Il résulte encore de l’acte de décès de Théodore KALBUSCH que Johann KALBUSCH était de son vivant « Ackerer », donc attaché à ses propriétés agricoles et, surtout, « wohnhaft zu Ouren ». La même mention figure audit acte de décès établi en la « Gemeinde Reuland Kreis Malmédy » pour l’épouse de Johann KALBUSCH, Katharina RADIX, également indiquée comme ayant été de son vivant « wohnhaft zu Ouren ».
Il résulte de ces documents qui sont versés au dossier en relation avec Johann KALBUSCH que celui-ci et son épouse avaient fixé le centre de leurs intérêts en tant qu’« Ackerer » en la localité d’Ouren, où en 1795, leur fils Thomas est né et où ils paraissent avoir été « wohnhaft » jusqu’à leur décès.
Dès lors, contrairement aux affirmations de la partie appelante, le centre d’intérêts de Johann KALBUSCH se dégage comme ayant été à Ouren, du moins depuis 1795 jusqu’à son décès. Actuellement, aucune indication dans le sens d’un déménagement vers la partie devenue Grand-Duché de Luxembourg en 1815 ne se trouve vérifiée en cause.
Pour Thomas KALBUSCH, dont il résulte du même acte de décès qu’il a été « wohnhaft zu Ouren », aucun lien par rapport au territoire devenu Grand-Duché de Luxembourg en 1815 ne se trouve établi en cause.
Il en est de même pour son fils Mathias KALBUSCH, ayant immigré au Brésil en 1863, sauf son apparition dans les recensements grand-ducaux de 1855 et 1858. Il n’y est nullement indiqué que Mathias KALBUSCH aurait revêtu la nationalité luxembourgeoise, ni d’ailleurs son fils Nikolau KALBUSCH, né en 1858 à Ouren. Au contraire, dans le « certidǎo de óbito » de Mathias « Calbusch » du 12 décembre 1907 établi au Brésil, le défunt est indiqué comme ayant eu la « naturalidade alemanha ».
Sachant que de toute évidence en vertu du Traité de Vienne du 9 juin 1815, une partie du ci-avant département de l’Ourthe, comprenant plus particulièrement le canton de St. Vith, dont fait partie la localité d’Ouren, a été attribuée au Royaume de Prusse et est devenu à partir de 1871 partie de l’empire allemand, cette mention officielle revêt pour le moins un indice fort que Mathias KALBUSCH, né à Ouren en 1830, alors déjà partie du Royaume de Prusse, ait effectivement revêtu la nationalité allemande et non point la nationalité luxembourgeoise, dans un contexte où la double nationalité n’était reconnue par aucun de ces deux Etats.
Cette conclusion s’impose par rapport à l’indice faible d’une habitation vérifiée au Luxembourg en 1855 et 1858, le cas échéant jusqu’à son départ au Brésil en 1863, laquelle n’a pas été de nature à conférer à Monsieur Mathias KALBUSCH la nationalité luxembourgeoise.
Une présence au Grand-Duché des aïeux de Mathias KALBUSCH, à savoir Johann et Thomas KALBUSCH, prénommés, durant la période de l’entrée en vigueur de la Constitution des Pays-Bas du 24 août 1815 jusqu’au 1er janvier 1842, date d’entrée en vigueur de la Constitution luxembourgeoise du 12 octobre 1841 n’étant pas non plus vérifiée, il est oiseux de pousser plus loin l’analyse de savoir si, en application de l’article 8 de la Constitution des Pays-Bas du 24 août 1815, Johann, sinon Thomas KALBUSCH peuvent être considérés comme ayant revêtu la nationalité luxembourgeoise, étant donné que leur présence au Grand-Duché ne se trouve même pas vérifiée pour cette période.
10S’il est vrai qu’en application des articles 9 et 10 du Code civil, dans la version de l’époque, un fils de Luxembourgeois est Luxembourgeois, encore aurait-il fallu qu’il soit vérifié dans le chef de Johann KALBUSCH qu’il ait pu être considéré comme Luxembourgeois. Or, s’il est bien né sur le territoire de l’ancien Duché de Luxembourg restant acquis au Grand-Duché à partir de 1815, plus précisément en 1754 lorsque celui-ci fit partie des Pays-Bas autrichiens à une époque où personne ne songeait de près ou de loin à une « nationalité luxembourgeoise », sa présence précisément au Grand-Duché à partir de 1815 ne se trouve point dûment démontrée en cause.
Auparavant, durant la période de 1795 à 1815 Johann KALBUSCH, de même que Thomas KALBUSCH, pouvaient tout au plus être considérés comme ayant été citoyens français.
Enfin, pour Nikolau KALBUSCH, également né à Ouren en 1858, même s’il appert qu’à cette époque ses parents étaient domiciliés au Grand-Duché, la nationalité luxembourgeoise ne pouvait lui être acquise, étant donné qu’elle aurait dû lui provenir de son père Mathias KALBUSCH au sujet duquel force a été à la Cour de retenir qu’il revêtait plus que probablement la nationalité allemande, le certificat de décès brésilien étant le seul document d’état civil versé en l’espèce concernant Mathias KALBUSCH à côté de son acte de naissance dressé en la commune de Reuland, canton de St. Vith, attestant qu’il est né à Ouren et ne portant aucune indication sur sa nationalité ni sur celle de ses parents.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent qu’en l’état des documents versés en cause et en l’absence surtout d’un arbre généalogique plus amplement fourni, l’appel laisse d’être fondé en ce qu’aucun dépassement de la marge d’appréciation du ministre n’a pu être utilement dégagé en l’absence de lien suffisant des quatre aïeux mis en exergue par la partie appelante avec le Grand-Duché de Luxembourg justifiant la vérification des critères permettant de conclure qu’à la date butoir du 1er janvier 1900, un aïeul en ligne directe de la partie appelante ait revêtu la nationalité luxembourgeoise.
Par conséquent, le jugement dont appel est à confirmer en ce qu’il a déclaré le recours de la partie appelante actuelle non fondé, encore que compte tenu essentiellement de la situation de fait telle que proposée devant la Cour, celle-ci n’a pas été amenée à prendre position par rapport à tous les moyens en droit analysés devant le tribunal, cette analyse étant devenue surabondante en instance d’appel.
Compte tenu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande d’indemnité de procédure de la partie appelante pour la première instance et pour l’instance d’appel.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
déclare l’appel recevable ;
au fond, le dit non justifié ;
partant en déboute la partie appelante ;
confirme le jugement dont appel dans son dispositif ;
écarte la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la partie appelante ;
11condamne la partie appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….
s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 mai 2021 Le greffier de la Cour administrative 12